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5 mai 2025
Culture
LES DÉPUTÉS FRANÇAIS SE PENCHENT SUR DES RESTITUTIONS D'OEUVRES D'ARTS AU SÉNÉGAL ET AU BÉNIN
Le transfert au Bénin porte sur 26 pièces du «Trésor de Béhanzin» provenant du pillage du palais d'Abomey en 1892. Le Sénégal doit récupérer un sabre et son fourreau attribués à El Hadj Omar Tall
Sabre, siège royal, statues…: l’Assemblée nationale se prononce mardi sur la restitution de biens culturels au Sénégal et au Bénin, un geste qui veut marquer un renouveau des relations franco-africaines, mais est jugé insuffisant par certains, hasardeux pour d’autres.
« Ce n’est pas un acte de repentance ou de réparation, ni une condamnation du modèle culturel français », mais l’amorce d’un « nouveau chapitre du lien culturel entre la France et l’Afrique », plaide la ministre de la Culture Roselyne Bachelot.
Le rapporteur Yannick Kerlogot (LREM) évoque une « décision politique forte », qui traduit l’engagement du président Emmanuel Macron en novembre 2017 à Ouagadougou de refonder le partenariat culturel franco-africain.
Le texte de deux articles seulement -un pour la remise définitive au Sénégal, l’autre pour au Bénin – doit être soumis en vote dans la soirée.
Le transfert au Bénin porte sur 26 pièces du « Trésor de Béhanzin » provenant du pillage du palais d’Abomey en 1892. Elles sont aujourd’hui au musée du Quai Branly-Jacques Chirac à Paris.
Le Sénégal doit récupérer un sabre et son fourreau attribués à El Hadj Omar Tall, grande figure militaire et religieuse ouest-africaine du XIXème siècle. Détenues par le Musée de l’Armée à Paris, ces pièces sont exposées à Dakar dans le cadre d’un prêt de longue durée.
« En restituant ces objets d’exception au Sénégal et au Bénin, nous contribuons à donner à la jeunesse africaine l’accès à des éléments majeurs de son propre patrimoine », a souligné Mme Bachelot devant les députés de la commission des Affaires culturelles.
Le projet de loi déroge ponctuellement au caractère inaliénable des collections des musées nationaux français, parmi les plus riches du monde en pièces de toutes époques et tous horizons.
Ses adversaires lui reprochent d’encourager une relance sans fin des demandes de restitution qui empoisonnent régulièrement les relations internationales, à l’instar de la Grèce qui réclame en vain le retour des frises du Parthénon exposées au British Museum.
« Comment va-t-on faire pour dire à l’Egypte : non, pas vous? Comment va-t-on faire pour les prises napoléoniennes? » qui trônent dans les musées français, s’interroge Me Yves-Bernard Debie, avocat spécialisé dans les biens culturels. « Le caractère inaliénable des collections va mourir avec cette loi », assure-t-il.
– « petits pas » –
Certains opérateurs redoutent aussi qu’après ces restitutions, le marché légal de l’art ne devienne « frileux » face à un risque « d’instabilité juridique », selon l’étude d’impact remise aux députés.
D’autres en revanche déplorent le caractère trop limité de ces restitutions au compte-gouttes.
C’est le cas du président du Bénin Patrice Talon, qui se dit dans l’hebdomadaire Jeune Afrique « pas satisfait » du projet de loi, même s’il reconnaît de « petits pas » de la part de Paris.
« Voter une loi spécifique pour restituer vingt-six oeuvres est un strict minimum. Ce que nous souhaitons, c’est une loi générale » permettant de négocier « une restitution globale sur la base d’un inventaire précis », explique-t-il.
Et dans la foulée des restitutions au Bénin et au Sénégal, le député des Français de l’étranger M’Jid El Guerrab vient de proposer la restitution du burnous de l’émir Abdelkader, « héros de la résistance à la colonisation de l’Algérie » au XIXème siècle, conservé à Paris.
Mme Bachelot elle-même a reconnu que ces restitutions « sont au coeur de vifs débats, qu’elles nourrissent de nombreux questionnements éthiques, philosophiques, politiques ».
Paris a déjà restitué, selon diverses modalités juridiques, des objets d’art au Laos, une statue volée à l’Egypte en 1981, 21 têtes maories à la Nouvelle-Zélande ou encore 32 plaques d’or à la Chine, a énuméré la ministre.
Ces restitutions s’inscrivent dans un « mouvement international qui prend de plus en plus d’ampleur », et une « réflexion sur le rôle des musées dans le monde », a-t-elle aussi fait valoir.
Tout en dérogeant au caractère inaliénable d’oeuvres précises, le texte de loi ne remet pas en question ce principe « qui cimente le droit français » depuis le XVIème siècle, fait valoir de son côté le rapporteur du projet.
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YAYE KENE GASSAMA, FEMME DE SCIENCE
EXCLUSIF SENEPLUS - Heritages reçoit la Professeure titulaire à la faculté des Sciences et Techniques de l'Ucad, première femme au Sénégal, à avoir dirigé une chaire scientifique, pour un entretien enrichissant
Pour son troisième numéro, Heritages reçoit Yaye Kène Gassama, Professeure titulaire à la faculté des Sciences et Techniques de l'Universite Cheikh Anta Diop de Dakar. Elle est la première femme, au Sénégal, à avoir dirigé une chaire scientifique.
La chercheure, ancienne ministre de la Recherche scientifique et membre de l’Académie des sciences du Sénégal, parle de sa passion pour la science, de l’éducation des filles, de ses études en France, de ses missions en tant qu’universitaire, de sa rencontre avec le soufisme, de ses projets scientifiques, des enjeux des biotechnologies, de l’intelligence artificielle, etc.
Yaye Kène Gassama répond aux questions de l’éditorialiste de SenePlus, Paap Seen.
LE SÉNÉGAL VEUT FAIRE LABELLISER LE THIÉBOU DIEUNE
Le dossier complet du Sénégal pour l’inscription du plat national au patrimoine culturel immatériel mondial de l’UNESCO, a été déposé début septembre après un long processus ayant débuté en 2019
Le dossier complet du Sénégal pour l’inscription du "thiébou dieune", le plat national du Sénégal, au patrimoine culturel immatériel mondial de l’UNESCO a été déposé début septembre auprès de cette institution spécialisée des Nations unies, après un long processus ayant débuté en 2019, a-t-on appris du directeur du patrimoine culturel, Abdoul Aziz Guissé.
"En février tout était presque fini, nous avions même déposé le dossier d’inscription à l’UNESCO le 30 mars, mais il manquait plusieurs éléments qui devaient être complétés au mois d’avril notamment, un documentaire de dix minutes avec les communautés à Saint-Louis, d’autres informations liées à ce qu’en pensent les ONG, les associations de femmes, de jeunes", a expliqué M. Guissé.
