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25 avril 2025
Culture
un récit de boubacar boris diop
BONNE NUIT, PRINCE KOROMA (2/4)
EXCLUSIF SENEPLUS - Casimir Olé-Olé était pour moi une énigme absolue. Bien qu’il vécût dans la misère, je me disais parfois que le jour de sa mort on trouverait sous son matelas une très forte somme d’argent
À Djinkoré, tous les sept ans, les Deux Ancêtres se lèvent d’entre les morts et pendant une nuit entière, la nuit de l’Imoko, ils disent à leurs descendants comment ils doivent se comporter pendant les sept années suivantes. C’est aussi simple que cela. C’est la nuit où tous les criminels sont confondus, celle aussi où les femmes infidèles, les maris indignes et les chefs injustes sont rappelés à l’ordre par la voix courroucée et tonitruante des Deux Ancêtres. Djinkoré est alors pétrifié par la peur, car chacun redoute que dans leur colère les Deux Ancêtres ne fassent disparaître la ville sous les eaux ou sous une coulée de lave incandescente. Le royaume retient son souffle jusqu’à l’aube et, avant de retourner à leurs nuages, les Deux Ancêtres font connaître le nom de celui qui est appelé à s’asseoir pendant sept ans sur le trône millénaire de Djinkoré. Comme je l’ai dit, mes hôtes savaient déjà tout cela. Après tout, on ne les avait pas choisis au hasard pour représenter le gouvernement à la nuit de l’Imoko. Cependant, ils étaient toujours friands de détails insolites, le genre de choses qu’on aime raconter à ses amis après un long voyage. Certains d’entre eux s’extasiaient, par exemple, sur le fait que les Deux Ancêtres étaient un homme et une femme. Ils y voyaient la preuve d’un sens inné de l’équité chez les habitants de Djinkoré, une «approche genre» avant la lettre et, pour le dire sans fausse modestie, une magistrale leçon de «bonne gouvernance» au reste de l’humanité.
J’étais un peu choqué par la frivolité de mes collègues fonctionnaires, mais je les trouvais somme toute bien sympathiques et faciles à vivre. Comme ma soirée avec Christian Bithege était différente ! Sous la pâle lumière du salon, bien calé dans un fauteuil, il feuilletait ses documents en jetant de temps à autre un regard vide autour de lui. L’atmosphère était si lourde que Gilbert, mon boy, faisait sa tête des mauvais jours. Il m’a d’ailleurs dit par la suite qu’il avait détesté Bithege à la seconde même où il l’avait vu sortir de sa Volvo bleue.
Le lendemain, nous sommes allés acheter des bananes et des goyaves au marché. Gilbert aurait pu s’en charger à notre place, mais Bithege avait envie de découvrir le centre-ville de Djinkoré. Nous n’étions plus qu’à quatre jours de la Nuit et, de part et d’autre de la rue principale – en fait une large bande de latérite –, on s’affairait aux préparatifs de la cérémonie. Bithege et moi avons croisé plusieurs groupes de danseurs montés sur des échasses, sifflets à la bouche. Des jeunes femmes vannaient ou pilaient du mil en fredonnant de vieux airs. La nuit de l’Imoko était naturellement au centre de toutes les conversations. Quelques-uns pestaient contre la hausse soudaine des prix du sucre et de l’huile et d’autres pariaient que la Nuit ferait venir au moins deux millions de visiteurs à Djinkoré. Plusieurs personnes levèrent la tête de leur ouvrage pour nous saluer tout en observant mon compagnon à la dérobée. Bithege leur répondait chaque fois par un vague mouvement de la tête, mais il avait visiblement l’esprit ailleurs. Je me demande aujourd’hui, avec le recul, si certains n’avaient pas pressenti, dès cet instant, la tragédie qui allait survenir peu de temps après. Il faut dire qu’à l’approche de la nuit de l’Imoko, les habitants de Djinkoré ne sont plus tout à fait les mêmes. Attendre la venue des Deux Ancêtres est presque au-dessus de leurs forces et ils sont très tendus. Une fois redescendus sur la terre, les Deux Ancêtres sont bien obligés de parler : que vont-ils dire ? Nul ne le sait à l’avance et tout événement plus ou moins inattendu – la présence de Christian Bithege à Djinkoré, par exemple – est interprété, avec un mélange d’inquiétude et d’espoir, comme un présage.
– Les gens m’ont l’air un peu nerveux, a déclaré l’étranger. – Qu’est-ce qui vous le fait dire ?
– Ça se voit bien.
Ce type était réellement spécial.
– Vous avez raison, ai-je reconnu, il y a toujours une certaine tension dans l’air avant l’apparition des Deux Ancêtres. Ce sera ma troisième Nuit et je vais éprouver les mêmes sensations que la première fois, il y a quatorze ans. C’est une expérience qu’on ne peut pas oublier.
– Ne vous en faites pas, ça va très bien se passer.
Il s’était exprimé sur un ton assez méprisant. Il semblait dire que toute cette affaire, c’était du cinéma pour tenir en laisse le petit peuple. Je n’étais pas loin de penser comme lui, mais je me suis senti un peu vexé malgré tout.
Nous nous sommes arrêtés devant l’étal du vieux Casimir Olé-Olé, le vendeur de fruits. J’ai fait les présentations.
– Monsieur Bithege est venu pour la Nuit. Il représente le gouvernement cette année.
Le fonctionnaire a hoché la tête et s’est incliné légèrement. Les deux hommes se sont jaugés sans mot dire pendant quelques secondes en se serrant la main. Le vieux Casimir Olé-Olé, c’était ce qu’on appelle un personnage. Il avait construit une cahute sur le seuil de sa maison, juste en face du marché, et restait assis là toute la journée, agitant sans cesse un chasse-mouches au-dessus de sa marchandise – mangues et ditax, tranches de noix de coco et poisson séché. Il se donnait un mal fou pour paraître niais et même complètement insignifiant, et je crois bien que son plus grand rêve était de se métamorphoser en ombre pour pouvoir se glisser partout et voir sans être vu. Il disait par toute son attitude : «Je m’appelle certes Casimir Olé-Olé, vous me voyez bien en face de vous, mais je vous en supplie, oubliez-moi, je n’existe pas.» Le rusé bonhomme faisait de même semblant d’être sourd. Quoi que vous puissiez lui dire, il vous demandait toujours de répéter votre phrase en plaçant, en un geste caractéristique, une main contre le lobe de son oreille droite. Mais pendant qu’il vous jouait sa petite comédie, ses yeux malicieux disaient clairement qu’il vous avait bel et bien entendu. Du reste, chaque fois que j’observais Casimir Olé-Olé à son insu, j’avais l’impression qu’il surveillait les allées et venues de tous les habitants de Djinkoré et qu’il avait à cœur de savoir ce que chacun d’eux pensait à chaque instant de sa vie. Soupçonneux et solitaire, Casimir Olé-Olé était pour moi une énigme absolue. Bien qu’il vécût dans la misère, je me disais parfois que le jour de sa mort on trouverait sous son matelas une très forte somme d’argent, des millions peut-être ; d’autres fois, j’étais à peu près convaincu qu’il travaillait en secret pour la police. Si je rapporte tout cela, c’est surtout pour faire comprendre à quel point j’étais excité par la rencontre entre Christian Bithege et Casimir Olé-Olé. Ce dernier allait-il enfin baisser la garde ? C’était la seule chose qui m’intéressait et, dans un sens, je ne fus pas déçu. De façon assez inhabituelle, Casimir Olé-Olé s’est montré plutôt prévenant envers notre hôte et a fait rouler la conversation, d’une voix neutre, sur la nuit de l’Imoko. À l’en croire, c’était faire preuve d’une grande sagesse que de laisser les morts décider de tout à la place des vivants.
