L'HÉRITAGE INACCOMPLI D'AMADOU MAKHTAR MBOW
L'ancien patron de l'Unesco décédé ce mardi, a présidé les Assises nationales visant à concevoir une nouvelle vision pour le pays. Si leurs recommandations avaient été suivies, le Sénégal aurait pu éviter certaines crises estime Doudou Diène
(SenePlus) - Le Sénégal pleure la disparition d'un de ses fils les plus illustres. Amadou Makhtar Mbow s'est éteint ce mardi 24 septembre 2024, à l'âge vénérable de 103 ans. Homme d'État, intellectuel et humaniste, son parcours exceptionnel aura marqué l'histoire du Sénégal et de l'Afrique. Mais c'est peut-être son rôle dans les Assises nationales de 2008-2009 qui restera comme l'un de ses plus grandes jcontributions au pays, bien que largement inexploité.
Dans un entretien accordé à RFI, le diplomate sénégalais Doudou Diène, qui a longtemps travaillé aux côtés de Mbow à l'UNESCO, revient sur cet épisode crucial de la vie politique sénégalaise. "C'est dans la lignée de son engagement pour son pays et son peuple d'abord", explique-t-il à propos de la décision de Mbow de présider ces Assises. "Il n'était pas un partisan, c'était son peuple, son pays qui étaient ses critères fondamentaux."
Les Assises nationales, organisées par l'opposition à l'époque du président Abdoulaye Wade, visaient à repenser en profondeur l'avenir du Sénégal. Doudou Diène souligne l'importance historique de cette démarche : "C'est un travail extraordinaire et peut-être unique au monde. Ce que Mahtar Mbow et les intellectuels et autres Sénégalais ont voulu faire, c'est de remettre en place d'une de manière consensuelle interactive tout ce que le Sénégal a fait et d'évaluer ce qui a été fait et d'ouvrir donc des perspectives pour le Sénégal du futur."
Cependant, le diplomate ne peut s'empêcher de noter avec regret que les recommandations issues de ces Assises n'ont jamais été pleinement mises en œuvre. "Si les recommandations des Assises avaient été mises en œuvre d'une manière objective et consensuelle, peut-être que le Sénégal aurait évité un certain nombre de crises", avance-t-il.
Malgré cela, Doudou Diène reste convaincu de la pertinence continue de ce travail : "Ce travail qui a duré environ trois ans est absolument exceptionnel et je pense qu'il est encore là, il devra servir de boussole dans le Sénégal actuel."
Au-delà de son engagement national, Amadou Mahtar Mbow s'est également distingué sur la scène internationale, notamment à la tête de l'UNESCO. Doudou Diène rappelle que même les États-Unis, qui s'étaient initialement opposés à lui, ont fini par le respecter profondément. "Même les Américains qui l'ont combattu très férocement à cause de ses positions très justes ont fini par avoir le plus profond respect à son égard", témoigne-t-il.
Ce respect, Mbow l'a gagné non seulement par ses positions courageuses, mais aussi par son intégrité et son dévouement au service des autres. Diène évoque notamment le rôle méconnu de Mbow dans la tentative de résolution de la crise des otages américains en Iran, illustrant sa stature d'homme d'État et de médiateur international.
En fin de compte, c'est l'image d'un homme guidé par des valeurs profondes qui émergent du témoignage de Doudou Diène. "Makhtar Mbow n'a jamais laissé son corps s'éloigner de son intelligence, c'est-à-dire que c'est son cœur qu'il a toujours guidé", résume-t-il, peignant le portrait d'un homme d'action dont l'éthique et l'altruisme ont toujours dicté les actes.
Alors que le Sénégal rend hommage à cet illustre fils, la question demeure : le pays saura-t-il enfin tirer pleinement profit de l'héritage intellectuel et politique laissé par Amadou Makhtar Mbow, notamment à travers les Assises nationales ? Le défi est lancé aux nouvelles générations de dirigeants sénégalais.