LA GROSSE DÉSILLUSION
Agence de développement municipal, Programme national de développement local, Autorité de régulation de la commande publique… Le régime marche à reculons sur les appels à candidatures
C’était l’une des promesses phares du candidat Bassirou Diomaye Diakhar Faye ; lors de la Présidentielle de mars 2024. Réformer ‘’le mode de recrutement des employés de l’Administration publique en rendant le concours et l’appel à candidatures systématiques pour tout recrutement dans la Fonction publique’’. En ce qui concerne le recrutement dans certains postes de décision, l’alors candidat avait promis : ‘’Nous consacrerons l’appel à candidatures pour certains emplois de la haute Fonction publique et du secteur parapublic, et normaliserons les recrutements civils et militaires par le recours exclusif au concours qui garantit l’égalité des chances à tous les citoyens.’’
L’objectif était noble certes, mais à l’heure de la mise en œuvre, la promesse semble avoir été complètement rangée aux oubliettes. Jusque-là, il n’y a pas eu d’appel à candidatures au niveau des postes les plus importants de la haute Administration. Que ça soit dans les régies financières comme dans les sociétés nationales. Les nominations continuent d’être basées sur des critères purement subjectifs, malgré les déclarations d’intention. Pire, dans certains départements, on semble même marcher à reculons en faisant pire que les précédents régimes. C’est le cas, par exemple, dans certains services décentralisés comme le Programme national de développement local (PNDL).
Autrefois, le secrétaire exécutif était choisi par appel à candidatures. Une belle tradition rompue par le ministre chargé des Collectivités territoriales Moussa Bala Fofana. Ce dernier a nommé directement par arrêté le nouveau secrétaire exécutif Papa Alioune Koné. Recalé dans la course à la direction de l’Agence de développement municipal, Djidiack Faye, qui avait fait une tribune pour dénoncer des vices dans la procédure, avait également évoqué cette question.
S’adressant au président de la République et au Premier ministre, il peste : ‘’La lutte pour la justice, vous en êtes des symboles, mais j’en sais faire aussi et depuis toujours… Balla Moussa Fofana est le ministre qui a fait violer pour la première fois la règle de l’appel à candidatures qui régit le recrutement du secrétaire exécutif du Programme national de développement local depuis sa mise en place en 2008.’’ La tribune était surtout destinée à dénoncer des anomalies dans le processus de recrutement du nouveau DG de l’ADM. Un processus dans lequel il avait participé en tant que candidat.
Moussa Balla Fofana au cœur de la polémique
Interpellé sur la question, le directeur de cabinet du ministre a rejeté toutes les accusations en bloc. ‘’Je réfute catégoriquement ces allégations. En ce qui concerne le PNDL, le ministre a pris un arrêté pour nommer un nouveau coordonnateur, parce que le mandat de l’ancien était arrivé à terme… L’illégalité aurait été de laisser en place quelqu’un dont le mandat est arrivé à terme depuis décembre’’, rétorque Amadou Manel Fall.
Pourquoi il n’y a pas eu un appel à candidatures conformément aux usages ? Monsieur Fall explique : ‘’Il faut savoir que la plupart des financements du PNDL provenaient des partenaires techniques et financiers, dont la Banque mondiale. Ces derniers avaient mis dans les conditionnalités que le recrutement devait suivre une certaine procédure. Mais la plupart de ces bailleurs n’apportent plus de financement. L’État, dans sa souveraineté, n’est pas tenu aux conditionnalités imposées par ces bailleurs. Il a de manière souveraine exercé sa responsabilité.’’
Si pour le PNDL, il n’y a pas eu du tout d’appel à candidatures, pour l’Agence de développement municipal, l’État s’est bien conformé à la tradition. Mais, à en croire Djidiack, c’était plutôt un simulacre. ‘’Le ministre Balla Moussa Fofana avec son bras comploteur Oumar Ba, président de l’Association des maires du Sénégal’’ auraient, selon lui, ‘’torpillé’’ la procédure. ‘’Monsieur le Président de la République, tous les Sénégalais espèrent avoir terminé avec les forfaitures, l’injustice, la mal gouvernance que ce ministre et Oumar Ba veulent faire prévaloir sur ce processus de recrutement. Que le cabinet mette à votre disposition toute la documentation sur ce processus et tout le monde sera délivré de façon transparente et équitable’’, accuse M. Faye, convaincu que les conclusions du cabinet privé qui a conduit le processus n’ont pas prévalu.
