RÉINVENTER NOTRE ROMAN AU PLURIEL
EXCLUSIF SENEPLUS - Le Sénégal doit se saisir de la construction d’un récit commun qui commence par la connaissance de son histoire car le récit est au confluent de plusieurs disciplines qui se rencontrent dans l’union et la symphonie des peuples

Quiconque détient le récit d’un peuple détient son âme.
Réimaginer notre récit, c'est s'approprier et se réapproprier de manière perpétuelle l’équilibre fragile de notre vivre en commun
Si le récit, dans son sens premier, est une présentation (orale ou écrite) d'événements (réels ou imaginaires), il incarne aussi une action de rapporter des faits. On peut souligner que tout est récit, tout est narration et que c’est la fondation solide d’une culture donnée qui en fait la beauté et la singularité.
C'est pourquoi je suis de ceux qui pensent qu’il est essentiel, je dirai même vital, de construire notre propre récit africain. Un récit construit en tant que mode de pensée, mais aussi en tant qu’expression de la manière dont une culture considère le monde. C’est essentiellement au travers de nos récits que nous construisons une conception de ce que nous sommes dans l’univers, c’est au travers des récits qu’une culture fournit à ses membres des modèles d’identité et d’action.
Il faut porter notre récit et pas seulement celui des autres. Non pas que ceux-là ne comptent pas mais ils constituent un ailleurs ; si on fait sien un récit extérieur qui ne relève pas de notre canevas historique et culturel, on demeure dans l’imitation. C’est pourquoi je pense qu’il faut en finir avec toute cette imagerie qui est malheureusement encore transmise, et qui consiste à dire que l’Afrique serait née de l’Occident. Le récit africain existe de manière fondatrice et bien avant l’arrivée de l’envahissement occidental.
Toutefois, un récit n’est jamais figé, il est en perpétuel mouvement, en constante métamorphose. Investir notre imaginaire fleuri, c’est réimaginer notre socle culturel qui est vivant et qui constitue nos entrailles identitaires.
Pour cela, il existe plusieurs leviers qu’il nous faut investir de manière pérenne, sans avoir peur de nos référents historiques, culturels et linguistiques. Cela s’articule autour de l’éducation, de l’unité politique et sociale, de la citoyenneté et des médias de communication qui tous doivent porter un discours qui nous ressemble.
L’école, le premier lieu de socialisation, doit mieux utiliser les récits qui, dans la culture humaine, sont le principal support de la construction et de la transmission du sens. Ici, l’éducation est la tentative complexe d’adapter une culture aux besoins de ses membres et d’adapter ses membres et leurs manières d’apprendre aux besoins de la culture. De même, les outils modernes le permettent amplement avec le numérique, la télévision, la radio, la presse pour faire que cette transmission existe et demeure.
L’Afrique, et le Sénégal en particulier, doit partager une narration collective faisant émerger, par un discours sûr de lui, un passé, un présent, un avenir pour construire une société plus juste et plus prospère. Le Sénégal doit écrire son roman au pluriel en faisant chanter ses voix de connaissances et de savoirs et ses visions multiples.
Le Sénégal doit se saisir de la construction d’un récit commun qui commence par la connaissance de son histoire car le récit est au confluent de plusieurs disciplines qui se rencontrent dans l’union et la symphonie des peuples. C’est à nous, citoyens sénégalais, d’élaborer, de concevoir notre propre récit, notre propre discours sur nous-mêmes, pour nous-mêmes et par-delà pour l’humanité.
Bâtir notre propre récit à partir de notre mémoire, de nos référents culturels et historiques, de notre imaginaire pour proposer une vision du continent africain, celle d’un regard juste qui est à la fois singulier et universel.
C’est aussi dans ce sens que je défends la construction des Etats-Unis d’Afrique autour de valeurs solides et citoyennes. C’est de cette cohérence que nous arriverons à cheminer dans l’harmonie, de creuser le chemin de la terre africaine. Il nous faut façonner notre empreinte culturelle qui sera celle de l’Afrique renaissante, d’une Afrique souveraine et debout.
Il s'agit pour nous d’écrire notre propre récit, formant une narration collective qui permette la réhabilitation définitive de notre patrimoine et de nos empreintes culturelles et sociales. De faire vivre cette narration collective permettra non seulement de partager notre histoire commune mais aussi de redessiner les perspectives du futur, de nos besoins, de nos stratégies, en matière d’éducation, de droit, de politique unitaire et de citoyenneté. Nous aurons alors une symétrie libre ayant du sens pour répondre à nos véritables besoins sociaux, éducationnels et humains.
Réinventer notre roman au pluriel, c'est aussi faire face au tempérament fragile de notre vivre ensemble, qui peut accepter toutes les trajectoires plurielles à partir du moment où elles s’inscrivent dans l’égalité et l’équité humaines. Pour cela, nous devons nous saisir de notre héritage patrimonial, celui d’être dans la Maat, la justice, l’équilibre et le beau.
Amadou Elimane Kane est enseignant, poète, écrivain et chercheur en sciences cognitives.