À QUAND UN MÉMORIAL DEDIE A L’ANCÊTRE AFRICAIN DE CÉ-SAIRE DÉPORTÉ DANS LES AMÉRIQUES ?
L’œuvre monumentale tant par sa dimension que par l’ampleur du projet, jettera une lumière dans l’épaisse zone d’ombre du silence des mémoires africaines sur cette tragédie qu’a été la traite transatlantique
L’annonce, par le chef de l’État Sénégalais, M. Macky Sall, de la finalisation du chantier du Mémorial de Gorée, dans les premiers jours de 2024, à la veille de l’élection présidentielle, est sans doute révélatrice de la volonté d’un homme sur le départ de laisser une marque à la postérité.
Le Mémorial de Gorée devrait voir le jour quarante années après l’adoption d’une résolution en faveur de sa réalisation par les chefs d’États africains réunis en sommet à Addis Abeba en 1986. L’œuvre monumentale tant par sa dimension que par l’ampleur du projet, jettera une lumière dans l’épaisse zone d’ombre du silence des mémoires africaines sur cette tragédie qu’a été la traite transatlantique et plus spécifiquement sur les expériences vécues, après le passage du milieu, par les Africains déportés dans les Amériques en général. Elle ne se surajoute à rien dans cet espace où il existe peu de lieux de mémoires, et qui ne se limitent qu’à un segment du parcours de celles et ceux qui ont été capturés à l’intérieur des terres, au moment du départ vers l’autre rive.
Par les souffrances endurées dans les plantations, les ancêtres africains déportés au-delà de l’océan Atlantique, restent toujours les grands oubliés des mémoires africaines. Les résistances qu’ils ont menées pour leur libération sont des pages méconnues de cette histoire : pourquoi n’entendons-nous pas d’ici l’écho des combats et des sacrifices des Mackandal, Toussaint Louverture en Haïti, de Nani en Jamaïque ou encore de la mulâtresse solitude en Guadeloupe, et de l’esclave Roumain en Martinique ? La place qui leur est réservée dans les manuels scolaires, dans l’enseignement secondaire et supérieur et dans les discours et les projets officiels dédiés à l’esclavage est infime.
Après le départ, le silence a primé sur les expériences des ancêtres transportés dans des cales de bateaux, les humiliations qu’ils ont subies, la négation de leur humanité, l’incurable blessure, l’arrachement à des spiritualités ou des religions… en un mot la douloureuse histoire de la présence africaine au Brésil, à Cuba, à la Jamaïque ou aux Antilles françaises est absente.
Qu’on le sache, depuis le premier, l’Africain déporté sur les terres lointaines farouchement hostiles est un survivant, un résistant. Dans l’ensemble des territoires où les esclaves ont été déportés, il y a eu refus, fuite, refuge…. Le marronnage était à la fois l’outil et le mot d’ordre pour s’échapper du système plantationnaire. La volonté de retour des Africains déportés en Amérique, et de maintenir le lien avec l’Afrique ne s’est jamais tarie ; elle s’est matérialisée de différentes manières, sous la forme parfois d’expériences réelles et définitives de retour, d’échanges culturels, de projets musicaux. La littérature, le cinéma, le théâtre, les chants populaires en Amérique du nord, du sud, dans la Caraïbe expriment depuis toujours la séparation d’avec l’Afrique. Un mot du créole martiniquais résume cette blessure originelle : bless.
A quelques semaines de son départ du pouvoir, Macky Sall tire des limbes de la mémoire des archives administratives, le projet de construction d’un lieu d’hommage, de méditation et de réflexion" sur l’esclavage. Situé sur la corniche ouest de Dakar, tourné vers l’Amérique, le mémorial vise à resserrer le lien entre les Africains du continent et les Africains de la diaspora autour du souvenir de l’ignominie de la traite transatlantique dont les conséquences sont encore ressenties par les peuples noirs. Nous voulons souligner ici à la fois la nécessité pour l’Afrique de mieux connaissance cette partie d’elle-même éparpillée dans le monde ce afin d’établir des relations et de coopérer avec les États des Amériques.
Certes quelques États modernes africains ont formulé des excuses aux descendants des déportés pour la participation de certains royaumes à l’esclavage. D’autres accordent la citoyenneté à leurs descendants. Certes des pays africains font des appels du pied aux Haïtiens, Jamaïcains, Trinidadiens, Martiniquais, Barbadiens et autres Brésiliens et encouragent le retour au pays des ancêtres. Des ministres et hauts responsables africains fréquentent de manière timide l’espace caribéen à la recherche des débouchés commerciaux. Les politiques culturelles nationales engagées ça et là en Afrique de l’ouest singulièrement, se font à rude concurrence des mémoires dans le seul but d’attirer un tourisme venant particulièrement des Amériques.
Mais quel pays africain a manifesté le souhait d’implanter un Mémorial en l’honneur des ancêtres qui ont été déportés ? Comment matérialiser l’absent, celui qui n’a pas laissé de traces, l’être enfoui dans les mémoires de ceux et celles qu’il a quitté à jamais.
« Il y a une mémoire au-delà de la mémoire, c’est le traumatisme lié à l’esclavage », rappelait Césaire pour expliquer la genèse de sa création poétique et son théâtre fulgurant. Césaire fut de tous les temps, le plus illustre chantre de l’Afrique de son époque. Le descendant de déportés qu’il était s’orientait tous les jours en direction de la terre des ancêtres pour implorer les grands esprits. N’est -il pas équitable qu’un homme d’État africain qui incarne de nos jours l’ancêtre africain de Césaire honore, la mémoires de ses illustres descendants déportés dans les Amériques ?
Céline Labrune Badiane, historienne chercheuse est enseignante.
Adama Kouyaté dit Adams Kwateh est journaliste en Martinique.