LE SÉNÉGAL ATTEND SES TOUTES PREMIÈRES DOSES
Après un siècle de recherches, un vaccin contre le paludisme a été découvert par le laboratoire britannique GlaxoSmithKline. Le 6 octobre 2021, l’OMS a recommandé son déploiement massif son utilisation en Afrique subsaharienne. Réaction de Doudou Sène
Après un siècle de recherches, un vaccin contre le paludisme a été découvert par le laboratoire britannique GlaxoSmithKline. Le 6 octobre 2021, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a recommandé le déploiement massif et l’utilisation de ce vaccin en Afrique subsaharienne, principale région du monde où le plasmodium falciparum, l’agent pathogène du paludisme, s’est durablement incrusté. Appelé RTS,S, la découverte de ce premier vaccin antipaludique réjoui énormément les acteurs de la lutte contre le paludisme parce que cela fait 6 ans qu’ils l’attendaient après que son efficacité a été approuvée. C’est le cas du Dr Doudou Sène, le coordonnateur du programme national de lutte contre le paludisme (PNLP) au Sénégal. Dans cette entrevue accordée à Infomed, le Dr Sène ne cache pas sa satisfaction. Pour lui, c’est une « arme supplémentaire » dans la lutte contre cette pathologie. Occasion saisie par ce médecin pour étaler les différentes actions engagées par le Sénégal en vue d’éradiquer cette maladie. Dans un contexte de rejet du vaccin anti-Covid, comment le vaccin contre le palu sera-t-il accueilli ? Comment le Sénégal se prépare-t-il à accueillir ce vaccin ? Quid du candidat vaccin R21 des chercheurs burkinabés ? Réponses du Dr Doudou Sène.
Infomed : Dr Doudou Sène, l’OMS a recommandé le 6 octobre dernier le déploiement massif et l’utilisation du premier vaccin antipaludique RTS,S en Afrique subsaharienne et ailleurs dans le monde. En tant qu’acteur clé de la lutte contre cette maladie au Sénégal, comment réagissez-vous à l’arrivée de ce vaccin ?
Dr Doudou Sène : C’est tout un espoir et avec beaucoup de plaisir que les acteurs de la lutte contre le paludisme ont accueilli cette nouvelle. Depuis l’annonce de ce vaccin, le Sénégal est en train de préparer une grande réunion pour rassembler l’ensemble des acteurs en l’occurrence les scientifiques avec lesquels nous travaillons régulièrement. Nous avons commencé à préparer un peu les termes de référence de cette rencontre parce que nous aurons plusieurs acteurs notamment la direction dédiée à la vaccination, les bailleurs de fonds qui nous appuient dans le financement, les scientifiques, les acteurs de la santé publique et épidémiologistes, les médecins chefs de régions et des autres directions. Ainsi, tous ces acteurs doivent se regrouper pour voir les modalités pratiques de l’introduction de ce vaccin au Sénégal.
Votre réactivité laisse penser que vous attendiez impatiemment ce vaccin…
Ce vaccin était attendu depuis des années par des pays africains parce que l’Afrique, à elle seule, pèse très lourd par rapport à la morbidité et mortalité liées au paludisme. Quand on regarde les chiffres de 2019 et de 2020, plus de 219.000 de cas ont été recensés à travers le monde et plus de 400.000 décès environ. Chaque année, l’Afrique de l’Ouest particulièrement pèse, à elle seule, plus de 90% de cette charge de morbidité et de mortalité. Plusieurs stratégies ont été déroulées pendant des décennies : l’utilisation des moustiquaires imprégnées à longue durée d’action, la chiomioprévention saisonnière du paludisme, le traitement préventif intermittent chez la femme enceinte. Grâce à tous ces efforts, nous avons eu des avancées significatives dans la lutte.
Quels indicateurs permettent de dire que les efforts ont porté leurs fruits sur le continent ?
Quand on regarde ces dix dernières années, de 2000 à 2015, nous avons eu une réduction en Afrique de plus de 40%. Au Sénégal c’est à peu près 10% de réduction de la charge de morbidité. Donc l’arrivée de ce vaccin pourra peut-être booster davantage et accélérer le pas vers l’objectif de l’élimination du paludisme à l’horizon 2030.
Le Sénégal est manifestement très mobilisé pour accueillir ce vaccin contre le paludisme. Après ces différentes réunions préparatoires quelle sera la prochaine étape ?