– Je pense moi aussi que c’est une bonne idée, a déclaré Bithege en pesant lui-même les bananes qu’il venait de choisir une à une, avec beaucoup de soin.
Son ton était si neutre que je n’ai pas pu savoir s’il était sérieux ou s’il se moquait des habitants de Djinkoré. Il s’est toutefois un peu agacé quand Casimir Olé-Olé lui a demandé de répéter ce qu’il venait de dire. Il s’est exécuté et le marchand de fruits s’est écrié :
– Oui ! Comme ça au moins, on est tranquilles, les morts sont plus justes que nous !
L’étranger a alors fait remarquer que nulle part au monde on ne se comportait de la même façon que les gens de Djinkoré. Après quelques secondes de réflexion, il a ajouté d’un air entendu :
– Mais comment savoir qui a raison ?
Oubliant de jouer au sourd, Casimir Olé-Olé l’a regardé longuement et a dit :
– Moi, Casimir Olé-Olé, je ne sais pas qui a raison… Mais je dis ceci : pourquoi aurions-nous tort, nous de Djinkoré ?
Qui peut me dire pourquoi tous les autres auraient raison, d’une manière ou d’une autre, et pas nous ?
Ce texte est une nouvelle version du récit « La nuit de l’Imoko », paru aux éditions Mémoire d’Encrier, de l’écrivain-journaliste.
Bien avant d’être affecté dans cette ville, je savais que tous les sept ans les ministres, les députés, les chefs des grandes entreprises et le président de la République lui-même venaient en masse s’y faire filmer aux côtés du souverain de Djinkoré
L’attente au bord de la route commençait à me paraître longue. De temps à autre un nuage de poussière rouge au-dessus des acacias et un bruit de moteur précédaient le passage d’une voiture. Je me levais alors dans l’espoir de voir arriver les visiteurs. Venant de la capitale, ils ne pouvaient entrer dans la ville que par le nord, du côté de Kilembe.
Peu avant le coucher du soleil, une Volvo bleue roulant à faible allure a éteint ses phares et s’est immobilisée près du banc en bois où j’étais assis depuis bientôt deux heures. Une portière a claqué puis le conducteur s’est avancé vers moi. Il était seul et malgré son air décidé j’ai d’abord pensé que c’était un voyageur égaré ou à la recherche d’un gîte pour la nuit. Il n’était ni l’un ni l’autre.
– Je m’excuse de mon retard, Monsieur Ngango, a-t-il dit d’une voix qui me parut plutôt inexpressive.
Je lui ai tendu la main mais, me voyant un peu perplexe, il m’a demandé si j’étais bien Jean-Pierre Ngango, le médecin-chef du district de Djinkoré. J’ai fait oui de la tête en continuant à le dévisager avec attention. Il était maigre et sec, et ses yeux ardents, comme en perpétuelle alerte, me firent penser à un homme de caractère, habitué à se faire obéir au doigt et à l’œil. Dès ce premier contact, je me suis senti mal à l’aise sans savoir pourquoi. Il s’est présenté à son tour :
– Je m’appelle Christian Bithege. Nous nous sommes déjà vus à une réunion dans le bureau du ministre du Développement rural, à Mezzara…
Je lui ai dit que je ne m’en souvenais pas et son visage s’est aussitôt fermé. Il y a eu alors un silence gêné et il a déclaré en baissant la voix :
– Je viens représenter le gouvernement à La Nuit de l’Imoko…
Dans son esprit, cette phrase était le mot de passe qui devait sceller notre complicité. À Djinkoré, petite ville un peu à part et perdue au milieu de la brousse, nous étions, lui et moi, les yeux, les oreilles et la bouche de l’État. J’étais donc censé comprendre qu’il venait me rejoindre en territoire plus ou moins hostile. Je connaissais bien la mentalité de ces fonctionnaires venus de Mezzara et je leur disais parfois que j’étais un agent double travaillant en secret pour nos administrés de Djinkoré. Ils me menaçaient de me coller au poteau d’exécution, puis nous rigolions joyeusement de mes douteuses blagues anti-républicaines. J’ai cependant vite deviné que l’étranger n’était pas du genre à apprécier de telles plaisanteries. C’était sûrement un fanatique, un de ces types toujours prêts à aller jusqu’au bout de leur folie. Convaincu qu’il avait devancé le reste de la délégation, je lui ai dit :
– Les autres vont arriver demain, je suppose…
– Les autres ?
– Oui… Vos collègues.
Ma question l’a visiblement agacé, sans doute parce qu’il s’y attendait.
– Je suis seul, comme vous voyez, a-t-il fait en pinçant ses lèvres minces.
