PAPE DJIBRIL FALL, LE FICHIER PDF RELANCÉ
Redevenu député suite à la démission de Déthié Fall, il reste un électron libre dans le paysage politique, revendiquant une troisième voie qui le place dans une position ambiguë : pas assez coopératif pour l'opposition, trop critique pour la majorité

PDF. Trois lettres, une signature, un style. Pape Djibril Fall, longtemps silencieux dans le tumulte politico-médiatique sénégalais, a choisi de réapparaître à sa manière : clair, offensif, documenté. Comme un fichier resté en veille, il s’est ‘’reconnecté au système’’ par un point de presse bien calibré, renouant avec son verbe tranchant et sa posture de veilleur civique. Une sortie que ses partisans attendaient et que ses adversaires ont forcément notée.
Installé à la tête du mouvement Les serviteurs, hier, Pape Djibril Fall a tenu sa conférence dans un climat de tension politique marqué par des secousses à la fois sociales et institutionnelles. En ligne de mire : les licenciements au Port autonome de Dakar (PAD). L’ancien journaliste devenu député a brandi ce qu’il appelle des preuves irréfutables, des documents confidentiels qui viendraient contredire la version officielle défendue à l’Assemblée nationale par le Premier ministre Ousmane Sonko et le ministre des Mines Birame Souleye Diop.
Selon lui, ce sont bien 700 travailleurs qui ont été remerciés, dans des conditions opaques orchestrées par Waly Diouf Bodian, le directeur général du PAD. ‘’Certains ont été convoqués pour négocier leur départ. Ce n’est pas une décision collective, c’est un fait prémédité’’, a-t-il martelé.
En face, le pouvoir dément, minimise, temporise. Eux parlent d’optimisation des ressources humaines. Lui dénonce une manœuvre brutale, un coup porté au tissu social. Et pour appuyer ses dires, PDF agite les dossiers, les chiffres, les noms, à sa manière, presque clinique dans l’exposé, mais vibrante dans la charge émotionnelle.
Car au-delà du fond, la forme est restée intacte. Dans son éternel costume-cravate, oscillant entre wolof et français, Pape Djibril Fall alterne citations religieuses, métaphores bibliques et formules politiques, dans une rhétorique qui mêle pédagogie et ironie. Il n’a rien perdu de cette technique oratoire qui l’avait propulsé de chroniqueur télé à la figure montante de l'Assemblée nationale.
Ce point de presse, le premier depuis longtemps, a aussi été l’occasion pour lui de solder des comptes restés en suspens. D’abord, sur le traitement de la jeunesse où il a appelé à une politique du ‘’maintien au pays’’ plutôt qu'à l’exportation des cerveaux par l’immigration choisie. Ensuite, sur la presse, prenant la défense du journaliste Pierre Simon Faye, placé sous contrôle judiciaire. ‘’C’est une dérive grave. On ne peut pas criminaliser l’information’’, a-t-il soutenu, défendant la liberté d’informer comme socle de toute démocratie crédible.
Puis, dans un registre plus institutionnel, il a tiré à boulets rouges sur le Premier ministre. ‘’Il a préféré s’acharner sur l’opposition. Quand il dit que tout est aérien, c’est parce qu’il est lui-même déconnecté des réalités urgentes’’, a-t-il lancé. Un tacle assumé, alors que les relations entre l’ex-chroniqueur et le chef du gouvernement n’ont jamais été au beau fixe.
PDF a aussi interpellé de manière frontale l’Union des magistrats sénégalais (UMS), lui reprochant son silence face à ce qu’il qualifie de persécution du ministre de la Justice. Une sortie qui peut surprendre, mais qui s’inscrit dans son discours plus large : sans justice, pas de paix, répète-t-il. À ses yeux, la justice sénégalaise doit être libérée — non pas par le peuple, comme l’avait suggéré le président Diomaye Faye, mais du pouvoir Exécutif lui-même. ‘’Le peuple doit faire pression sur le président, pas sur la justice’’, insiste-t-il.
