PATHÉ DIAGNE, IL EST MORT LE SOLEIL
Sa voix de stentor avait faibli ces dernières années, mais pas ce regard si pétillant de conviction et de détermination. Pathé Diagne avait le sens de l’humour. Il savait porter l’estocade à ses contradicteurs par la solidité de ses arguments
S a voix de stentor avait faibli ces dernières années, mais pas ce regard si pétillant de conviction et de détermination. Pathé Diagne avait le sens de l’humour. Il savait porter l’estocade à ses contradicteurs par la solidité de ses arguments.
Les neufs livres qu’il nous laisse en héritage sont de précieux documents qui nous éclairent sur la marche de l’Afrique et souligne l’inculture de ceux qui affirment que le continent noir n’est pas entré dans l’histoire. Linguiste, économiste, éditeur, politologue, Pathé Diagne, né le 7 janvier 1934, à SaintLouis, est décédé à Dakar, hier mercredi. Par son travail, tel un défricheur d’avenir, il a contribué à célébrer la prise d’initiative et de risque, conscient que c’est en cela qu’on devient un acteur du monde. Il a été l’auteur d’une traduction du Coran en wolof, contribuant ainsi à recentrer les choses, en remettant en question l’hégémonie islamoorientale portée par une tendance consistant à faire associer sous nos cieux, même inconsciemment, l’arabe à l’islam. Maîtrisant l’arabe, ayant étudié plusieurs langues africaines, il était attaché à l’idée d’une Afrique polyglotte et pluriculturelle. Il a enseigné la linguistique aux Etats-unis et a publié en 1960 le premier ouvrage de grammaire générative en français. Ses travaux sur le wolof et la politique africaine ont aussi marqué plusieurs générations. Toujours à la pointe du combat, il a voulu montrer par des expéditions en mer que la navigation transatlantique se pratiquait à partir de l’Afrique bien avant Christophe Colomb.
Dans son ouvrage « Bakary II et Christophe Colomb à la rencontre de l’Amérique », il affirmait qu’entre 1300 et 1312, à la tête du Mali , empire le plus riche de son époque, Bakary II avait réussi à réaliser la traversée de l’Atlantique et à se rendre en Amérique bien avant Christophe Colomb (1492) comme en témoignent des cartes catalanes datées de 1375 et 1407 le montrant abordant les côtes amérindiennes. Ce voyage transatlantique de découverte et de conquête, avec tout ce que cela impliquait comme connaissances scientifiques et techniques, avait été rapporté par l’historien arabe EL Omari en 1314, dans son Kitaab. Iconoclaste, curieux de tout, Pathé Diagne avait créé dans les années 80 à Dakar la libraire Sankore, qui était devenu très vite le centre de rencontre et de convergence des intellectuels du continent, de la diaspora. Intellectuel éminent il a été de toutes les batailles pour l’émancipation des peuples africains.
A côté de ses compagnons, Cheikh Anta Diop et Ousmane Sembène avec qui il avait fondé le premier journal en wolof « Kaddu », il a été un militant acharné des langues nationales. Il avait organisé le fameux colloque qui avait permis à Cheikh Anta Diop, pendant des nuits, d’exposer sa pensée à l’Université de Dakar. C’est au moment où sa fille, Mbissine Diagne, qui a filmé une bonne partie de sa vie, et le plasticien Viyé Diba, s’attellent à lui rendre hommage en 2024 , dans un grand évènement intitulé « Le Retour de Bakary II » que l’astre s’est éteint. Il est mort le soleil. Pour nous, un petit regret, celui de n’avoir pas pu mener à terme un projet que nous lui avions soumis, qui avait reçu son assentiment, et qui consistait à une série d’entretiens. A son épouse, la sociologue Fatou Sow avec laquelle ils constituaient un couple aimant, bercé par l’amour du savoir, à ses enfants, à toute la famille, le groupe Sud communication présente ses condoléances attristées. Adieu, Grand Pathé. Que ton âme repose en paix.