ADJI SARR, L'ACCUSATRICE QUI SECOUE LE SÉNÉGAL, FERME DANS LA TOURMENTE
Elle est devenue coutumière des menaces et des invectives. La native des îles du Saloum (centre-ouest) dédiées à la pêche et l'agriculture et prisées des touristes vit sous la protection de la police en un lieu inconnu
Sa plainte pour viols contre l'une des principales personnalités politiques du Sénégal a fait d'Adji Sarr, jeune inconnue originaire d'un village de pêcheurs, une célébrité forcée de vivre au secret sous protection policière.
Victime parmi tant d'autres pour ceux qui la soutiennent ou manipulatrice à la solde du pouvoir pour ceux, nombreux, qui défendent l'accusé Ousmane Sonko, Adji Sarr, 23 ans, est celle par qui est arrivé le scandale, l'affaire qui a dressé à différentes reprises des jeunes, cailloux à la main, contre les forces de sécurité depuis deux ans.
Un personnage à nul autre pareil ces dernières années, qui n'est pourtant jamais devenu la figure d'un combat contre les violences faites aux femmes. Le dossier est trop politisé par la présidentielle de 2024 pour cela.
Adji Sarr, employée du salon Sweet Beauté où il venait se faire masser, a porté plainte en février 2021 contre Ousmane Sonko. M. Sonko était alors député, mais surtout une figure jeune et populaire de l'opposition, troisième de la présidentielle en 2019 en attendant celle de 2024. Une fille du peuple défiant un grand monsieur parlant beaucoup du peuple.
Elle a dit n'avoir pas imaginé l'onde de choc que provoquerait sa plainte. Malgré la haine déversée contre elle sur les réseaux sociaux, elle n'a jamais fléchi dans son exigence de justice.
Elle disait certes en 2022 dans le quotidien le Monde vouloir "devenir une féministe pour défendre les victimes" comme elle. Mais elle ne s'est jamais véritablement érigée en défenseure de la cause. Elle divise les Sénégalaises.
Lors du procès le 23 mai, vêtue d'une robe et d'une coiffe tranchant avec l'austérité des lieux, elle a raconté que M. Sonko avait abusé d'elle "cinq fois" et "sans protection" entre fin 2020 et début 2021.
"Elle paiera"
M. Sonko l'aurait menacée de la faire assassiner ou licencier. Elle a relaté en langue wolof ce qui s'est passé selon elle dans l'intimité du salon, avec des détails inouïs en public mais diffusés en temps réel à travers le pays par les journalistes présents. La crudité des propos en a choqué beaucoup. M. Sonko, absent au procès, a toujours nié les accusations et crié au complot du pouvoir pour l'écarter de la présidentielle. Elle a toujours nié le coup monté.
M. Sonko s'est longtemps gardé de l'attaquer frontalement. Mais la pression augmentant, elle est devenue une "jeune fille manipulée" à qui on a promis un passeport diplomatique et beaucoup d'argent, une "pauvre demoiselle qui n'est pas si innocente que cela puisqu'elle aurait pu se rétracter depuis longtemps". "Tôt ou tard elle paiera le prix fort de son forfait" comme les autres "comploteurs", a-t-il promis.
Elle est devenue coutumière des menaces et des invectives. La native des îles du Saloum (centre-ouest) dédiées à la pêche et l'agriculture et prisées des touristes vit sous la protection de la police en un lieu inconnu. "Elle change de domicile et de téléphone régulièrement", dit un membre de son entourage, qui vante son courage. "C'est comme si elle était dans une prison", dit-il. Mais "elle a pu résister" à ce qu'il appelle le "lynchage médiatique".
"Prison"
Issue de la commauté sérère, orpheline de mère depuis 2010, elle a quitté l'école sans diplôme, travaillé dans un restaurant puis dans la couture. C'est "grâce à une amie" qu'elle est entrée à Sweet Beauté, sans la moindre formation, a-t-elle dit au procès. Elle gagnait autour de 60.000 francs CFA (environ 92 euros) par mois, en plus des pourboires des clients, a-t-elle dit.
M. Sonko en faisait partie, a-t-elle assuré. "Si Ousmane Sonko n'a jamais couché avec moi, qu'il le jure sur le Coran", a-t-elle déclaré en 2021. Elle a aussi dit qu'elle était enceinte de lui. Elle a expliqué ensuite que c'était une ruse pour échapper à l'emprise de sa patronne. Mais elle est raillée depuis comme "la fille à la grossesse de deux ans".
Sa patronne et des témoins ont contesté sa déposition lors du procès. Peu après le procès, M. Sonko l'a traitée de "guenon frappée d'AVC", que l'idée ne lui viendrait jamais de violer.
Adji Sarr décompresse sur les réseaux sociaux. On l'y voit d'humeur joviale, chantant et dansant. C'est là qu'elle a répondu à M. Sonko: "Ousmane, je suis une guenon convoitée. C'est cette guenon qui t'a fait quitter ta maison en plein couvre-feu, à l'insu de tes épouses, de ta maman et des enfants, pour la retrouver".