La pandémie du coronavirus a stoppé le travail entamé et c’est le 25 août dernier qu’un comité régional de développement (CRD) a pu être organisé à Saint-Louis sur la question, en présence des autorités administratives, territoriales et municipales, ainsi que d’une quinzaine d’associations, d’ONG et autre instituts de recherche, a-t-il précisé à l’APS.
Selon la direction du patrimoine culturel, l’objectif de cette rencontre était d’avoir l’adhésion des collectivités locales et autres associations, pour que demain, s’il doit y avoir un plan de sauvegarde, elles puissent s’impliquer.
Abdoul Aziz Guissé note que le dossier a été ainsi bouclé et déposé début septembre à l’UNESCO avec "des argumentaires phares" dont celle basé sur le constat que le "thiébou dieune" est un art culinaire qui a fini de gagner tout le Sénégal, "du nord au sud, de l’est à l’ouest".
"On mange tous du riz au poisson qu’il soit blanc ou rouge avec différents condiments et des cuissons variables, mais ce sera toujours du thiébou dieune dans toutes les régions, les restaurants les plus huppés partout, tout le monde fait son thiébou dieune à sa façon", souligne-t-il.
Le Sénégal peut considérer avoir fait tout ce qui lui est demandé dans ce dossier, depuis que "le documentaire de dix minutes a été déposé, tout a été déposé", dit-il.
"L’organe d’évaluation de l’UNESCO a déjà reçu le dossier, on attend maintenant le prochain comité mondial de l’UNESCO pour l’immatériel pour dire oui ou non si le +thiébou dieune+ est classé sur la liste du patrimoine mondial immatériel", indique-t-il.
La date de la réunion du prochain comité n’est pas encore connue du fait de la pandémie du Covid-19. Initialement prévue à Kingston en Jamaïque, elle devrait finalement se tenir au siège de l’UNESCO à Paris (France).
M. Guissé, pour avoir travaillé à l’UNESCO "depuis quelques années" et avoir évalué "plusieurs dossiers", rassure sur le fait que celui du Sénégal "a de forte chance de passer comme la pizza italienne est passée en 2017 (...)’’.
De même que le couscous maghrébin devrait passer également, "le nôtre a toutes les chances de passer et d’être inscrit au patrimoine mondial de l’humanité", ajoute-t-il, en allusion au dossier du Sénégal sur le "thiébou dieune".
Quatre pays du Maghreb, à savoir le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Mauritanie ont déposé une candidature conjointe pour la labellisation du "couscous" par le patrimoine culturel immatériel mondial de l’UNESCO.
Avec la labellisation du "Jollof Rice", "Riz Jollof ou riz wolof", version du "thiébou dieune" au Nigéria, le retard dans l’inscription du plat national sénégalais au patrimoine culturel immatériel mondial de l’UNESCO a fait craindre à certains le risque de tout perdre.
Selon le directeur du patrimoine culturel, au début, les gens disaient que le Sénégal, pour avoir laissé les Nigérians classer le "Jollof Rice", "ne pouvait plus justifier" la labellisation du "thiébou dieune". Mais le travail de constitution du dossier Sénégal a été mené patiemment parce qu’on devait faire d’abord l’inventaire" de la question, fait savoir le directeur du patrimoine culturel.
Le Nigéria a certes labellisé le "Jollof Rice" car faisant partie des habitudes culinaires du pays, mais "ils (les Nigérians) ne l’ont pas proposé au classement pour le patrimoine culturel mondial" de l’UNESCO, a-t-il relevé.
Les Nigérians "se réjouissent déjà que le Sénégal fasse la proposition, car pour eux, si le +thiébou dieune+ est classé patrimoine mondial, le +Jollof Rice+ pourra bénéficier des retombées promotionnelles de cette inscription", a soutenu Abdoul Aziz Guissé.
"Les Nigérians nous disent : + si vous classer le thiébou dieune, ce sera une plus-value pour nous, notre Jollof Rice aura plus d’impact. Ils l’ont labélisé et le vendent très bien dans les vols nigérians, les grands restaurants, les cérémonies officielles, à l’UNESCO ils servent du Jollof Rice, c’est un label chez eux", poursuit M. Guissé.
Le "Jollof Rice", une spécialité du Nigéria et du Ghana inspirée du plat national sénégalais, est connu sous différentes appellations dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest, notamment en Côte d’Ivoire ("riz gras") et au Bénin ("Ceeb").
"Les Sénégalais voyagent beaucoup, que ce soit au Nigéria, au Ghana, au Bénin, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, un peu partout, il y a des restaurants sénégalais qui servaient du thiébou dieune. Aujourd’hui, ils ont leur pendant qui a la même signification que notre thiébou dieune", fait valoir M. Guissé.
L’inscription du "thiébou dieune" au patrimoine culturel immatériel mondial de l’UNESCO peut avoir plusieurs avantages, selon Abdoul Aziz Guissé.
Cette perspective est de nature à booster la destination Sénégal, "car des gens vont venir à Saint-Louis pour manger du thiébou dieune comme certains vont allez à Nantes pour manger la galette bretonne", note-t-il, étant entendu que ce plat est historiquement considéré comme une invention saint-louisienne et une part de l’identité de la capitale nord du Sénégal.
"Cela va avoir un effet d’entrainement sur les autres recettes naturelles et aussi permettre de savoir que le Sénégal a un patrimoine immatériel riche sur le plan gastronomique, et cela va permettre de revisiter tous les plats nationaux. Cela va participer à la promotion du consommé local", estime Abdoul Aziz Guissé.
D’après le directeur du patrimoine culturel, d’un point de vue historique, le "thiébou dieune" est considéré comme "une réponse à la résilience, un exemple à prendre en compte dans ce contexte actuel où le monde est confronté à la pandémie du coronavirus".
"Ce n’est pas une recette coloniale comme le pensent certains, c’est nous qui avons inventé cette recette de thiébou dieune à partir d’un riz imposé", précise Abdoul Aziz Guissé.
"Le colon a voulu imposer le riz en l’important de ses autres colonies comme l’Indochine et nous imposer la culture de l’arachide comme culture de rente’’, afin "qu’on laisse tomber les cultures vivrières au profit du riz".
"Les gens ont travaillé dans la résilience à faire des recettes avec ce riz. On s’y est adapté et on a créé quelque chose avec ce riz qui va aller au patrimoine mondial, c’est important", poursuit M. Guissé.
Selon lui, le riz "Siam", pakistanais ou thaïlandais a été certes imposé dans le cadre colonial, mais "aujourd’hui on tend vers l’autosuffisance alimentaire en riz. "C’est une bonne chose parce que si on n’avait pas le thiébou dieune, on n’allait pas penser à avoir une autosuffisance en riz", souligne la direction du patrimoine culturel.
Le "thiébou dieune" est originaire de Nguet Ndar, un quartier traditionnel de Saint-Louis où une dame du nom de Penda Mbaye en avait inventé la recette dans une situation de résilience coloniale.