Je n’avais pas imaginé un instant qu’il pût être à lui seul toute la délégation. C’était d’une totale absurdité. J’ai insisté :
– Je parle de la délégation officielle envoyée chaque année par le gouvernement à La Nuit de l’Imoko…
Je me rends compte aujourd’hui, en essayant de me souvenir de ces événements pour les rapporter avec fidélité, que c’est à cet instant précis que la situation m’a échappé. Je tenais là une belle occasion de coincer le nouveau venu, de lui faire sentir que j’avais flairé son imposture et qu’il risquait gros. Malheureusement, je perds presque toujours mes moyens dans les moments décisifs et ça n’a pas loupé cette fois-là non plus. Il a vu qu’il m’intimidait et a jeté sur moi un regard à la fois ironique et compatissant. Je devais me rendre compte par la suite que Christian Bithege était un redoutable connaisseur de l’âme humaine. Nous avons repris le chemin de Djinkoré. Sa Volvo n’était plus en très bon état : le toit de la voiture était lacéré, des fils pendaient sous le volant et l’intérieur sentait l’essence. Il y avait aussi sur le plancher et entre les sièges des épluchures de mandarine et des petites bouteilles d’eau minérale Montana. Nous sommes restés silencieux pendant tout le trajet. Il avait une mine renfrognée et de toute façon je n’avais aucune envie de causer moi non plus. Toutes sortes de questions se bousculaient dans ma tête. Pourquoi le gouvernement avait-il décidé d’envoyer un seul fonctionnaire à la Nuit de l’Imoko? Jamais une chose aussi bizarre n’était arrivée auparavant. Bien avant d’être affecté dans cette ville, je savais que tous les sept ans les ministres, les députés, les chefs des grandes entreprises et le président de la République lui-même venaient en masse s’y faire filmer aux côtés du souverain de Djinkoré. Mes lecteurs savent autant que moi pourquoi il a toujours été si vital pour nos politiciens de plaire à ce vieux monarque fantasque et cupide. Je ne m’étendrai donc pas sur le sujet. En revanche, j’aimerais bien qu’on me dise pourquoi la nuit de l’Imoko avait soudain perdu de son importance aux yeux de ces gens. Aurait-on décrété à mon insu que l’on ne voterait plus dans notre pays ? Une chose me semblait en tout cas certaine : les habitants de Djinkoré, qui avaient fini par hisser la nuit de l’Imoko à la dimension d’un événement planétaire, allaient très mal prendre cette décision. J’ai commencé à avoir peur pour Christian Bithege et pour moi-même. Je ne le voyais tout simplement pas se lever et, face à toute la cour royale, faire un discours au nom du chef de l’État. Un affront d’une telle gravité pouvait lui coûter la vie sur-le-champ. J’étais un fonctionnaire comme lui, il allait loger chez moi, et cela me mettait en danger, moi aussi. À l’entrée de Djinkoré, je lui ai indiqué presque à contrecœur le chemin de ma maison. En le voyant poser ses affaires dans un coin du salon, je n’ai pas pu m’empêcher de revenir sur le sujet qui me tracassait tant :
– Vous savez, j’avais fait préparer plusieurs chambres pour vous et vos collègues...
– Une seule suffira, a-t-il répliqué sèchement.
Comme tous les fonctionnaires en poste à l’intérieur du pays, j’avais un logement assez vaste. J’ai voulu installer mon hôte dans la grande pièce réservée aux chefs de délégation, mais il l’a refusée après une brève inspection. Elle était trop proche, selon lui, de la cuisine. Gilbert, le boy, lui a aménagé une autre chambre. Le dîner a été maussade, comme je m’y attendais. Mon invité n’a presque pas touché aux plats de viande – des brochettes de mouton et de pintade –, mais s’est régalé de Biraan Jóob, ces mangues farineuses et sucrées, qu’il découpait avec soin en toutes petites tranches avant de les laisser fondre sur sa langue. Je lui ai proposé du vin. Il ne buvait pas et il me l’a fait savoir en désignant sa bouteille de Montana en face de lui. Les chichis de ce frugivore-buveur-d’eau, ça commen- çait à m’agacer sérieusement. J’ai surtout regretté, ce soir-là, certains dîners avec d’autres fonctionnaires de la capitale en mission à Djinkoré. Ceux-là étaient beaucoup plus drôles, il faut dire ; ils foutaient dès le premier soir un bordel pas possible chez moi, mais j’aimais ça. Ils faisaient au moins revivre la maison, devenue si triste depuis que Clémentine s’était barrée avec Sambou, un des infirmiers de mon service. Avec eux, la conversation ne manquait jamais de piquant. Ils se saoulaient de tiko-tiki, notre vin de palme qui est si fort comme chacun sait. Je les entends encore se jurer, de leurs voix pâteuses d’ivrognes, de moraliser la vie publique de notre pays. Ils allaient d’abord mettre un terme à la ronde infernale des alliances politiques contre-nature et des trahisons et rétablir la peine de mort, boum-boum pour les crimes économiques, l’hôpital est mal construit, ses murs s’effondrent sur les malades, feu et feu encore sur l’entrepreneur véreux ! Voilà, ces choses-là devaient être dites une fois pour toutes, très clairement, les Blancs nous font chier avec leurs droits de l’homme, on n’a pas la même histoire, hé, hé, qu’ils se torchent longuement le cul avec les dollars de leur aide, ha, ha. Après avoir déroulé ces vigoureux projets de réforme politique, nous mettions la musique à fond, les filles de Djinkoré étaient là, on se trémoussait ensemble sur une piste improvisée et elles restaient dans nos bras jusqu’au lever du soleil. Je me souviens aussi que mes confrères de Mezzara posaient toutes sortes de questions, des questions parfois très naïves, sur les mœurs des habitants de Djinkoré. Bien sûr, ils voulaient toujours tout savoir sur la fameuse nuit de l’Imoko. Était-il vrai que personne n’avait jamais vu le roi de Djinkoré manger ou boire ? Et cette histoire de passer la nuit parmi les étoiles ? C’était vrai, ça, qu’il remontait au ciel avec la Reine-Mère qui n’en finissait pas de se plaindre de son arthrite pendant l’ascension et de dire qu’elle en avait plus que marre, que ce n’était quand même plus une occupation de leur âge ? Mes invités avaient toujours l’air plutôt sceptiques, tout ça leur paraissait un peu trop joli-joli, mais moi, je ne voulais pas me mêler de choses aussi compliquées. Je me contentais de leur répéter ce qu’ils savaient déjà.
A suivre….
Ce texte est une nouvelle version du récit « La nuit de l’Imoko », paru aux éditions Mémoire d’Encrier, de l’écrivain-journaliste.
«IL FAUT QUE LES MANUSCRITS DE NOS GUIDES RELIGIEUX SOIENT TRADUITS DANS LES LANGUES DE TRAVAIL ACADEMIQUE»
Souleymane Bachir Diagne, philosophe et professeur à l’université américaine de Colombia plaide pour la circulation des œuvres des guides religieux
Le philosophe et professeur à l’université américaine de Colombia plaide pour la circulation des œuvres des guides religieux. Se prononçant sur le sujet à l’occasion de l’anniversaire de la disparition de l’ancien khalife des Tidjanes Serigne Mansour Sy Boroom daara ji, Pr Souleymane Bachir Diagne souligne l’importance de traduire les œuvres des guides religieux du Sénégal dans les langues de travail académique.
