COUP D'ÉTAT AU NIGER : "ATHENA SUR LES PAS D'ARÈS", CONFRONTATION FRATRICIDE OU RETROUVAILLES ENTRE FRERES D'ARMES?
Quels sont donc les enjeux géopolitiques et stratégiques de cette opération militaire, quelles sont les forces en présence, quelles pourraient être les conséquences d'une telle opération sur l'U A, elle même très circonspect sur cette éventualité
Aprés plus de trois semaines de gesticulations face à "l'intransigeance" de la Junte, la Cedeao vient de clore sa dernière conférence de planification du 19 au 20 Juillet, pour le déploiement d'une force d'intervention au Niger.
Selon le porte-parole de la conférence, le concept d'opération est validé, ainsi que le concept logistique et le jour "J" déjà choisi.
L'espoir d'une sortie de crise semble avoir été douché par la sortie du Chef de la Junte, qui a quitté sa posture de "stratégie du vide," pour un discours solennel à l'attention de son peuple, son armée, la Cedeao et la Communauté Internationale.
Ce discours, prononcé au moment où les plénipotentiaires de la Cedeao et des Nations unies étaient présents à Niamey, sans être au préalable reçus par le Général Tiani, est un signe de radicalisation face aux injonctions de la CEDEAO et montre à souhait la volonté de la Junte de poursuivre sa logique de gestion du pays avec sa propre feuille de route.
L'adresse du Général Tiani fait ainsi ressortir quatre points, qui remettent toute possibilité de sortie de crise sur la base des conditions de la CEDEAO, aux calendes grecques: la consultation nationale prévue dans un mois, une transition de trois ans ( 03 ans) , un appel du pied pour une alliance avec le Burkina et le Mali, et une mise en garde contre toutes velléités d'agression, qui ne seraient pas "une promenade de santé", même si, il lance un appel au dialogue du bout des lèvres !
Désormais Athéna semble loin de conquérir Thalès et de charmer ses fils Deimos et Phobos lâches dans la nature !
Tout laisse donc à croire , à moins d'un revirement spectaculaire de dernière minute, que seule la diplomatie permet d'espérer, que le lancement de l'opération est inéluctable !
Quels sont donc les enjeux géopolitiques et stratégiques de cette opération militaire, quelles sont les forces en présence, quelles pourraient être les conséquences d'une telle opération sur l'Union Africaine, elle même très circonspect sur cette éventualité et sur la CEDEAO et son impact sur la lutte contre le Djihadisme ?
Le Niger présente des indicateurs sociaux et économiques peu reluisants, qui tranchent avec une importance géopolitique intéressante, par sa position stratégique comme pivot des axes logistiques Est -ouest et Nord- Sud, de l'Afrique subsaharienne vers le Maghreb et par le Fleuve Niger lien ombilical entre l'Afrique de l'Ouest , le Golf de Guinée et l'Afrique Centrale par ses affluents. Il a ainsi historiquement joué le rôle de carrefour des migrations vers l'Eldorado européen attisant la convoitise des groupes armés qui voient dans l'immensité du territoire, 1.267.000 km 2, pays le plus vaste d'Afrique de l'Ouest , la possibilité d'établir des zones de non droit dans des endroits inaccessibles aux forces régulières et propices à la mobilité.
Ainsi quand on se penche de plus près sur la géopolitique du Niger, en particulier, de la région en général, du point de vue ressources naturelles, on peut tout de suite se rendre compte que cette crise marque le début de la fin de l'influence française au Niger et dans le Sahel.
En effet la perte de position dominante sur les ressources stratégiques du pays, notamment l'uranium dont Areva devenue ORION, avait la quasi- exclusivité, est au centre des préoccupations de l'ex puissance tutélaire .
Celle-ci s'est servie à profusion sur ces richesses pendant des lustres , en laissant le peuple Nigérien dans un dénuement scandaleux, car quand les français se chauffent à l'électricité fournie par leurs centrales nucléaires alimentées par Arlit, la quasi-totalité des Nigériens restent dans le noir.
