SEUL LE POUVOIR LÉGISLATIF EST COMPÉTENT POUR ACCORDER DES EXONÉRATIONS FISCALES
L’État ne peut accorder de son propre chef une remise d’impôt à une entreprise. L’effacement de la dette fiscale décidée par le président de la République n’est rien d’autre qu’une amnistie fiscale qui ne dit pas son nom
Seul le pouvoir législatif est compétent pour accorder (ou habiliter l’Exécutif à accorder) des exonérations fiscales de toutes natures ou pour décider d’une mesure d’amnistie en matière fiscale
Notre attention a été attirée par les termes d’un article intitulé : « Le cadeau d’au revoir de Macky Sall à la presse sénégalaise » publié hier par un média. On y lit que « le président Macky Sall a annoncé un effacement de la dette fiscale contractée par les entreprises sénégalaises de presse qui s’élève à plus de 40 milliards ».
L’État a l’obligation de percevoir les impôts prévus dans les lois de finances. Il ne peut accorder de son propre chef une remise d’impôt à une entreprise.
Dès lors, les citoyens ont le droit de connaitre la disposition légale qui autorise le chef de l’Etat à passer l’éponge sur les infractions fiscales par dérogation à l’interdiction posée par l’article 715 du Code Général des Impôts (CGI) qui dispose : « En dehors des cas limitativement et expressément prévus par la loi, aucune autorité publique, ni l’administration, ni ses préposés, ne peuvent accorder de remise ou modération des impôts, droits, taxes, redevances, intérêts, amendes et pénalités légalement établis, ni en suspendre le recouvrement, sans en devenir personnellement responsables ».
Si la mesure que vient de prendre le président de la République est une remise de dette fiscale, il y a des conditions de forme (notamment la demande de remise ne peut résulter d’une décision collective) et de fond fixées par l'article 706 du CGI et son arrêté d’application à respecter. Au final, il faut un support juridique c’est à dire la décision favorable de l'autorité compétente en l’occurrence le ministre chargé des Finances qui autorise les services d'assiette à procéder au dégrèvement des impositions en cause pour permettre l'annulation de la dette fiscale dans les prises en charge du comptable public chargé du recouvrement.
Voici in extenso ce que dit l’article 706 de la loi fiscale dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-10 du 30 mars 2018 :
« 1. Le contribuable, en situation économique ou financière difficile, qui reconnaît le bien-fondé d'une imposition établie à son nom, peut introduire une demande de remise ou de modération de sa dette fiscale.
2. La demande adressée au Ministre chargé des Finances, doit être déposée auprès du chef du service des impôts compétent avec l'ensemble des justificatifs de la situation qui la motive.
3. Pour une même dette fiscale, le contribuable ne peut déposer qu'une seule et unique demande. Il est tenu, sous peine d'irrecevabilité de celle-ci, de consentir, auprès du comptable compétent, un effort fiscal sur la dette encourue.
4. La demande de remise ou de modération n'est pas suspensive du recouvrement de la dette fiscale.
5. La demande de remise ou de modération ne peut porter sur des impôts ou taxes effectivement collectés ou retenus ainsi que sur les pénalités y afférentes. Il en est de même des impôts ou taxes régularisés pour cause de manœuvres frauduleuses.
6. Les modalités d'application du présent article seront déterminées par arrêté du ministre chargé des Finances ».
Sauf l’existence d’une nouvelle règlementation qui nous est inconnue, le texte portant application des dispositions de l’article 706 du CGI est l’arrêté n° 025903 du 26 novembre 2018.
L’article 4 de l’arrêté précité règlemente l’effort fiscal obligatoire exigé avant l’instruction d’une demande de remise d'une dette fiscale. Il prévoit pour les personnes morales :
« - Pour une dette inférieure à 10 millions : 20% sans être inférieur à 500.000
- Pour une dette comprise entre 10 millions et 50 millions : 10% sans être inférieur à 2.000.000
- Pour une dette comprise entre 50 millions et 200 millions : 5% sans être inférieur à 5.000.000
- Pour une dette supérieure à 200 millions : 2% sans être inférieur à 10.000.000 »
Quant à l’article 8, il exclut les cas ci-dessous du bénéfice de la remise ou de la modération d’impôts :
« - les difficultés de l'entreprise dues à des manœuvres frauduleuses ;
- l'entreprise en procédure collective ;
- la récidive dans les infractions liées à l'assiette et au recouvrement des impôts et taxes ;
- plusieurs demandes de remise pour une même dette ;
- les impôts ou taxes effectivement collectés ou retenus ainsi que les pénalités y afférentes ;
- les impôts ou taxes régularisés pour cause de manœuvres frauduleuses ».
En résumé, selon le premier alinéa de l’article 64 du décret n° 2020-978 portant Règlement général sur Ia Comptabilité publique, « les demandes en remise ou modération doivent être adressées au ministre chargé des Finances appuyées de toutes pièces probantes dans le mois de l'évènement qui les motive, sauf celles qui sont provoquées par la gêne ou l'indigence du contribuable, lesquelles peuvent être formulées à toute époque ».
A notre sens, l’effacement de la dette fiscale décidée par le président de la République n’est rien d’autre qu’une amnistie fiscale qui ne dit pas son nom. Or, seul le législateur a le pouvoir d’accorder une amnistie. En effet, sans faire la distinction entre deux types d’amnisties, l’article 67 de la Constitution prévoit que la loi fixe les règles concernant l‘amnistie.
Au reste, il subsiste une question : quid des organes de presse qui se sont déjà acquittés de leurs impôts dans les délais ? Si ces derniers ne sont pas remboursés de leurs impôts régulièrement payés durant la période concernée par cet « effacement » d’impôts, il y a rupture du principe d’égalité fiscale entre organes de presse.
Mamadou Abdoulaye Sow est inspecteur principal du Trésor à la retraite.