L'OMBRE DES ÉTATS-UNIS D'AFRIQUE PLANE SUR LA CRISE BÉNINOISE-NIGERIÉNNE
Jean-Baptiste Placca rappelle l'immense gâchis de l'unité africaine perdue en 1963. Plutôt que de s'unir, les dirigeants choisissent trop souvent "d'écraser leur peuple à huis clos" par cynisme ou cupidité
(SenePlus) - La récente crise diplomatique et économique entre le Bénin et le Niger est un sombre rappel du rendez-vous manqué de mai 1963, lorsque les dirigeants africains auraient dû s'engager sur la voie des "États-Unis d'Afrique". Comme le souligne Jean-Baptiste Placca de RFI, "Voilà pourquoi certains dirigeants, au gré de leurs humeurs, écrasent leur peuple à huis clos et se jouent de la Constitution."
Les deux voisins ont frôlé une guerre économique paralysante pour les exportations pétrolières du Niger, qui transitent par le territoire béninois. Seule l'intervention de la Chine en tant que médiateur a permis de désamorcer un conflit aux répercussions potentiellement continentales. "N'est-ce pas à toute l'Afrique de remercier la Chine?", s'interroge Placca, tout en précisant que Pékin défendait surtout ses propres intérêts financiers colossaux dans les infrastructures pétrolières nigériennes.
Au cœur de cette crise se trouve un schisme ancien et profond entre les deux pays. Comme le décrit Placca, "Comme toujours, sur ce continent, chaque partie s'entête à imputer à l'autre les causes de ses malheurs." Le Bénin accuse la junte militaire au Niger de faire fi de sa souveraineté, tandis que les putschistes nigériens campent sur leur conception de "l'honneur" national.
Cette situation désespérante rappelle la fragmentation post-coloniale de l'Afrique. "Le véritable drame de ce continent est que les États-Unis d'Afrique n'existent même plus en projet", déplore l'éditorialiste. À l'inverse des 50 États sans frontières des États-Unis d'Amérique, l'Afrique reste morcelée en 54 "susceptibilités" nationales prêtes à s'embraser au nom de "la fierté nationale".
Dans une métaphore saisissante, Placca compare les relations entre États africains à celles entre voisins de village, obligés de traverser les cours d'autrui: "La bienséance impose de saluer ceux dont, par nécessité, l'on viole ainsi l'intimité." Cette "bienséance de l'interdépendance" fait cruellement défaut actuellement.
Pourtant, le Bénin a de légitimes griefs face au "mépris" nigérien envers le passage du pipeline pétrolier vital sur son sol. Et inversement, le Niger peut invoquer la sécurité nationale pour restreindre les mouvements à ses frontières. Dans ce climat de "suspicion" mutuelle, l'avenir s'annonce orageux.
En somme, cet éditorial percutant rappelle l'immense gâchis de l'unité africaine perdue en 1963. Plutôt que de s'unir, les dirigeants choisissent trop souvent "d'écraser leur peuple à huis clos" par cynisme ou cupidité. La Chine a pu temporairement éteindre ce feu de brousse béninois-nigérien. Mais jusqu'à quand ?