Cette conférence de presse, plus qu’un simple retour, est un acte de réappropriation politique. Depuis son élection à l’Assemblée nationale en décembre 2024, Pape Djibril Fall s’était montré discret, effacé, presque absent. On l’avait brièvement vu, écourté dans sa prise de parole au Parlement par le président El Malick Ndiaye, puis sèchement recadré par Ousmane Sonko sans droit de réplique. Ce mutisme apparent avait nourri les rumeurs : retrait stratégique ? Isolement ? Lassitude ? Lui répond aujourd’hui : hibernation volontaire, mais pas abdication.
Avec ce retour, il rebranche son canal direct avec les citoyens, contourne l’arène parlementaire pour réinvestir le terrain médiatique. Il renoue avec ce qui avait fait sa force : sa voix singulière, entre impertinence maîtrisée et gravité assumée. Il est de nouveau ce média à lui seul, comme lorsqu’il électrisait le plateau de ‘’Jakaarlo’’ sur la TFM.
Mais cette sortie soulève une question : quel est son cap politique ? Veut-il redevenir un simple éclaireur ou cherche-t-il à structurer une opposition hors système ? Ce flou est entretenu, peut-être volontairement.
Pour l’heure, il multiplie les symboles, recolle les fragments, aligne les priorités — jeunesse, justice, souveraineté — et construit un récit de vigilance, à défaut d’alternative.
PDF est de retour. Pas dans un format compressé. Mais dans un mode décryptage, prêt à relancer sa version.
PDF, le solitaire obstiné de l’hémicycle
À observer Pape Djibril Fall aujourd’hui, on pourrait croire à un retour stratégique. Mais à bien y regarder, il s’agit peut-être plus d’un rebond instinctif. Devenu député par défaut, à la suite de la démission de Déthié Fall, investi sur la même liste Samm sa Kaddu, PDF a intégré l’Assemblée nationale sans l’élan d’une campagne personnelle victorieuse. Déthié Fall, rallié en pleine campagne électorale à Pastef, avait clairement annoncé qu’il ne siégerait pas s’il était élu. Ce qui ouvrit la porte au journaliste devenu homme politique. Une entrée par la petite porte, mais que Pape Djibril s’est empressé de verrouiller pour ne pas en ressortir.
S’il bénéficiait de l’aura d’ancien chroniqueur et d’un capital de sympathie auprès d’un public jeune et urbain, son positionnement politique a toujours été ambigu. Porté un temps par une coalition électorale disparate, regroupant des figures comme Barthélemy Dias, Boucane Guèye Dany, Anta Babacar Ngom ou Cheikh Ahmed Tidiane Goum, il était le cadet du groupe, le plus médiatique sans être nécessairement le plus politique. Dès les premiers mois suivant les élections législatives de novembre 2024, cette alliance de circonstance s’est disloquée, révélant des fractures idéologiques et personnelles profondes. Et l’une des plus visibles fut celle qui l’opposa, en sourdine d’abord, puis frontalement à Bougane Guèye Dany. Leur passé commun dans le monde des médias avait déjà laissé des traces. Dans une émission restée célèbre en 2017, PDF avait pointé du doigt l’attitude jugée autoritaire de Bougane, accusé d’avoir freiné la création d’un syndicat de jeunes journalistes au sein d’un groupe de presse. Une affaire encore non résolue, mais dont l’ombre plane sur leurs relations.
Dès lors, difficile d’imaginer une cohésion durable entre eux dans un cadre politique, même sous la bannière de Samm sa Kaddu.
