LES «THIANTACOUNES» PERDENT LEUR GUIDE
Cheikh Béthio Thioune est décédé hier à Bordeaux (France), des suites d’une maladie.
Cheikh Béthio Thioune est décédé hier à Bordeaux (France), des suites d’une maladie. Sa disparition intervient au lendemain de sa condamnation à 10 ans d’emprisonnement ferme dans l’affaire du double meurtre de Médinatoul Salam. Une coïncidence malheureuse.
Cette voix rauque et pleine d’humour ne s’élèvera plus. Elle s’est éteinte à jamais. Le guide des «Thiantacounes» est décédé hier en France où s’il était rendu depuis janvier dernier pour des soins médicaux. Cet évènement tragique a surpris plus d’un. D’autant plus qu’il venait juste d’être condamné à 10 ans de travaux forcés dans l’affaire du double meurtre de Médinatoul Salam. En 2012, deux de ses disciples, Ababacar Diagne et Bara Sow, avaient été tués et enterrés dans une fosse commune dans la brousse. Eclaboussé par cette affaire, le Cheikh est incarcéré à l’époque avant de bénéficier après dix mois de détention d’une remise en liberté et mis sous contrôle judiciaire. Son arrestation n’était pas sans conséquence fâcheuse avec une série de protestations. Ses disciples avaient violemment exprimé leur colère non sans faire de nombreux dégâts dans les rues de Dakar.
Âgé de 81 ans, Cheikh Béthio Thioune était le guide spirituel des Thiantacounes, un groupe de la confrérie religieuse mouride connu pour leur dévotion à Serigne Saliou Mbacké. « Sans Serigne Saliou, nous aurions consacré notre vie, en tant que griots, à chanter les louanges de certaines familles royales. C’est grâce à Serigne Saliou et à sa bénédiction que nous en sommes là aujourd’hui avec des milliers de disciples », confessait-il de son vivant. C’est pourquoi Cheikh Béthio Thioune a jusque-là célébré la date de sa première rencontre avec le fils de Serigne Touba. A l’âge de 8 ans environ, il fait la connaissance de son guide spirituel le 17 avril 1946 à Tassette, village de la localité de Mbour, à 25 Km de Thiès. C’est là-bas qu’il fait allégeance dans la même année au vénéré feu Serigne Saliou. Disciple fidèle de celui qui fut plus tard Khalife général des Mourides, il organise durant plusieurs années à Dakar des manifestations, Sant Serigne Saliou (« rendre grâce à Serigne Saliou »), durant lesquelles des centaines de moutons et bœufs sont tuées pour le compte de milliers d'invités. Serigne Saliou Mbacké élève Béthio Thioune au rang de Serigne le 11 janvier 1983 au daara de Ndiapndal, puis le consacre Cheikh en 1987.
Dans une autre vie, Cheikh Béthio était un administrateur civil à la retraite. Après 38 ans de carrière administrative, il est admis à faire valoir ses droits à la retraite en janvier 1996 en qualité d'administrateur civil principal de classe exceptionnelle. Il s'installe juste après à Touba, dans le village de Dianatoul Mahwa où il reçoit du khalife général une grande concession foncière autourde laquelle il construit un véritable quartier.
CHEIKH BETHIO, UN INTELLECTUEL
Cheikh Béthio Thioune est né vers 1938 à Madinatou Salam près de Mbour, au Sénégal. Le 3 novembre 1947, il fait son entrée à l’école française régionale de Mbour jusqu’au CE2 en 1952, puis passe et obtient à Thiès son certificat d'études primaires qui précède son passage en sixième en 1955 au lycée moderne de Thiès, devenu Malick-Sy. Il décroche son BEPC (actuel BFEM) en 1959 et suit sa seconde au lycée Faidherbe de Saint-Louis. L'année suivante, il intègre Van Vollenhoven (devenu lycée Lamine-Gueye) et brièvement le lycée Delafosse de Dakar. Il débute comme instituteur, avec une première affectation à Agnack, à quelques encablures de Ziguinchor, où il devient chargé d’école pendant deux ans. Il retourne à Thiès à l’école des champs de course avant de quitter l’enseignement pour des raisons politiques. Il est ensuite délégué médical, puis revient dans la fonction publique comme directeur de l’animation rurale à Méwane et inspecteur de l’expansion dans le Sine-Saloum durant cinq ans.
Après une formation professionnelle à l'École Nationale d’Économie Appliquée (ENEA) en 1973, il est inspecteur d'animation dans le département de Tivaouane, puis inspecteur régional du ministère de la Jeunesse et des Sports à Dakar. Élève de l'Ecole nationale d'administration et de magistrature, il sort diplômé de la promotion Gabriel D’arboussier en 1976, aux côtés d'Ousmane Tanor Dieng, et intègre le ministère de l'Intérieur comme administrateur civil. Il est alors nommé administrateur municipal de Diourbel, où il organise en 1977 la première fête de l'indépendance du Sénégal organisée hors de la capitale, présidée par le président Senghor, puis est affecté successivement comme administrateur à Kaolack, secrétaire général de la commune de Pikine, et secrétaire général de la communauté urbaine de Dakar.
