«OUI, JE SUIS FÉMINISTE ET ALORS ?»
Artiste engagée, celle qui se considère comme une Sénégalaise Gnak, Moona, n’a pas sa langue dans sa poche. Elle sera en concert demain au CCF et nous l’avons rencontrée pour échanger. Propos d’une jeune dame qui se livre sans mettre de gants
Quel est le parcours de Moona?
Je suis une artiste chanteuse qui fait du rap. C’est le rap qui est la ligne directrice de ma musique. Mais il y a beaucoup d’ambiances qui tournent autour. Sinon, c’est de la traq, de l’afro traq, du rap beaucoup plus classique et aussi tout ce qui est ambiance africaine. Il y a aussi des sonorités qui sont très jazzy et très soul. Bref, je m’amuse dans ma musique et je m’y éclate beaucoup. Cependant, la ligne directrice reste et demeure le rap.
Demain vous serez en concert à l’Institut Français Léopold Sedar Senghor…
Oui ! Et je suis impatiente de retrouver le public samedi prochain. Ce sera un show cent pour cent live. Je vais jouer avec mes musiciens avec lesquels je travaille depuis des années et j’espère que les gens vont venir très nombreux. Ce qui nous permettra de partager ensemble et de communier ensemble. Et c’est vraiment une date à retenir
Que représente alors pour vous cette date ?
C’est quand même quelque chose de très important pour moi. Parce que, mis à part quelque festivals que je fais à l’extérieur et où il y a plusieurs têtes d’affiche, pour ce concert, il s’agit vraiment de mon vrai premier concert. Celui de Moonaya à Dakar. Ce sera sans première partie. Mais du Moonaya et vous aurez mon répertoire décliné dans son ensemble. C’est vrai que j’ai beaucoup joué dans des bars -restos et piano- bars. Mais là, je viens sur une scène pour un spectacle sons et lumières. Ce sera vraiment mon premier vrai concert à Dakar et c’est une date vraiment importante à mes yeux. C’est aussi une consécration parce que cela fait des années et des années que je suis dans ce milieu et que je travaille. Pour moi, c’est l’aboutissement de quelque chose même si ce n’est qu’une étape parce qu’on espère aller encore et encore plus loin. C’est vraiment l’aboutissement d’un travail de longue haleine qui s’est fait dans les coulisses.
Qu’en sera- t-il pour le spectacle?
Je vais vous présenter avant tout de la bonne musique parce que j’adore la formule « Live ». C’est vrai que le rap a une configuration qui lui est propre. A savoir : micro platine Dj et quelquefois des danseurs. Mais en ce qui me concerne, j’aime vraiment le son des instruments. Ainsi vous aurez de la musique. Je vais vraiment partager mon monde avec les gens. Et mon monde, c’est quoi ? C’est beaucoup de militantisme. C’est beaucoup d’amour et aussi beaucoup de doute car on ne peut pas s’empêcher de nous poser des questions sur l’éventualité d’un succès ou d’un échec. C’est aussi beaucoup d’espoir. C’est vraiment tout cela qui constitue mon monde. C’est l’être humain que je suis. C’est la sœur, la mère, l’amie que je suis. Et c’est tout cela que l’on va retrouver dans mon spectacle. Tout cela enrobé dans des ambiances musicales.
Et beaucoup de surprises certainement sur scène…
Oui, mais je préfère garder les choses et vous faire la surprise. Forcément, ma scène pourra être partagée avec tous ces hommes qui m’ont accompagnée durant ces quinze dernières années que je suis dans le hip hop et qui vont prendre le micro. Je vais forcément les inviter sur scène. Je le fais car il faut rendre à César ce qui appartient à César. Je ne peux pas trop m’épancher la -dessus. Mais ce que je peux dire pour l’instant, c’est que ce sera au top et il faudra y être. On aura rarement vu des spectacles de cette qualité- là à Dakar.
Vous avez également produit tout récemment un single…
C’est un morceau qui va faire partie de l’album que je vais sortir bientôt InchAllah! Il est tiré d’un célèbre discours de Malcom x qui s’intitule « Who to teach to hate youself ». C’est un discours qui a été prononcé il y a plus de cinquante ans, mais qui est toujours d’actualité. C’est vraiment ce qui est grave. Car en un demi-siècle, les choses sont toujours les mêmes. On est toujours dans le rejet de ce que nous sommes vraiment. Que ce soit notre couleur de peau ou la forme de notre nez. On établit des critères de beauté qui sont occidentaux, qui sont caucasiens et qui ne sont pas du tout les nôtres. Il faut qu’on arrête de regarder dans les yeux des gens. C’est également la dénonciation d’un système qui est là. Celui-ci t’a appris à te détester. Il faut vraiment se battre contre certaines réalités du système. Moi, il y a des phrases « bateau » que je n’aime pas du tout. Du genre, c’est le noir l’ennemi du noir etc. Qui vous a appris à détester la nature de vos cheveux ? Qui vous a appris à détester la couleur de votre peau au point que vous vous éclaircissez la peau pour ressembler au Blanc ? Qui vous a appris à détester la forme de votre nez et de vos lèvres ? Qui vous a appris à vous détester vous-même de la tête aux pieds ? » Ce sont ces interrogations qui rythment les paroles de mon texte.