Serigne Ahmed Dème, Seydi Hadji Malick Sy, Serigne Touba, Baye Niasse et tous les autres illustres guides religieux du Sénégal ont contribué au rayonnement de la pensée humaine. Et dans le souci de la vulgarisation de leurs écrits dont certains sont parfois méconnus, Pr Souleymane Bachir Diagne a insisté sur la nécessité de leur circulation.
Pour le philosophe sénégalais, ce qui rend vivante l’œuvre d’une personne, c’est sa circulation. C’est pourquoi il plaide pour une bonne circulation et une bonne conservation des manuscrits des guides religieux. «J’ai visité certaines bibliothèques, mais souvent certains livres sont très délabrés. Pour l’instant, les langues les plus utilisées dans le monde académique sont l’anglais et le français. Donc, il urge que les manuscrits des guides religieux soient traduits dans ces langues», indique Pr Souleymane Bachir Diagne qui insiste sur la pertinence de la circulation des œuvres de nos guides religieux. «De ce fait, les intellectuels pourront les lire et en discuter», souligne-t-il.
Pour l’auteur de «Comment Philosopher en Islam», il ne suffit pas simplement d’en faire des poèmes et de les chanter. Il faut que ces manuscrits soient édités en tenant compte des normes actuelles de l’édition pour qu’ils puissent avoir une pénétration académique adaptée.
PAR Bamba Ndongo Niakhal
LE SYNDROME DE STOCKHOLM OU LA TRAGÉDIE DE L’AFRIQUE
EXCLUSIF SENEPLUS - Les vestiges de la domination nazis en France sont dans les musées et enseignés pour ce qu’ils représentent alors qu’au Sénégal le buste de Faidherbe plastronne en héros conquérant sur la place qui porte son nom
Soixante ans après les indépendances, de nombreux pays africains continuent de célébrer des icônes peu reluisantes de la colonisation et de la Françafrique. D’Abidjan à Dakar, de Brazza à Lomé, s’érigent des statues, des places publiques et des rues en mémoire d’anciens colons ou de dirigeants occidentaux contemporains, qui se sont illustrés non pas par des faits de bravoure, d’héroïsme ou d’empathie pour l’Afrique, mais au contraire par la brutalité de leurs actions coloniales ou par leur adhésion aux idéologies de type Françafricain, incarnation moderne du colonialisme.
Le cas de Faidherbe est assez révélateur des dysfonctionnements institutionnels, démocratiques et du caractère fondamentalement factice de la gouvernance publique de certains Etats.
L’homme est unanimement reconnu pour sa cruauté et son cynisme aussi bien au Sénégal qu’en Algérie où il fit ses premières armes. A ce propos, les historiens relatent les faits avérés de massacres perpétrés sur des populations autochtones sans défense et la destruction de nombreux villages. Et sa stratégie de terreur n’épargnait ni humain, ni bête, ni plante. Il ne laissait derrière lui que ruine et désolation. Dans un ouvrage[1] fort documenté, le Professeur Assane Sylla revient, à travers de nombreux exemples, sur la propension du gouverneur à réprimer férocement par le feu, le carnage et le pillage toute velléité de résistance des populations. L’historien Khadim Ndiaye abonde dans le même sens. Sur une période de 8 mois, le Professeur Iba Der Thiam, estime à plus de 20 000 morts le nombre de ses victimes.
Comment alors comprendre la persistance des autorités locales et nationales à maintenir la statue de Faidherbe au centre de l’Ile de Ndar ? plus généralement, comment expliquer la survivance des symboles du colonialisme et de ses reliques contemporaines après plus de 60 années d’indépendance supposée ?
Comment expliquer le silence coupable de l’institution parlementaire, où la question est occultée sinon balayée d’un revers de main ?
Comment qualifier une gouvernance sourde et aveugle face aux fortes mobilisations citoyennes récurrentes réclamant le déboulonnement de la statue ?
Enfin, comment expliquer l’indifférence et la banalisation de la question, voire le soutien manifeste de certains élus et d’une certaine élite intellectuelle qui jugent nécessaire le maintien de la statue au nom de l’histoire ?
En France, que l’Etat manifeste sa reconnaissante envers ses serviteurs, même les plus zélés, peut s’entendre, de la même façon que devraient pouvoir s’entendre les revendications légitimes des Afro-descendants français qui se sentent bafouer dans leur dignité par ces symboles de l’esclavage et de la colonisation. Dans une démocratie vivante et apaisée, des remises en cause d’une partie de l’histoire nationale peu glorieuse devraient être possibles sans que cela n’affecte la cohésion nationale. Ce fut le cas avec la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français dans le rafle du Vel d’Hiv en 1995, malgré la polémique sur l’inopportunité de réveiller les vieux démons tapis sous les questions mémorielles. Aussi, rejeter la revendication des Afro-descendants au motif d’une interprétation anachronique de l’histoire n’est pas recevable, car la férocité des personnages, tel que Faidherbe ou le cynisme de Colbert, auteur du Code Noir, étaient déjà décriés à leur époque par des personnalités mieux éclairées. C’est bien Georges Clémenceau, contemporain de Faidherbe, qui dénonçait ses excès en des termes non équivoques : lui qui « a tué, massacré, violé, pillé tout à l’aise dans un pays sans défense ». Les combats pour la justice et l’égalité de l’Abbé Grégoire ou de Condorcet par exemple, au sein de « La société des amis des Noirs » ne datent pas d’aujourd’hui. Ils remontent bien à l’époque esclavagiste.
En revanche, en terre africaine, que les propos tranchés de Macron[2] fasse écho et résonne comme une injonction auprès des dirigeants africains sur le passé africain, est incompréhensible, sauf à admettre l’évidence de la perpétuation de la domination de la France sur ses anciennes colonies.
Encore plus préoccupante est la posture d’une certaine élite politique et intellectuelle réceptive aux arguties en faveur des rapports de subordination, totalement déséquilibrés, qui continuent de définir la coopération entre la France et les pays francophones d’Afrique. Sur la question spécifique de la statue de Faidherbe, d’aucuns invitent à la prudence au motif que le jumelage avec la ville d’origine de Faidherbe (Lille) est économiquement bénéfique pour la ville de Saint-Louis, feignant d’ignorer l’insignifiance de cette coopération décentralisée face aux blessures mémorielles et à la négation même de notre humanité qu’évoquent ces effigies incongrues. C’est une réalité historique de dire que Faidherbe appartient à l’histoire du Sénégal de la même manière que le régime de Vichy et Hitler appartiennent à l’histoire de France. Mais les vestiges de la domination nazis en France sont dans les musées et enseignés pour ce qu’ils représentent alors qu’au Sénégal le buste de Faidherbe plastronne en héros conquérant sur la place qui porte son nom, en plein centre de la ville de Saint-Louis, le regard rivé sur le pont du même patronyme. C’est là tout le paradoxe et l’inconsistance des atermoiements afro-africains.