"A l’époque, la résilience était de survivre face à la colonisation, face aux cultures imposées, de trouver les ressources à la fois endogènes, locales et créatives pour pouvoir rester nous-mêmes malgré la colonisation", résume Abdoul Aziz Guissé.
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LES DERNIERS TIRAILLEURS
Sans eux, il n'y aurait eu ni Bir Hakeim, ni la Marne, ni la conquête de l'île d'Elbe, ni la prise de Toulon. Précieux témoignages des derniers tirailleurs africains et de leur rôle dans l'histoire de France
D'un effectif de 15 000 personnes, en 1914, ils étaient déjà 200 000 personnes et ne venaient plus seulement du Sénégal mais de toutes les nations africaines dépendant alors de l'Empire français. Ces tirailleurs ont été de tous les combats, des tranchées de 14-18 au débarquement de Provence en passant par les rizières d'Indochine et les montagnes d'Algérie.
Ils ont servi l'armée française dans ses pages les plus glorieuses : la libération de Toulon, le débarquement de Provence. Mais aussi dans des moments plus sombres, comme la répression du soulèvement du Constantinois en Algérie en mai 1945 ou la répression à Madagascar en 1947.
Ils se firent particulièrement remarquer à la prise du fort de Douaumont, en 1916. Trente mille d'entre eux moururent au champ d'honneur. En 1939, 140 000 furent engagés dans la bataille et 24 000 furent faits prisonniers ou tués. Sans eux, il n'y aurait eu ni Bir Hakeim, ni la Marne, ni la conquête de l'île d'Elbe, ni la prise de Toulon.
DES PROPOSITIONS POUR LA RELANCE DE L'ACTIVITE CULTURELLE
Les acteurs de la culture ont fait aux autorités des ‘’propositions pertinentes’’, dont la diversification des mécanismes de financement de leur secteur d’activité, en vue de la relance des activités culturelles sur le territoire national.
Dakar, 2 oct (APS) – Les acteurs de la culture ont fait aux autorités des ‘’propositions pertinentes’’, dont la diversification des mécanismes de financement de leur secteur d’activité, en vue de la relance des activités culturelles sur le territoire national, a-t-on appris vendredi du ministère de tutelle.
Les propositions ont été faites lors d’un atelier qui a duré trois jours, en présence du secrétaire général du ministère de la Culture et de la Communication, Habib Léon Ndiaye. Elles concernent les sous-secteurs de la culture et des arts et doivent servir au redressement durable d’un secteur fortement éprouvé par la pandémie de Covid-19.
‘’Nous avons pu recueillir (…) une masse critique de propositions favorables à des réformes structurantes, qui permettront de mettre le secteur sur la rampe de lancement, notamment la diversification et l’amélioration des mécanismes de financement de la culture’’, a souligné Lamine Sarr, le facilitateur de l’atelier.
La création d’une ‘’banque culturelle’’ est l’une des propositions qui ont été faites.
‘’Le secteur bancaire traditionnel est très frileux quand il s’agit de financer la culture, parce qu’il pense qu’elle n’est pas rentable. Mais c’est une question d’organisation. Les 350.000, voire 400.000 acteurs du secteur peuvent s’organiser et mettre en place (…) une structure financière chargée de financer la culture’’, a rapporté M. Sarr, un ancien fonctionnaire du ministère de la Culture et de la Communication.
Le président de l’Association des acteurs de l’industrie musicale (AIM), Zeynoul Sow, estime qu’il faut ‘’alimenter cette banque par des financements innovants’’. Une proposition à laquelle adhèrent les professionnels du conte, du théâtre, du cinéma et de l’audiovisuel créatif.
Ils appellent à ‘’renforcer et diversifier les sources de financement en rendant effectifs la redevance sur la copie privée, les prélèvements de taxes sur la publicité, les sociétés de téléphonie mobile, les plateformes numériques, le mécénat, les futurs rentes pétrolières, etc.’’
Les acteurs de la musique ont demandé, pour leur part, l’annulation des taxes municipales, pour que les entreprises culturelles puissent redémarrer leurs activités. Ils ont également souhaité qu’une aide financière soit fournie aux organisateurs de spectacles.
Les danseurs ont fait 14 recommandations, dont la mise en place d’un fonds dédié à leur sous-secteur et le renforcement des droits de propriété intellectuelle des professionnels de la danse.
D’autres propositions sont relatives à la formation des acteurs culturels, à leur prise en charge sociale et aux réformes législatives et règlementaires du monde culturel.
Sur le plan institutionnel, l’adoption de la loi sur le statut de l’artiste, la réforme de la loi sur le cinéma et la construction d’infrastructures culturelles dans toutes les régions font partie de la panoplie de propositions.
Habib Léon Ndiaye assure les acteurs culturels qu’‘’aucun sous-secteur de la culture ne sera marginalisé’’ lors de la mise en œuvre du plan de relance. ‘’Tous les enjeux liés à une bonne relance du secteur culturel ont été passés en revue’’, s’est-il réjoui.
PODOR, UNE VILLE COSMOPOLITE
Des habitations pittoresques témoins d’un envahissement colonial, une population issue de toutes les ethnies du Sénégal, des vestiges d’un passé millénaire. Cette localité située dans le Fuuta est, à elle-seule, une bibliographie
Elhadji Ibrahima Thiam et Oumar Ba, Pape Seydi |
Publication 01/10/2020
C’est un jour de canicule. Une de ces journées où le soleil refuse d’abdiquer. Il rayonne, irradie, impose sa loi. Il fait chaud. Cependant, la nature, verdoyante, a repris ses droits. La période sèche n’est plus qu’un vieux souvenir. Le ciel a suffisamment ouvert ses vannes, au grand bonheur des paysans occupés aux travaux champêtres. Partout pousse une herbe tendre dont profitent comme jamais des troupeaux de vaches et de moutons paissant en bordure des enfilades de points qui jalonnent le tracé vers Podor.
Après des heures de périples, le Dandé Mayo est à vue. Podor dévoile ses charmes. Une ville, tout ce qu’il y a de calme, de «coquette». Elle serait la première localité du Fuuta occupée par des colons. La ville conserve encore aujourd’hui le pittoresque et le charme des vestiges de l’architecture de ce passé. Certaines maisons, autrefois occupées par de riches et influents commerçants, font encore partie intégrante du décor. Elles sont bâties à partir de briques rouges jointes à la chaux naturelle. Les toitures sont couvertes de tuiles de terres cuites. Le principe architectural est conforme et homogène : rez-de-chaussée puis étage.
A côté de ces rares maisons reflétant le vestige d’un passé colonial, se dévoilent, en majorité, d’autres habitats, avec une architecture purement sénégalaise. Quelques très rares demeures sont en banco sur fond de briques de terre séchée. Des ruelles étroites s’entrelacent le long des quartiers. Sur le bord du fleuve, se dégage une bonne humidité. Des enfants nagent avec joie et bonheur. Des maisons aux noms évocateurs d’un passé colonial s’alignent du côté de la rive. Près du quai «Boubou Sall» est stationné un zodiac de la Police nationale des frontières et un autre des services de la Douane.