La deuxième étape c’est de voir comment mobiliser des ressources financières avec nos partenaires classiques comme l’USAID/PMI mais également le Fonds Mondial et d’autres acteurs qui appuient un peu la vaccination en Afrique notamment l’Alliance GAVI qui appuie souvent nos pays à l’introduction des vaccins. Il faudrait également s’investir dans la communication parce qu’il (Ndlr : le vaccin contre le paludisme) est arrivé dans un contexte particulier où il y a eu beaucoup de débats sur la vaccination. Lorsqu’on regarde le processus de fabrication de ce vaccin contre le paludisme, il ne suscite pas de crainte contrairement au vaccin contre la Covid où les choses se sont accélérées parce que c’est depuis une dizaine d’années pratiquement que les gens étaient en train de faire des recherches.
C’est important de faire cette précision ?
Il est important pour nous de rappeler ce processus qui a abouti à la conception de ce vaccin. Cela a été vraiment un processus large avec plus de 2 millions de doses qui ont été testées à travers le monde notamment au Kenya, au Malawi et au Ghana et qui a donné des résultats très satisfaisants. Ce n’est pas le même processus que celui de la Covid-19. D’où la nécessité d’avoir une très bonne communication et d’informer également la population de l’avantage qu’il y a d’utiliser ce vaccin contre le paludisme.
Vous évoquiez tantôt d’une bonne communication. Ça veut dire que vous redoutez la réticence des populations du fait des suspicions ou de la méfiance opposées au vaccin contre la Covid-19 ?
Il faut s’y attendre puisque que c’est dans un contexte particulier. Vous avez noté le débat qu’il y a eu sur le vaccin contre la Covid et qui a entrainé cette polémique sur ce vaccin (Ndlr : contre la Covid-19). C’est, en partie, dû au processus qui a abouti à sa conception et que les gens ne connaissaient pas avant. En fait, avec l’avancée des techniques, le vaccin anti-covid a été conçu dans un délai très court. Par contre, s’agissant du vaccin RTS,S, pendant une dizaine d’années, les gens ont fait des recherches sur le plan innocuité pour voir s’il n’y avait d’effets secondaires ou autres. Tout cela a été très bien étudié. C’est la raison pour laquelle, l’OMS a indiqué qu’il fallait généraliser l’utilisation de ce vaccin à travers l’Afrique.
Lorsque le vaccin RTS,S sera introduit, qu’en sera-t-il des autres moyens de lutte?
Même avec l’introduction de ce vaccin, les autres stratégies vont continuer notamment l’utilisation des moustiquaires imprégnées à longue durée d’action. Nous allons introduire à partir de l’année prochaine une nouvelle génération de moustiquaires qui sont beaucoup plus efficaces contre les moustiques. Nous allons également continuer les stratégies communautaires à savoir la Pecadom (Ndlr : Prise en charge à domicile) qui est la recherche des cas sur le terrain dans la période de forte transmission. Nous sommes aussi en train de tester la « mass drug administration » (Ndlr : distribution de masse de médicaments) dans la région de Tambacounda. Il s’agit d’un traitement préventif qui est administré aux populations à la veille de l’hivernage pour nettoyer un peu les réservoirs du parasite. C’est pour vous dire qu’énormément de stratégies sont en train d’être réfléchies et menées sur le terrain. On espère que le rendez-vous de 2030 sera honoré par le Sénégal.
Comment expliquez-vous le fait que le Sénégal, avec tous ses efforts, n’ait pas franchi l’étape intermédiaire de réduction de 40% de l’incidence par rapport à 2015 comparé aux pays comme le Malawi, la Namibie, le Botswana et même la Gambie voisine qui l’ont atteint en 2020 ?
Le Sénégal ne se trouve pas dans cette liste mais il faut reconnaître quand même que des avancées significatives ont été notées dans la lutte contre le paludisme. C’est vrai que l’objectif que nous nous étions fixés en 2015 était de faire une réduction de 75% de la charge de morbidité par rapport à notre plan stratégique que nous élaborions. Certes, c’était notre objectif mais tous ces efforts fournis nous ont, quand même, permis de verdir la situation. Lorsque je parle de verdir, c’est pour dire que nous avons une classification qui nous a permis de stratifier un peu la charge de morbidité à travers le pays.
A quoi faites-vous référence en parlant de stratification ?
Quand vous allez dans la zone Nord du pays qui regroupe les régions de Saint-Louis, Matam, Louga et une partie de la région de Thiès, de Fatick et une partie de Dakar, de Ziguinchor, nous avons une incidence qui tourne autour de -5 pour 1000 habitants. Quand on parle d’incidence c’est le nombre de cas de palu que nous recensons pour 1000 habitants. Nous avons une réduction drastique dans ces zones-là. Par contre, nous avons une charge de morbidité qui reste encore élevée dans la région sud du pays notamment dans les régions de Kolda, de Tambacounda et de Kédougou où 80% des cas de paludisme sont concentrés. Sur 16 millions d’habitants, nous avons à peu près deux millions d’habitants qui ont cette charge de morbidité. C’est pour vous dire qu’il y a des efforts. Toutefois, il faut savoir que la lutte contre le paludisme n’est pas une affaire du secteur de la santé à lui seul. Il y a d’autres facteurs environnementaux qu’il faudra prendre en compte.
