SAVOIR RAISON GARDER
Tirer à bout portant sur les institutions ne sert qu’à fragiliser le pouvoir qui a le monopole de la violence légitime alors que la stratégie doit consister, au moins, à essayer de l’amener dans une posture d’écoute
Le débat instauré à propos du report de la présidentielle, la position exprimée par certaines sommités du droit et la sortie du Président évoquant des forces organisées qui pourraient se saisir du pouvoir me donne l’occasion d’énoncer quelques éléments de réflexion que je me suis interdit à chaud.
Au-delà du fait qu’il faut dire que le citoyen que je suis estime que le chef de l’Etat ne devait pas reporter unilatéralement les élections, je voudrais cependant souligner que cette crise que vit le Sénégal a des origines plus profondes à rechercher dans nos manières d’être et de penser.
Pour brièvement rappeler les faits, le parlement, activé par le candidat du PDS qui s’estime spolié par le Conseil constitutionnel, a décidé d’enquêter sur des allégations de corruption portées sur quelques membres de l’arbitre des élections avec une proposition de loi débouchant sur un report du calendrier électoral.
En réalité, ce qui se passe est très emblématique de ce que l'on vit depuis 2000 et bien souvent les propos des acteurs du champ politique se sont révélés interchangeables selon que l’on considère les positions ou avantages du moment.
Il faut reconnaitre à nos politiques l’art de noyer le poisson puisqu’ils sont prompts à appeler à la violence lorsqu’il s’agit des intérêts de caste. Pourtant, la majorité d’entre eux ne s’investit jamais à fond pour l’intérêt général.
Au titre des vrais problèmes du pays, on peut citer, par exemple, les jugements à géométrie variable, le fait partisan, les systèmes de prébendes (avantages indus et légalisés) dont profitent ou veulent profiter les politiciens alors qu'ils disent combattre l'injustice, la transhumance et les reniements qui sont consubstantielles à leurs pratiques.
Cela les conduit à ne proposer aucune ligne directrice ferme car tout est circonstanciel chez eux (nuance disent-ils) puisque certaines généralités leur permettent de naviguer dans les eaux troubles en exigeant pourtant la transparence ou la justice même lorsque certains faits les démentent.
Tout ceci explique, en rapport avec les élections présidentielles, le terrible engrenage dans lequel on se trouve avec une confusion d’abord suscitée par les candidats recalés, fâchés contre le Conseil constitutionnel, qui n’ont pas hésité à franchir la séparation des pouvoirs pour s’adresser au Chef de l’Etat qui leur refusa son intervention.
Ensuite s’ensuivit un étonnant meli melo entretenu par le PDS soutenu par le parti au pouvoir dans le cadre d’une initiative parlementaire jetant l’opprobre sur le Conseil. Une innovation à travers laquelle le pays vit avec surprise ses pourfendeurs d'hier, déçus par le Président, se muer en défenseurs de l'institution et contre le report des élections.
Et dans ce charivari de tous les diables où l’on appelle chaque citoyen à la responsabilité individuelle et à des manifestations collectives, que de positions partisanes faisant fi de la recherche de la vérité et susceptibles de nous mener vers le chaos !
Ce qui est constant à travers les éclairages des sommités qui ont réagi sur la lamentable situation dans laquelle le pays est plongé, par la seule faute de ses acteurs politiques, c’est que la proposition de loi de l’assemblée nationale devrait, en dernier ressort, passer devant le Conseil constitutionnel qui est l’apha et l’omega du processus décisionnel en la matière.
Cela veut dire que cette institution a la prérogative de casser les travaux des députés qu’elle pourrait assimiler à un coup de force parlementaire, une position d’autant plus acceptable pour le peuple si l’on sait que ses représentants n’ont pas commencé les enquêtes et n’ont, dans le passé, nullement usé de ce procédé pour ramener le 1er mandat du Chef de l’Etat à 5 ans.