CHEIKH BETHIO ET LA POLITIQUE
Dans sa carrière, Cheikh Béthio a également eu à flirter avec la politique. Il est placé en 37ème position sur la liste mise en place par le khalife général, Serigne Saliou Mbacké, pour les élections municipales et rurales de novembre 1996. Le sortant, Sérigne Méoundou, est à la deuxième place, mais en disgrâce, il doit laisser à Cheikh Béthio Thioune la présidence de la communauté rurale de la ville de Touba. Mais le choix d'un nouvel arrivant à Touba, protégé de Saliou Mbacké, n'apparaît pas naturel au milieu maraboutique et aux petits-fils du fondateur de la cité, gardiens de la tradition ; et le khalife doit convaincre ses neveux. Dès lors, lorsque Cheikh Béthio Thioune décide de quadrupler son premier budget de la communauté rurale, passant de 208,5 millions de Francs CFA à 810,43 millions, les habitants de Touba qui protestent contre les nouvelles recettes prévues par la taxation des commerces reçoivent le soutien informel des petits-fils. La vaine collecte des taxes est finalement suspendue en août 1998. Toutefois, fort de son expérience de haut fonctionnaire, il participe à la modernisation de la gestion de la communauté rurale. Egalement, il s’était fait remarqué dans les années 1960 pour son engagement aux côtés des partis de gauche. Alors qu’il était enseignant, il a intégré le Parti africain de l’indépendance (Pai).En 1966, après avoir placardé le long des murs de la capitale du rail des affiches communistes, il a été arrêté avec d’autres militants du Pai. Jugé, il a été condamné à 6 mois ferme. Peine qu’il ne purgera pas puisque le Président Léopold Sédar Senghor avait sorti un décret pour amnistier Béthio Thioune et ses co-inculpés avant d’ordonner leur réintégration dans la fonction publique. Mais Béthio avait déjà décidé de mettre une croix sur l’enseignement. Dernièrement en2012,face à une vague populaire qui se déversait contre Abdoulaye Wade, le Cheikh était monté à la rescousse du Pape Sopi. Il avait ainsi donné des consignes de vote en faveur de Me Wade. Alors que la tension avait atteint son paroxysme, Cheikh Béthio a montré qu’il n’en avait cure. Il avait ainsi prédit la victoire d’Abdoulaye Wade en lui assurant les voix de ses 4 millions de disciples.
MEDINATOUL SALAM, Sa DERNIERE DEMEURE
on fils Serigne Saliou Thioune, interrogé hier sur Iradio, a informé, après avoir rendu grâce à Dieu, que la famille est en train de s’organiser pour ses obsèques. « Je reviens de Touba comme ça, où on m’a annoncé la nouvelle. J’en ai fait part à Serigne Mountakha Mbacké et à Serigne Bass Abdou Khadre. On va convoquer les membres de la famille ici à Mermoz et demain (Ndlr : aujourd’hui) matin, on se rendra tous à Médinatoul Salam pour attendre le corps. Les formalités sont en train d’être faites en France. Les médecins s’organisent actuellement pour le retour du corps. Mon jeune frère est actuellement là-bas. Et on vous tiendra informé de la suite», soutient Serigne Saliou Thioune. Poursuivant, Serigne Saliou Thioune estime que la famille n’a pas encore discuté du lieu d’inhumation de leur pater. Mais à coup sûr, le Cheikh sera inhumé à Médinatoul Salam. De son vivant, il avait fait état de sa volonté d’être inhumé à Médinatoul Salam pour respecter la recommandation de Serigne Saliou.
Sur le dénouement du procès de Médinatoul Salam, Serigne Saliou Thioune, dépité, a indiqué que l’histoire leur donne raison. « C’est la réponse au déni du certificat médical fourni. Le jugement par contumace de mon père est sans fondement. Mais nous rendons aujourd’hui grâce à Dieu. Notre papa a toujours eu foi en Serigne Saliou et à Serigne Touba jusqu’à sa mort aujourd’hui. Voilà, il est parti honorablement », explique-t-il. Avant d’informer en définitive que la famille avait tout fait pour que Cheikh Béthio ne soit même pas au courant de son jugement. Quant à son avocat Me Ousmane Seye, il a confié que cela faisait longtemps qu’il n’arrivait pas à l’avoir puisque ses médecins avaient confisqué son téléphone. Tout compte fait, il apparait aujourd’hui que les mauvais sorts s’enchainent chez les Thiantacounes. Ne finissant pas de dénoncer le verdict prononcé contre leur guide dans l’affaire de Médinatoul Salam, voilà qu’un autre évènement plus tragique est venu s’abattre sur eux. Avec la disparition de Cheikh Béthio Thioune, les Thiantacounes ont pris un sacré coup dont ils vont se remettre difficilement.