«UN ARTISTE A BESOIN DE LA CRITIQUE»
De son style de musique à sa vie au Canada en passant par ses débuts dans l’Assiko, Elage Diouf remonte le fil du temps.
Avec un album en vue pour l’automne prochain, l’auteur de « Melokaan » et « Aksil » estime qu’un artiste, quel que soit son talent, a besoin de la critique.
Nombreux sont les fans de Elage Diouf qui confient que « secret world » est leur coup de cœur. Quelle est la particularité de ce titre ?
«Secret word» est une chanson qui a été composée par Peter Gabriel. J’ai demandé l’autorisation et je l’ai reprise parce que c’est un morceau qui m’a beaucoup touchée. J’ai une petite histoire avec Peter Gabriel que j’ai rencontré et que j’aime beaucoup. C’est Youssou Ndour qui me l’a fait découvrir avec une de ses chansons «Shaking the tree». Je me souviens, j’étais à l’école élémentaire. Pendant ce temps, Peter Gabriel travaillait avec Baaba Maal et on allait souvent chez lui. On avait un groupe de rap qu’on appelait Bawdi Rap et c’est Baba Maal qui aidait dans les répétitions. Un jour, il avait une prestation au Cices et on a assisté à tout le spectacle. Quand je me suis retourné, je suis tombé sur Peter Gabriel. J’étais bouche bée en me retrouvant face à un artiste que j’aime beaucoup et que je ne voyais qu’à la télé, à quelques centimètres de moi. Je n’en revenais pas. Je ne l’ai même pas salué parce que je m’étais dit qu’il était venu regarder le spectacle et je devais le laisser se concentrer. Je continuais à écouter ses morceaux et je m’étais promis qu’un jour j’allais reprendre la chanson à ma manière. Je lui ai demandé la permission et il me l’a accordée. Dans «secret world», je parle plus des gens qui se débrouillent, de la famille. Je rappelle l’importance de garder certains secrets pour préserver le tissu familial. Chaque famille doit savoir garder ses secrets mais aussi nourrir l’amour. Il est toujours important de ne pas se limiter seulement entre époux. Le lien familial permet de surmonter certaines situations comme la perte d’un proche. Il faut savoir accepter les décisions divines, c’est ce qu’on appelle le secret de la vie et il faut le respecter.
Dans le morceau «problèmes yi », vous évoquez la situation des émigrés, alors que vous en êtes un. Est-ce que c’est votre quotidien que vous racontez ?
Je parle de tous les problèmes en général. Que cela soit pour le Sénégalais ou pour l’émigré. Les problèmes sont toujours là. Parfois, vous voyez une personne marcher dans la rue alors qu’il est submergé de soucis. Il pense à des solutions face à ce qu’il vit. Chacun avec ses charges et comment il doit les gérer.
Contrairement à vos collègues artistes, vous ne chantez pas les guides religieux. Quel est votre rapport avec la spiritualité ?
J’ai un morceau intitulé «La illalah illalah… ». J’y évoque la foi en Dieu. J’estime que tout ce qui se passe, ressort de la volonté divine. Je suis quelqu’un de très croyant et je crois en l’assistance divine. La croyance, c’est quelque chose de privée entre moi et Dieu. Il n’est pas nécessaire d’afficher son appartenance confrérique. C’est personnel. Il se peut qu’un jour que je rende hommage à Serigne Saliou Mbacké ou Mame Abdou Aziz Sy parce que ce sont des personnes qui m’ont marqué et qui ont joué un grand rôle dans la société sénégalaise. On me pose souvent la question, mais la musique c’est d’abord une question de sensibilité et d’inspiration.
Cinq ans se sont écoulés entre vos deux albums. Ne trouvez-vous pas que c’est long?
Oui, c’est vrai, mais c’est quand même cinq ans d’occupations et de dur labeur. En 2010, j’ai sorti «Aksil» et j’ai fait beaucoup de tournées et plein d’autres projets. C’est pourquoi cela a pris du temps. Je trouve que cinq ans, c’est raisonnable comme intervalle pour sortir deux albums. Il faut savoir qu’un album coûte cher. Si j’avais les moyens, je sortirais un album tous les 3 ans.
Qu’est-ce que vous réservez à vos fans ?
Je voudrais quand même remercier mes fans qui me suivent malgré le style musical différent de ce qu’ils ont l’habitude d’écouter. Actuellement, je suis en studio avec des musiciens sénégalais pour une touche sénégalaise et le prochain opus est prévu pour l’automne.
Vous êtes attendu pour la confirmation. Est-ce que vous ne ressentez pas une pression ?
(Rires). Le secret c’est de travailler, prendre le temps de bien faire les choses. La musique est une question de moyens mais aussi de travail. Si vous vous y mettez pour trouver l’originalité, le résultat suit facilement avec l’aide de Dieu. Il faut reconnaître que les problèmes de moyens bloquent beaucoup d’artistes. On ne peut pas vivre de la musique. Ensuite, il faut savoir faire l’arrangement, le mix, trouver un ingénieur son qui sache finaliser ton projet d’album, c’est assez costaux comme moyens.
Avec le piratage, comment rentabiliser vous l’investissement ?
