RÉSISTER À L’INJUSTICE, NOTRE DEVOIR À TOUS
Les forces de défense et de sécurité semblent être infiltrées par des hommes-liges de l’autocrate en chef et des centaines de nervis hors de contrôle, disposant d’armes à feu, dont ils ont d’ailleurs fait usage contre des manifestants
Les émeutes meurtrières qui ont émaillé ce premier "week-end prolongé" de juin, ont été déclenchées par la lecture du verdict inique dans le procès de l’affaire Sweet Beauty. Similaires à celles de février-mars 2021, elles sont symboliques à plus d’un titre et riches d’enseignement. Elles étaient prévisibles et annoncées depuis plusieurs mois, au moins depuis le meeting de Keur Massar.
Droit à la résistance
Il est remarquable, à cet égard, que ces évènements surviennent, encore une fois, en cette saison printanière, qui tend, dans la symbolique politique, à être de plus en plus associée à la liberté, cette liberté que le pouvoir apériste n’a eu cesse de brimer, depuis son avènement malencontreux, il y a un peu plus de onze ans.
Cette révolte populaire est également survenue à la veille du premier anniversaire de la confirmation par le Conseil des "faux sages" de l’invalidation de la liste des titulaires de Benno, fait inédit dans l’histoire électorale mondiale et très révélateur du degré élevé d’animosité au sein de la classe politique sénégalaise.
Depuis lors et malgré le revers électoral cinglant qu’elle a subi lors des législatives du 31 juillet de l’année dernière, la coalition présidentielle a fait montre d’encore plus d’agressivité envers l’opposition, alors que les résultats du scrutin indiquaient plutôt d’aller vers le dialogue, à travers une concertation nationale délibérative.
Nous n’en voulons pour preuves que l’installation chaotique de la quatorzième législature et le blocage du fonctionnement du Parlement par son Président-marionnette, dévoué au clan présidentiel et illégitime, car ayant usurpé la station qui devait revenir à la tête de liste de Benno Bokk Yakaar.
Par ailleurs, la persécution judiciaire féroce, dont le leader du Pastef fait l’objet depuis des années, ainsi que la traque impitoyable des militants de son parti et l’interdiction de ses activités politiques (Nemeku Tour, caravane de la liberté…) laissaient augurer d’un clash aussi inévitable que salutaire.
C’est donc, en toute bonne conscience, que les militants du Pastef ont toujours revendiqué leur droit à la résistance, valable en tous lieux et en tout temps, mais encore davantage dans le cadre de régimes autoritaires comme le nôtre, peu soucieux des droits et libertés.
Enfin, ce soulèvement de la jeunesse, au lendemain de l’ouverture du pseudo-dialogue tardif de Benno (prétendument national), a le mérite de démasquer la fourberie du régime du président Macky Sall.
Préalables du dialogue non satisfaits
En effet, les résultats d’une concertation similaire organisée, quatre années auparavant, le 28 mai 2019, étaient très décevants et avaient clairement mis en évidence la boulimie de pouvoir, qui animait le clan présidentiel. De fait, il n’avait été noté aucune mesure forte en matière de réformes institutionnelles et de fiabilisation du processus électoral, alors qu’on venait de sortir d’élections très controversées et discriminatoires, du fait de l’éviction de plusieurs candidats soit par le parrainage, soit en utilisant le levier judiciaire.
On a plutôt observé des manœuvres politiciennes, notamment le débauchage de figures de proue de l’opposition, particulièrement le candidat arrivé deuxième aux dernièes présidentielles. Le remaniement de la Toussaint 2020 allait consacrer non seulement l’entrée de deux ministres du parti Rewmi dans le gouvernement, ainsi que la nomination de Mr Idrissa Seck à la présidence du C.E.S.E, mais aussi le limogeage simultané d’éminentes personnalités du parti au pouvoir.
Ces manœuvres tortueuses témoignaient déjà de cette volonté de confiscation du pouvoir par le président actuel, qui cherchait à affaiblir l’opposition, comme il se l’était toujours promis, dans le même temps, où il faisait le vide autour de lui, en écartant les personnalités potentiellement présidentiables de son camp.
Depuis lors, certains secteurs de la coalition présidentielle, surtout les militants de l’APR, organisent régulièrement des opérations téléguidées de soutien à la candidature de leur président à un troisième mandat illégal et illégitime. Or, il n’y a pas droit, non seulement, parce que depuis 2001, les dispositions de notre Constitution prévoient une limitation du nombre de mandats présidentiels à deux, mais aussi parce que M. Macky Sall lui-même a initié un référendum, en mars 2016, qui a confirmé cette disposition.
Et pourtant, il continue de tenir le peuple en haleine, en refusant de trancher la question et en faisant croire qu’il aurait le droit à un deuxième quinquennat, sollicitant même l’avis de juristes français proches des milieux d’extrême-droite.
Il est clair, que cette volonté de briguer un troisième mandat, ajoutée à une détermination à écarter le candidat de l’opposition le plus populaire des prochaines élections présidentielles, représentant le challenger le plus sérieux au prochain candidat de la majorité présidentielle contribuent à créer une atmosphère peu propice au dialogue.
C’est ce qui justifie un sursaut citoyen massif qui a abouti à la mise sur pied d’une plateforme des forces vives dénommée F24, pour s’opposer à la troisième candidature de M. Macky Sall et à l’instrumentalisation de la justice pour éliminer des candidats. En outre, elle exige la libération des centaines de détenus politiques et l’organisation d’élections transparentes et inclusives.