Nous l’avons souvent dit dans nos ouvrages et articles, pour se sortir des impasses récurrentes et fortifier notre démocratie, il nous faut impérativement repenser nos manières de faire en plaçant la gouvernance et l’exemplarité au centre de nos actions.
Au Sénégal, nous avons l’habitude de nous voiler la face et de flatter nos égos. C’est sans doute pourquoi la classe politique est généralement dans les manipulations, les trahisons et les reniements. Dans ce genre de situation, toute erreur d’aiguillage expose son auteur, comme nous le constatons aujourd’hui encore avec la décision du Chef de l’Etat.
C’est pourquoi pour sortir du fait accompli, la première mesure à prendre c’est de ramener le report au plus à trois mois à défaut de respecter la date du 02 avril, un idéal toujours possible si les délais de campagne sont raccourcis.
Cela étant dit, reconstruire ce pays, veut aussi dire dépasser nos contradictions car Macky, Sonko, Karim ou tout autre acteur politique ne constitue qu’un des problèmes de ce pays et les solutions à trouver se trouvent ailleurs que sur se focaliser sur eux. En effet, l’action politique et l’espace public, en général, mis au service de l’intérêt général doivent se structurer autour de la cohérence et de l’éthique sous la férule de la loi et au service des citoyens.
Pour ce faire, il nous faudra bannir certaines de nos habitudes comme la compromission, l'esprit partisan, l'action de court terme et valoriser des invariants comme la stratégie, l'exemplarité, la bonne gouvernance, la neutralité, l'équité, en somme la vérité, et rechercher ces principes partout où ils se trouveraient. C'est ce qu'il faut exiger de tous pour ne pas retomber dans les travers qui ont favorisé cette détestable situation.
En effet, rien ne vaut la bonne gouvernance du pouvoir et l’élégance dans les formes d’opposition. La violence radicalise les esprits faibles alors que les esprits bien disposés s’appuient sur les bonnes valeurs.
Un peuple payera toujours le prix des raidissements et inconséquences de ses élites politiques. Les gouvernants n’ont pas à réprimer et doivent œuvrer sur les conditions cadre en donnant des gages d’exemplarité à ceux qui leur font face dont ils sont de simples délégataires.
L’opposition doit aussi toujours se placer sur le champ de la responsabilité, dans un esprit républicain respectueux du pouvoir hiérarchique et des relations fonctionnels entre acteurs, et agir dans les consciences. Ce n’est qu’à ce prix qu’elle arrivera à mobiliser le peuple et pourra, à terme, entretenir les meilleurs rapports avec les forces de l’ordre dans une forme de lutte pacifique où chaque coup reçu sans protestation impose le respect du peuple voire du pouvoir.
Tirer à bout portant sur les institutions ne sert qu’à fragiliser le pouvoir qui a le monopole de la violence légitime alors que la stratégie doit consister, au moins, à essayer de l’amener dans une posture d’écoute sous l’arbitrage d’un peuple éduqué et, au plus, à s’ajuster et à respecter ses vis-à-vis qui seront les futurs dirigeants du pays.
Il n’y a que de cette manière que l’opinion publique se fortifiera et que les fraudes de toutes natures cesseront. C’est de cette manière aussi que la fraternité mutuellement construite devrait se traduire en politiques sociales favorisant l’épanouissement de chaque citoyen qui deviendrait un vrai patriote puisque les richesses seraient mieux réparties entre tous les acteurs.
Il nous faut avoir le courage d’essayer d’autres solutions que celles qu’on a toujours investies et d’éviter de nous engluer dans un éternel recommencement avec des investissements lourds perdus et des fissures dans notre tissu social qui pourraient favoriser l’intrusion de forces connues pour essayer de s’approprier les richesses pétrolière et gazières.
Voilà le seul gage de stabilité dont nous avons besoin dans ce pays où nous appelons le pouvoir et l’opposition à savoir raison garder et à ne jamais se considérer comme des ennemis.