LEOPOLD SEDAR SENGHOR, À JAMAIS LE PREMIER
Dans l’après-midi du 20 décembre 2001, à l’âge canonique de 96 ans, le poète-président sénégalais s’est éteint dans son domicile de Verson, en Normandie, où il s’était installé avec son épouse après avoir quitté volontairement le pouvoir en 1980
Il y a 23 ans, jour pour jour, disparaissait Léopold Sédar Senghor. Dans l’après-midi du 20 décembre 2001, à l’âge canonique de 96 ans, le poète-président sénégalais s’est éteint dans son domicile de Verson, en Normandie, où il s’était installé avec son épouse après avoir quitté volontairement le pouvoir en 1980. Retour sur l’œuvre et la vie d’une figure centrale de l’unité nationale sénégalaise.
Le XXe siècle n’avait que six ans lorsque Léopold Sédar Senghor est venu au monde. Né à Joal, dans une famille d’ethnie sérère et de confession chrétienne, Senghor s’est d’abord mobilisé pendant la guerre, enrôlé comme fantassin de 2e classe dans un régiment d’infanterie coloniale, avant d’être arrêté en 1940 par les Allemands et interné dans les camps réservés aux troupes coloniales. Il faillit être fusillé, avec 3 000 de ses codétenus, selon l’histoire. Sauvé de justesse, il est resté prisonnier pendant deux ans. Il emploiera son temps à rédiger des poèmes.
1961 : Premier président du Sénégal indépendant
La carrière politique du futur chef de l’État sénégalais commence en 1945, lorsque, la guerre terminée, il est invité par le général de Gaulle à participer aux travaux de la commission Monnerville, chargée d’étudier la représentation des colonies dans la future Assemblée constituante. Au cours de l’un de ses voyages au Sénégal pour faire des recherches sur la poésie sérère, pour laquelle il avait obtenu une bourse du CNRS, il est approché par le chef de file local des socialistes, Lamine Guèye, qui lui propose de se présenter à la députation. Senghor accepte et est élu député de la circonscription Sénégal-Mauritanie à l’Assemblée nationale française, où les colonies sont désormais représentées.
Mais il rompt finalement avec les socialistes et, notamment, avec leur leader local Lamine Guèye, pour fonder, avec son compère Mamadou Dia, leur propre parti, le Bloc démocratique sénégalais.
En 1958, lorsque le général de Gaulle revient au pouvoir, Senghor lui apporte son soutien en faisant voter les Sénégalais en faveur de la communauté franco-africaine que le nouvel homme fort de Paris voulait voir se réaliser. Mais sous la pression des événements, l’idée fédérale est rapidement abandonnée, et l’Afrique occidentale française se dirige, morcelée, vers la souveraineté et l’indépendance.
Léopold Sédar Senghor est ainsi élu président du Sénégal devenu indépendant en août 1960, après l’éclatement de la Fédération du Mali, formée en 1959 par le Sénégal et la République soudanaise.
La vitalité créative de Senghor est désormais entravée par ses responsabilités d’homme d’État. Le poète en souffrit forcément, mais cela ne l’empêchera pas de prendre goût à la chose politique, marquant de son empreinte l’évolution de son pays. Il mit en place des institutions étroitement inspirées de la Ve République française : un exécutif fort, mais surveillé par des garde-fous institutionnels, garants de l’État de droit.
Il est également à l’origine de l’organisation à Dakar, en 1966, du Festival mondial des arts nègres, qui fit triompher la pensée de la négritude et imposa Dakar comme la capitale africaine incontestée de la culture et des idées.
1980 : Premier chef d’État à quitter de lui-même le pouvoir
Il faut, toutefois, rappeler que les deux décennies de présidence de Senghor sont marquées à la fois par des progrès démocratiques et des turbulences sociales. Dès 1962, le nouveau président fait l’objet d’un « coup d’État » qui échoue mais ébranle néanmoins la confiance de Senghor dans son entourage. Il accuse son Premier ministre Mamadou Dia, compagnon de route depuis les années 1950, d’avoir comploté pour le renverser. Dia est arrêté et jeté en prison. Senghor prend les rênes du pouvoir et instaure un régime présidentiel fort qui n’hésite pas à recourir à des moyens musclés pour mettre fin à des grèves estudiantines ou pour combattre les manœuvres de ses opposants politiques. Il impose le parti unique.
