UNE ABSENCE QUI REBAT LES CARTES
Dans le contexte des élections législatives de novembre 2024, l'absence de deux figures majeures du paysage politique sénégalais, Macky Sall et Karim Wade, marque un tournant décisif.
Dans le contexte des élections législatives de novembre 2024, l'absence de deux figures majeures du paysage politique sénégalais, Macky Sall et Karim Wade, marque un tournant décisif. Leur absence sur le terrain laisse un vide stratégique et symbolique, mais aussi une opportunité pour d'autres figures montantes de capitaliser sur cette situation.
L'élection présidentielle a souvent été, comme l'a souligné François Bayrou, homme politique français (centre), ‘’la rencontre d'un homme et d'un peuple’’. Mais au Sénégal, cette rencontre est façonnée par des alliances politiques complexes, une histoire riche de mobilisations populaires et des figures centrales qui incarnent des idéaux, au-delà de leurs partis.
Cependant, dans ce cycle électoral, la dynamique est singulièrement différente, marquée par des absences notables et des présences éclatantes.
Sonko, maître du terrain
Ousmane Sonko, leader du parti Pastef, a fait un retour spectaculaire sur la scène politique en organisant un meeting gigantesque au Dakar Arena, le 19 octobre 2024. Cet événement, qualifié de ‘’giga meeting’’ payant, a marqué les esprits. En pleine mobilisation pour les Législatives, il a réussi non seulement à galvaniser ses partisans, mais aussi à envoyer un signal fort à ses adversaires. La rencontre a été perçue comme le lancement officieux de sa campagne pour les Législatives, mais aussi un test grandeur nature pour jauger la capacité du Premier ministre à maintenir une présence électorale forte malgré les défis judiciaires et politiques qu'il a rencontrés.
La mobilisation massive autour de cet événement envoie un message clair : Sonko est toujours dans la course et ne compte pas céder du terrain, même face à des adversaires comme Amadou Ba et Bougane Guèye Dany.
Ce dernier, en tant que président de la coalition Gueum Sa Bopp, adopte une stratégie de dénonciation directe, mais peine à égaler la popularité et la base militante de Sonko. Amadou Ba, de son côté, joue la carte de la sobriété, tentant de se démarquer par des discours mesurés, mais percutants, se positionnant comme un candidat du compromis.
Le leader de Pastef, quant à lui, a pris une posture de défi ouvert en appelant Amadou Ba à un débat public contradictoire, notamment sur les questions économiques et la gestion financière du pays. Cette initiative vise à désarmer ses adversaires et à se présenter comme le seul candidat capable d’affronter les défis économiques de la nation. Ce genre de stratégie vise à affaiblir son principal rival en le contraignant à se justifier publiquement, une tactique qu'il a déjà utilisée dans d’autres contextes politiques.
La stratégie de Bougane : la victimisation comme moteur de mobilisation
Bougane Guèye Dany, quant à lui, a adopté une stratégie qui repose en grande partie sur la dénonciation et la victimisation. Son arrestation récente est devenue un point central de sa campagne. Ses alliés, dont Barthélemy Dias, Pape Djibril Fall et Thierno Bocoum, ont rapidement saisi l’occasion pour attaquer le régime sur des questions de liberté de mouvement et de droits civiques. Ils dénoncent l’arrestation de Bougane qu’ils considèrent comme une manœuvre politique visant à étouffer une opposition légitime, un argument qui trouve un écho important auprès de la société civile et des observateurs internationaux.
La stratégie de victimisation de Bougane a renforcé sa stature politique. Il est perçu non seulement comme un leader en quête de changement, mais aussi comme une victime du système, ce qui lui permet de rallier à sa cause une partie de l’électorat sensible aux questions des Droits de l’homme.
Cependant, cette approche comporte des risques : elle pourrait finir par cantonner Bougane au rôle de dissident sans véritable programme de gouvernance, ce qui limiterait son attrait au-delà de son noyau dur de partisans.
