LE REPORT DE LA PRESIDENTIELLE PROVOQUE DES CHAMBOULEMENTS EN SERIE
L’annonce du report par le chef de l’État de la prochaine élection présidentielle a fait couler beaucoup d’encre. Au-delà de la bataille judiciaire qu’elle a suscitée, elle ne sera sans impacts sur beaucoup d’autres secteurs…
L’annonce du report par le chef de l’État de la prochaine élection présidentielle a fait couler beaucoup d’encre. Au-delà de la bataille judiciaire qu’elle a suscitée, elle ne sera sans impacts sur beaucoup d’autres secteurs…
C’est par le biais d’un discours très court que le chef de l’État, Macky Sall, a fait part aux sénégalais de sa décision d’abroger le décret qu’il avait signé pour convoquer le corps électoral en vue de la présidentielle initialement prévue le 25 de ce mois. Une abrogation qui avait pour effet d’ouvrir la voie au report de ce scrutin. Cette adresse à la nation, intervenue à quelques heures du démarrage de la campagne électorale, a installé une vive tension dans le pays marquée par des manifestations un peu partout à travers le territoire national, et notamment à Dakar, le lendemain dimanche. Dans la foulée du discours présidentiel, l’Assemblée nationale s’est réunie en séance plénière pour voter une loi reportant l’élection présidentielle au 15 décembre prochain. Une manière pour les députés de la majorité, soutenus par leurs collègues du Parti démocratique sénégalais, de prolonger le mandat du président de la République. Le vote de cette loi a augmenté la colère d’une partie de la population et de l’opposition qui se sont dressées vent debout contre cette prolongation. S’agissant des raisons avancées par le président de la République pour abroger le décret portant convocation du corps électoral à savoir l’existence d’un différend entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel mais aussi la nécessité de permettre à la commission d’enquête parlementaire mise sur pied pour faire la lumière sur des accusations de corruption portées contre des magistrats du Conseil constitutionnel de mener à bien ses travaux, beaucoup de compatriotes n’ont pas caché leur scepticisme. Pour eux, la raison principale de ce coup d’arrêt porté au processus électoral par le président de la République, pour ne pas dire ce coup d’État constitutionnel, c’est sa volonté de continuer à se maintenir au pouvoir. Chacun des deux camps qui s’opposent, s’appuyant sur la Constitution, essaie de convaincre sur le caractère fondé ou pas de cette décision présidentielle. Laquelle n’a pas manqué d’installer une vive tension au sein de l’Alliance Pour la République (APR), le parti présidentiel, mais également de la coalition BBY entre d’une part les partisans de Amadou Ba, le Premier ministre candidat choisi par le président de la République et, d’autre part, les responsables opposés à ce choix. Laguerre fait donc rage dans la famille politique du Président Macky Sall et elle nous promet des lendemains très incertains. En attendant, elle impacte plusieurs domaines de la vie nationale.
Sur la prolongation du mandat…
La polémique est loin d’être enterrée sur le plan juridique. De part et d’autre, des articles de la Constitution par ci, des dispositions du code électoral par-là sont brandis. Si on se réfère à l’article 27 de la Constitution qui dispose que nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs et le protocole de la Cedeao selon lequel des décisions majeures ne peuvent être prises six mois avant les élections sauf consensus d’une large majorité des acteurs politiques, il y a de quoi s’interroger sur les fondements de la décision du chef de l’État. D’autant plus que tout le monde sait que le mandat du président de la République prend fin le 2 avril prochain. Par conséquent, si le président Macky Sall reste au pouvoir un seul jour de plus, il sera dans l’illégalité. C’est justement à partir du 02 avril que tout pourrait se jouer entre le chef de l’État, décidé à jouer les prolongations jusqu’à la tenue de la présidentielle, et l’opposition qui dit ne plus le considérer comme le président de la République à partir de cette date. Par conséquent, si la crise créée par le report de l’élection n’est pas réglée d’ici le mois d’avril, nous risquons de connaître des jours très sombres qui pourraient impacter sur la bonne marche du pays. Entre les engagements du chef de l’État à respecter son mandat, son opposition à toute prolongation du mandat de son prédécesseur, Me Abdoulaye Wade, qui souhaitait procéder au report de l’élection de 2012 et surtout lorsque, le refus du Conseil constitutionnel de diminuer son mandat en 2016 du fait du caractère intangible de celui-ci, l’on se demande comment Macky Sall pourrait sortir du labyrinthe constitutionnel dans lequel il s’est perdu. Et si, comme on lui en prête l’intention, il coupe la tête du Premier ministre, alors le parti présidentiel risque de se fracturer en deux parties au moins.