Sur les portails des demeures attenantes, des noms évocateurs se dévoilent : Prom, Maurel, Teisseire, Singer, entre autres. Ces habitations viennent témoigner de l’effervescence du commerce qui, autrefois, prévalait, dans cette localité. Certains de ces anciens comptoirs commerciaux ont été restaurés et servent aujourd’hui de maisons d’hôtes. «Le quai de Podor était naguère le centre des affaires du Sénégal. Pas moins de quatre grands bateaux accostaient quotidiennement ici. C’était le lieu de commerce et de transport des marchandises», souligne l’ancien conservateur du Fort de Podor, Abdourahmane Niang.
Comme le dit l’adage, la main d’œuvre va là où se trouve le travail. Voilà ce qui, en partie, explique le volet cosmopolite de la localité. «Chaque jour, de nombreux bateaux déchargeaient, dans des maisons alors prospères, des marchandises venues d’Europe, avant d’embarquer des produits locaux», affirme le patriarche. A la recherche de travail, tout ce que le Sénégal comptait de communautés se donnait rendez-vous à Podor. Certains sont restés et ont fondé des familles. Leurs descendants sont devenus «podorois».
Le fort, un des symboles du passage colonial
Le Fort de Podor fait incontestablement partie des monuments historiques de ce terroir niché au cœur de l’ancienne province du Tooro. La construction tient sur trois bâtisses totalement réfectionnées. Ce fort est un ensemble de fortifications disposé de manière cohérente. «Il a joué un rôle prépondérant dans l’établissement des Français sur le fleuve et même au-delà», souligne le patriarche Abdourahmane Niang. Le fort serait désuet, pillé ou même squatté, n’eut été la détermination de M. Niang et de son ami Ibrahima Sy, tous deux originaires du terroir. Soucieux de son maintien, au vu notamment de son poids symbolique dans l’histoire du Sénégal, ils ont volontairement pris l’initiative d’en être les dépositaires. Ils en assurèrent la surveillance et l’entretien. D’ailleurs, sur indication de M. Niang, nous avons trouvé Ibrahima Sy sur place. Ibrahima est un charmant vieux. Lunettes de soleil bien vissées, il est l’incarnation de la sociabilité. Très disponible, malgré le poids de l’âge, à peine avons-nous franchi le portail qu’on le voit debout et disposé à être utile. «Le fort a été abandonné par l’armée française à l’indépendance. Il a ensuite été occupé par l’armée sénégalaise jusqu’en 1984, puis par la gendarmerie jusqu’en 1997», indique-t-il. Aujourd’hui, le lieu est devenu un patrimoine historique classé, donc sous la tutelle des services du ministère de la Culture. Bien qu’inhabité, le fort a été totalement réfectionné. Il est aujourd’hui la symbiose des vestiges du passé sur fond de travaux modernes.
Dans la cour de l’école élémentaire Amath Ba, un groupe de «Podorois» sirotent le thé sous l’ombrage des arbres. Ils se chahutent et rient dans une ambiance bon enfant. Toutes les tranches d’âge sont représentées, les ethnies de la localité aussi. Cette rencontre synthétise, à elle seule, le volet purement cosmopolite de la ville de Podor. Ici, autour de la théière, se côtoient un Sarakholé, un Maure, un Wolof, un Bambara, un Sérère, un Peulh et un Toucouleur. «C’est le Podor en miniature que vous avez là», témoigne Balla Mamadou Fall, instituteur. «Du temps de l’épopée manding, l’empereur du Songhaï avait envoyé une mission dirigée par le Général Daouda Boubacar Sy, pour islamiser toute la côte ouest. Arrivé à Podor, Boubacar Sy crée un premier village nommé ‘’Souima’’. Il traverse le fleuve et crée un autre village ‘’Saré Thiofi’’», relate Abdourahmane Niang, pour expliquer la création de Podor. Selon le patriarche, les habitants de Saré Thiofi, constatant que l’endroit qu’ils avaient choisi n’était pas propice à l’habitation, sont partis consulter un Peulh du nom de Diao Dalié. Ils se sont scindés en deux groupes. Le premier groupe s’est installé à Souima et le deuxième est parti à Thioumbé. Le devin leur avait clairement prédit que ceux qui allaient habiter à Souima seront des érudits en Islam, des saints et de grands hommes. Les résidents à Thioffi seront des agriculteurs, des hommes riches en mil et en bétail. Sa prédiction s’est avérée exacte. Aujourd’hui, Souima et Saré Thiofi sont les deux plus vieux quartiers de Podor. Avec le temps, d’autres quartiers ont vu le jour, comme Biir Podor, Mbodiène, Lao Demba, Sinthian et Khar Yallah.
Des vestiges d’habitation sérère
Sur la route qui mène à Ngawlé, un site préhistorique a été mis à jour par des fouilles archéologiques en 1958, indique Ibrahima Sy. Il s’agit d’un ancien cimetière appelé «ndangao», du nom de la mare qui le borde. Les lieux renferment des restes de poteries appelés «hulwag» ainsi que des vestiges de sépultures orientés vers l’Est et des monticules dirigées vers le Sud. Cette configuration résume la mythologie grecque et égyptienne. Ces sépulcres sont attribués aux ancêtres sérères. «Pour nous Pulaar, le mot ‘’ndangao’’ n’a aucune signification. C’est un mot à consonance sérère. Au Fuuta, nous avons recensé, de Podor à Matam, 160 sites qui avaient été autrefois habités par des Sérères. Toutes les mares des alentours portent également des noms à consonance sérère : Boloug, Kathié, Ngaar, Bouéla, Kebou, Thiofaye», raconte Abdourahmane Niang. Selon lui, les Sérères sont arrivés avec le mouvement d’Egypte, à l’origine de la traversée du Sahara ; en allant vers l’Ouest, ils se sont arrêtés sur le Fleuve. La configuration de Podor viendrait conforter cette thèse. «Quand vous quittez Podor pour aller à Thilé Boubacar, Dimat, Thiangaye, Fanaye…, toutes ces appellations sont à consonance sérère. Les Sénégalais pensent que le cousinage entre Sérère et Pulaar est né au Sénégal. En réalité, c’est pendant leur pérégrination. Ils sont en fait venus ensemble d’Egypte. Au cours de cette traversée, la communauté sérère riait des maladresses des Pulaars et vice versa», note le notable Niang. Qu’est-ce qui explique le déplacement des Sérères du Fuuta vers l’intérieur du Sénégal ? D’après, les Sérères ont quitté le Fuuta à cause de l’islam. La religion islamique est entrée au Sénégal à travers cette zone vers 1040, soit quatre siècles après la disparition du prophète Mohammed (Psl). Elle est également restée confinée dans le Fuuta, quatre siècles durant, avant de se répandre dans les autres contrées du Sénégal, renseigne-t-il.
