THIE, L’HOMME DES ORDRES
Le directeur général des élections est depuis quelques jours sous le feu des projecteurs. Commissaire de police détaché, il respecte la hiérarchie et n’obéit qu’au patron. Portrait
Le directeur général des élections est depuis quelques jours sous le feu des projecteurs. Commissaire de police détaché, il respecte la hiérarchie et n’obéit qu’au patron. Qui est Tanor Thiendella Sidy Fall ? Bés Bi dresse le profil de cet homme qui connaît la matière électorale du bout des doigts.
«Je suis organisateur d’élections, ce qui importe pour moi, c’est l’application de la règle de droit, l’application stricte des règles contenues dans le Code électoral. Il n’y a que cela qui m’intéresse». Ainsi s’exprimait Tanor Thiendella Sidy Fall lors de la 10e Assemblée générale du Réseau francophone des compétences électorales (Recef). Il répondait à une partie de l’opposition sénégalaise qui refusait de signer ou non le Bon à tirer (BAT) pour les élections législatives. Il est au garde à vous ! Tout le contraire de ce qu’il est en train de faire d’après l’opposition. Crayonné par ses collègues comme un «homme rigoureux», le commissaire de police détaché à la Dge a multiplié les formations pour devenir un expert respecté sur les questions électorales. D’ailleurs, il a obtenu un diplôme en administration électorale au pays de l’Oncle Sam. Tanor Thiendella Fall a été nommé en 2011 Directeur général des élections en remplacement de Cheikh Guèye, devenu ministre des Elections. Une première avec le Président Abdoulaye Wade qui, sous la pression de l’opinion et d’une opposition unie face à sa 3e candidature, a quand même cédé. Et la 2e alternance se pointa. Depuis, l’opposition réclame un ministre neutre. Mais les prouesses de l’administration électorale sont telles que beaucoup estiment qu’il n’est pas possible de tricher avec le système et ses hommes rôdés. Qui plus est les résultats de l’opposition entre alternances, contrôle des grandes collectivités territoriales, et même le 50/50 aux dernières Législatives, ont mis un bémol à cette exigence-obsession- pour un ministre neutre. Mais voilà que cette affaire Sonko et ses développements jusque dans le retrait des fiches de parrainage vient mettre un coup de frein à la confiance en l’administration électorale. Son chef, particulièrement, qui sortira difficilement crédible et indemne de cet épisode.
3 Présidentielles, 3 Législatives et 1 référendum
Pourtant entre Tanor Thiendella Sidy Fall et la direction générale des élections, c’est une longue histoire d’amour. Seul Sénégalais pour le moment à être nommé sous deux régimes différents à ce poste stratégique, l’homme connaît bien la maison. Et la matière. Pour avoir été tour à tour conseiller de département, chargé des questions électorales auprès du ministre de l’Intérieur. Il a organisé plusieurs élections et référendum au Sénégal comme les élections présidentielles de 2007, 2012 et 2019 ; les élections législatives de 2007, 2012 et 2017 ; des Locales, et le référendum de 2016. S’il a réussi à calmer le jeu électoral malgré les soupçons sur les inscriptions, les retraits, la carte biométrique…, c’est parce que l’expérience a fait de lui un spécialiste des questions électorales. Il a été pendant 8 ans directeur des opérations électorales de 2003 à 2011. C’est le cœur ! L’esprit. L’organisation matérielle. Après les Législatives 2012, il exporte et étoffe en même temps son savoirfaire comme expert à l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif), conseiller technique au Mali. Puis entre 2013 et 2015, il est coopté par la Cedeao, intervient en Guinée-Bissau, au Togo et au Bénin.
