POUVOIR ET OPPOSITION INTERPELLÉS
L'abandon des poursuites judiciaires contre les personnalités politiques et médiatiques marque un tournant. Des voix influentes de la société civile réagissent à cette décrispation
Le vent de dégel de la tension politique provoqué par le classement sans suite des dossiers de poursuite enclenchés contre certains acteurs politiques et des médias sur la base des délits d’opinion ne laisse pas indifférents certains acteurs de la société civile. En effet, interpellés hier, vendredi 4 octobre sur cette décrispation, Babacar Ba, président du Forum du justiciable, Alioune Tine, président fondateur du Think tank Afrikajom center et Moundiaye Cissé, Directeur exécutif de l’Ong 3D ont salué l’abandon des poursuites décidé par la Justice. Toutefois, pour la pérennisation du climat de paix dans l’espace politique surtout en cette veille d’élections législatives anticipées, ils ont invité les acteurs à plus de responsabilité.
Babacar Ba, président du Forum du justiciable « Que chaque acteur politique joue son rôle dans le respect de l’Etat de droit
«Je voudrais commencer par me féliciter de cette décision de la justice de classer sans suite les dossiers de Bougane Guèye Dany, Cheikh Yérim Seck et autres. Je pense que la justice doit continuer à assumer son rôle de garant des droits et libertés fondamentales. Rien ne devrait inciter la justice à ériger la détention en principe et la liberté en exception. Nous encourageons les magistrats à garder cette posture de juge impartial et indépendant. Sans quoi, Ils sacrifieraient leur réputation. Alors pour la pérennisation de ce climat d'apaisement, nous suggérons au pouvoir en place de garantir à tous les citoyens l’expression de leurs libertés individuelles fondamentales notamment la liberté d’opinion, liberté d’expression, liberté de la presse, liberté d’association, liberté de réunion, liberté de déplacement et liberté de manifestation. Mais également de s’abstenir de tout acte qui pourrait être interprété comme une instrumentalisation de la justice. Nous invitons l’opposition à comprendre que l’exercice des droits et libertés doit se faire dans les conditions prévues par la loi. Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume, l’image, la marche pacifique, pourvu que l’exercice de ces droits ne porte atteinte ni à l’honneur et à la considération d’autrui, ni à l’ordre public. Que chaque acteur politique joue son rôle dans le respect de l’Etat de droit».
Alioune Tine, président fondateur du think tank Afrikajom Center. « Les acteurs doivent privilégier une communication centrée sur les préoccupations centrales et les aspirations majeures des populations »
« La décrispation avec la libération de Bougane, Cheikh Yérim et Kader, doit être une opportunité pour améliorer les relations entre pouvoir et opposition en soignant les éléments de langage qui doivent être expurgés de toute connotation de haine ou de mépris. Les acteurs doivent privilégier une communication centrée sur les préoccupations centrales et les aspirations majeures des populations. Il faut également privilégier la concertation et le consensus sur chaque étape du processus électoral pour des élections législatives anticipées apaisées et transparentes. Sur ce, il faut saluer les efforts du ministre de l’Intérieur qui cultive la concertation avec les acteurs en mode d'emploi. Il faut aussi saluer la disponibilité de l'opposition. Bientôt, va intervenir la concertation sur l'organisation de l'élection, nous invitons les auteurs à faire le choix des solutions les moins onéreuses, les plus réalistes qui garantissent un scrutin dans les délais et répondant aux standards de la Cedeao. L'opposition doit également jouer son rôle d'acteurs en quête du pouvoir mais d’acteurs responsables et républicains. Je rappelle d’ailleurs que lors de la réunion du 28 septembre dernier avec le ministre de l’Intérieur, des leaders de l'opposition l’avaient dit eux-mêmes. Soigner les éléments de langage et éviter le registre non conventionnel de la haine et du mépris. Le respect mutuel doit prévaloir pour le consensus sur l'organisation des élections ».
Moundiaye Cissé, directeur executif de l’ONG 3d « Le régime actuel doit développer une capacité de résilience et essayer de transformer les critiques en source d'inspiration »
« Nous tenons à saluer la démarche du ministre de la Justice pour son ouverture de même que son collègue en charge de l’Intérieur et de la Sécurité publique que nous avons rencontré, avec qui nous avons également abordé cette question des restrictions de liberté, des convocations et autres arrestations. Cela dit, nous pensons que ce régime doit changer d’approche vis-à-vis des critiques. Il doit développer une capacité de résilience. Car, aussi longtemps qu’il restera à la tête du pouvoir exécutif, il fera l’objet de critiques : des critiques les plus acerbes aux critiques les plus modérées d’où donc la nécessité pour eux de développer cette capacité de résilience face aux critiques en essayant de transformer toutes ces énergies (critiques) en source d'inspiration pour mieux faire. Les critiques doivent lui permettre de se ressaisir, requestionner ses démarches pour pouvoir rebondir. Car, les critiques ne sont pas en soi toujours négatives. Il y a toujours un côté positif à voir dans les critiques étant donné qu’il est appelé à gouverner ce pays, au moins les 5 prochaines années. Des arrestations, des emprisonnements systématiques sont contre-productifs à cause de l’effet boomerang qu’ils peuvent provoquer. Nous avons en mémoire l’exemple du régime du Président Macky Sall qui, malgré le nombre important de détenus politiques estimé à 2000 par certaines statistiques, a perdu le pouvoir. Donc l'emprisonnement systématique ne peut pas être une solution. Il faut développer une alternative à l'emprisonnement systématique, une alternative aux gardes à vue. Maintenant, aux acteurs politiques, ils doivent également apprendre à élever le niveau du débat politique. Les confrontations sur le terrain politique doivent se faire autour des idées et des programmes et non des confrontations physiques. Les Sénégalais attendent d’eux un débat sur les programmes de législature : quelle alternative de rupture à la situation actuelle de l’Assemblée nationale ils proposent ? Pour toutes ces raisons, on doit aller vers ces élections. Avec calme, avec sérénité, afin qu'on ait des programmes de législature à la dimension et bien des attentes des Sénégalais ».