A la tombée de la nuit, cette cité aux mille facettes offre une quiétude des plus apaisantes. Pourtant, dans le temps, elle a traversé plusieurs séquences. Pour l’heure, Podor la ville aux mille et une histoires dort sous ses lauriers, en attendant, peut-être, d’ouvrir, dans quelques années, de nouvelles pages de son enrichissante histoire.
MUSÉE DES CIVILISATIONS NOIRES, UN PANAFRICANISME REVENDIQUÉ
Élu par le magazine Time comme l'un des 100 lieux phares à voir dans le monde, le Musée des civilisations noires mise sur un art transafricain contemporain pour mettre en lumière le pluralisme du continent. Un défi inédit devenu réalité en 2018
Élu par le magazine Time comme l'un des 100 lieux phares à voir dans le monde, le jeune Musée des civilisations noires de Dakar mise sur un art transafricain contemporain pour mettre en lumière le pluralisme du continent. Un défi inédit devenu réalité en 2018 grâce au soutien financier de la Chine.
Au cœur de la capitale sénégalaise, la structure du MCN évoque une petite case ronde très commune en Afrique, mais ici de 14 000 mètres carrés sur quatre étages. Le Musée des civilisations noires de Dakar - momentanément fermé en raison de la Covid-19 - se veut le symbole d'une volonté commune de différents pays du continent africain de s'unir afin de montrer la diversité de leurs traditions culturelles et de leurs artistes contemporains. Un projet global panafricain qui remonte aux années 60, finalement permis par l'aide financière de la Chine, et qui aboutit au moment même d'un débat sans précédent en France sur la restitution des biens culturels africains.
Une idée portée dès 1966 par Léopold Sédar Senghor
Suite aux indépendances successives des anciennes colonies du continent, plusieurs voix ont émergé avec la volonté de lancer un projet qui réunisse tous les pays d’Afrique. Il s'agissait de rassembler tous ces peuples autour d’un but commun pour qu’ils puissent s’affirmer sur la scène internationale, en excluant les restes de colonialisme européen.
L’idée d’un musée comme clé de voûte de cet objectif est évoquée en septembre 1956 au premier Congrès des écrivains et artistes noirs, à la Sorbonne. Elle est ensuite proposée en 1966 à Dakar lors du premier Festival mondial des arts nègres par Léopold Sédar Senghor, intellectuel et président du Sénégal de 1960 à 1980. Il souhaite mettre en œuvre ce projet culturel africain au Sénégal même, provoquant dès lors de vives critiques parmi les représentants du mouvement panafricain.
Historien, spécialiste de l’Afrique et du panafricanisme, Amzat Boukari-Yabara revient sur ce mouvement "qui s'inscrit dans une histoire, dans des résistances menées par des esclaves déportés dans les Amériques, donc à partir du XVIe, XVIIe siècle. À travers des résistances culturelles, militaires, politiques, sociales et qui s'est cristallisé au XIXe siècle au moment des abolitions". Cette conception politique qui encourage l'autonomie du continent africain et la solidarité entre ses citoyens sera par ailleurs revisitée à l'aube des indépendances africaines dans les années 50 et 60. Ce projet muséal panafricain souhaite ainsi s'inscrire dans ce mouvement en mettant en avant des objets forts d’affirmations culturelles.
Après un long silence des instances politiques, l’idée ressurgit dans les années 2000 par le biais de plusieurs intellectuels et du Président sénégalais Abdoulaye Wade. Cependant, pendant de nombreuses années les difficultés et les doutes s'accumulent. Malgré une volonté première de construire par leurs propres moyens un projet exclusif au continent, le musée ne pourra voir le jour que bien des années plus tard grâce au financement des infrastructures par la Chine. La première pierre de ce futur musée est posée en 2003 alors même qu’il n’a pas encore été décidé "ce que sera le musée" : sa place dans le paysage muséal, ses missions, les outils à mettre en place, les stratégies et mécanismes pour mener des activités, etc.
Fin juillet 2016 a alors lieu une Conférence Internationale de Préfiguration du Musée des civilisations noires. Plusieurs acteurs et historiens sénégalais se réunissent, dont l’actuel directeur général du lieu, le professeur Hamady Bocoum, afin de déterminer les missions et les visées de ce projet culturel.
Deux objectifs émergent alors :
Réaliser un musée non-ethnographique, c'est-à-dire non consacré uniquement aux arts premiers, et non-commémoratif du passé d’esclaves des populations du continent. L'idée est de mettre en lumière d’autres aspects méconnus de l’Afrique, pour que le musée devienne un "outil de développement scientifique, culturel, économique et social couplant technologie et respect des arts et cultures africaines".
Montrer la vitalité de l’ensemble du continent africain à travers "des cultures et civilisations des mondes noirs". Cette réappropriation de son histoire culturelle passe par la mise en place de logiques et politiques muséales propres au continent africain, tel un musée qui soit aussi un centre culturel avec des espaces d’échanges et de créations.
Le Musée des civilisations noires est finalement inauguré à Dakar le 6 décembre 2018 par le Président du Sénégal, Macky Sall, en présence de nombreux officiels et représentants des pays africains. Plus de 500 œuvres d’art sont ainsi présentées dans ce nouveau lieu de culture. Pour le dirigeant Macky Sall, alors en campagne pour un deuxième mandat à la tête du pays, ce projet culturel fait "resurgir en nous les précurseurs du panafricanisme et de l'identité africaine".
Un financement chinois déterminant
Cet événement pour l'Afrique de l'Ouest n'aurait pu aboutir sans la Chine. Elle a doté le musée d’un financement conséquent en investissant l'équivalent de 35 millions d’euros pour la totalité de sa construction et pour de nombreux équipements culturels. Un investissement croissant dans la sphère culturelle du Sénégal pour la République populaire de Chine qui avait auparavant financé le Grand Théâtre national en 2011 et construit le plus grand stade du Sénégal dans les années 80.
Le 10 janvier 2014, en amont d'une visite sur le chantier du Musée des civilisations noires de Dakar et dans le cadre d'une grande tournée africaine, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, avait affirmé que son pays "serait toujours un champion" des causes africaines. Lors de l’inauguration du musée en décembre 2018, c’est le ministre chinois de la Culture, Luo Shugang, qui vint spécialement de Pékin pour assister à l'événement. Il déclara que cette réalisation de grande envergure était le symbole "de l'amitié et de la solidarité des peuples chinois et sénégalais". Le MCN est par la suite devenu l’emblème du partenariat Sino-Sénégalais pour Dakar et Beijing qui revendiquent des relations politiques, commerciales ou sportives au beau fixe, bien que sa construction fit pourtant l'objet de dissonances entres les équipes des deux pays.