Là également, le DC du ministre a tout balayé d’un revers de main. À l’en croire, on est tenté de croire que tout ceci n’est que des accusations de mauvais perdants. ‘’Ce sont des accusations infondées, dénuées de tous fondements. Ces gens ne vont jamais vous produire des preuves de ces accusations gratuites, diffamatoires et attentatoires à l’honneur de quelqu’un qui essaie de faire correctement son boulot’’, s’est défendu le DC du ministre.
À l’en croire, le ministre n’a été là ni au moment du lancement de la procédure – lancé avant son entrée en fonction - ni moment du choix. ‘’Au moment où je vous parle, je peux vous affirmer avec certitude que nous n’avons ni les rapports de l’assemblée générale qui est habilitée à choisir ni celui du cabinet qui l’a accompagné. Le ministre n’est à aucun moment intervenu dans cette procédure de sélection’’, a renchéri M. Fall.
Les réponses du directeur de cabinet
Revenant sur la procédure, il a expliqué que l’Assemblée générale avait choisi un cabinet privé qui l’a accompagné dans ce processus. Selon nos informations, environ 400 personnes avaient participé à cet appel. Une short list a été par la suite dressée et au final, environ trois ou quatre ont été présentés à l’Assemblée générale qui a procédé à des interviews avec les différents candidats. C’est au terme de ces interviews que le choix a été porté sur Mahmouth Diop, ci-devant directeur de l’Agence régionale de développement de Kaolack.
Une nomination qui est loin de faire l’unanimité même au sein de l’ADM, où des voix nous ont contactés pour montrer leur étonnement. ‘’Dans ce milieu, on se connait tous. Je vous assure qu’il y avait de meilleurs profils parmi les candidats. Des gens qui ont passé toute leur carrière à l’ADM et qui ont fait beaucoup de sacrifices. Il faut savoir que l’ADM, c’est une structure nationale et lui il était dans une structure régionale. Aussi, je pense que pour des postes comme ça, il fallait aussi faire des enquêtes sur les parcours de chacun. Ce choix est injuste’’, renseigne un cadre de la boite qui précise que M. Diop qui a été choisi comme DG a été recalé, il y a quelques mois pour un poste d’assistant technique dans la même structure. ‘’En tant que directeur de l’ARD de Kaolack, il avait postulé à ce poste d’assistant technique et n’avait pas été retenu. C’est lui que l’on vient de choisir comme DG’’, soutient notre source.
Le directeur de cabinet du ministre, lui, invite à plus de fair-play et au respect des règles du jeu. ‘’Je pense que c’est malsain de porter ces types d’accusations sur les gens. Quand vous participez à une épreuve de sélection, ce n’est pas parce que vous n’avez pas été retenu que forcément il y a de la manipulation. Il y a des gens compétents qui ont soumissionné et que vous n’entendez pas. Ce sont des accusations dénuées de tout fondement. Ils ne peuvent pas apporter les preuves de ces allégations. Je trouve ça déplorable’’, regrette le DC de Fofana.
Retour sur le cas Arcop
Autrefois organisme de référence qui rayonnait jusqu’au-delà de nos frontières, avec des délégations qui venaient de partout en Afrique pour s’en inspirer, l’ADM a perdu ces dernières années de sa splendeur avec des nominations politiques et des promotions internes essentiellement basées sur le népotisme. Des pratiques notées depuis la nomination de Cheikh Issa Sall, en dépit de l’interdiction formelle de faire de la politique. ‘’A l’époque, il y avait la BM qui avait un droit de regard, même sur les termes de référence. C’était inimaginable d’avoir un DG qui fait de la politique. Comme nous voulions capter les fonds de bailleurs, on se conformait. Il était même formellement interdit de faire de la politique, c’est écrit noir sur blanc dans les statuts’’.
Il y a quelques jours, la chronique avait également fait largement écho de la nomination par décret d’un nouveau DG de l’Autorité de régulation de la commande publique, sans passer par l’appel à candidatures. Là également, l’argument invoqué pour justifier l’absence d’appel à candidatures est la fin du mandat du précédent DG. Des sources précisent d’ailleurs que le successeur de Saër Niang a été nommé par intérim.