OUSMANE SONKO VEUT UNE GUERRE CIVILE ET ALIOUNE TINE L’A THEORISEE
Dans quel pays au monde un citoyen peut-il menacer devant les caméras de télévision, de tuer le chef de l’Etat démocratiquement élu ou d’envoyer 200 mille manifestants pour le déloger du Palais et rester dormir chez lui ?
Pour sauver sa tête, s’éviter de payer le prix de ses turpitudes dans le lupanar de Sweet Beauté, Ousmane Sonko avait adopté la stratégie du «après moi le déluge», selon laquelle personne ne devrait lui survivre. On peut dire que cette stratégie lui a réussi, mais seulement en partie, car s’il a été épargné d’une condamnation pour viol, il n’en a pas moins écopé d’une condamnation de deux ans d’emprisonnement ferme pour «corruption de la jeunesse». Ni la plaignante, Adji Sarr, ni la défense ne pourraient se satisfaire totalement de la décision. Seul le ministère public peut s’estimer heureux d’avoir pu sauver son dossier. Le représentant du Parquet a eu l’idée, à la fin de son réquisitoire de feu, lors du procès du 22 mai 2023, de tendre une perche au Tribunal en faisant des réquisitions demandant subsidiairement une condamnation pour corruption de personne âgée de moins de 21 ans. Le pouvoir de Macky Sall peut également se satisfaire d’une décision de condamnation car un acquittement aurait été un séisme tellurique et donnerait des ailes à Ousmane Sonko.
Dans l’absolu, la décision de Justice aurait pu être lue comme une bonne sentence, au vu des éléments de preuve présentés devant le prétoire, si et seulement si l’accusé principal avait comparu devant la barre pour se défendre des graves accusations. C’est une première dans les annales judiciaires que les juges se substituent à un accusé jugé par contumace, pour lui trouver des éléments d’excuse ou de disculpation, ou même des circonstances atténuantes. Le principe jurisprudentiel reste de condamner systématiquement le contumax, d’autant que la règle est de reprendre le procès une fois qu’il se sera constitué prisonnier ou se sera fait arrêter dans le cadre de l’exécution de la décision. C’est en quelque sorte l’application du principe que «nul ne plaide par procureur». En d’autres termes, c’est là que se trouve le côté bancal de la décision rendue par le juge Issa Ndiaye et ses assesseurs de la Chambre criminelle. On peut ainsi considérer que les bravades, menaces et défiances de Ousmane Sonko ont quelque part eu un effet dissuasif à l’endroit des juges. En effet, il lui a été permis et accordé ce qui n’a jamais été admis pour un justiciable devant aucun prétoire dans le monde. En outre, la Chambre criminelle, qui devra avoir à juger l’affaire à nouveau, s’est lié les mains. En cas de nouveau procès, donc en présence de l’accusé Sonko et de sa défense, si elle devait entrer en voie de condamnation, elle ne pourrait pas se dédire et/ou avoir la main plus lourde que lors du premier procès. Quelle serait la cohérence de trouver des excuses à un fugitif qui ne s’est pas défendu, et ne pas les lui reconnaître finalement quand la personne arriverait à les invoquer elle-même devant la barre, entre autres moyens de défense ?
Assurément, les juges, aidés par le Parquet, ont fait l’effort d’anticiper sur un éventuel nouveau procès en décidant d’une disqualification. Je reste cependant persuadé qu’en l’état des preuves présentées devant la barre et qui n’établissent indubitablement que des actes de conjonctions sexuelles, sans qu’on ne puisse en avoir le cœur net sur leur caractère forcé ou consenti, la sagesse d’un juge lui impose de ne pas entrer en voie de condamnation pour l’infraction de viol. Seulement, l’effort transcendantal qui a permis aux juges de disqualifier les faits, leur aurait aussi permis, dans un autre sens, de condamner pour viol.
