UNE SI VIEILLE BAMBOULACRATIE
À quel moment, au pays de Mamadou Bitiké, la République décide-telle de se lâcher ? Pour rappel, Mamadou Bitiké est le gardien d’un commerce de Toubab auquel son employeur a le malheur de confier la boutique pendant les vacances.
À quel moment, au pays de Mamadou Bitiké, la République décide-telle de se lâcher ? Pour rappel, Mamadou Bitiké est le gardien d’un commerce de Toubab auquel son employeur a le malheur de confier la boutique pendant les vacances. Au retour du proprio, il ne reste plus qu’à constater les dégâts et déclarer faillite
Perso, en ce qui concerne la descente aux enfers de la République, je me dis que c’est quand des députés, en 1962, décident, entre eux et d’autorité, de s’octroyer des augmentations de salaires et quelques menus avantages. Le chef du Gouvernement d’alors, Mamadou Dia, est en voyage. On l’informe à son retour, et il décide de faire rapporter la décision par l’Ups
En ces temps-là, c’est le parti qui décide de ce que la République doit appliquer
Commence le bras de fer qui finit par une motion de censure contre le Gouvernement, tandis que se termine la cohabitation entre l’Exécutif et le Législatif : depuis lors, l’un tient l’autre en laisse.
Avant d’en arriver là, la République est au bord du chaos lorsque l’Armée fait face à la Gendarmerie, et que le président de la République et le président du Conseil de Gouvernement se tiennent tête…
Le 17 décembre 1962, lorsque l’on arrête Mamadou Dia à la Résidence de Médina, en plein quartier populeux s’il en est, il y aurait environ 170.000 francs dans son compte. Il n’a pas de maison et sans doute pas beaucoup de biens personnels. Des décennies plus tard, un de ses proches raconte comment, informé en catimini par l’épouse du tout puissant chef du Gouvernement, il prend sur lui de changer son mobilier et quelques gadgets électroménagers, ce qui lui vaut les foudres du patron que le gaspillage horripile.
Si ce n’était que ça…
Les consignes sont strictes au moment des indépendances : les officiels n’ont rien à faire avec l’argent des banques nationales de développement qui doivent financer l’économie, créer une bourgeoisie locale pour tenir tête aux traitants européens, les piliers de la colonisation, et redonner à notre économie des couleurs tropicales.
Des p’tits malins trouvent quand même des astuces pour emprunter sans en avoir l’air, et traînent des pieds quand il s’agit de rembourser.
Un authentique Sénégalais, ça ne se refait pas ?
Résultat des courses : au milieu des années quatre-vingts, les banques indigènes ferment les unes après les autres, pillées par ceux que l’on désigne pudiquement dans les années quatre-vingt-dix, comme «les gros débiteurs»…
Certes, il y en a dont la bedaine pendouille
Dakar n’est plus une place financière mais un cimetière de banques : ci-gisent l’Union sénégalaise de Banques (Usb), la Société Financière sénégalaise pour le Développement de l’Industrie et du Tourisme, (Sofisedit), la Banque internationale pour l’Afrique occidentale (Biao), la Banque sénégalo-tunisienne (Bst), la Banque commerciale du Sénégal (Bcs), la Banque sénégalo-koweitienne (Bsk), et la Banque nationale de Développement la (Bnds) qui abritera à ses heures de gloire le mythique compte K2.
Ah, le compte K2 : combien de fantasmes ? La légende veut que le ministre des Finances d’alors, Babacar Bâ, qui se rend tous les vendredis au cimetière de Soumbedioune où repose son épouse, subit les assauts de ses concitoyens aux aurores et s’oblige à des audiences à la sortie. Sa recommandation est le blanc-seing pour obtenir un crédit du fameux compte K2 dont bénéficient toutes sortes d’énergumènes, jusqu’aux artistes, ou les hommes politiques qui n’en ont rien à faire du remboursement.
Une redoutable arme politique que le Premier ministre d’alors, Abdou Diouf, finit par confisquer avant de l’enterrer : il y va alors de la succession du président Senghor.
Petite digression ?