C’est difficile (il se répète). Un artiste ne peut plus gagner sa vie en faisant juste de la musique, à moins que ce ne soit vraiment populaire. Si on parle du Sénégal, les gens n’achètent pas de disque, ils le téléchargent et se l’envoient. Je peux même dire que tout le monde est disque d’or ici parce quand vous êtes connu, tout le monde vous écoute. Mais peu d’artistes gagnent réellement de l’argent. Les disques ne sont pas achetés, les concerts ne sont pas nombreux. Vivre de la musique est difficile. Pis encore, certains artistes se la pètent quand ils sont célèbres, en montrant que tout va bien, que ce sont des stars car ils apparaissent à la télé. Mais ça ne veut pas dire qu’ils ont les mêmes comptes que Youssou Ndour. Ce n’est pas pareil. Vous pouvez passer sur les mêmes chaines de télévision sans avoir les mêmes comptes bancaires. Il faut que les gens puissent faire cette différence. C’est pour cela que certains artistes jouent beaucoup, pour des questions de vedettariat. La réalité est toute autre. Les productions diminuent de plus en plus, et même ceux qui vendaient beaucoup de cd ne le font plus car les choses ont beaucoup changé. On ne joue que pour performer. La semaine passée j’ai joué au Pullman, ensuite je suis parti jouer à Saint-Louis, tout en sachant que c’était cher pour certaines personnes. Je veux que mes spectacles soient accessibles à tous, mais on n’a pas le choix.
Quel chanteur vous inspire dans la musique ?
En matière de musique, je suis curieux. Je m’inspire de tous les chanteurs, qu’ils soient connus ou non, des chanteurs de Xassaides. J’écoute tous les styles. Tout dépend de mes feelings.
Si vous aviez une baguette magique pour transformer l’Afrique ou le Sénégal, sur quel aspect vous vous appesantiriez ?
Sur l’éducation, qu’elle soit scolaire ou religieuse. Parce que quelqu’un qui n’est pas instruit ne sait pas où mettre les pieds. L’éducation est la base, tout le reste vient après. Si vous savez ce que vous devez manger, ce que vous devez apprendre, vos limites, je pense que vous avez déjà la préparation de base. Le patriotisme et tout le reste suivront nécessairement. Etre fier d’être Sénégalais, d’être Africain et d’être aussi citoyen du monde. Ce ne sont que des étapes, mais l’éducation scolaire et celle religieuse sont très importantes. Cela donne une base de vie qui est nécessaire.
Comment trouvez-vous la musique sénégalaise ?
On peut dire que les gens écoutent deux à trois musiciens au Sénégal, et ce sont ceux-là qui jouent le plus souvent : Youssou Ndour, Waly Seck et Pape Diouf. Mais la musique sénégalaise ne se limite pas à ces trois-là. Moi j’écoute la musique traditionnelle, des gens inconnus du grand public. C’est juste que les Sénégalais se limitent à une poignée de musiciens. C’est la manière d’écouter la musique qui fait cela. Il y a différentes catégories : les mélomanes qui écoutent tout, ceux qui ont leurs propres artistes, et ceux qui vont avec la masse et qui ne suivent que les tendances du public, alors que le public n’est pas stable. Il surfe sur la vague, alors que la vague par définition est temporaire. En plus les critiques n’aident pas toujours. Je trouve même qu’il n’y a plus de critiques pour faire de la remise en question. Le public nous adule, mais nous ne rend pas service. Un artiste, quel que soit son talent, a besoin d’être critiqué. Mais on en manque au Sénégal. C’est pourquoi nos artistes ne gagnent pas souvent les compétitions internationales. Le musicien est comme un lutteur. Même quand c’est un champion, il a besoin d’entrainements, il ne doit jamais se reposer sur ses lauriers.
Certains disent que les « Assiko » ont beaucoup contribué dans votre musique. En quoi ?
L’«Assiko » c’était ma vie. On a commencé la musique avec les gourdes pendant les Tadiabone. Même quand on voyait des voitures garées, on tapait dessus pour créer une sonorité. Ensuite, on utilisait les gourdes. Les «Assiko» ça remonte à loin, avec les matches de «Navétanes» (championnats populaires en période d’hivernage) avec Damels chez mes grands-parents, Sandial, Khandalou... On vivait ça avec passion. C’était dans les années 90. Mais avant cela, je fréquentais les enfants de Soundioulou Cissokho.
Comment ils l’ont su ?
En un moment, il était question d’un voyage en Suisse pour une tournée de six mois avec le Groupe Dudu Fana et pour avoir le passeport, il fallait l’autorisation parentale. C’était en 1994. Je n’avais plus le choix, il fallait que je leur parle. Après ils l’ont pris avec philosophie. C’est comme cela que ma carrière a démarré. Ma chance, c’est que je jouais beaucoup d’instruments en même temps que je chantais. Donc j’avais la chance d’être incontournable dans le groupe.
Comment vous êtes partis au Canada ?
C’était avec le groupe Africa Jamono Balley. Un groupe traditionnel qui alliait danse et musique
On a vu une vidéo sur internet où vous étiez reçu à l’Assemblée nationale canadienne. C’était à quelle occasion ?
Je sortais d’une belle année avec l’album « Aksil » qui m’a permis de gagner beaucoup de titres (meilleur artiste musique du monde au Canada, au Québec, révélation Radio Canada… ), après ils ont jugé nécessaire de m’inviter à l’Assemblée nationale pour me féliciter. Ils disent que je suis un exemple pour les migrants. Ils ont voulu me prendre comme modèle pour les autres