LES SOPHISTES DE LA POSTCOLONIE
Macky Sall ne devrait pas siéger au conseil d’administration de Mo Ibrahim. Ce jugement peut déplaire. Mais il a le mérite d’être fondé sur des faits. Le texte de Hamidou Anne est certes beau, mais il ne dit absolument rien

Les sophistes ont toujours été les éléments les plus dangereux de l’époque moderne. La maîtrise de la belle phraséologie est un bel outil — mais tout ce qui brille n’est pas or. Voilà ce que montre et représente le texte d’Hamidou Anne : un mélange de tournures élégantes mais vides. Dans la postcolonie, la maîtrise du français est souvent confondue avec l’intelligence. Voilà ce que le texte de Anne donne à voir. Voyons pourquoi.
Le texte commence par une mention des 56 universitaires ayant signé une lettre ouverte, qualifiés d’“intellectuels” — entre guillemets. Ces guillemets en disent long. Pas besoin de commentaire. Juste après, Anne les présente comme rageux, haineux, aigris face à un président qui accumule les honneurs. L’attaque ad hominem est manifeste. C’est la première preuve d’un manque de rigueur dans la pensée. Les étudiants de première année de philo ou de math le savent déjà.
Les trois paragraphes suivants ne sont guère plus intéressants. Une avalanche de mots, tous plus méprisants les uns que les autres, dépeint ces universitaires comme engagés dans une guerre fangeuse, guidés par la jalousie envers la prestance et les succès de Macky Sall. Aucun argument. Des propos creux, sans retenue, qui pourraient être lancés à n’importe qui, à propos de n’importe quoi. À ce niveau, il ne s’agit plus d’un débat, mais d’un règlement de comptes de borne-fontaine. La réponse de Anne nous rappelle une tradition puérile : face à la critique, répliquer “tu es jaloux”.
Au quatrième paragraphe, enfin un changement… mais l’auteur change de sujet. Alors que les universitaires critiquent la nomination de Macky Sall au conseil d’administration de la Fondation Mo Ibrahim — en tant que symbole de la démocratie — le texte bifurque vers les réalisations du président et les promesses non tenues de Pastef. Soit. On pourrait avoir un débat sur cela aussi. Mais ici, ce n’est pas la question. Et comme un enfant surexcité, M. Anne perd le nord et s’égare dans un hors-sujet, enrobé de belles phrases. Il oublie que, contrairement à lui, ces intellectuels savent au moins rester sur le sujet.
S’ensuit une attaque tous azimuts, qui finit par présenter ces universitaires comme des calomniateurs méprisés par les Sénégalais. Encore un texte fait de beaux mots, qui sera célébré par certains… mais qui, au fond, ne dit rien. Aucune réflexion, aucun argument, rien sur la question soulevée par les universitaires. Juste du bruit. Et c’est ainsi que l’on confond l’éclat des coquilles avec la substance de la moelle. Quant à celle-ci, Hamidou Anne n’en donne aucune. Il ne dit absolument rien.
Mais waaye nag, comme on dit dans le Kajoor, "leketi kese naxuli bèy" te "fentarloo ajoo ju fajuwul doy na cay duma."
Quant à la question centrale, celle que ces universitaires posent — et à laquelle Anne ne répond jamais — elle est pourtant simple. La Fondation Mo Ibrahim est un symbole de démocratie. Ses administrateurs doivent incarner cette valeur.
Or, comment comprendre la nomination de celui qui, pour s’accrocher au pouvoir, a mené le pays dans une situation délétère ; qui a emprisonné plus de 1000 personnes pour avoir contesté ses dérives antidémocratiques ; qui a avoué avoir “mis le coude” sur des dossiers de corruption ; et qui, pour couronner le tout, a repoussé les élections, craignant une défaite annoncée ? Celui-là même qui, malgré ses déclarations de renoncement au troisième mandat, avait déjà discrètement consulté le Conseil constitutionnel, lequel — dans la plus grande discrétion — lui avait signifié qu’il n’était pas éligible. Ce président ne devrait pas siéger au conseil d’administration de la Fondation Mo Ibrahim.
Ce jugement peut déplaire. Il peut même être interprété comme “rageux” ou “jaloux”. Mais il a au moins le mérite d’être fondé sur des faits précis. Le texte de M. Anne est certes beau. Il écrit vachement bien. Mais je lui aurais tout de même donné un zéro pointé, car il ne convaincra que ceux qui, comme lui, se contentent de la forme au détriment du fond.
Cela dit, si M. Anne souhaite que certains d’entre nous répondent aux questions qu'il évoque, je ne peux répondre qu’en mon nom.
Où étions-nous lorsque l’Université de Dakar a été brûlée ? Nous avions parlé. Mieux : nous avions organisé une conversation à ce sujet, où nous avions invité des critiques honnêtes de Pastef, comme le professeur Hady Ba. Il y avait aussi d'autres collègues comme le professeur Yankhoba Seydi, des étudiants, et moi-même. Certains, comme Ba et Seydi, y avaient vu un acte de barbarie. Pour ma part, je l’ai lu comme un moment crucial de notre histoire. Que se passe-t-il dans la tête d’un étudiant qui brûle sa propre fac ? Je le vois comme un acte suicidaire profondément fanonien.
Et sur la justice, notamment le cas Mansour Faye ? Voici ce que j’écrivais ce matin sur Facebook :
“Certaines choses doivent être sacrées dans un État de droit, quel que soit le bord politique. Au Sénégal, nous avons cependant tendance à nous focaliser sur les anecdotes, au lieu des principes. Quand nous nous indignions de l’arrestation arbitraire de journalistes il y a un an, ce n’était pas pour les beaux yeux d’un tel ou d’un autre. Quand nous nous indignions que Sonko soit assigné à résidence, c’était parce que cela n’était pas légal. Aujourd’hui, je m’indigne tout autant que des journalistes soient arrêtés. Je m’indigne que Mansour Faye (pour qui je n’ai aucun respect, soit dit en passant), ou tout autre Sénégalais, soit interdit de quitter le territoire sans décision d’un juge. Aujourd’hui c’est lui, demain ce sera nous. La jurisprudence est un principe de droit. Sénégal rekk moo nu wara ñor.”
Les autres questions que vous évoquez sont importantes. Elles méritent d’être débattues. Mais faisons-le avec honnêteté. Et cessons d’utiliser des mots creux pour dire des âneries fondées sur… absolument rien.