Anta Babacar Ngom, quant à elle, semblait initialement proche de PDF. On les a vus côte à côte sur les podiums, unis dans le combat contre l’arrestation de Bougane à Tambacounda. Mais la convergence fut éphémère. À peine quelques mois après l’élection, elle rejoint le camp des boycotteurs, refusant de siéger lors de la question orale d’Ousmane Sonko, au nom d’un acte de résistance symbolique. PDF, lui, choisit de rester. Il brave la marée des 130 députés ‘’pastefiens’, assis parmi les siens, minoritaires, sans ciller. Une posture courageuse ou isolée ? La réponse dépend du point de vue, mais elle révèle à minima un hiatus dans sa propre coalition, qui n’était peut-être qu’un attelage électoral sans projet commun.
Pape Djibril Fall a toujours revendiqué sa troisième voie, celle d’un homme libre, sans mentor, sans parrain, sans assujettissement. Une posture louable dans une démocratie balisée par les fidélités et les trahisons, mais aussi un positionnement risqué et souvent illisible. Car à trop vouloir échapper aux étiquettes, on finit par brouiller son propre message. Pendant que certains le classent dans l’opposition radicale, d’autres l’accusent de modération, voire tactique. Lui dit refuser le jeu binaire entre pro et anti-Pastef, mais semble aussi incapable de fédérer autour de lui un camp crédible. Pas assez coopératif pour l’opposition, trop critique pour la majorité.
Dans l’arène parlementaire, il n’a pas non plus su imprimer sa marque. Lors de sa prise de parole à l’hémicycle ce lundi 14 avril, il est interrompu par le président de l’Assemblée nationale, El Malick Ndiaye, sur fond de priorisation de l’ordre du jour. Le Premier ministre lui rétorque avec une froideur désarmante, ne laissant aucun espace à la réplique. La scène est révélatrice du peu d’influence qu’il pèse dans le jeu institutionnel. Sa capacité d’agacement est réelle, son pouvoir de nuisance limité.
Cette faible capacité d’alliances est l’une de ses failles les plus manifestes. Même Cheikh Ahmed Tidiane Youm, son ancien compagnon de liste, a pris le soin de se rapprocher du régime après les tensions entre le Pur et le pouvoir. PDF, lui, reste en solitaire, comme à ses débuts. Il semble avoir fait du rejet des chapelles politiques sa boussole.
Mais à l’ère des coalitions dynamiques, cette posture d’indépendance devient parfois une impasse. Elle alimente l’idée qu’il n’est qu’un acteur de témoignage, capable de coups d’éclat, mais incapable de peser sur la balance.
Et pourtant, malgré un score insignifiant aux dernières présidentielles, où il ne dépassait guère les 1 %, malgré l’absence de base territoriale solide et en dépit de ses errements stratégiques, Pape Djibril Fall s’accroche. Mieux, il continue d’exister médiatiquement, à travers ses sorties bien calibrées, ses conférences de presse et ses déclarations ciblées. Il sait choisir ses moments, ses mots, ses combats. La presse, la jeunesse, la justice : autant de thèmes consensuels qui lui permettent de se positionner sans trop de risques. Il ne mord pas, mais griffe à intervalles réguliers.
Mais combien de temps cette présence sans pouvoir tiendra-t-elle ? À trop s’appuyer sur la médiatisation pour compenser l’absence de relais politiques, on s’expose à une forme d’essoufflement. L’effet de nouveauté s’estompe. Le regard du public devient plus exigeant. Et PDF, qui n’a jamais réussi à traduire sa popularité médiatique en implantation électorale solide, pourrait se retrouver à jouer les figurants dans un théâtre où il rêvait d’être acteur principal.
En somme, le fils de Thiadiaye est un électron libre, à la fois courageux dans l’arène et isolé dans les rapports de force, brillant orateur, mais stratège fragile, symbole d’une jeunesse consciente, mais parfois victime de ses propres contradictions. Son parcours interpelle sur le sort de ces figures hybrides, nées du journalisme et aspirant à la politique, mais prisonnières d’un entre-deux : trop engagées pour rester analystes, trop seules pour devenir leaders.