Ce vide anticipé et redouté par La France, qui joue les prolongations en défiant la Junte, pourrait profiter à la Chine déjà engagée sur la construction d'un pipeline de 2000 kilomètres reliant Agadème ( Niger) au port de Semé au Bénin et dans une moindre mesure la Corée impliquée dans l'exploitation de l'uranium avec la France et la Chine.
Pour les Usa, qui ont initié un retour remarqué en Afrique, notamment par la construction de leur plus grande base militaire en Afrique de l'Ouest, à Agadès, ils devraient probablement revoir leur posture dans un contexte qu'ils connaissent peu mais ont l'avantage de ne pas trainer des contentieux historiques.
Ainsi, leur position ambiguë sur le coup d'état, leur donne la possibilité d'être une alternative à la France et de continuer à talonner la Chine dans la région.
Quant à l'Algérie, acteur majeur de la géopolitique de la région, elle ne verrait pas d'un mauvais œil le départ de la France des environs de sa zone d'intérêt dans laquelle elle poursuit des projets structurants de grande importance stratégique, notamment: la route Transsaharienne de 10.000 kilomètres reliant six ( 06) pays ( Tunisie, Tchad, Mali, Niger, Nigeria, Algérie), dont 8000 km déjà réalisés, la dorsale Transsaharienne a fibre optique adossée à cet axe stratégique, d'un cout de 79 M€, destinée à assurer l'interconnexion entre ces six pays et l'oléoduc vers Alger via le Niger, destiné à alimenter l'Europe en pétrole.
Tous ces projets pourraient connaître des retards considérables en cas de déstabilisation du Niger, qui demeure le nœud de communication des axes stratégiques vers les pays frontaliers !
En fait une opération militaire dans un tel contexte serait à haut risque pour tous les efforts financiers déjà investis dans ces projets !
A ces conséquences inéluctables, vont se greffer une crise humanitaire sans précédent dans la région.
En plus la distraction de l'Armée nigérienne, engagée dans la lutte contre le terrorisme et dont le pays est devenu la profondeur stratégique après l'éjection des forces françaises du Burkina et du Mali, par la volonté de leurs nouveaux dirigeants, devrait modifier profondément la posture des forces dans la sous-région et impacter négativement leur efficacité opérationnelle.
Mais la CEDEAO et l'Union Africaine jouent leur crédibilité, déjà largement entamée par les évènements du même ordre en Guinée , au Mali et au Burkina gérés avec un traitement différencié.
La CEDEAO plus particulièrement, qui a pris une posture émotionnelle dès le début, se retrouve, sans autre alternative, que le lancement d'une opération dont le cadre juridique fait débat ou aller à Canossa.
En effet, l'emploi de la force par les états, dans les relations internationales n'est licite que dans trois hypothèses (Art 2 para 4 de la Charte)
-1.autorisation du Conseil de Sécurité
-2.autorisation de l'Assemblée Générale
-3exercice de la légitime défense pour faire face à une agression armée ou à la menace imminente d'une telle menace.
Exceptionnellement sur la base de "l'ingérence humanitaire" pour venir en aide à des populations face à des risques d'abus.
Cette disposition n'est pas expressément dans l'arrangement juridique, mais peut s'appuyer sur le "Right to Protect" ( R2P) ( devoir de protéger ) développé par l'Assemblée Général.
En plus, la nouvelle configuration géopolitique du Monde rend illusoire une unanimité au sein du Conseil de Sécurité des 5 membres permanents sur un mandat autorisant l'emploi de la force.
La Cedeao se retrouve ainsi face à une situation ambiguë et comme Janus, elle offre deux faces d'un même visage.
Toutefois si elle ne réussit pas à résoudre le cas du Niger, de force ou par la médiation , on devra commencer à s'interroger sur la nécessité de maintenir "la sécurité collective" sous son giron.
l'Union Africaine quant à elle ( UA), ayant eu plus de recul, et ayant agi avec plus de sagesse, a pris acte de la posture de Cedeao, mais serait nécessairement une victime collatérale des éventuelles décisions de La Communauté économique.
Enfin que dire d'un retour de flammes qui mettrait ces deux organisations devant "un ordre paradoxal", consistant à porter assistance aux mêmes pays qui professent la force, si les perturbations atteignent ces pays et se propagent dans toute la sous-région. Cette hypothèse basse n'est surtout pas à négliger.
