LA CRISE DE 1962 HANTE TOUJOURS LE SÉNÉGAL
Si le pays se targue d'une tradition démocratique, un épisode fondateur reste tu : la confrontation Senghor-Dia. De cette lutte pour le pouvoir naquit un régime présidentieliste dont les dérives entravent encore aujourd'hui le pluralisme démocratique
Alors que le Sénégal s'apprête à élire un nouveau président le 24 mars prochain dans un contexte de fortes tensions, le pays porte encore aujourd'hui les stigmates de la crise politique majeure survenue en décembre 1962 entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia. Cet épisode, qui a conduit à l'avènement d'un régime présidentialiste autoritaire, est à l'origine de l'hyperprésidentialisme encore à l'œuvre actuellement selon une analyse publiée sur le site d'information XXL Afrique.
Pourtant, à son indépendance en 1960, le Sénégal avait opté pour un régime parlementaire, rompant avec le choix présidentialiste fait par la plupart des autres nouveaux États africains. La Constitution du 29 août 1960 mettait en place un régime parlementaire avec un président aux pouvoirs limités. Mais les relations se détériorent rapidement entre le président Senghor et le Premier ministre Mamadou Dia, notamment sur les orientations économiques à donner au pays.
Les tensions éclatent au grand jour fin 1962, avec le dépôt d'une motion de censure contre le gouvernement Dia par des députés pro-Senghor. Le 17 décembre, l'envoi des gendarmes à l'Assemblée nationale par Dia pour empêcher le vote de la motion va précipiter sa chute. Dans la nuit, l'armée se range du côté de Senghor, Dia est arrêté. Le 18 décembre, l'Assemblée vote le transfert de tous les pouvoirs exécutifs au président de la République.
En quelques heures seulement, le Sénégal passe d'un régime parlementaire à un régime présidentialiste. Selon plusieurs témoignages, Senghor envisageait déjà ce changement de régime avant la crise, n'acceptant pas son rôle secondaire derrière le Premier ministre. La nouvelle Constitution de 1963, rédigée sous l'influence de conseillers juridiques français, instaure un "présidentialisme concentrationnaire" selon Mamadou Dia.
Dès lors, le Sénégal entre dans l'ère du parti unique avec un président omnipotent, sans contre-pouvoirs, élu sans concurrence jusqu'en 1978. La tentative de succession démocratique de Senghor par Diouf en 1980 se fait sans élection. Les crises politiques des années 1980-90 découlent de ce système hyper-présidentialiste hérité de 1962, les présidents tentant systématiquement de s'accrocher au pouvoir.
Les révisions constitutionnelles ultérieures n'ont pas réglé le problème, l'exécutif dominant toujours le jeu politique. La décision historique du Conseil constitutionnel en février 2024 de censurer le report de l'élection souhaité par Macky Sall marque peut-être une évolution positive, 60 ans après la crise de 1962 qui a instauré ce présidentialisme excessif, toujours source de tensions politiques.