PRÉSIDENTIELLE AU SÉNÉGAL : LA FRANCE VEUT JOUER EN ÉTANT SÛRE DE GAGNER
EXCLUSIF SENEPLUS - Paris tenterait à travers le décret français retirant la nationalité à Karim Wade de se racheter une conduite en Afrique après avoir perdu de nombreux soutiens. Mais son implication malavisée risque d'aggraver son déficit d'influence
La France veut-elle redorer son blason en Afrique sur le dos du Sénégal ? D'Europe 1, à RFI-France 24, en passant par une bonne partie de la presse écrite, le tout largement relayé par des sites internet dédiés ou non, les médias français s'en donnent à cœur joie sur le Sénégal, dans une sorte de bashing systématique, depuis le report de l'élection présidentielle au Sénégal ; et avec une telle frénésie, d'ailleurs, que des mots, quelque peu tabous pour eux et, à vrai dire, démodés, comme "Françafrique", "pré-carré", y sont convoqués à tout-va. Même le retoquage, par notre Conseil constitutionnel, du décret présidentiel du 3 février n'y a rien changé. Cela, après que le Quai d'Orsay, pour la première fois de toute l'histoire politique de notre pays, eut pris une position tranchée contre une décision de nature si éminemment politique d'un pouvoir en place chez nous, et réclamé la tenue de l'élection présidentielle à date. Cela, juste après l'annonce du Président Macky Sall. Il n'avait même pas attendu le vote de la loi par l'Assemblée nationale, prévu pour le lendemain seulement.
Face à des options politiques ou décisions gouvernementales contestées de son ancienne colonie chouchoute, la France s'était toujours réfugiée derrière une langue de bois d'ébène, quand elle n'avait pas été, de façon nette ou nuancée, en parfait accord avec ses gouvernants.
Avec la complexité de la situation ayant découlé de cette décision de reporter l'élection, elle-même partie d'une affaire inédite ou d'affaires toutes inédites chez nous, pas la moindre prudence n'a été observée par un pays étroitement lié au nôtre, et dont le moindre cillement d'yeux de ses officiels, même de second rang, sur ce qui se passe chez nous, est scruté et interprété dans tous les sens, souvent de façon subjective, parfois irrationnelle ! - Pas seulement de ses officiels d'ailleurs : la présence la plus remarquée lors du rassemblement de l'opposition, vendredi dernier, 16 février, en France est celle de Jean-Luc Mélenchon, leader de La France insoumise. De quelque façon, la France n'est jamais loin de nos affaires ; parfois, hélas, à la demande de nos politiques de tous bords.
Aujourd'hui plus que jamais, quand, touchée coulée sur le plan géopolitique par... Wagner - des "mercenaires" qu'ils disent -, elle cherche à quoi s'agripper pour surnager, ces railleries des médias français m'interpellent pour deux raisons, l'une relevant de la situation globalement inconfortable de l'ancienne puissance coloniale en Afrique de l'Ouest francophone, où les fondations mêmes de sa politique s'effondrent pilier après pilier, et de façon accélérée ; l'autre partant de ses relations étroites avec notre pays, dont une des manifestations - qui, me semble-t-il, est passée inaperçue aux yeux des observateurs - est directement liée à ce report de l'élection présidentielle - et donc forcément, à toutes ses consequences présentes et à venir. C'est ce décret portant déchéance de la nationalité française pour Karim Wade.
Parlons de cette dernière déjà !
Thierno Alassane Sall, qui avait saisi le Conseil constitutionnel sur la double nationalité de Karim, semblait bien en peine d'en apporter la preuve. Le Conseil constitutionnel, pour sa part, qui avait déjà enregistré et validé la déclaration sur l'honneur du candidat du PDS sur sa nationalité sénégalaise exclusive, n'a pas vocation, et certainement pas compétence d'enquêteur...
Ce décret venu de France - et qui apportait surtout la preuve qu'au moment de sa déclaration sur l'honneur Karim était encore français - n'avait assurément pas pour but de sauver la candidature du fils d'Abdoulaye Wade. Au contraire, et l'autorité française qui l'a fourni le savait très bien. Car au cas où il y aurait eu une brèche quelconque, Karim serait tombé, comme Mme Wardini, sous le coup de la loi, pour parjure.