LE TOURNOI DE LUTTE SANS FRAPPE, PASSAGE OBLIGÉ POUR FUTUR CHAMPION
Le « mbapath » est au jeune lutteur ce que le CE (Cours élémentaire) représente pour le jeune apprenant. Il ne peut se soustraire aux contraintes et dures réalités de cet apprentissage qui lui permet de s’aguerrir
Le « mbapath » est au jeune lutteur ce que le CE (Cours élémentaire) représente pour le jeune apprenant. Il ne peut se soustraire aux contraintes et dures réalités de cet apprentissage qui lui permet de s’aguerrir, affûter ses armes au plan technique et de l’endurance au contact de lutteurs qui, comme lui, rêvent de gloire et d’ascension sociale. Pour peu qu’il fasse preuve d’assiduité, de pugnacité et de rigueur durant ce « bizutage », il peut s’ouvrir les portes de l’arène. Toutes les icônes et autres « têtes couronnées » de l‘arène ont fait des piges studieuses dans les « mbapath » avant de franchir le rubicond.
Le « Mbapath » est un tournoi nocturne de lutte simple. Le site d’accueil est souvent un terrain vague que les organisateurs, assistés de bonnes volontés, nettoient pour en extraire tout objet susceptible de constituer un danger pour les acteurs et les spectateurs. Il est organisé le soir, après le dîner sous la lumière de lampes électriques en ville ou au clair de lune en campagne. L’organisateur, habituellement un ancien champion de lutte ou des associations sportives et culturelles, en assure la sécurité en s’attachant les services de volontaires. Le plus souvent, ce sont les jeunes du quartier qui s’acquittent de cette tâche, sans bourse délier. La mise est souvent constituée de sacs de riz et d’espèces sonnantes. Dans les villages, les têtes de bœuf servent de trophées. En pays sérère, on l’assimile aux tournois de lutte traditionnelle disputés après la période de récolte. Les principaux acteurs en sont les jeunes agriculteurs, pasteurs ou pêcheurs, selon la zone, qui sillonnent les villages à la quête de ces séances de lutte dont les mises sont constituées de têtes de bœuf, matériel électro-ménager ou de construction, et espèces sonnantes et trébuchantes.
Si on rate le Cours élémentaire qu’est le «mbapats»), inutile de tenter l’aventure dans l’arène…
Ambroise Sarr, l’entraîneur national des « Lions » de la lutte, un pur produit des « mbapath » ouvre sa page d’histoire, avec beaucoup de nostalgie. « J’ai sillonné tout l’arrondissement de Fimela (département de Fatick) pour me produire dans des « mbapats ». Ces tournois constituent le fondement pour tout lutteur qui aspire à se faire une place au soleil. C’est un passage obligé pour tout jeune lutteur qui rêve de gloire dans la discipline. C’est à partir des « mbapath » que l’on se taille des habits de champion, grâce à un bagage technique indéniable que l’on acquiert au contact des autres durant ces tournois de lutte. Ils sont indispensables pour les jeunes lutteurs et à tous points de vue. Point n’est besoin de se faire d’illusion. Si on rate le Cours élémentaire qu’est le « mbapats »), inutile de tenter l’aventure dans l’arène, elle va tourner court. Le mbapat constitue une véritable école de formation où tout se construit et se façonne. Dans mes pérégrinations, j’ai remporté beaucoup de têtes de bétail. J’ai battu des champions de légende comme Doudou Gangako, entre autres, au cours de mes randonnés à travers les contrées du Sine et des Iles du Saloum». La descente de l’entraîneur national à Dakar coïncide avec l’âge d’or du « mbapath » érigé en passion par nombre d’amateurs dont l’amour fou pour la lutte les transportaient souvent dans la banlieue dakaroise et notamment à Pikine, Thiaroye, Pikine, Rufisque, Bargny et même hors de la région du Cap-Vert pour les plus mordus. Quid de ses prestations à Dakar ? Ambroise Sarr ouvre son album- souvenirs. « Dans la capitale, j’ai croisé le fer» avec la génération des Toubabou Diour, Lamine Cissé, Pathé Diop et un des oncles de Mame Gorgui Ndiaye. », déclare-t-il. Et de lancer le message suivant : « J’exhorte les jeunes lutteurs à se produire dans les mbapath ». Ils en tireront un bénéfice énorme. Il ne sert à rien d’inverser la tendance. La priorité est d’apprendre d’abord à lutter en fréquentant les tournois de lutte sans frappe avant d’aller à l’assaut de la lutte avec frappe.
Nombre de jeunes présentent des lacunes au plan technique. La raison est tout simple. Ils n’ont pas fait leurs classes dans les mbapatsh », déclare l’entraîneur national. Cette complainte de Ambroise Sarr trouve un écho favorable auprès des habitants du populeux quartier Grand-Dakar connu pour son célèbre « mbapath » organisé par l’ancienne gloire Aliou Camara di Boy Bambara. «Le mbapath de Boy Bambara était très couru à l’époque. Il a révélé les « cadres » de l’écurie Fass et des lutteurs comme Manga 2, Mbita Ndiaye « managé » alors par Mame Gorgui Ndiaye. Cette séance nocturne de lutte simple était le plus grand et le plus attrayant. Tous les lutteurs s’y produisaient sans aucune frayeur. Il était suivi par les amateurs de Grand-Dakar, de Niary Taly, de Bène Tally et des quartiers environnants. J’ai vécu dans cette ambiance particulière dès ma tendre enfance, à l’âge de douze ans. L’ambiance de ce « mbapath » était particulière. Voilà qui explique sa grande audience et sa célébrité », se souvient avec un brin de nostalgie l’un d’entre eux, véritable féru de lutte simple, rencontré dans une des ruelles du quartier.
« De nombreux grands champions ont été piqués par le virus au contact du « mbapath »
Le « mbapath » est riche de son histoire écrite en lettes d’or et nombre de ses acteurs sont aujourd’hui devenus des anciennes gloires qui, après une brillante carrière dans l’arène, se consacrent à la formation des jeunes dans les écuries et écoles de lutte qu’ils ont créées et dont ils assurent la direction technique. Ils doivent cette aura à leur passage par les « mbapath » qu’ils ont marqués. «Cela me fait de la peine en voyant certains jeunes lutteurs évoluer comme le feraient de véritables nains au plan technique. Ceux-là n’ont pas fréquenté les « mbapath ». La lutte est faite de techniques dont l’ignorance ou la non maîtrise constitue un handicap majeur, voire un frein pour tout jeune lutteur qui aspire à devenir un champion. Quand on peine à faire du « rassou », du « rignaane » ou du « sol bou deguër » inutile de tenter l’aventure dans l’arène. Elle sera éphémère.», se désole notre interlocuteur De nombreux grands champions ont été piqués par le virus au contact du « mbapath » alors qu’ils étaient venus en simple spectateurs. Poussés par des amis ou insensibles à l’appel du tam-tam, ils ont pris goût à la chose et se sont laissé entraîner par cette force mystérieuse qu’est la passion et cette curiosité positive de découvrir une discipline vite érigée en religion. Les mbapaths étaient le plus souvent organisés par des lutteurs à l’image de celui de Grand-Dakar dont le maître d’œuvre était Boy Bambara. A la Médina, feu Riche Niang et Youssou Diène ont assuré ce rôle, ainsi que feu Pape Kane et Gora, respectivement à Thiaroye et Yarakh.
