LA FINE LIGNE DE MADIAMBAL DIAGNE
Du journal d'opposition au régime de Wade à l'éminence grise de Macky Sall, le fondateur du Quotdien a opéré un virage stratégique. Sa posture face au pouvoir divise, entre réalisme politique assumé et soupçons de complaisance
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Figure de proue du journalisme sénégalais, Madiambal Diagne entretient depuis des années une relation privilégiée avec le président Macky Sall. Fondateur du célèbre Quotidien, longtemps journal d'opposition de référence, ce vétéran des médias assume désormais pleinement sa proximité avec le pouvoir, selon un portrait que Jeune Afrique lui a consacré sur son site ce 1er décembre 2023. Mais si son amitié avec le chef de l'État lui permet un accès unique aux coulisses du palais, elle soulève aussi de nombreuses critiques sur son indépendance éditoriale.
Longtemps considéré comme un contre-pouvoir indispensable à la démocratie sénégalaise, Madiambal Diagne s'est forgé dans les années 2000 une solide réputation de grand reporter à travers ses enquêtes et révélations chocs. À la tête du Quotidien, il devient la bête noire du régime d'Abdoulaye Wade, n'hésitant pas à mettre en lumière scandales politico-financiers et dérives autoritaires. Un courage journalistique qui lui vaudra même 17 jours de prison en 2004, après la publication d'articles dénonçant des affaires de corruption au sommet de l'État.
Mais à mesure que Macky Sall accède au pouvoir en 2012, à la faveur de la contestation populaire ayant chassé Wade, Madiambal Diagne opère un virage stratégique. Désormais étroitement lié au nouveau chef d'État, dont il dit partager les combats, il se fait conseiller officieux du Palais et multiplie les chroniques élogieuses à son égard. Une proximité inédite qui lui vaut critiques et suspicions d'avoir compromis son indépendance journalistique au profit d'une complaisance assumée envers le régime.
Lui s'en défend, affirmant n'avoir jamais reçu de "consignes" politiques. Mais ses détracteurs soulignent que le ton du Quotidien a radicalement changé depuis qu'il a cédé les rênes de la rédaction en 2015. Nombre de plumes critiques ayant été écartées, le journal paraît aujourd'hui bien moins enclin à l'investigation qu'à la promotion du bilan présidentiel. En témoigne aussi son dernier livre, présentant Macky Sall sous un jour uniquement élogieux, à mille lieues de l'esprit d'indépendance qui animait naguère son organe de presse.
Reste que Diagne, rompu aux arcanes du pouvoir, conserve une liberté de ton que peu peuvent se targuer d'avoir au Sénégal. Capable de critiquer certaines décisions du chef de l'État, il n'hésite pas non plus à fustiger l'opposant radical Ousmane Sonko, grande bête noire du régime. S'il assume désormais sa proximité présidentielle comme partie intégrante de son métier, le journaliste n'en conserve pas moins certaines analyses éclairantes sur le political game version Sénégal.
Mais au-delà de ce débat sur son indépendance journalistique, la vraie question reste celle du rôle à jouer par la presse dans une démocratie. En tant qu'observateur privilégié ou lobbyiste assumé ? Fort de son expérience des arcanes du pouvoir, Diagne porte une réflexion intéressante sur la nécessaire implication des médias dans la vie politique. Reste que sa proximité avec Macky Sall jette le trouble sur la frontière, de plus en plus poreuse, entre information et influence au sommet de l'État sénégalais.