Curieusement, le régime de Benno Bokk Yakaar, qui prétend décrisper le climat politique a empêché à cette plateforme citoyenne poursuivant de nobles objectifs démocratiques, de tenir son dialogue du peuple, ce qui ne peut que vicier davantage l’atmosphère sociopolitique.
L’exacerbation de la crise politique sévissant dans notre pays depuis plusieurs mois, provoquée par le verdict de la parodie de procès sur l’affaire Sweet Beauty est en train de se manifester par un climat quasi-insurrectionnel, qui fait l’objet de déni de la part des autorités de notre pays.
Perversion du modèle démocratique sénégalais
Plusieurs observateurs évoquent, depuis des années, l’existence d’un projet autocratique élaboré par un clan centré sur le noyau constitué par la famille présidentielle.
Plusieurs faits objectifs semblent étayer cette assertion, comme des formes inédites de maintien de l’ordre, qui font penser à des dictatures sud-américaines ou plus près de nous, à des autocraties pétrolières d’Afrique centrale.
Les forces de défense et de sécurité semblent être infiltrées par des hommes-liges de l’autocrate en chef et des centaines de nervis hors de contrôle, disposant d’armes à feu, dont ils ont d’ailleurs fait usage contre des manifestants. A ce propos, on ne peut pas ne pas penser au contrat d’équipements militaires destinés au ministère de l’Environnement et qui avait été révélé par une enquête des journalistes de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project.
Autre décision caractéristique souvent prise par les régimes autoritaires en Afrique ou ailleurs, la coupure du signal internet, pour empêcher une coordination optimale des activités de résistance et gêner la collecte des informations sur les crimes et atteintes aux libertés et droits humains.
Face à ce qui est devenu une évidence, à savoir la mise sous le boisseau des normes démocratiques, certains membres de l’élite bien-pensante poussent des cris d’orfraie devant le soulèvement des jeunesses urbaines avec leurs regrettables dégâts collatéraux. Ils choisissent de se mettre à équidistance entre le bourreau et la victime, soit pour se positionner comme médiateurs ou pour délivrer, d’un ton docte, des sermons moralisateurs et démobilisateurs, ce qui est le plus sûr moyen de pérenniser l’injustice.
On a envie simplement de leur demander : où étiez-vous donc, ces onze dernières années ?
Où étiez-vous quand le président de la République jetait à la poubelle l’inestimable œuvre du vénérable Amadou Mahtar Mbow, synthèse des travaux de la Commission nationale de Réforme des Institutions et des Assises nationales ? Les conclusions et recommandations issues de ce processus participatif, ayant l’onction de larges secteurs populaires, devaient remédier à la mal-gouvernance ambiante, renforcer l’Etat de droit, approfondir la démocratie grâce à une séparation effective des pouvoirs et raffermir nos souverainetés économique et politique.
Bien au contraire, on a vu une évolution progressive du régime de Macky Sall, porte-étendard autoproclamé de valeurs démocratiques et républicaines vers une autocratie pétrolière, voire une dictature barbare et impitoyable.
C’est au peuple de trancher !
En disqualifiant le crime de viol, la magistrature couchée n’a fait qu’entériner le verdict populaire déjà arrêté, quelques jours après le début de la cabale de Sweet Beauty, quand le gynécologue et l’inspecteur chargé de l’enquête ont émis de sérieuses réserves face aux sornettes d’une soubrette aliénée, prête à pactiser avec le diable pour quelques centaines de dollars. Ces doutes sont devenus des quasi-certitudes, après les révélations officieuses d’un rapport occulte de la gendarmerie, qui aurait établi la réalité du complot contre le leader du Pastef.
Néanmoins, la jeunesse patriotique a su patienter jusqu’à la fin de la procédure pour laisser exploser son indignation et sa colère, qui a pu malheureusement donner lieu, çà et là à des actes de vandalisme n’épargnant pas leurs proches et parfois même autodestructeurs.
Mais ces actes regrettables sont infiniment moins dommageables à la communauté nationale que les pratiques de banditisme institutionnel et de prédation des ressources nationales auxquelles se livrent quotidiennement les délinquants à col blanc qui constituent le vivier naturel de la bourgeoisie bureaucratique.
Pour remettre la vie politique de notre pays sur les rails, il faudra trouver ou même inventer les moyens juridiques de réhabilitation du leader du Pastef, qui devra être libéré de toutes ces pièges judiciaires, que des ennemis politiques machiavéliques et une justice enchainée ont mis sur son chemin prometteur.
Il s’agira ensuite de capitaliser sur les grands moments de résistance que nous vivons actuellement, pour arracher au régime apériste agonisant et dénué de perspectives, des victoires décisives pour la restauration de nos valeurs démocratiques et la refondation institutionnelle.
Cela suppose que l’opposition politique et la société civile puissent canaliser et encadrer le mouvement spontané de résistance populaire contre la gouvernance autoritaire et arbitraire du pouvoir actuel, par l’organisation de véritables concertations nationales inspirées des Assises nationales.
Les préalables incontournables sont, comme stipulés dans les documents de F24, la renonciation de l’actuel chef de l’Etat à sa troisième candidature, la libération sans condition de tous les détenus politiques et la participation de tous les citoyens remplissant les conditions à des élections présidentielles transparentes et inclusives.