A Pikine, ce sont les associations qui se cotisaient pour organiser des mbapats. Fass n’a pas été en reste. Fort de son armada de valeureux « guerriers » qu’ont été les Mame Gorgui Ndiaye, Mbaye Guèye, Assurance Diop, entre autres icônes, le légendaire quartier a souvent vibré au rythme des « mbapath », sous la férule des deux premiers nommés. S’il est un point sur lequel mon interlocuteur a insisté, c’est celui de la violence que l’on vit de nos jours dans l’arène. «Les acteurs et amateurs de cette époque s’interdisaient un tel écart de comportement et de langage. Je prends l’exemple des mbapath de Pkline où on retrouvait des lutteurs venus de Fass, de Thiaroye, de Yoff, et de tous les quartiers de Dakar. Le temps de la compétition, ils cohabitaient sans aucune animosité, même au plus fort des confrontations où la détermination, l’engagement physique et l’envie de vaincre avaient droit de cité. Pas de geste déplacé et encore moins d’acte hostile à même de provoquer des heurts comme on le note actuellement. Ces lutteurs étaient de vrais gentlemen doublés de grands techniciens. Malheureusement, cette espèce se raréfie de plus en plus, au grand dam de la lutte qui pleure toujours ses orfèvres», reconnait-il avec désolation.
TRANCHE D’HISTOIRE : Le «mbapath» de la réconciliation
A Fass, Mbaye Guèye et Mame Gogui ont joué ce rôle, mais sur fond de concurrence au point de provoquer une brouille entre eux. On a encore en mémoire les divergences qui avaient quelque peu détérioré les relations entre ces deux monstres sacrés de l’arène. Ils ont été réconciliés par El Hadj Mansour Mbaye au cours d’un mbapath. L’on raconte qu’une nuit, Mbaye Guèye et Mame Gorgui avaient organisé chacun un mbapath dans leur fief, au plus fort de leur mésentente. Cela a eu le don d’embarrasser les habitants du quartier et les amateurs qui ne savaient plus où donner de la tête. Informé de cette fâcheuse situation, El Hadj Mansour Mbaye a saisi cette opportunité pour réconcilier les deux frères. En quoi faisant ? Il est allé avoir le plus jeune, Mbaye Guèye en l’occurrence, et lui a intimé l’ordre de mettre un terme à son mbapath et qu’ensemble avec tous les amateurs présents, qu’ils aillent à celui de Mame Gorgui. Le 1er « Tigre » de Fass s’exécuta aussitôt et El Hadj Mansour de conduire la manœuvre. A un moment donné, les spectateurs qui suivaient le mbapat de Mame Gorgui ont vu déferler vers eux une foule composée d’amateurs avec à leur tête Mbaye Guèye et El Hadj Mansour Mbyae. Il revenait au plus jeune de faire le premier pas. Mbaye Guèye l’a fait en se pliant à la volonté de El Hadj Mansour Mbaye. Cet acte de grandeur a mis un terme à la brouille au grand soulagement des habitants du quartier Fass
RESTITUTIONS D'OEUVRES D'ARTS, UN NID À POLÉMIQUES ET UN DOSSIER QUI S'ENLISE
Le retour des objets volés pendant la colonisation en Afrique et exposés dans les musées français se heurte à de nombreuses difficultés et reste minime
Trois ans après le discours à Ouagadougou d’Emmanuel Macron, qui souhaitait à la jeunesse africaine d’avoir accès à son patrimoine, la restitution des objets d’art volés pendant la colonisation en Afrique et exposés dans les musées français se heurte à de nombreuses difficultés et reste minime.
Le rapport des universitaires Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, remis en novembre 2018, appelait à de vastes restitutions des œuvres arrivées en France pendant l’époque coloniale. Mais aujourd’hui, seul un sabre – un objet européen – a été rétrocédé au Sénégal et vingt-six objets le seront d’ici à un an au Bénin.
Ces totems et sceptres, pillés lors de la mise à sac du palais d’Abomey par les troupes coloniales en 1892, restent au Musée du quai Branly tant qu’un musée au Bénin n’est pas prêt pour les accueillir.
Une loi, permettant des dérogations au principe d’« inaliénabilité » des œuvres dans les collections publiques, a permis ces transferts, parce qu’ils avaient fait l’objet de pillages caractérisés.
Le rapport Sarr-Savoy dressait un calendrier de restitutions et un inventaire des dizaines de milliers d’objets que les colons ont ramené d’Afrique. Il proposait un changement du code du patrimoine pour faciliter leur retour quand les Etats africains en feraient la demande.
Dans les limbes
Mais à part quelques pays menés par le Bénin, la mobilisation des gouvernements africains sur les restitutions reste faible. Dans plusieurs pays, les priorités sont autres que les objets d’art pour lesquels les équipements manquent, selon une source proche du dossier.
Quant au projet d’Emmanuel Macron d’une rencontre entre partenaires européens (Belgique, Royaume-Uni, Allemagne principalement) et africains pour définir une « politique d’échanges », il semble être tombé dans les limbes.
Au moins 90 000 objets d’art d’Afrique subsaharienne sont dans les collections publiques françaises. Quelque 70 000 d’entre eux au Quai Branly, dont 46 000 arrivés durant la période coloniale.
Dynastie régnante du Fuuta de 1512 à 1776, les Deniyankés avaient fait d’Orkadiéré, situé à 60 km de Matam, sur la route de Bakel, leur fief. Deux stèles, l’une sur la place publique du village, l’autre à l’arrière-village, rappellent cet épisode
Elhadji Ibrahima Thiam et Oumar Ba, Pape Seydi |
Publication 29/09/2020
L’endroit est bucolique, colonisé par les hautes herbes qui font le bonheur d’une horde de chevaux et d’un troupeau de vaches. Pas la moindre trace d’un humain et pourtant, ici, le sol semble fertile. Le bon hivernage aidant, on se dit qu’il aurait suffi de semer pour que la terre donne ce qu’elle a de meilleur. Pour un «étranger», la question se pose, mais pour un habitant d’Orkadiéré, non. La charge symbolique de ce lieu et tous les préjugés qu’il charrie ne le prédisposent ni à la mise en valeur ni à l’habitat. Cet endroit sanctifié, les habitants d’Orkadiéré l’appellent «Toulndé Soulèye Ndiaye». En pulaar, «toulndé» veut dire «zone élevée» et Soulèye Ndiaye, c’est Soulèye Ndiaye 1er, un des derniers rois Deniyankés appelés Satigi. Il est resté célèbre pour avoir tenté de tenir tête à Thierno Souleymane Baal lorsque ce dernier a lancé le mouvement qui allait aboutir à la révolution Toroodo de 1776.