Mais si la sagesse ne triomphe pas, et que la Cedeao se résout à lancer opération "sans mandat", la volonté affichée par les forces en présence, présage d'un engagement dans la durée.
Dans ce face à face , la CEDEAO se prévaut d'avoir avec elle deux à trois puissances militaires de la sous-région, le Nigeria, le Ghana et la Côte d'Ivoire auxquels viendraient s'ajouter les forces sénégalaises et leur savoir-faire opérationnel reconnu.
La combinaison des capacités opérationnelles des forces de la Cedeao, lui donnerait une supériorité numérique brut de 9/1, soutenue par l'aviation nigériane qui peut assurer une supériorité aérienne initiale sur le théâtre, à condition de réduire les capacités anti aériennes des "coalisés", le Burkina et le Mali solidaires du Niger.
A cela il faudrait probablement ajouter les 1500 hommes des forces spéciales françaises présentes déjà au Niger, si la France décide de participer à l'opération.
En face se trouverait l'Armée nigérienne, renforcée par le Burkina et le Mali, qui ont connu une montée en puissance remarquable dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Par exemple le Burkina s'est hissé à la 6eme place des puissances militaires de l'Afrique de l'Ouest derrière le Niger ( 5eme) et le Mali (4eme ) selon le classement 2023 de Global Fire Power . Cette montée en puissance est surtout liée au renforcement des capacités opérationnelles de lutte contre le terrorisme et le tout sécuritaire des régimes en place.
Ces forces bénéficient aussi d'un engagement permanent sur leur théâtre d'opération respectif face à la menace terroriste depuis près d'une quinzaine d'années !
Une opération de la CEDEAO serait aussi perçue comme un cadeau du ciel par les mouvements Djihadistes qui ont pignon sur rue au Niger, au Mali et au Burkina dans "le triangle des Bermudes" de la lutte anti-terroriste !
Dans la "zone des trois frontières" du Liptako -Gourma ( tri-jonction Mali-Burkina-Niger) opère l'État Islamique dans le Grand Sahel ( EIGS).
A l'Est le quadri- pointe autour du Lac Tchad ( Niger, Tchad, Nigeria, Cameroun) est la chasse gardée de Boko Haram et de l'État Islamique en Afrique de l'Ouest .
Au Nord le Niger offre un autre tri-pointe ( Niger, Algérie, Libye) qui serait propice aux activités des forces combattantes en Libye en cas de déstabilisation du Niger.
En plus, les forces en déshérence dans le conflit soudanais, pourraient profiter de la petite fenêtre libyenne pour rejoindre le Nord du Niger afin d'éviter d'être coincées par la perspective d'un contrôle renforcé de la frontière du Tchad, comme en 2008 du temps de la guerre par proxy entre Bechir et Deby !
Ce tableau peu reluisant ne remet pas en cause les capacités opérationnelles d'intervention de Cedeao, mais essaye d'anticiper les probables conséquences géopolitiques et humanitaires.
Comment donc se passerait cette opération ?
Sans entrer dans le secret des opérations, seulement connus des officiers dédiés à la planification, on peut toutefois concevoir une opération en trois temps dont le premier serait une démonstration de force.
L'opération débuterait par le déploiement par pays dans les zones de responsabilité nationales sur les 2273 kilomètres de frontière avec le Nigeria et le Benin au Sud.
Une attaque préventive au sol permettait de couper le "Niger utile" du reste du pays. Elle serait encore plus efficace, si les forces étrangères sur place y participent .
Cette attaque au sol serait combinée à une opération aérienne nigériane de domination du théâtre par l'établissement d'une suprématie aérienne pour soutenir l'attaque sur les centres de décisions sélectionnés.
Une pause serait ensuite observée pour évaluer la situation, après la démonstration de la détermination de la CEDEAO à atteindre son but.
Mais cette opération ne se fera pas sans une réponse de l'Armée nigérienne, Burkinabè et Malienne qui visera particulièrement le Benin et les capacités aériennes nigérianes.