On ne mesure pas suffisamment la gravité de cette situation et son impact psychologique sur les consciences, les représentations et imaginaires collectifs africains, ni sa singularité à l’échelle mondiale. Nulle part au monde qu’en Afrique, les sociétés ont autant célébré et sublimé leurs anciens bourreaux. Des générations de jeunes naissent et grandissent dans un environnement peu valorisant, voire méprisant de leur identité et de leur dignité. Comment promouvoir dans ce contexte la confiance et l’estime de soi, indispensables au développement de l’esprit d’initiative et de créativité dont le continent a besoin, dans un monde livré à une compétition de plus en plus féroce ?
L’école qui devrait être le creuset de l’intégration sociale, le lieu par excellence du développement de la confiance en soi, est prise en otage par la même idéologie de domination-subordination. Elle évolue en vase clos, volontairement désenchâssée de son environnement social, culturel et historique. Les langues nationales, les humanités classiques africaines, la géographie du continent, etc. qui devraient constituer la charpente dorsale des systèmes éducatifs nationaux sont abandonnées au profit d’un enseignement conventionnel aseptisé, complètement désincarné, abstraitement universaliste, et prétentieusement techniciste de crainte de heurter la susceptibilité de nos « partenaires », qui parfois ne demandent rien, du moins explicitement. Mais par réflexe de subordination, on cherche à satisfaire par anticipation les désirs supposés de l’autre au mépris de ses propres intérêts, nourrissant ainsi de la condescendance et un paternalisme qui transparaissent dans les relations diplomatiques. Il n’est pas étonnant que les élites issues de ces systèmes éducatifs ne soient pas, dans leur écrasante majorité, à la hauteur de leurs responsabilités historiques, comme nous y invitait Frantz Fanon dans « Les damnés de la terre »[3]. Il s’agit en réalité d’une domination intellectuelle et culturelle méthodiquement entretenue, qui préfigure et accompagne la domination et le pillage économique. Seules une véritable prise de conscience collective et une détermination politique des Africains, unis dans un élan panafricain, pourraient venir à bout de cet ordre économique et politique asservissant et avilissant. Le collectif « Faidherbe doit tomber », porté par une génération de refus, s’inscrit bien dans cette perspective.
« Ainsi l’impérialisme, tel le chasseur de la préhistoire, nous prévenait Cheikh Anta Diop, tue d’abord spirituellement et culturellement l’être, avant de chercher à l’éliminer physiquement. La négation de l’histoire et des réalisations intellectuelles des peuples africains noirs est le meurtre culturel, mental, qui a déjà précédé et préparé le génocide ici et là dans le monde »
[1]"Le peuple lébou de la presqu’île du Cap-Vert", NEA Sénégal, 1992
[2]Dans son allocution télévisée du 14 juin, Le président français affirmait qu’"aucune statue ne sera déboulonnée", "la république n’effacera aucun nom ou aucune trace de son histoire", considérant de surcroit que la revendication des manifestants relèverait" d’une réécriture haineuse ou fausse du passé".
[3]"Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir",Frantz Fanon,Les damnés de la terre, 1961
LA LONGUE MARCHE DES BAÏNOUKS
Réputés être un peuple pacifique et tolérant, les Baïnouks ont précédé et accueilli toutes les autres ethnies en Casamance. Leur présence dans cette région remonterait au 6ème siècle de notre ère
Idrissa Sané et Seydou Ka (textes) et Moussa Sow (photos) |
Publication 17/08/2020
Pour se rendre à Niamone, qui symbolise le site sacré par excellence des Baïnouks, il faut emprunter une piste cahoteuse bordée de rizières, de palmiers et de forêt dense. Au bout d’une heure de piste, Niamone se découvre comme une sorte de clairière au milieu de grands arbres. Une ambiance de convivialité règne dans les rues. Les enfants jouent au football à l’ombre des manguiers. Niamone est le village le plus ancien de la Casamance. Pour cette raison, personne, y compris les plus âgés, n’est en mesure de nous dire quand il a été fondé. «Chaque famille essaie de tirer la couverture sur soi mais on ne sait pas, de façon exacte, la date de fondation du village et qui est la première famille à s’y installer ; on est en train de faire des recherches», explique Idrissa Coly, le chef du village.
Selon la version communément admise, à la fois par les anciens et les historiens, les Baïnouks seraient originaires d’Egypte. «Ils ont été les premiers à fuir vers le sud, avec leurs djinns, lors de la confrontation entre Pharaon et Moïse», soutient imam Seckou Coly, d’une voix forte. Assis à ses côtés, Bakary Diémé dit «Basooy» acquiesce. Les deux vieillards sont actuellement les aînés des Colycounda Lihol et des Diémécounda, les deux familles qui détiennent le «vrai secret» de la forêt. A ce titre, leurs décisions sont incontestables. «S’il y a une décision importante à prendre pour la communauté, nous nous retrouvons quelque part dans la forêt, un endroit connu de nous seuls, et arrêtons une décision que personne n’ose contester», informe Bakary Diémé d’une voix calme.