C’est ici donc que vivaient Soulèye Ndiaye et sa cour royale, entourés des redoutables «sebbes koliyaabés», du nom de ces guerriers qui formaient l’essentiel de l’effectif de l’armée Deniyanké. Se distinguant par la pratique d’une «islam tiède», cette dynastie était plus portée sur le paganisme. Les pratiques païennes auxquelles les Satigis s’adonnaient en ces lieux justifient donc la méfiance des habitants d’Orkadiéré à les occuper. Question de superstition, précise Issa Demba Niang, adjoint du chef de village. «Plus de deux siècles après, les gens ont la conviction que des esprits maléfiques peuplent cet endroit à cause des rites païens qui s’y déroulaient. C’est pourquoi vous ne verrez jamais les populations cultiver dans les parages. Quant à y habiter, elles n’y pensent même pas», indique le vieil homme. L’adjoint au chef de village tente de nous montrer des trous dans le sol, mais avec la broussaille fournie, difficile de les percevoir à l’œil nu. Tout comme les restes du puits «Karang Koulé». Selon lui, ces cavités qui ceinturent le puits auraient été creusées par les ruades des chevaux de l’armée Deniyanké. «Ces chevaux qui étaient attachés près du puits n’étaient pas ordinaires. Ils avaient la particularité de deviner, à la veille d’une campagne militaire, si leur jockey allait revenir sain et sauf ou serait tué sur le champ de bataille. On pouvait le savoir dans leur manière de ruer autour du puits», explique Issa Demba Niang.
Bien que les Orkadiérois «fuient» cet endroit, il n’en demeure pas moins que cette partie de l’histoire de leur localité, ils l’assument non sans fierté. «C’est notre histoire, nous ne la renierons jamais. Nous en sommes même fiers», martèle Ndiogou Saly Seck, fils du célèbre feu Farba Saly Seck, qui animait une émission sur l’histoire du Fuuta sur la 2STv. Ce devoir de mémoire assumé justifie la construction, sur l’ancien emplacement de la demeure royale, d’une stèle. Mais, mieux, ils en ont construit une autre, plus imposante, cette fois-ci sur la place publique du village. Ce monument, en forme d’obélisque d’une hauteur de trois mètres, est surmonté d’une statuette représentant un guerrier «sebbe koliyaabé» sur un cheval cabré. «Cette stèle a été construite en 1994. Le choix du lieu n’est pas fortuit, c’est ici que se déroulent tous les grands évènements du village. Elle nous rappelle notre fibre ‘ceddo’ et guerrier derrière notre statut de musulman», ajoute Ndiogou Saly Seck.
Non loin de cette place publique, un point d’eau coupe le village en deux. Il s’agit du « wendu Birame Bidji», la «mare de Birame Bidji». Dans l’histoire d’Orkadiéré en tant que capitale des Deniyankés, ce lieu est porteur de sens. «A l’époque, c’était un terrain vague, sablonneux. A la veille de chaque bataille, les «sebbes koliyaabés» se réunissaient ici et chacun faisait le serment de tuer un certain nombre d’ennemis quitte à se laisser mourir si la promesse n’est pas tenue», confie Salif Sall, un notable. «On appelait ces joutes oratoires ‘’lengui’’, les cantatrices et les musiciens y jouaient un rôle important en galvanisant les soldats», ajoute Ndiogou Saly Seck.
La rencontre mémorable entre Thierno Souleymane Baal et Soulèye Ndiaye 1er
Fief des Deniyankés, les historiens s’accordent à dire que c’est à Orkadiéré que s’est jouée la scène qui allait affaiblir, puis mettre fin à la dynastie fondée par Koli Tenguela deux siècles et demi plus tôt. En effet, selon le Pr Mamadou Youry Sall de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Thierno Souleymane Baal, après s’être fait un nom un peu partout à travers le Fuuta par ses prêches contre les razzias maures, le «moudou horma» (impôt prélevé sur les populations du Fuuta par les Maures), l’esclavage et contre l’incapacité des Satigis à assurer la sécurité des Fuutankobés, le futur leader de ce qui deviendra donc la révolution Toroodo est venu s’installer à Orkadiéré où il avait des partisans. Cet acte inquiéta le souverain Souleye Ndiaye 1er qui lui ordonna de quitter la ville. Thierno Souleymane Baal obtempéra et rejoignit Nguidjilone. Mais, il reviendra plus tard à Orkadiéré et on l’amena devant le Satigi qui le reçut, entouré de sa garde rapprochée que constituaient les «sebbes koliyaabés».
Devant cette assemblée, Thierno Souleymane Baal tint un discours qui fera se retourner les «sebbes koliyaabés» contre leur souverain. «Thierno Souleymane Baal a dit au Satigi, qu’en tant que musulman, il ne lui était permis de n’avoir que quatre femmes ; or, lui en avait une centaine. Le Satigi lui répondit, qu’à part ses deux femmes Deniyankobés et les deux autres Jawambés, tout le reste était des «sebbes koliyaabés», donc des «taras», c’est-à-dire des esclaves concubines. Cette réponse a vexé les Koliyaabés qui constituaient, depuis Koli Tenguela, le gros de l’armée des Deniyankobés», explique le Pr Mamadou Youri Sall.
Furieux, les «sebbes koliyaabés» entrèrent en rébellion et émigrèrent à Janjoli, non loin de Sinthiou Garba, à une trentaine de kilomètres d’Orkadiéré. De son côté, Thierno Souleymane Baal exploite à fond l’indignation des «sebbes koliyaabés» et finit par rallier à sa cause leurs chefs. Soulèye Ndiaye 1er, sentant son trône vaciller, décide d’aller affronter l’armée de Thierno Souleymane Baal qui avait pris de l’envergure avec les ralliements venant de toutes parts. Mais, il mourra avant même de faire face au leader de la révolution Toroodo. «Il perdit la vie par accident au cours de sa préparation. Son fusil, trop chargé, lui a éclaté entre les mains», souligne le Pr Sall. On est en 1765. Il faudra attendre encore onze années pour que le mouvement révolutionnaire, qui allait instaurer au Fuuta un nouvel Etat «fondé sur des principes de démocratie et sur le règne de la justice et de l’équité», n’arrive à maturité lorsque le dernier Satigi, Souleye Boubou Gaysiri, fut défait à Agnam et alla trouver refuge chez les Maures. Orkadiéré, comme toutes les autres localités du Fuuta, basculèrent toutes définitivement dans l’ère de l’almamiyat qui durera 114 ans.