La mouvance présidentielle
Investi par la majorité pour être son candidat à la présidentielle, Amadou Ba peine à faire l’unanimité autour de sa personne. C’est de notoriété publique qu’il n’est pas dans le cœur de la majorité des membres de l’APR qui émettent ouvertement des inquiétudes quant à ses capacités à pouvoir remporter la présidentielle. Preuve de ce désamour, les accusations portées contre lui d’être le principal corrupteur de deux magistrats du Conseil constitutionnel pour invalider la candidature de Karim Wade. En effet, ce sont ses propres camarades de parti qui, loin de le soutenir, tiennent à ce que toute la lumière soit faite sur ces allégations. Et ont soutenu avec enthousiasme la proposition du Pds de créer une commission d’enquête parlementaire sur cette affaire de corruption présumée. Chez les partisans du Premier ministre, on multiplie les sorties pour s’opposer à tout report de la présidentielle alors que les partisans du Président y sont plus que favorables. Face à cette hostilité manifeste, on peut s’attendre à ce que l’actuel Premier ministre prenne ses responsabilités et pourquoi pas quitter le navire aperiste ? Sachant qu’il peut compter sur le soutien de beaucoup de militants et responsables du parti présidentiel, cela pourrait affaiblir davantage la famille politique du chef de l’État.
L’opposition
L’opposition, quant à elle, est vent debout contre le report de l’élection présidentielle. Aussi bien dans la rue qu’à l’Assemblée nationale, elle se bat pour que l’élection se tienne à bonne date. Toutefois, au niveau de l’hémicycle, cette opposition est minoritaire du fait de la défection des députés de Wallu qui se sont alliés à leurs collègues de BBY pour former une alliance largement majoritaire. Bien qu’appartenant théoriquement à l’opposition, Wallu fait équipe depuis plus d’un an avec le camp présidentiel. Ce qui a pour effet d’affaiblir l’opposition à l’Assemblée nationale. Il s’y ajoute que les opposants dont la candidature était déjà validée par le Conseil constitutionnel ne savent pas de quoi demain c’est-à-dire s’ils pourront toujours participer à l’élection prochaine du 15 juin du fait que d’ici là les règles du jeu pourraient bien changer. Et le processus électoral repris, on ne sait jamais.
Impacts économiques d’une crise
Les combats politiques qui se mènent dans la rue ne sont pas sans impacts économiques. Ils provoquent un arrêt ou un ralentissement des activités dont les premières victimes sont les acteurs de l’informel, secteur qui fait vivre la majorité de la population. Mais ils ne sont pas les seuls. L’État aussi en ressent les contrecoups. Sans compter la paralysie des secteurs éducatif, sanitaire, du transport… Ne parlons pas des conséquences sur le plan international en termes de dégradation de l’image du Sénégal et de fuite des investisseurs étrangers. Au plan diplomatique, le président Macky Sall, qui inspirait respect et considération auprès de ses pairs et qui avait un leadership avéré aussi bien en Afrique qu’auprès des grands du monde, est en train de perdre tout ce crédit depuis qu’il a mené son coup d’Etat constitutionnel. Après avoir été applaudi à travers la planète, félicité par les organismes internationaux et les grandes puissances à l’annonce de sa renonciation à un troisième mandat, voilà qu’en quelques jours il perd tout cet immense capital et est ravalé au rang de vulgaire dictateur tropical !