Vacataire à l’Université Assane Seck de Ziguinchor, l’historien Amadou Fall défend aussi la thèse de l’origine égyptienne. Il a soutenu, en 2011, sous la direction du professeur Aboubacry Moussa Lam, une thèse de doctorat sur la conception de l’être et de l’au-delà chez les Égyptiens anciens et les peuples de la rivière du Sud (Casamance). «Si on examine les éléments de l’anthropologie culturelle, le symbolisme, les rites d’initiation, le rôle des femmes dans la société ou encore la cosmogonie Baïnouks, incontestablement ils viennent de l’Égypte», explique-t-il. L’imam Coly livre d’autres éléments pour donner de l’épaisseur à cette thèse. Les noms de l’Éthiopie et du Tékrour (ancien royaume du nord du Sénégal qui signifie, en Baïnouk, traverse et bois) et même de la Gambie («Cambi» en Baïnouk) seraient d’origine baïnouk. Aujourd’hui, ils sont présents dans toute la sous-région, mais leur appellation varie d’un pays à l’autre. En Guinée, ils sont appelés Dalianké, Baniouls en Guinée-Bissau et Bananka au Mali. Ils seraient les premiers habitants de la Casamance. Certaines sources remontent leur présence dans la région au 6ème siècle de notre ère. Une équipe de chercheurs, sous la direction du professeur Moustapha Sall, a récemment mené des fouilles archéologiques dans certains sites (comme à Djibonker et Bafican à la sortie de Brin) dont on attend les résultats. Ce qui est sûr, on retrouve les traces des Baïnouks sur toute la région naturelle de la Casamance, de la Falémé à Diogué. «Toute la Casamance est imbibée de culture baïnouk», note l’historien Amadou Fall. De l’avis de ce dernier, le kaléidoscope humain qu’est la Casamance est dû «à l’extrême humanité des Baïnouks». C’est aussi cette extrême tolérance qui est à l’origine de leur perte, parce qu’ils ont été «submergés» par les peuples guerriers, au point d’être marginalisés sur leur propre terre. D’ailleurs, l’autre nom des Baïnouks, c’est «Ujaxër» qui signifie le peuple accueillant, hospitalier, tolérant…
Mieux, beaucoup d’ethnies peuplant la Casamance actuellement seraient issues des Baïnouks. Par exemple, les Diolas seraient des Baïnouks «dégradés». «Les Diolas ne veulent pas en entendre parler, mais la vérité, c’est qu’ils sont issus des Baïnouks», affirme imam Seckou Coly. Son épouse (d’ethnie diola), assise à côté, conteste bruyamment cette version. «Dans tous les cas, nous comprenons le diola, alors qu’eux ne comprennent rien à notre langue», semble se consoler le mari.
Un peuple pacifique
Ce qui est constant, c’est que les Baïnouks restent un peuple pacifique. Toutefois, ils évitent de se fondre avec les autres ethnies. Un peu à l’image des peuls, quand d’autres s’installent à leur côté, ils se déplacent et laissent la place aux nouveaux arrivants. Une situation qui trouve une illustration parfaite dans l’histoire de Boroufaye, village situé à la sortie de Ziguinchor sur la route de Mpack. Selon Idrissa Diatta, un habitant de Boroufaye baïnouk, le village a été fondé par des familles venues de Niamone, la capitale des Baïnouks, au début des années 1940. Mais quand les Diolas ont commencé à les rejoindre, ils se sont déplacés à quelques kilomètres de là, cédant la place aux nouveaux arrivants. Ce qui explique qu’aujourd’hui, il y a deux Boroufaye : l’un diola, l’autre baïnouk. Nous pouvons ajouter Singhère Diola et Singhère Baïnouk, dans le département de Goudomp.
Les Baïnouks entretiennent des liens de cousinage avec les Peuls, les Lébous et les Sérères. D’ailleurs, sur la légende Aguène et Diambone, ce dernier serait Baïnouk et non Diola comme cela est souvent rapporté. C’est du moins la version soutenue par les Baïnouks. Quant aux Peuls, les Baïnouks leur sont reconnaissants pour les avoir sauvés de l’extermination. En effet, selon la légende, le roi baïnouk, Ganasiraba Biaye, sur les conseils de son féticheur, devait tuer, en guise de sacrifice, cent hommes et autant de femmes parmi ses sujets. Un Peul aurait livré à ces derniers un subterfuge (le piéger pour le faire tomber dans un puits) pour éliminer le roi sanguinaire et ainsi échapper à l’extermination. De là est parti le pacte. Mais un préjugé tenace dit que celui qui épouse une Baïnouk ne réussira pas dans la vie. Cela expliquerait-il le peu de mariages mixtes avec les autres ethnies ?
par Tierno Monénembo
ET SI NOUS AFRICAINS, BALAYIONS DEVANT NOTRE PORTE ?
Sommes-nous obligés, 60 ans après les indépendances, d'avoir un pont Faidherbe à Saint-Louis, une avenue De-Lattre-de-Tassigny à Abidjan ? N'est-il pas anachronique que la capitale du Congo s'appelle encore aujourd'hui Brazzaville ?
Le Point Afrique |
Tierno Monénembo |
Publication 17/08/2020
La mort de George Floyd a mis à nu l'une des parties les plus honteuses de l'histoire moderne : la traite des Noirs et ses innombrables corollaires. L'esclavage, la colonisation, le racisme, les ghettos, les putschs, la détérioration des termes de l'échange, tout cela s'additionne. Et si l'apartheid a disparu, si un Noir a été locataire de la Maison-Blanche pendant deux mandats, certains, sur cette terre, peuvent être étouffés rien que pour la couleur de leur peau. La négrophobie a précédé le coronavirus. Elle est aussi bien plus virulente et bien plus répandue. En somme, un mal ordinaire que l'on supporte comme un mauvais temps ou un bruit. Le battage médiatique fait autour du meurtre commis à Minneapolis y changera-t-il quelque chose ? Rien n'est moins sûr.
Africains, balayons devant notre porte !
Il reste qu'il pose des questions inédites dans la tête des Africains et des afro-descendants. Entre autres, celle-ci : peut-on parler de décolonisation alors que les figures qui symbolisent cette sinistre aventure ont toujours pignon sur rue ? Ne faut-il pas, pour ouvrir une nouvelle page de l'Histoire, gommer Rhodes et Gallieni, Nachtigal et Stanley des rues et des places ?
Oui, certainement, la mémoire universelle a besoin d'un petit toilettage pour favoriser le vivre-ensemble qui s'annonce. Mais, avant de demander le déboulonnage de telle ou telle statue de Paris ou de Londres, nous, Africains, devons balayer devant notre propre porte. Après tout, les Français ont le droit d'honorer Colbert ; les Allemands, Peters ; les Belges, Léopold II ; les Portugais, Alphonse V, etc. C'est leur histoire, c'est leur gloire ! Ils ont le droit d'en jouir.
Mais nous, sommes-nous obligés, 60 ans après les indépendances, d'avoir un pont Faidherbe à Saint-Louis, une rue Blanchot à Dakar, une avenue De-Lattre-de-Tassigny à Abidjan ?