Cette réponse reposerait sur la Dca et l'attaque des aéroports au Sud de la frontière Sokoto, Kano, Dutse , par l'artillerie sol- sol dont le Niger, le Burkina et le Mali sont bien pourvus, notamment les drones Bayrakhtar TB2, les LRM Grad BM 21et type 63, et les ZSU -23-4 "Soviétiques" qui serviraient à contester la domination de l'Espace par la 3eme dimension nigériane.
Cette réaction des "forces coalisées «rendrait inévitable l'internationalisation du conflit et sa probable extension dans les pays limitrophes.
En outre l'affaiblissement des forces Nigériennes, Maliennes et Burkinabés, sera a l'avantage des mouvements Djihadistes qui n'hésiteront pas à entendre leur zone d'opération autour des "trois frontières" et du Lac Tchad.
Aujourd'hui la zone des "trois frontières", est le théâtre d'un désastre humanitaire sans précédent en Afrique de l'Ouest qui affecte plus de 3 millions de personnes, caractérisé par des déplacements massif de populations que les organisations humanitaires évaluent à plus de 3 millions dans l'Espace Cedeao en 2023.
Dans le tri-pointe au Nord, la situation resterait volatile et le champs sera ouvert aux forces belligérantes en Libye et probablement aux forces en déshérence dans le conflit au Soudan . Ces dernières n'hésiterons pas à transiter vers les zones désertées par les forces de sécurité nigériennes occupées à faire face aux forces de la Cedeao pour s'infiltrer et s'établir au Nord du Niger!
Ainsi donc une opération militaire contre les putschistes au Niger, si elle n'arrive pas à ses fins dans un court délais, risquerait de transformer le pays en une zone de confrontation entre acteurs externes et acteurs internes comme dans le "Grand Orient" après la naissance de l'État Islamique suite à l'invasion de l'Irak.
Cette confrontation aurait pour cadre une situation humanitaire sans précédent, qui pourrait affecter toute l'Afrique de l'Ouest.
Cette dernière alternative est particulièrement redoutée par les pays côtiers, déjà sous l'œil du cyclone des djihadistes, qui profiteront de la crise humanitaire et des déplacements massifs de populations pour transférer la violence dans ces pays. Les régimes en place seraient forcément affaiblis par la montée de la violence, poussant les forces de défense et de sécurité à se positionner comme alternative face à la crise.
Ainsi le mal que l'on essaye de combattre au Niger, pourrait être transféré dans ces pays, à la faveur de cette crise qui contaminerait l'Afrique Centrale et surtout la république éponyme, encore en proie aux démons de la guerre.
En définitive cette intervention est donc possible, avec ou sans mandat, mais les conséquences opérationnelles, géopolitiques et humanitaires en valent elles la peine?
La réponse se trouve dans les lambris des lieux de rencontre des autorités de la CEDEAO qui ne semblent pas pour l'instant mesurer la responsabilité historique d'une déstabilisation globale de l'Afrique de l'Ouest qui pèse sur leurs épaules.
En tout état de cause, après le Niger, si la solution diplomatique prévaut ou si la guerre s'impose, une grande réflexion devrait s'ouvrir sur la "sécurité collective" dans l'Espace Cedeao en particulier et en Afrique en général, prenant en compte l'inclusion des peuples tant souhaitée et leurs intérêts!
Cette réflexion sera l'occasion d'une véritable revue "de la détérioration des termes de l' échange", qui asphyxie les populations africaines et enrichit de manière éhontée les puissances prédatrices des ressources naturelles, dont regorge le Continent !
l'Afrique s'est réveillée et ne retournera plus dans le profond sommeil dans lequel elle a été plongée pendant si longtemps, à coup de somnifère dispensé par les puissances prédatrices et leurs affidés ! Il faudra nécessairement en tenir compte, si on veut renforcer la démocratie sur le Continent.
Le triomphe de la démocratie ne se fera pas par le cliquetis des armes usurpatrices, ni au son des canons de ceux par qui le scandale est arrivé ! Elle se fera par le doux son des violons du nouveau "leadership africain" débarrassé des scories du passé et tout tendu vers la réalisation, non négociable, du bonheur des peuples d'Afrique.
Colonel (er) Mamadou Adje
JFK Warfare School
Expert en "Communication de Défense"
Spécialiste en gestion de "Situations d'Urgence "
Le 29 Aout 2023