Au demeurant, la condamnation pour «corruption de jeunesse» par des actes sexuels dans un lieu de débauche est infâmante et avilissante pour Ousmane Sonko qui aspire à devenir président de la République. Le déballage sordide devant le prétoire, de ses ébats sexuels, des récits torrides qui se retrouvent jusque dans les smartphones de ses concitoyens, feront de lui un drôle d’aspirant au poste de chef d’Etat. Nous écrivions : «Si en 2024, Ousmane Sonko a la chance de devenir Président du Sénégal, ce sera fatalement une auto-humiliation pour son Peuple qui aura la honte de voir les ébats sexuels ou les images de l’anatomie intime du premier des citoyens dans les smartphones de ses compatriotes. Il sera «un Président à poil» (chronique du 23 mai 2022).» Franchement, si l’homme manque autant de scrupules pour continuer de chercher à diriger son Peuple, on peut ne pas désespérer que dans un sursaut de dignité et de respect pour eux-mêmes, ses compatriotes s’éviteront l’humiliation de faire de lui le premier d’entre eux. C’est le plus grand revers de Ousmane Sonko, car il s’était juré que les violences et menaces empêcheraient la tenue d’un procès public. Il aura appris, et surtout ses avocats auront appris à leurs dépens que l’on ne peut pas, sans frais, défier la Justice. La présence ridicule de ses avocats lors du rendu du délibéré du 1er juin 2023, pour demander une réouverture des débats, alors qu’ils avaient décidé de boycotter l’audience de plaidoiries de la semaine précédente, constitue un cinglant aveu de leur fourvoiement. La supplique désespérée de Me Ciré Clédor Ly, qui demandait un renvoi pour «aller chercher (son) client et le faire comparaître de gré ou de force», était tout aussi pathétique. Le procureur Abdou Karim Diop a pu persifler en leur lançant : «Vous êtes des plaisantins.» Les avocats s’étaient résignés à plaider à travers les colonnes des journaux et les plateaux de télévision. On voit bien que Ousmane Sonko a toujours dirigé ses avocats et non le contraire ! Ainsi a-t-on pu mesurer la gueule de bois de Me Bamba Cissé après le prononcé du verdict.
Un autre enseignement du procès est qu’il aura permis au public de faire le constat des mensonges répétés de Ousmane Sonko, avec la fable d’un complot orchestré par Macky Sall pour écarter un adversaire politique. Pas une fois, en dépit de la longueur et de l’exhaustivité des débats devant la barre, la thèse d’un prétendu complot n’a été évoquée pour être étayée. Au contraire, ce qui a été discuté et mis en lumière, reste les écarts et faiblesses d’un homme qui s’appelle Ousmane Sonko. C’est dire que des mères et pères de famille, des magistrats, des officiers de police et de gendarmerie, des députés, des ministres, un président de la République et son épouse, des journalistes et des avocats ont été faussement accusés ! Sans scrupule…
Macky Sall dos au mur
Le pays n’en a pas pour autant fini avec cette affaire, encore moins d’avoir à déplorer ses conséquences tumultueuses. Le ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall, a enfoncé des portes ouvertes en soulignant «qu’une décision de Justice est faite pour être appliquée». Douterait-il de l’application du verdict condamnant Ousmane Sonko ? On peut le croire car si l’Etat était dans ces dispositions, il aurait arrêté Sonko depuis très longtemps ; ce n’est pas l’occasion qui a manqué. Au contraire, il a été épargné, contrairement à ses lieutenants. En vérité, on n’a jamais vu un homme appeler autant à l’insurrection et au meurtre sans jamais être inquiété. De simples velléités insurrectionnelles et de menaces de mort, de surcroît assumées publiquement, contre des magistrats et des personnes détentrices de l’autorité de l’Etat, ont, toujours et dans tous les pays, été sanctionnées, réprimées, à plus forte raison quand de telles menaces ont été suivies d’effets dramatiques. Depuis mars 2021, Ousmane Sonko et son parti, Pastef, sont entrés dans une logique insurrectionnelle, de déstabilisation de l’Etat et des institutions républicaines. Leur projet de semer le chaos n’est plus à démontrer. Si on avait encore besoin de s’assurer que ce parti est anarchiste et anti-républicain, la preuve est désormais définitivement faite. C’est dans ce sens que nous n’avons eu de cesse de tirer la sonnette d’alarme, jusqu’à une chronique du 15 février 2023 dans laquelle nous enjoignions les autorités de l’Etat «d’arrêter Ousmane Sonko avant qu’il ne soit trop tard». En effet, «les bonnes raisons ne manquent véritablement pas pour empêcher Ousmane Sonko de tout se permettre.(…) Ses multiples appels à l’insurrection, suivis d’effets violents et sanglants, avec leur bilan macabre de personnes tuées, ou les appels à empêcher la tenue des élections législatives de 2022 devraient le mener en prison ; tout comme les outrages aux magistrats, les bravades, le discrédit des institutions publiques, les insultes et injures, mensonges et attaques contre des personnes investies de l’autorité de l’Etat (Justice, police, Armée, gendarmerie). Le parti Pastef finance ses activités politiques en violation flagrante de toutes les règles légales et démocratiques.