EXCLUSIF SENEPLUS - Être à l’heure ne signifie pas être honnête, intègre, ou respectueux. Sur le plan social, l’absence de contrainte horaire provoque une cascade de conséquences. - NOTES DE TERRAIN
Jeudi 13 août 2020. Je n’avais pas imaginé que la journée se passerait ainsi. Mes prévisions se sont révélées fausses. C’est comme ça, il faut jongler avec les imprévus, et faire avec. À la base, je devais commencer l’écriture d’un article, le matin, et le terminer d’ici ce soir. J’avais pris contact avec deux sources. Je les connais bien. Le premier a été très réactif et on a fait l’entretien, très rapidement au téléphone. Le second, qui devait éclairer le cœur de mon article, m’a joué un mauvais tour. J’ai essayé de le joindre, en début de semaine, en vain. Il m’a rappelé pour m’informer qu’il n’avait plus mon numéro de téléphone. Je note, et lui propose un entretien rapide. Après lui avoir, encore, exposé les points à éclaircir. Il me donne rendez-vous, entre 14 et 15 heures. Je me pointe à 14 heures. Il n’arrivera qu’à « 18 heures moins ». Non seulement, il est arrivé en retard mais l’interview ne s’est pas fait. Il m’a suggéré de lui envoyer les questions, et a promis de répondre tard dans la soirée. Il n’en fera rien.
Tout le programme que j’avais planifié a été chamboulé. C'est dérangeant, et cela peut frustrer. Je suis ponctuel. On m’a éduqué ainsi. À vrai dire, pour moi, arriver en retard, c’est comme trahir sa parole. J’essaie d’être toujours à l’heure, à chaque fois que j’ai rendez-vous. Comme je prends les transports en commun, je prévois toujours un temps d’avance. Car il n’y a rien de plus aléatoire que les transports, ici. Du coup, je suis presque toujours en avance sur le timing. Même si j’assiste très rarement à des rendez-vous où la ponctualité est respectée. La fidélité à l’heure n’est pas une valeur contraignante au Sénégal. Cela dit, je ne suis pas un défenseur zélé de la ponctualité. Pour deux raisons. La première est liée à la culture. J’en suis arrivé à cette conclusion : la notion du temps, dans notre espace culturel est relative.
Il n’y a pas de dogme de la ponctualité, ici. Être à l’heure ne signifie pas être honnête, intègre, ou respectueux. Sur le plan social, l’absence de contrainte horaire provoque une cascade de conséquences. Il faut se résoudre à des imprévisibilités, dans l’agenda du travail. L’activité professionnelle, économique, politique et sociale, n’est jamais régulière et lisible. Toute la mécanique, des jours, des semaines, des mois, des années, est dysfonctionnelle. Désordonnée. Cela se voit dans le calendrier scolaire, dans la prévision des entreprises, dans l’agenda politique, dans tous les secteurs. Comment, dans ces conditions, mesurer le travail et respecter un calendrier ? La ponctualité a bien des avantages. Elle permet de tenir un agenda sincère. Bien exploiter le temps, favorise aussi la maîtrise des ouvrages. Dans n’importe quelle activité humaine, il y a un besoin de savoir les délais. Ne serait-ce que pour maîtriser les coûts et les dates de livraison. La ponctualité aide, aussi, dans la précision des cycles, dans la prospective.
Seulement, le modèle du temps que l'on veut imposer est caduc, culturellement. Il n’est pas rare d’entendre des critiques sur l'habitude bien sénégalaise d'être en retard. Très peu de gens sont ponctuels. Que cela soit dans l’administration, dans les entreprises, dans nos relations interpersonnelles. Il faut interroger cette propension au retard. L’assimiler, mécaniquement, à un manque de sérieux et de rigueur, c’est refuser d’y voir clair. C’est une manière de dire qu’il faut ressembler à d’autres peuples. Qui fonctionnent autrement. Qui ont d’autres structures sociales, et un tempérament différent. Qui ont d’autres cycles saisonniers, et un autre climat. Pourquoi devons-nous commencer le travail à 8 heures ou à 9 heures ? Pourquoi faut-il travailler le vendredi, jour de prière et de recueillement pour beaucoup de personnes ? L’échelle du temps est différente entre le Slovène et le Sénégalais ? Ce qui est très logique. En effet, l’idée fondamentale du temps est de répondre à des considérations sociales et pratiques. Par ailleurs, selon la physique, le temps est propre à chaque observateur. On peut extrapoler ce principe et l’amener à la dimension des peuples et des civilisations.
La civilisation de la compétition
La seconde raison, est relative à la marchandisation du temps des femmes et des hommes. Le capitalisme prétend que ceux qui arrivent à bien gérer leur temps sont ceux qui sont plus productifs. C’est un stratagème pour faire des femmes et des hommes des objets obéissants. Le capitalisme cherche, ainsi, à s’accaparer de tout le flux de la vie. Les hommes et les femmes doivent toujours répondre aux nombreuses excitations. Ils sont appelés à travailler toujours plus, sans repos. Ils n'ont pas « droit à la paresse ». Ils doivent optimiser le temps, et le vendre servilement. Leur horloge biologique doit s’adapter à la concurrence. Ce sont des machines. Ce schéma-là aliène l’humanité. Et soumet les corps et les esprits aux lois du marché. Le philosophe français, Bernard Stiegler, y observe une destruction du surmoi et de la civilité.
L’homme y est, tout le temps, affairé. Il investit toute sa libido dans l’accumulation primitive. Son temps de vie, éphémère, est dédié à la recherche frénétique de l’argent. Ce qui le stimule, c’est l’appât du gain et non l’élévation de sa conscience. Il n’a d’estime que pour ses ambitions, et pour la fortune. Il n’envisage, dans ses actes et dans sa réflexion, qu’à avoir plus. Qu’à spéculer. Le voilà soumis à un réflexe pavlovien. Il est un consommateur compulsif. Ses pulsions prennent le dessus. Inexorablement, il détruit son énergie vitale. Le temps du capitalisme réduit les hommes et les femmes, et en fait des objets. Qui doivent s’insérer dans le mouvement de la production, comme simple marchandise. Ainsi, la singularité et le désir politique n’ont plus de sens. Quel homme peut vivre ainsi, s’il a un ressort spirituel ?
Evidemment, je ne me fais aucune illusion. L’horloge du monde est celle du capitalisme. Et l’Afrique y est entrée de plain-pied. Pour tout dire, le capitalisme est l’horizon du continent. Ce sera le cas dans plusieurs décennies encore. Tout le monde y a pris goût. Cette compréhension est nécessaire, si nous voulons nous y soustraire. Nous n’avons pas les moyens, actuellement, de sortir du système capitaliste. Ce qui est possible, c’est de le rendre moins violent. Le socialisme ne peut être construit dans nos pays exsangues, structurellement inégalitaire. Où la majorité de la population est analphabète et largement démunie. Sauf à l’imposer par la violence de l’Etat. La première contradiction à résoudre, en Afrique, c’est celle de la pauvreté.
