À L’ORIGINE, UNE CONJONCTION DE CHOCS
Le fardeau de la dette devient de plus en plus insupportable pour l’Afrique. Selon le Fmi, 21 pays en Afrique subsaharienne sont soit en situation de surendettement ou en risque élevé de surendettement. Une situation « assez alarmante ».
Le fardeau de la dette devient de plus en plus insupportable pour l’Afrique. Selon le Fmi, 21 pays en Afrique subsaharienne sont soit en situation de surendettement ou en risque élevé de surendettement. Une situation « assez alarmante ». Pour comprendre les enjeux de la nouvelle crise de la dette en Afrique, nous sommes allés à la rencontre de Daouda Sembène, Ceo d’AfriCatalyst, une société mondiale de conseil en développement basée à Dakar. Cet économiste qui a débuté sa carrière à la Banque mondiale est bien placé pour aborder cette question puisque durant sa carrière, il a notamment eu à siéger au Conseil d’administration du Fmi (il y a représenté 23 pays africains) et comme conseiller technique du Ministre de l’Économie et des Finances entre 2015 et 2016. M. Sembène a également été Ministre conseiller sur les questions économiques et financières à la Présidence de la République entre 2019 et 2020. Dans ce premier volet de notre entretien, il revient sur les causes de cette nouvelle crise de la dette en Afrique.
L’endettement est devenu un défi majeur pour beaucoup de pays africains. En effet, d’après le Fmi, 21 pays d’Afrique subsaharienne sont soit en situation de surendettement ou en risque élevé de surendettement ; « ce qui est quand même assez alarmant », constate l’économiste Daouda Sembène, Ceo d’AfriCatalyst, une société mondiale de conseil en développement basée à Dakar. En outre, beaucoup de pays allouent une partie importante de leurs ressources au service de la dette au détriment d’autres dépenses prioritaires, notamment l’éducation, la santé, le développement des infrastructures… « Donc, s’attaquer au problème de la dette est extrêmement important pour permettre à nos pays de pouvoir faire des avancées vers les objectifs de développement », explique-t-il.
Lors de la troisième édition de la Conférence africaine sur la dette et le développement (AfCodd III), qui s’est tenue du 30 août au 1er septembre 2023 à Dakar, décideurs politiques, du secteur privé et de la société civile ont souligné la nécessité de trouver des solutions qui puissent permettre d’alléger le fardeau de la dette en Afrique. « Un consensus s’est dégagé entre les participants pour que les solutions au surendettement puissent tenir compte de la dimension sociale et humaine. Ce que je veux dire par là, c’est qu’on ne peut pas régler le problème de la dette sans penser à l’impact que cela a sur les populations, parce que si les pays africains doivent allouer plus de ressources au service de la dette au détriment des dépenses sociales, cela ne serait pas une solution soutenable et viable », précise M. Sembène.
La Covid-19 comme élément déclencheur
Revenant sur l’origine de la nouvelle crise de la dette en Afrique, l’économiste note que le problème a démarré bien avant la Covid-19 où on voyait les prémices d’un endettement accru dans beaucoup de pays en développement. « Lorsque la pandémie a démarré, plusieurs États ont essayé, à juste titre, de trouver des ressources nécessaires pour y faire face, et donc, ils se sont endettés. Cela a contribué à accélérer le taux d’endettement. Il faut souligner que ce n’était pas le propre des pays africains. Même dans les pays développés qui avaient plus de marge de manœuvre budgétaire, on a vu une augmentation significative du niveau de la dette », analyse le Ceo d’AfriCatalyst. La crise en Ukraine est venue s’ajouter à la pandémie, créant une pression inflationniste sans précédent. Ainsi, les autorités ont senti le besoin de mobiliser des fonds supplémentaires pour soutenir leurs populations ; ce qui a également contribué à la hausse des taux d’endettement.
Plus récemment, poursuit M. Sembène, il y a eu le resserrement de la politique monétaire dans beaucoup de pays avancés, y compris les États-Unis. Ceci a provoqué des répercussions importantes en termes d’accroissement des taux d’intérêt, contribuant à alourdir le fardeau de la dette africaine. « Les pays ont dû faire face, en un temps record, à une augmentation du service de la dette qui a été occasionnée par la hausse des taux d’intérêt consécutive au resserrement de la politique monétaire. Sans compter d’autres facteurs auxquels les pays africains sont confrontés, notamment la crise sécuritaire et le changement climatique. Tous ces facteurs ont amené les Gouvernements à s’endetter davantage pour y faire face », dit-il.
Un allègement de la dette africaine ?
Un allègement de la dette africaine est-il possible dans les conditions actuelles ? « Un allègement de la dette obéit à plusieurs motivations », d’après Daouda Sembène. Selon lui, il faut d’abord qu’il y ait le besoin. « L’architecture financière de la dette prévoit des mécanismes de traitement ou de restructuration de la dette, à travers notamment le Club de Paris. Malheureusement, la situation est devenue beaucoup plus compliquée à cause d’une diversification des créanciers. Avant, on avait essentiellement les créanciers bilatéraux et multilatéraux, et à chaque fois qu’il y avait une crise de la dette, comme dans les années 1980-1990, on allait au Club de Paris pour trouver une solution. Mais, depuis deux à trois décennies, il y a une multiplication de créanciers privés, mais aussi de nouveaux créanciers bilatéraux qui ne sont pas membres de ce Club comme la Chine », constate l’ancien membre du Conseil d’administration du Fmi. Ceci fait que lorsque des pays sont confrontés à des situations de surendettement, il est difficile à l’état actuel de trouver des mécanismes pour leur permettre de restructurer la dette. Toutefois, le G20 a mis en place le cadre commun de traitement de la dette auquel des pays comme le Tchad, l’Éthiopie, la Zambie et le Ghana ont demandé à avoir accès. Mais, le problème, souligne le Ceo d’AfriCatalyst, c’est que cela prend du temps pour que ces pays-là puissent bénéficier d’un allègement de leur dette dans le cadre de ce mécanisme. La question qui se pose actuellement, indique-t-il, c’est comment on peut peaufiner ce cadre pour qu’il soit mieux adapté à la restructuration de la dette pour les pays qui en ont besoin. Par ailleurs, précise notre interlocuteur, en plus des mécanismes multilatéraux pour faciliter la restructuration de la dette, il faut aussi des approches et des mécanismes pour éviter aux pays d’être confrontés à une crise de liquidité qui, très souvent, se transforme en une crise de solvabilité. Bref, « plus on agit en amont, moins on aura besoin d’agir en aval », conseille Daouda Sembène.
Dette chinoise
Devenue le principal partenaire économique de l’Afrique, la Chine est souvent accusée par les Occidentaux d’exposer le continent au risque de surendettement. Ce que Pékin dément. Ce qui est constant, c’est que « la Chine est devenue le plus grand créancier bilatéral de l’Afrique », souligne Daouda Sembène, rappelant les nombreux prêts accordés aux pays africains, souvent à des taux concessionnels, dans le cadre de projets d’infrastructures. « La Chine est devenue une partie prenante importante des discussions liées à l’allègement de la dette des pays africains parce que l’idée qui sous-tend le cadre commun du traitement de la dette du G20, c’est de permettre un traitement équitable de tous les créanciers (bilatéraux, multilatéraux ou privés). Donc, toute solution au problème de la dette en Afrique devrait nécessairement inclure la Chine, mais aussi les créanciers privés », estime M. Sembène.