Face à ces deux figures, Amadou Ba tente de jouer un rôle de modérateur. Son entrée discrète dans la course et sa communication mesurée traduisent une stratégie visant à ne pas s’engager trop rapidement dans des affrontements directs. Il préfère se concentrer sur les questions économiques et sociales, tout en prenant ses distances par rapport aux débats hyper-médiatisés que Sonko et Bougane semblent favoriser. Ses lieutenants, Madiambal Diagne et autres, occupent l’espace médiatique en critiquant tous azimuts les actions du régime.
Cependant, Amadou Ba se trouve dans une position délicate. D’un côté, il doit répondre aux attentes d’un électorat qui veut des réponses claires et immédiates sur les accusations portées contre lui et la crise économique que traverse le pays. De l’autre, il doit éviter de se laisser entraîner dans les polémiques stériles qui pourraient détourner l’attention sur son programme. En s’attaquant à la Vision 2050 héritée du PSE (Plan Sénégal émergent), Amadou Ba a tenté de marquer une rupture avec l'ancien régime, tout en soulignant les défis économiques qui, selon lui, rendront difficile la réalisation de cette ambition à long terme. Sa réaction à l’appel de Sonko et un possible débat avec cet homme redoutable pourraient redéfinir les contours de ces Législatives.
Karim Wade : l’omniprésence malgré l’exil
L’absence physique de Karim Wade, en exil au Qatar depuis 2016, soulève des questions sur la capacité de la coalition Takku Wallu à maintenir une présence électorale forte. Cependant, l'ancien ministre de l’Énergie reste une figure influente dans les coulisses. Ses lieutenants, dont Mamadou Lamine Thiam et Saliou Dieng, maintiennent son réseau et son influence sur le terrain. Karim Wade a déjà montré lors des scrutins précédents qu'il pouvait diriger une campagne à distance, une forme de ‘’pilotage par procuration’’ qui, bien que controversée, a su maintenir sa base électorale mobilisée.
Son absence pourrait cependant poser problème face à la montée en puissance de nouveaux leaders comme Sonko et Bougane. La question est de savoir si la stratégie du ‘’leadership en exil’’ pourrait rivaliser avec l'énergie et la présence constante de ces nouveaux challengers.
Karim Wade devra donc compter sur des interventions médiatiques et des communiqués pour maintenir son influence. Mais serait-ce suffisant face à des adversaires beaucoup plus visibles et engagés sur le terrain ? D’autant plus qu’au fil du temps, il a perdu une bonne partie de ses fidèles : Doudou Wade, Tafsir Thioye, etc.
Macky Sall, quant à lui, a annoncé qu'il reviendrait au Sénégal pour participer à la campagne. Son absence prolongée a soulevé de nombreuses interrogations sur son rôle futur dans la coalition Takku Wallu. Ses partisans, comme Farba Ngom, ont confirmé sa participation, mais la question reste de savoir dans quelle mesure il pourra influencer une campagne où les électeurs attendent des engagements clairs et une nouvelle vision politique.
Son absence a également mis en lumière la difficulté pour des figures comme Abdou Mbow de prendre le relais. Bien que fidèle lieutenant de Macky Sall, l’ancien vice-président de l’Assemblée nationale peine à mobiliser avec le même charisme et l'unanimité que son mentor. Il devra compter sur des soutiens comme Abdoulaye Daouda Diallo pour compenser ce manque de leadership visible. Cela suffira-t-il pour contrer un Sonko endurant et énergique déjà en campagne active ?
Le paysage politique actuel est marqué par une fragmentation des forces en présence. Alors que Sonko mène une campagne de terrain intense, Bougane et ses alliés cherchent à attirer l’attention par des stratégies de dénonciation et Amadou Ba mise sur une approche plus réfléchie et prudente. Pendant ce temps, les grands absents, Macky Sall et Karim Wade, font figure de fantômes politiques influents, mais distants, laissant leurs lieutenants occuper le terrain.
La campagne législative qui s’annonce sera donc marquée par ces absences et ces présences. La question reste de savoir si l’absence de Macky Sall et de Karim Wade jouera en leur défaveur ou si leurs réseaux bien établis pourront compenser leur absence physique. Quoi qu’il en soit, cette élection s’annonce comme l’une des plus disputées de l’histoire récente du Sénégal.