Vos thèmes sont souvent forts.
Je suis musicienne depuis mon enfance. Mon père était mécène et mélomane. Il m’a fortement encouragée avant de nous quitter. J’ai toujours baigné dans la musique même si cela m’a un peu surprise. Je remarque qu’on nourrit des complexes qu’on laisse à nos enfants. En un moment, il faut qu’on arrête. On m’a éduqué à faire ce qui me plait. J’ai été fortement encouragée par mon père qui m’a donné sa bénédiction avant de nous quitter.
On vous catalogue également de militante- féministe ?
Waaw !!!! C’est une bonne question. C’est vrai que je suis estampillée artiste militante et féministe. Quand on se penche sur mes deux singles sortis, cela renvoie bien à cela… Parce que je suis militante car je dis ce que je pense, il y a beaucoup de choses à régler sur ce continent. C’est le jugement des autres sur ma personne qui fait de moi une féministe. Mais à mon avis, ce n’est pas péjoratif. Une mise sous tutelle permanente. Naitre femme dans certains pays, quand tu es un enfant hors mariage, on peut te lapider. Etre femme, c’est mourir suite à des violences conjugales. Aujourd’hui être femme, c’est être victime de beaucoup d’injustices. Je connais la frontière entre le manque de respect et le respect. Mais ce n’est pas pour autant que je ne vais pas en parler. Je vais en parler tant que je peux. Oui, je suis féministe et alors ? Si vous remarquez bien, les hommes sont jaloux quand on commence à draguer leurs filles, mais cela ne les empêche pas de faire du tort à d’autres femmes. Ce sont les femmes avec les hommes pour que demain, on vive dans une société égalitaire. La femme est victime de beaucoup d’injustice. Même si ce ne sont pas des choses que je vis. Mon père nous a tous poussées pour que l’on fasse des études supérieures. Et je sais qu’il y a beaucoup qui n’ont pas cette chance. Je connais la frontière entre le manque de respect et le respect ….Mon féminisme, ce n’est pas les femmes contre les hommes. Mais les femmes avec les hommes pour que nous soyons mieux respectées. Les hommes devraient aussi être des féministes.
Comment définissez-vous votre rap ?
Mon rap est engagé parce que je me sens concernée par ce qui se passe dans la société dans laquelle je vis. Je me sens concernée par les enjeux et défis auxquels font face les jeunes et surtout les femmes de mon continent, l’Afrique. Mon rap se veut humaniste dans la mesure où il s’intéresse à l’individu quel qu’il soit dans son ressenti, ses échecs, succès et craintes... Mon rap est également intimiste car j’y aborde des sujets personnels. Je m’y mets à nu en me présentant telle que je suis : un être humain doté d’imperfections mais avec des qualités et des valeurs que je tente de transmettre à qui le voudrait bien. Avec des rêves, en proie aux incertitudes mais avec des convictions solides.
Dans quelle langue chantez-vous ?
Je chante essentiellement en français parce que malheureusement, nous sommes le fruit de notre histoire. Le fait de chanter en français aujourd’hui me permet de parler à un Béninois, à un Gabonais, un Ivoirien. J’adore le côté poétique du lingala
Vous évoluez dans un milieu difficile où les femmes font souvent face à des propositions indécentes …
Quand tu es femme, jeune et attirante, forcément les hommes vont venir vers toi. Je ne fais pas que de la musique. Dans tous les milieux, quand tu es une femme, c’est normal qu’un homme te fasse la cour. Des propositions indécentes, il y en a partout. Ce n’est pas inhérent à la musique. Mais il faut savoir se défendre et ne pas se laisser faire. Je pense que je suis claire avec les gens sur ce pourquoi je suis là. Et même ceux qui ont tenté ne l’ont plus essayé. Je ne vais pas m’attarder sur cela, mais je sais bien faire la part des choses. Il faut que les gens sachent que ce n’est pas parce qu’on est une femme que l’on va jouer avec ses atours. C’est une question d’individu, mais il y a beaucoup de femmes qui reçoivent des propositions décentes. Il faut cesser de donner tous les pouvoirs aux hommes. Surtout qu’ils pensent qu’ils ont tous les droits.