On peut spéculer dans tous les sens sur ce décret, venu comme un cheveu sur la soupe déjà riche d'ingrédients étranges de cette élection présidentielle inédite au Sénégal, par les complications qu'elle charrie.
La France, par ce coup presque pour rien, sauf qu'il représente la goutte de trop ayant fait déborder le vase vers ce report controversé, tient à sa quête fiévreuse de se remettre dans le jeu en Afrique ! À trop bon compte, il me semble. Elle, qui ne sait plus où elle habite sur le continent noir, étant en train d'être chassée de partout sous les quolibets - "France dégage !", et autres haro - cherche à se remettre avec plus de confort autour de la table du poker géopolitique africain - et le Sénégal, quel que soit le régime qui s'y installera après celui de Macky Sall, en restera une carte majeure. Seulement, elle le fait avec une frénésie parfaitement improductive. Comme dernièrement après le coup d'État militaire au Niger, avec les mouvements de menton du président Macron. On a vu comment cela s'est terminé, la France est allée à Canossa face aux putschistes. - Pour en finir avec ce chapitre, au moment où je vais boucler ce texte, j'apprends par un quotidien (Dakar Times du 19/2) qu'il faut ajouter au grief des Occidentaux envers le Sénégal des accords militaires signés avec la Russie de Poutine par Macky Sall.
Marianne devrait prendre acte que les temps ont changé, peut-être prendre du recul, réfléchir plus longuement à comment se trouver une nouvelle place autour de la table. Avec une nouvelle mentalité. Jouer en étant sûr de gagner - comme elle en à l'habitude en Afrique depuis les indépendances - est la meilleure définition que l'on puisse donner au mot tricher.
Abdoulaye Wade, politicien hors classe et juriste chevronné, coach et principale ligne de défense de son fils, lucide, lui - et c'est soit dit en passant - à choisi cette belle confusion apportée par Paris pour remettre son parti en jeu dans une partie dont il avait été exclu, tout en faisant oublier, dans le brouhaha généralisé, le parjure de fiston. Et ça, ça va être absorbé, dissous dans le dialogue prévu. La très rapide remise en liberté de Mme Rose Wardini l'augure parfaitement.
Macky, lui, et son parti, boivent du petit lait.
Parce que, même si la dernière carte du président a été annulée par le Conseil constitutionnel, la nature hypertrophiée de notre présidentialisme a fait que les sept sages n'ont pu que (ne pouvaient que) remettre la main à Macky Sall, aujourd'hui encore à la tête de son administration, celle-ci chargée d'organiser l'élection, à une date que Sall choisira, le plus rapidement (certes) possible. Vu sa position inconfortable, il ne le fera pas sans concertation avec son opposition, et tous ces gens qui grenouillent autour des politiques pour grappiller de la renommée ou du cash, et que l'on nomme "société civile". Ainsi, le président Sall redevient maître du jeu politique, un jeu qu'il devra quitter le 2 avril prochain, quoi qu'il en soit.
Seulement, à cause de ce présidentialisme... royal - dont nous sommes tous comptables et que personne ne veut vraiment changer - mille possibilités lui sont ouvertes de peser sur l'avenir politique immédiat de ce pays ; surtout si l'on prend en compte toutes ces spéculations autour des raisons qui fondent ces libérations en veux-tu en-voilà de ces centaines de prisonniers dits politiques.
Si la France de Macron, dont on dit aussi qu'elle ne lui a jamais pardonné d'avoir ouvert sa porte à Marine Le Pen - principale menace pour Macron à l'horizon - a jeté ce pavé dans la mare, pensant ainsi sauver ses derniers meubles par la réhabilitation de Karim Wade, et jouer donc, par ricochet, la carte d'une opposition radicale donnée favorite - et depuis quelques temps couvée par ses médias -, eh bien, c'est tout l'effet contraire qui s'est produit...
On verra ce que le pouvoir marron beige et ses alliés feront (politiquement s'entend et dans le cadre de la loi) de l'aubaine d'avoir à fixer une date pour l'élection, qui leur est retombée entre les mains, fournie par un Conseil constitutionnel qui ne pouvait pas faire autrement, n'ayant pas pour vocation d'organiser des élections (et donc d'en fixer la date), mais de les arbitrer !