Tous ces faits sont des motifs légitimes qui enverraient tout autre citoyen dans les liens de la détention ! Dans quel pays au monde un citoyen peut-il menacer devant les caméras de télévision, de tuer le chef de l’Etat démocratiquement élu ou d’envoyer 200 mille manifestants pour le déloger du Palais et rester à dormir chez lui ? Dans quel pays au monde un homme politique donnerait-il l’ordre à son chauffeur de foncer sur un barrage de police et rentrer tranquillement chez lui ? (…) Qu’on se le tienne pour dit, à chaque pas que l’Etat reculera, Ousmane Sonko et ses affidés avanceront de trois pas pour piétiner allégrement l’Etat de Droit. (…)».
Ces lignes sont plus que jamais pertinentes au vu des conséquences du verdict judiciaire condamnant Ousmane Sonko. Macky Sall et son gouvernement sont rattrapés par leur attentisme ou stratégie de pourrissement. Ils ne peuvent plus reculer d’un demi-pas. A force de différer la confrontation, ils finissent par être dos au mur. Si Ousmane Sonko reste impuni, il deviendra illégitime de continuer de s’en prendre à tout autre citoyen. La Justice a fait sa part du boulot, il appartiendra aux autres institutions de s’acquitter de la leur. Aucun faux-fuyant ou alibi ne saurait plus prospérer.
Les oeuvres du tandem Sonko-Tine
De toute façon, avec Ousmane Sonko, on doit savoir à quoi s’en tenir. Il n’a jamais caché son jeu ou n’a point cherché à avancer masqué. Il ne fait pas mystère de sa volonté de déloger Macky Sall du pouvoir par la violence et la force, et on peut bien croire que rien ne le détournera de cet objectif. Il le mettra en œuvre, à la limite de ses possibilités. Aussi se plaît-il à compter le maximum de morts et de dégâts. Il a clairement laissé entendre qu’il y aura de nombreux morts et dans un cynisme sidérant, il dit à ses sbires que «si vous mourez, vos mamans enfanteront à nouveau» ou que «pour (l)’arrêter, Macky Sall devra se salir les mains» (de sang). On ne peut pas être plus clair dans des intentions de semer le chaos et de mettre le pays sens dessus dessous. C’est dans cet esprit qu’on peut relever que la plupart des morts décomptés ne peuvent être des victimes des Forces de défense et de sécurité qui ont déjà payé un trop lourd tribut. Des manifestants sont armés et ont été aperçus en train d’ouvrir le feu. Combien de fois avons-nous alerté sur l’engagement de maquisards de tous acabits aux côtés de Ousmane Sonko ? Si on voulait éviter de ramasser des corps, on n’y aura malheureusement pas réussi. La stratégie de chercher à installer le chaos est en œuvre. Il cherche à déclencher une guerre civile et on doit entendre les évocations, allusions audibles et répétées de Alioune Tine depuis le 23 janvier 2023. Il avait aussi brandi le spectre de la Cour pénale internationale contre Macky Sall. Serait-il anodin que cette rhétorique soit amplifiée après que Ousmane Sonko a taillé bavette avec Salif Sadio quelques jours auparavant (5-6 janvier 2023)? Mieux, c’est après son déjeuner, autour d’un bol de «ceebu yap», bien médiatisé, avec Alioune Tine que Ousmane Sonko a osé, à partir du terrain de l’Acapes aux Parcelles Assainies de Dakar, entonner cette rhétorique de menace de guerre civile.
