L'IMAGINAIRE EST L’ARCHITECTURE TISSEE DE NOTRE RECIT
EXCLUSIF SENEPLUS - Dans le contexte africain, l'imaginaire se révèle être plus qu'un refuge. C'est un outil de résistance et de reconstruction identitaire. Cette force vitale ancrée dans des traditions séculaires ouvre la voie à la renaissance
Si l’on considère la définition du mot imaginaire, celui-ci a évidemment plusieurs sens. En tant qu’adjectif, c’est ce qui est créé par l’imagination et qui n’a d’existence que dans l’imagination. Mais en tant que substantif, c’est une œuvre, un domaine ou un monde de l’imagination.
Si l’on va un peu plus loin car la notion d’imaginaire embrasse plusieurs champs disciplinaires. Dans le domaine philosophique et selon la théorie de Jean-Paul Sartre, c’est le domaine de l’imagination, posé comme intentionnalité de la conscience : Nous sommes à même, à présent, de comprendre le sens et la valeur de l'imaginaire. Tout imaginaire paraît « sur fond de monde », mais réciproquement toute appréhension du réel comme monde implique un dépassement caché vers l'imaginaire.
Dans le domaine de la psychanalyse et selon Lacan, c’est un registre essentiel (avec le réel et le symbolique) du champ psychanalytique, caractérisé par la prévalence de la relation à l’image du semblable.[1]
L’historien roumain Lucian Boia, quant à lui, retient huit structures archétypales qui sont autant de constantes des cultures : 1/ la conscience d’une réalité transcendante, qui recoupe le sacré ; 2/ le double, la mort et l’au-delà ; 3/ l’altérité, ouvrant sur l’animal et le divin ; 4/ la quête de l’unité (androgyne) ; 5/ l’actualisation des origines ; 6/ le déchiffrement de l’avenir ; 7/ l’évasion hors de la condition humaine (âge d’or, utopies) ; 8/ la lutte et la complémentarité des contraires.[2]
Ainsi, on voit bien que le caractère de l’imaginaire est multiple et façonné par plusieurs symboliques nécessaires à la condition humaine d’une communauté spécifique.
Dans le domaine de la littérature, l’imaginaire est au premier plan de l'œuvre créatrice car il s’appuie sur un ensemble articulé autour de l’histoire, des croyances, des mythes, des valeurs et des images d’un peuple ou d’une culture.
Ainsi, on peut se demander comment l’imaginaire s’articule au récit que nous bâtissons ? Car, selon moi, l’imaginaire est au cœur de notre narration collective. L’imaginaire est une construction culturelle qui s’associe à l'identité profonde, tout en se métamorphosant aux conjonctures du temps. Quand cette société, en communion unitaire, est constituée solidement, par l’histoire, par l’éducation, par la langue, par le social et par le culturel, elle demeure libre. Ainsi l’imaginaire, sûr de lui-même, peut voguer sur toutes les mers qui s'offrent au regard, il peut résister, s’échapper parfois, il peut même se soustraire pour vivre d’autres horizons, mais toujours pour mieux revenir sur les terres fondatrices. L’imaginaire, quand il est stable, peut être pluriel car il se construit avec d’autres empreintes culturelles qui viennent s'incruster et forment un diamant pur. Pourtant, celui-ci n’est ni figé ni travestissement et il est en quête d’unité tout en convoitant le singulier.
Toutefois, l’idéologie peut parfois cultiver les imaginaires, les détourner de leur essence première et les éloigner de la réalité des symboles constitutifs d’une culture. C’est souvent le cas des territoires colonisés par une civilisation extérieure. Dans le même temps, les racines identitaires sont des alliées puissantes pour résister à l’écrasement et à l’asservissement. C’est par l’imaginaire culturel que le cerveau et le corps se défendent. C’est par l’imaginaire et la connaissance de soi que la continuité culturelle s’organise et s’affirme.
Pour parler du récit africain, notre imaginaire culturel n’est pas né avec l’esclavage et la colonisation, loin de là. Il est bien antérieur et enraciné dans notre histoire, dans nos paysages, dans nos rites, dans notre culture, dans la cosmogonie et dans les rondes sociales que nous formons. Notre histoire et nos imaginaires sont multiformes et ils nous appartiennent amplement à la fois dans les fondations du sacré et l’ouverture d’un nouveau monde, autrement dit d’une renaissance.
Une terre africaine épanouie, abondante et concordante n’est pas une utopie. Elle est seulement le fruit d’un assemblage unitaire autour de nos valeurs, de notre culture féconde, de notre histoire réhabilitée, de la défense de notre patrimoine ancestral, de nos langues revitalisées par la transmission, d’une conduite politique citoyenne et responsable, en harmonie avec nos désirs d’avenir. C’est l’architecture de nos récits et de notre imaginaire que nous devons, ensemble, défendre pour faire vivre tous les soleils de nos libertés et voir fleurir tous les flamboyants de notre renaissance.
Amadou Elimane Kane est enseignant, poète écrivain et chercheur en sciences cognitives.
[1]https://www.cnrtl.fr/lexicographie/imaginaire
[2] Jean-Jacques Wunenberger, Chapitre IV - Imaginaires culturels à l’œuvre - P.82 à 115 : https://shs.cairn.info/l-imaginaire--9782715402027-page-82?lang=fr