ABASS FALL A VU LES CHOSES TROP EN GRAND
La tête de liste départementale de Pastef a évoqué une prétendue "immunité totale" durant la période électorale. Une lecture contestée par les juristes qui rappellent que la loi ne protège que les actes directement liés à la compétition électorale
Dimanche dernier, Abass Fall a évoqué l'existence d'une super immunité électorale susceptible de protéger, envers et contre tous, tout acte durant cette période électorale. Qu'en est-il réellement ? ‘’EnQuête’’ a vérifié pour vous.
La première journée de campagne électorale a été marquée par des scènes de violence dans le département de Dakar. Les sympathisants de Barthélemy Dias d'un côté et ceux d'Abass Fall de l'autre se disputent d'ores et déjà le contrôle de la capitale. À la suite d'un pugilat, avant-hier dimanche, Abass Fall, la tête de liste départementale de Pastef, a invité ses soutiens à la riposte.
Car pour celui qui se surnomme aussi “Borom Ndakaru”, une certaine immunité protégerait tout le monde, à tout-va, durant cette période de campagne. “Nous sommes en campagne électorale, il y a une immunité totale. C’est pourquoi ils se comportent ainsi. Les textes disent qu’en campagne électorale, si tu tues quelqu’un ou si tu le blesses, tu es couvert par une immunité. C’est ce qu’ils savent, c’est pourquoi ils se permettent de se comporter ainsi. On ne va pas se laisser attaquer. Qui s’y frotte s’y pique’’, hurle-t-il.
Ce qu'il faut retenir d'emblée, c'est que le membre du Pastef n’a pas eu une bonne lecture des dispositions de la loi électorale. En fait, ceux qui tiennent ce genre de propos s’appuient sur les articles L117 et suivants intitulé (section intitulée immunité et prescription en matière électorale).
Aux termes de l’article L117 : ‘’De l'ouverture officielle de la campagne électorale jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin, aucun candidat ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé pour des propos tenus ou des actes commis durant cette période et qui se rattachent directement à la compétition.” Selon cet expert, cette disposition ne concerne que les déclarations et actes en lien direct avec la compétition. ‘’Il va sans dire que tuer quelqu’un, incendier, s’attenter à l’intégrité physique de quelqu’un n’a rien à voir avec la compétition électorale. Ce sont des actes réprimés par le Code pénal et la loi électorale ne saurait y apporter aucune dérogation’’, souligne notre interlocuteur.
En outre, la jurisprudence des violences électorales de la Présidentielle 2019 est là pour prouver qu’Abass est effectivement passé à côté. En effet, les affrontements à Tambacounda entre partisans de l'ancien régime de Macky Sall et la garde rapprochée du candidat du Pur avaient notamment causé la mort d'Ibrahima Diop. Les personnes responsables de ces actes ont été arrêtés jugés deux ans plus tard. L’un d’eux a d’ailleurs été condamné à une peine de 15 ans de réclusion criminelle.
C'est là une preuve supplémentaire que le lieutenant d'Ousmane Sonko s'est trompé dans son interprétation des dispositions de la loi électorale.
L'autre aspect qui vient un peu contredire Abass Fall est la sortie du ministre de la Justice. S'exprimant à travers un communiqué ce lundi, le garde des Sceaux s'est dit aux aguets des moindres faits et gestes des acteurs. “Dans le cadre de la campagne pour les élections législatives anticipées prévues le 17 novembre 2024, le ministère de la Justice a pris note de comportements et de propos qui pourraient constituer des infractions susceptibles d’entraîner des poursuites judiciaires. Ces agissements, survenus notamment dans le département de Dakar en ce début de campagne, ont suscité une réaction ferme des autorités’’. C'est dans ce sillage qu’Ousmane Diagne a “ordonné l’ouverture d’enquêtes pour faire la lumière sur ces événements et identifier les responsabilités”.
Il est rappelé dans la note reçue l’importance du respect des lois et des règlements en vigueur, soulignant que “toute atteinte à l’ordre public sera traitée conformément aux procédures légales”.
Enfin, en appelant les acteurs politiques et leurs partisans à faire preuve de retenue, le ministère de la Justice invite chacun à s’abstenir de tout “acte ou discours pouvant compromettre la tranquillité publique ou alimenter les tensions”.
Selon le ministère de la Justice, cet appel à la responsabilité et à la discipline vise à “assurer un climat de sérénité tout au long de la campagne, garantissant ainsi un processus électoral pacifique et exemplaire conforme aux valeurs démocratiques du Sénégal”.