Au demeurant, une dizaine de morts de trop ont été dénombrés la semaine dernière et le décompte macabre ne semble pas terminé. Force est de dire que le bilan est déjà trop lourd et tout porte à croire qu’il le sera davantage, et pour cause ! Les autorités de l’Etat se sont laissé déborder et ne semblent pas avoir bien pris la mesure de la situation. En mars 2021, l’Etat pouvait avoir l’excuse d’avoir été pris par surprise, ou d’avoir plus ou moins sous-estimé le danger et les menaces et velléités de violences. Le temps laissé à Ousmane Sonko, suite à des atermoiements entre la plainte de Adji Sarr et sa comparution effective devant les enquêteurs, lui avait permis de se préparer et d’élaborer des stratégies et actions insurrectionnelles néfastes. Par la suite, le rapport de forces a pu être inversé et la vigilance a été de rigueur. Ainsi, plus d’une fois, Ousmane Sonko a été interpellé et conduit, sans coup férir, par les Forces de sécurité jusqu’à la destination de leur choix. Toutes les dispositions avaient fini par être prises pour que la quiétude soit revenue dans la ville les jours de comparution en Justice du leader du parti Pastef. L’erreur fatale aura été de lâcher du lest quand il a annoncé qu’il ne comparaîtra pas à son jugement. Avec une certaine désinvolture qui frise la naïveté, les autorités de l’Etat avaient en quelque sorte trouvé la chose commode, croyant qu’il n’y aurait plus de confrontation dès l’instant que la personne refuse de se présenter devant ses juges. Dans ce petit calcul, qu’on n’hésiterait pas trop à qualifier de lâche et qui a pu inciter à ne pas délivrer une ordonnance de prise de corps, on s’imaginait qu’une condamnation devenue une fatalité passerait comme lettre à la poste. C’était franchement avoir une courte vue car qui pouvait croire que Ousmane Sonko allait se laisser conduire comme un agneau à l’autel du sacrifice ? Ainsi, retiré en Casamance, il a pris le temps d’organiser ce qu’il a lui-même appelé le «Tchoki final» (Ndlr : ultime combat). Tout le ban et l’arrière-ban de ses affidés, jusqu’aux rebelles indépendantistes et autres forces obscures, ont été appelés en renforts. Des informations sur cette mobilisation ont été partagées à travers les réseaux sociaux avec des centaines de «combattants» qui avaient pris d’assaut, avec armes et bagages, les bateaux pour rallier Dakar, lieu clairement indiqué par leur chef de guerre comme le théâtre du combat final. Des mesures avaient-elles été prises pour empêcher ou endiguer cet afflux de jeunes vers Dakar, qui achetaient au vu et au su de tout le monde des armes blanches ? A-t-on contrôlé les passagers des bateaux qui ont fait la navette entre Ziguinchor et Dakar les derniers jours, pour s’assurer que des armes à feu n’avaient pas été transportées ? L’agenda du procès a été fixé par l’Etat, et donc les autorités avaient toute la latitude de se coordonner pour ne pas donner l’impression d’avoir été surprises par les effets induits. La coupe est plus que pleine et les dégâts matériels et humains s’amoncellent, même si on peut toujours se consoler qu’aucune cible névralgique ou stratégique de l’Etat n’ait pu être atteinte et que les troubles sporadiques sont principalement le fait de badauds et d’autres nervis payés et encouragés ou d’opportunistes pilleurs qui se servent allègrement. Est-ce une stratégie ou une tactique policière dite de «l’encerclement», qui consisterait en quelque sorte à chercher à épuiser les manifestants, à en arrêter le maximum ainsi que leurs meneurs, afin d’isoler davantage Ousmane Sonko avant d’aller le chercher ?