ENNEMIS HIER, AMIS AUJOURD'HUI
D'anciennes rivalités s'effacent au profit d'alliances stratégiques, brouillant les repères idéologiques traditionnels, dans la perspective des législatives. Pour la plupart des hommes politiques, « l’essentiel, c’est de participer »
A un mois et dix-sept jours des élections législatives prévues pour le 17 novembre 2024, trois grandes coalitions vont affronter le parti présidentiel, Pastef, dans l'espoir de l'empêcher d'obtenir une majorité à l'Assemblée nationale. En examinant ces alliances de plus près, il est frappant de constater que certains de leurs membres étaient, par le passé, de féroces adversaires.
Est-ce la fin des idéologies politiques au Sénégal ? Macky Sall, ancien président, semble être l'un des principaux artisans de cette dissolution. En créant la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY), il a réalisé l'exploit de réunir sous une même bannière des partis de gauche, des centristes et des libéraux durant ses douze années au pouvoir. Avec son départ, cette alliance s'est effondrée, laissant les membres aujourd'hui dans l'opposition libres de former des coalitions avec qui bon leur semble, même avec d'anciens alliés du Pastef qui ne se reconnaissent plus dans le régime de Diomaye.
La conséquence est claire : les ennemis d'hier sont devenus les amis d'aujourd'hui. Preuve en est, le PDS et l'APR, après douze ans de "guerre fratricide", ont formé la coalition Takku Wallu. Ces deux partis estiment que cette nouvelle plateforme est idéale pour préserver les acquis des gouvernances d'Abdoulaye Wade et de Macky Sall au bénéfice du peuple sénégalais, sur les vingt-quatre dernières années.
Pourtant, les libéraux n'ont cessé ces dernières années de s'en prendre à Macky Sall, qu'ils tenaient pour responsable de tous leurs maux. Personne n'aurait imaginé que les partisans du "pape du Sopi", Abdoulaye Wade, pourraient un jour pardonner à Macky Sall l'emprisonnement de Karim Wade, un épisode qui avait profondément marqué "Wade-fils" et son entourage.
Outre le PDS et l'APR, Takku Wallu compte également dans ses rangs REWMI d'Idrissa Seck. Pourtant, l'animosité entre Idrissa Seck et les "Wade" semblait insurmontable, voire teintée de haine. Idrissa Seck, ancien maire deThiès, a été l'un des plus virulents détracteurs du clan Wade, particulièrement du patriarche, qu'il n'a jamais pardonné pour son emprisonnement dans l'affaire des chantiers de Thiès. Aujourd'hui, Idrissa Seck se retrouve aux côtés de Macky Sall et des "Wade" dans une même alliance pour les législatives du 17 novembre.
Selon les membres de Takku Wallu, les divergences d'hier ne devraient plus être un obstacle aux nécessaires retrouvailles pour sauver une nation en péril. Ils estiment que le moment est venu de s'unir pour défendre les libertés menacées, y compris celles de manifestation et de culte.
Pour la plupart des hommes politiques, « l’essentiel, c’est de participer »
Une autre coalition contre-nature est la coalition And Samm Sa Kaddu, composée de Taxawu Sénégal, du PUR de Serigne Moustapha Sy, d'Agir de Thierno Bocoum, des Serviteurs de Pape Djibril Fall, de l'ARC d'Anta Babacar Ngom, et de Gueum Sa Bopp de Bougane Guèye Dany, ainsi que du PRP de Déthié Fall.
La particularité de cette coalition réside dans le fait que d'anciens membres de Yewwi, qui s'étaient séparés, se retrouvent à nouveau ensemble au sein d'une nouvelle plateforme, élargie à des personnalités engagées en politique, mais qui ne sont pas des politiciens classiques (Bougane Guèye Dany, Pape Djibril Fall, et Anta Babacar Ngom).
Il est intéressant de noter que lorsque Taxawu Sénégal a rompu avec Pastef, certains membres comme Cheikh Tidiane Youm et Déthié Fall se sont illustrés par leur soutien aux Patriotes. Ils faisaient partie de ceux qui ont aidé Pastef à résister face au régime de Macky Sall. À l'époque, Khalifa Sall et Barthélémy Dias étaient considérés comme les ennemis à abattre par Pastef. À ce moment-là, Déthié Fall et Cheikh Tidiane Youm étaient proches d'Ousmane Sonko. Or, comme le dit l'adage, "l'ami de mon ennemi est mon ennemi."
Il faut noter aussi que pour battre l’actuel régime, il faudra compter sur la coalition Jamm ak Njariñ qui regroupe principalement la Nouvelle Responsabilité de Amadou Ba, le Parti Socialiste (PS), l'Alliance des forces de progrès (Afp) de Moustapha Niasse, le Parti socialiste (Ps) dirigé par Aminata Mbengue Ndiaye ainsi que la Ligue démocratique (LD), entre autres. Ici, ce sont d’anciens membres de la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY) qui se liguent. Mais ce qui est bizarre, c’est que la cette coalition composée en grande partie d’anciens membres du régime Macky Sall sera en intercoalition avec la coalition TakkuWallu et And Samm Sa Kaddu dans les 46 départements. Chaque coalition a sa propre liste nationale comme l'avait fait l'inter-coalition Yewwi-Wallu lors des élections législatives du 31 juillet 2022 dans les 46 départements du Sénégal. Ceci révèle ainsi le grand paradoxe du champ politique sénégalais. Souvent, pour la plupart des hommes politiques, “l’essentiel, c’est de participer”.