Quels sont justement ces facteurs en question Dr SENE ?
Dans ces zones du Sud, par exemple, quand vous allez là-bas, il y a un réseau hydrographique très poussé, une pluviométrie très précoce à partir du mois de mai et qui fait que le nombre de cas de paludisme augmente rapidement au mois de mai quand les premières pluies commencent à apparaître. Quant au pic, il est noté au mois d’octobre. Nous avons aussi des aspects transfrontaliers avec le Mali et la Guinée qui sont très voisins à ces régions-là et qui font que nous avons un mouvement de populations très intense. Ainsi, ces populations ne sont pas très maîtrisables pour pouvoir bénéficier des stratégies majeures que nous développons. Cela explique que le Sénégal, malgré que nous ayons une incidence qui reste encore très élevée, a eu des avancées très significatives.
Cela signifie qu’avec l’arrivée de ce vaccin, ces régions du Sud vont être ciblées en priorité ?
En effet, ce nouveau vaccin va être une expérience qui va être implémentée dans ces zones pour sauver le maximum d’enfants parce qu’il a été démontré, dans les premiers résultats, que nous avons une réduction de 30% environ avec l’utilisation chez les enfants âgés de moins de 5 mois à 5 ans. La gravité des cas est également réduite à près de 40% pour ces ceux-là : ce qui veut dire que nous allons réduire également la mortalité liée à cette maladie.
Dr Sène, c’est après un siècle de recherches qu’on a finalement réussi à trouver un antipaludique alors que pour la Covid pratiquement une année a suffi si ce n’est pas moins. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je vous dis ce que j’en pense. C’est parce que la maladie touche plus les Africains. Vous avez vu quand la maladie était mondiale (Ndlr : concernant la Covd-19) et que l’Occident qui a les moyens a pris la question à bras le corps, on a trouvé un vaccin dans un délai relativement court… Si, par exemple, le paludisme était similaire dans sa répartition à travers le monde, certainement nous aurions trouvé un vaccin depuis longtemps.
Cela en dit long sur la soi-disant coopération internationale et l’intention de tous ces prétendus amis de l’Afrique…
C’est pour cela que les Africains doivent prendre leurs responsabilités et nos gouvernements doivent appuyer souvent nos chercheurs pour qu’ils puissent, à l’avenir, se mettre au-devant.
Les chercheurs burkinabés et leurs collègues d’Oxford ont réalisé quelque chose de ce point de vue avec le vaccin R21 efficace à 77% même s’il doit passer encore d’autres étapes et que cela attendra environ 3 ans. Quel est votre commentaire ?
J’apprécie beaucoup l’expérience du Burkina Faso où nous avons un vaccin qui est en train d’être testé et dont l’efficacité est prouvée à 77%. Donc il est important, pour nous, qu’en Afrique les gens dépassent une certaine étape et améliorent un peu la recherche. Nous avons de grands chercheurs dans nos pays. L’avantage ici au Sénégal, c’est que tout ce que nous faisons c’est sur la base de nos recherches scientifiques. Des universitaires qui sont à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD), à l’Université de Thiès, à l’Université de Saint-Louis y travaillent beaucoup. Nous avons de grands laboratoires notamment celui du professeur Daouda Ndiaye qui a découvert une immunigène malariale permettant de faire le diagnostic du plasmodium falciparum. En somme, nous avons de la matière par rapport à ce domaine de recherche qui est le paludisme.
Justement Dr Sène, on aurait bien aimé que le vaccin provienne de l’Afrique. Connaissant la performance des chercheurs sénégalais pourquoi n’a-t-on pas eu un vaccin de ce côté ?
On aurait bien aimé mais une recherche nécessite quand même des moyens comme je vous le disais tantôt. Il faut un accompagnement de nos autorités politiques parce qu’ici nous avons énormément de priorité également. Ainsi, il faut impérativement un accompagnement des partenaires technique et financiers. Toutefois, nous avons toujours dans ce domaine, même si ce n’est pas piloté par nos pays, la participation de nos scientifiques à ce type de recherches comme l’exemple du Burkina où nous avons de grands chercheurs qui ont participé. Le Sénégal n’est peut-être pas engagé dans ce sens mais nous avons d’autres priorités notamment sur le suivi de l’efficacité du traitement parce qu’il faut une bonne surveillance de la résistance à nos médicaments. Il y a une efficacité des tests de diagnostic rapide pour voir si les outils que nous utilisons sont toujours conformes aux normes édictées pour pouvoir faire le diagnostic et pouvoir prendre en charge le traitement correct du paludisme.