Le président est toutefois élu cinq fois de suite au suffrage universel. Avec le temps, Senghor se révèle être un véritable démocrate, en réintroduisant le multipartisme d’une part et en organisant des élections régulièrement. Chose rare en Afrique à l’époque, il quitte volontairement le pouvoir en 1980, avant le terme de son cinquième mandat, transmettant le pouvoir à son successeur Abdou Diouf.
1983 : Premier écrivain noir à entrer à l’Académie française
La poésie était déjà l’horizon et la porte de salut de l’ancien professeur de Lettres classiques. Selon Jean-Pierre Langellier, la grande chance du jeune Sénégalais était d’avoir rencontré, dès ses premières années à Paris, l’Antillais Aimé Césaire et le Guyanais Léon-Gontran Damas. Ensemble, le trio s’était embarqué dans une aventure intellectuelle et poétique autour de la redécouverte et de la célébration de la négritude, qui donne sens à leurs vies. Senghor avait fait parallèlement des études solides : une licence de littérature, une agrégation de grammaire. Sur les bancs du lycée Louis-le-Grand, il s’était aussi lié d’amitié avec Georges Pompidou, futur chef de l’État français, un khâgneux comme lui, qui l’initia à la poésie et à la pensée françaises, de Claudel à Bergson. C’est ce métissage entre la négritude et la francité qui est la source de la poétique de Senghor.
Mais après le pouvoir, cette figure emblématique de la francophonie africaine s’est consacrée à l’écriture et à la réflexion sur la littérature, qu’il n’avait jamais réellement abandonnées même pendant sa présidence. En reconnaissance de sa contribution à la littérature française avec une dizaine de recueils de poésie à son actif et de nombreux essais aux thèmes divers (littérature, politique, Afrique, métissage), Senghor est élu à l’Académie française en 1983 au 16e fauteuil, où il succède au duc de Lévis-Mirepoix. Il est reçu solennellement sous la coupole, le 29 mars 1984. Il est le premier Africain à siéger parmi les « Immortels », le surnom par lequel les Académiciens français sont désignés. Jusqu’aux dernières années de sa vie, malgré sa santé chancelante, Senghor assiste assidûment aux séances hebdomadaires de l’Académie.
Héritages
l’histoire politique sous les présidences de Senghor et Diouf. La nomination rapide d’Ousmane Tanor Dieng comme secrétaire général en 1996, soutenue par Diouf, a conduit à des tensions internes, en partie responsables de la perte du pouvoir en 2000. Malgré des échecs électoraux successifs, Tanor a lutté pour maintenir son autorité, mais son leadership autoritaire a exacerbé les divisions au sein du Parti.
Après son décès en juillet 2019, Aminata Mbengue Ndiaye a pris la direction, mais le Parti reste en quête de renouveau. Avec la chute de son allié Macky Sall et la dissolution de Benno, la formation des « Verts » de Colobane est en déclin.
Cependant, son héritage culturel reste visible dans un monde du rendez-vous du donner et du recevoir qui lui est si cher. En effet, promouvoir les cultures et créations artistiques, où qu’elles se trouvent, exige de mettre en exergue les langues nationales, qui sont à la fois le produit et la sève nourricière des cultures florissantes que le génie africain a su créer, avait-il toujours soutenu. Senghor, l’homme multidimensionnel, est resté toute sa vie, jusqu’à ses 95 ans, au service du dialogue des cultures, qui se noue dans toutes les communautés nationales, dans les États, au niveau des continents.
Sa pensée converge avec celles de Teilhard de Chardin et de Leo Frobenius, entre autres, mais puise beaucoup dans sa culture communautaire sérère, ainsi que dans la culture française qui l’a profondément marquée. Il est bien l’homme de toutes ces synthèses. C’est pourquoi, 23 ans après sa disparition, sa pensée reste plus actuelle que jamais, dans un monde en proie aux discriminations, aux conflits communautaires et au terrorisme.
Les paroles de sage de Senghor, à travers des textes majeurs dans ses ouvrages de la série Liberté, dans ses poésies sublimes comme Joal, Femme noire ou Masques, sont encore méditées par les nouvelles générations. À Joal, Gorée, Saint-Louis, voire la Martinique ou la Guadeloupe…, son nom reste inscrit en lettres d’or.