Epilogue de la tragédie du 17 décembre 1962 : ce n’est qu’en 1968, durant la crise de Mai, que le salaire des députés sera revu à la baisse et ramené au SMIG… Cette réparation sera l’une des mesures préconisées par les officiers de l’Armée qui refusent de prendre le pouvoir que Senghor leur remet. Ils proposent en contrepartie de mesures drastiques pour ramener la paix civile. Ces braves soldats estiment que les parlementaires, qui se terrent quand le pays brûle, ne méritent pas de telles faveurs.
Revenons à nos banques…
Un ancien fondé de pouvoirs de l’Usb, blasé, me raconte comment, il y a de cela longtemps, pour permettre à un ponte du régime d’acquérir sa maison de fonction à Fann Résidence, il doit constituer un dossier de prêt et se rendre à la descente au domicile du veinard, qui n’a pas la tête à ces futilités, pour faire signer deux «demandes» de prêts : une pour lui et l’autre au profit de son épouse, leur permettant acquérir pour des prunes de superbes propriétés dans le quartier le plus huppé de Dakar. Ces opérations n’ont alors de demande que le surnom…
Il y a pire et la bamboula ne fait que commencer.
Les privilégiés du régime Ups-Ps, durant quarante interminables années, n’ont de cesse de se partager le butin Sénégal.
En 1960, lorsqu’ils prennent la place du Blanc, il y a quelques romantiques qui se persuadent que le sacerdoce est de porter notre République au sommet de la hiérarchie dans le concert des Nations. On compte ce genre de naïfs sur les doigts d’une main…
Ils ne savent pas à quel point ils sont seuls au monde. Les autres salivent d’avance.
Dans les années soixante-dix, l’opposant Abdoulaye Wade ne cherche pas ses mots pour dénoncer l’Office national de coopération au développement, l’Oncad, une monstrueuse machinerie à s’enrichir via l’économie de la cacahuète. Le bassin arachidier bruit encore de la légende de ses fastes, alors que Médina-Sabakh passe pour le Triangle des Bermudes des nouveaux riches où s’engloutissent leurs fortunes et vertus…
La Caisse de Péréquation et de Stabilisation des Prix, qui prend le relais, en dépit de son appellation ronflante, est la Caverne d’Ali Baba. Une autorisation d’importer du riz, parcimonieusement attribuée depuis les officines présidentielles, rapporte à son bénéficiaire jusqu’à quatre cent millions de francs rien qu’à la présenter aux grossistes de Sandiniéry. Ça servira longtemps à renflouer les militants dans le besoin, tout comme les pontes en crise de trésorerie, ou les opposants irascibles qui n’en demandent pas beaucoup pour transhumer.
Passons sur les monopoles de toutes sortes : la partouze de la mer, les orgies foncières, la nouba des travaux publics, dont le tristement célèbre «Canal de la Gueule-Tapée» lequel aura suscité tant d’appels d’offres, des décennies durant et n’aura, en réalité, créé que des millionnaires d’une saison.
Lorsque le «Sopi» établit ses quartiers dans la République, le 19 mars 2000, Wade traîne avec lui des gens qui ont vachement faim. Ils ne mettent pas de temps à prendre leurs aises. Rien n’est assez beau pour racheter leurs complexes d’infériorité, aucun pillage ne les rassasie. Lorsque Wade quitte le pouvoir en 2012 sous les huées, parmi les cris des enragés, on perçoit les accusations infâmantes de détournements de deniers publics, corruption, concussion et j’en passe. La Cour de Répression de l’Enrichissement illicite, la sinistre Crei, fera moins de victimes que l’on peut croire : un pelé, Karim Wade, et quelques tondus qui négocient en catimini et rendent gorge
La gestion sobre et vertueuse que nous promet Macky Sall en 2012 est de la poudre de perlimpinpin. Passons sur la boulimie foncière, la distribution des emplois fictifs depuis les ministères inutiles, jusqu’aux présidences de conseils d’administrations illusoires, le partage des dernières parcelles de terres dakaroises, et arrêtons-nous sur la ripaille avec les mille milliards de francs Cfa des fonds Covid qui illustrent à quel point cette race manque de sens de l’humain : ça grapille jusqu’au fond des tiroirs de caisse pendant que le Sénégalais ordinaire se meurt…
Ah, c’est du propre, les enfants de Mamadou Bitiké : ils n’auront pris la place du Blanc rien que pour ça !