Habitué des radiations
Tanor Thiendella Fall a coordonné la mise à jour et la consolidation de fichiers électoraux utilisés lors d’élections dans plusieurs pays. Par ailleurs, il est spécialiste de la gestion des crises majeures à la suite d’une formation effectuée aux États-Unis. Il a aussi mené plusieurs opérations de mise en place de nouveaux fichiers électoraux dans son pays à titre de responsable de premier ordre. Fin 2015, il revient à la Direction générale des élections qu’il avait quittée en février 2013 après avoir été recruté pendant quelques mois par l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif) comme médiateur dans la crise politique guinéenne. Négociateur chevronné, il avait réussi à convaincre l’opposition et le pouvoir guinéens à surmonter leurs désaccords politiques et à aller aux élections législatives. Ce qu’il ne peut faire au Sénégal puisque dépendant du ministère de l’Intérieur, organisateur des élections. L’opposition ayant toujours réclamé des personnalités neutres. Mais il le sera, en tant que président de la Commission politique du dialogue politique choisi par le Président Macky Sall. Il a désormais le crédit d’un Général Mamadou Niang, de Mazide Ndiaye, de Pr Babacar Kanté… qui ont piloté les concertations politiques qui ont abouti à des consensus historiques. A des codes historiques, nés du plus célèbre : «Kéba Mbaye». C’est ce dernier dialogue politique sous Macky Sall qui a approuvé la réintégration de Khalifa Sall et de Karim Wade sur les listes électorales. Qui mieux que lui d’ailleurs pour le faire, lui qui en était le témoin, un acteur clé. L’histoire se répète. Avec un autre opposant, Ousmane Sonko, qui est radié des listes. Mais qui, en dépit de l’ordonnance du président du Tribunal d’instance de Ziguinchor qui le réintègre, se heurte à une Dge jusqu’au-boutiste. Qui estime que seule la Cour suprême a le dernier mot. Même pas la Cena qui contrôle et supervise le processus électoral. Doudou Ndir lui rappellera les lois qui doivent justifier la remise de fiches de parrainage à Sonko. Mais ce n’est pas à ce juriste doublé d’expert électoral qu’on apprend les textes.
Le commissaire qui veut faire la police
Thiendella Fall, qui a fait un passage à la Dic en 2000, est titulaire d’une maîtrise et d’un Diplôme d’études approfondies (Dea) en Droit à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), d’un Diplôme d’études supérieures spécialisées (Dess) sur les Droits fondamentaux à Paris 10, ainsi que d’un diplôme de troisième cycle en relations internationales à l’Institut des hautes études internationales de Paris et d’un diplôme d’études approfondies en Sciences politiques… Ouf ! Il reste peutêtre que cet homme de la promotion 1998 de l’Ecole nationale de police au physique de boxeur oublie qu’il n’est pas dans un commissariat de police. Pour faire la police à la place des juges électoraux !
«Il est humain, pragmatique, compétent, mais…»
On se tromperait de description si l’on suit Ndiaga Sylla. «Il est très humain et pragmatique. J’ai toujours salué sa compétence et sa loyauté. Après avoir passé près de 20 ans dans l’administration électorale comme Doe (Directeur des opérations électorales), puis Dge (Directeur général des élections)». Mais même l’expert électoral n’en revient pas en voyant le Dge refuser de se conformer à la décision du juge Sabassy Faye et l’injonction de la Cena. «(Thiendalla Fall) qui a eu à organiser, entre autres, l’élection présidentielle en 2012 et 2019 et a récemment présidé la dernière commission du dialogue politique, il devrait veiller à avoir une sortie honorable. Par delà sa carrière au Sénégal, il a un rôle à jouer au plan international. Pour cela, il doit éviter le discrédit sur l’administration électorale qui a déjà joué sous sa direction un rôle majeur pour assurer l’intégrité du processus électoral grâce à laquelle notre pays a connu jusque-là des alternances démocratiques et pacifiques», a-t-il dit. Une sorte d’appel à un «devoir d’ingratitude» face à son nouveau ministre de l’Intérieur, Sidiki Kaba, qui avait présenté l’auteur de cette formule célèbre, Robert Badinter, récipiendaire du Prix Kéba Mbaye pour l’éthique 2012. Que Tanor soit le «Thié», comme l’appelle les intimes, qui va révolutionner l’administration !