Des phases décisives vers le socialisme ont été manquées sur le continent. L’indépendance réelle, la maîtrise de nos économies, la formation d’élites intègres et déterminées, la démocratie politique, l’éducation de masse, le panafricanisme. L’urgence est de réajuster et d’inventer des alternatives. Comment garantir l’autosuffisance et l’égalité, très rapidement ? Comment enrôler les populations dans le savoir, la dignité et la liberté ? Comment sortir de l’économie, extravertie ? Il faudrait, nécessairement, un temps de transition positive. Durant lequel des réformes courageuses doivent être appliquées. Sur la politique de la jeunesse. Sur la mutualisation des connaissances et des ressources. Sur l’élargissement de la démocratie. Pour permettre aux citoyens de détenir les outils pour construire leur propre destinée.
L’Afrique accepte le temps du capitalisme, parce qu’elle sait qu’elle n’a pas le choix. Mais elle a des ressorts pour limiter les dégâts. Elle a une force morale incroyable, malgré la fureur de l’Histoire. Elle refuse le lâcher-prise. Et ne se laisse pas embarquer, corps et âme, dans le processus de désintégration culturelle, mené par le capitalisme. C’est une grande victoire. Car, ce à quoi on échappe, c’est le contrôle de notre horloge cérébrale. Précisément, on peut observer, dans l’absence de ponctualité, une forme de résistance à l’ordre capitaliste. Les Africains, qui ont fait face à toutes les barbaries, y voient clair. Malgré tout. Ils affirment leur désir de vivre sans pression. Ils refusent l’injonction du faiire et du produire toujours plus. C’est une disposition culturelle positive. On doit le considérer comme un réflexe d’humanité.
Retrouvez sur SenePlus, "Notes de terrain", la chronique de notre éditorialiste Paap Seen tous les dimanches.
L’ODCAV SUSPEND LES NAVETANES, LE KANKOURANG TERGIVERSE
A cause de la tendance haussière des cas de Covid-19, l’Odcav de Mbour a décidé de ne pas organiser les navétanes cette année et compte s’impliquer dans la sensibilisation des populations aux côtés des services de l’Etat.
A cause de la tendance haussière des cas de Covid-19, l’Odcav de Mbour a décidé de ne pas organiser les navétanes cette année et compte s’impliquer dans la sensibilisation des populations aux côtés des services de l’Etat. Les sorties du Kankourang, une manifestation culturelle mandingue très suivie à Mbour, vont-elles suivre cette voie ? Les autorités locales ont décidé d’aller à la rencontre des acteurs pour discuter de la question.
En réunion de partage hier avec les acteurs communautaires des 16 communes du département sur la situation de la pandémie dans le département de Mbour, le préfet, Mor Talla Tine, a tiré la sonnette d’alarme. Avec 371 cas dans le département dont 149 guéris, 10 décès et 3 malades qui ont pris la fuite, la situation est préoccupante même si elle n’est pas désespérée. Chaque jour, le nombre de cas ne cesse de grimper vu l’allègement des mesures de restriction. Pour stopper la maladie, le préfet du département, conscient que l’Etat à lui seul ne peut pas venir à bout de cette pandémie, a invité les acteurs communautaires à s’approprier la lutte. Ainsi, les navétanes n’auront pas lieu cette année et, certainement le Kankourang, qui draine du monde, risque aussi de ne pas se tenir.
Les chiffres font froid dans le dos et montrent que la pandémie du Covid-19 est bien réelle dans le département de Mbour. Sur un total de prélèvements de 7 668 effectués dans la zone dont 5630 à l’Aéroport international Blaise Diagne de Diass, les cas confirmés sont répartis comme suit : sur les quatre districts que compte le département, Mbour arrive en tête avec 173 cas, suivi du district sanitaire de Popenguine avec 152 cas dont 83 importés, Joal 27 et le district de Thiadiaye ferme la marche avec 19 cas confirmés.
L’Odcav renonce à l’organisation des navétanes à Mbour
Interpellé sur l’appel du préfet du département de Mbour, Pape Amar Mbodji, président de l’Odcav (Organisme départemental de coordination des activités de vacances) de Mbour, n’a pas manqué de décliner la proposition de ce mouvement sur l’élaboration du plan de riposte contre la maladie dans le département. Selon Pape Amar Mbodji, depuis la levée des restrictions qui étaient prises lors de l’Etat d’urgence, les cas se multiplient un peu partout. Le président de l’Odcav de Mbour soutient qu’ils vont renoncer à jouer les navétanes cette année. «A la suite de ce constat, nous avons été interpellés par les acteurs. Et d’un commun-accord, nous allons solliciter de notre hiérarchie au niveau régional puis national, par courrier officiellement pour leur demander de surseoir, compte-tenu de la situation que traverse le département, aux compétitions des navétanes», informe M. Mbodji. Qui poursuit : «Le département est cité comme une des zones rouges où sévit la maladie et il nous sera difficile de mobiliser des ressources et les acteurs pour organiser des compétitions. C’est pourquoi, conformément aux dispositions réglementaires, nous allons demander une dérogation à notre hiérarchie pour que cette année, on puisse nous consacrer à faire les navétanes autrement, comme l’Oncav l’a déjà initié avec le ministère de la Santé», a rappelé M. Mbodji. Ainsi, le président de l’Odcav a invité les 409 Asc regroupées dans les 33 zones à élaborer un plan d’actions dans leurs quartiers. Un geste salué par le préfet du département de Mbour.
En plus du mouvement des navétanes, les délégués de quartier ont également pris comme engagement de réunir les forces vives de leurs quartiers, d’envisager des mesures de riposte appropriées à leurs quartiers. Mais également de se rapprocher des bonnes volontés qui sont dans les quartiers pour accompagner cette lutte. Les badiénu gokh ont également rejoint cette lutte et tous ces efforts combinés, à côté des initiatives déjà mises en œuvre par les services de l’Etat, notamment les forces de défense et de sécurité à travers des patrouilles, ces actions et initiatives permettront d’inverser la tendance haussière notée depuis quelque temps en ce qui concerne les cas notés.
Après les navétanes, quid du Kankourang ?
Les sorties du Kankourang, une manifestation culturelle mandingue très suivie à Mbour, qui se tient au mois de septembre, risquent d’être perturbées à cause du Covid-19, cette année. Cet évènement culturel va-t-il se tenir cette année ? Le préfet du département précise, à ce propos : «Nous aurons des échanges avec les responsables de cette organisation et, ensemble, nous pourrons envisager des mesures et des décisions qui vont mettre à l’aise tout le monde. Le moment venu, on verra avec eux.» «De toutes les façons, la situation actuelle exige que l’on mette de côté tout ce qui est activité qui rassemble un certain nombre de personnes. Et comme nous l’avons tous constaté, Mbour fait partie malheureusement des départements où la maladie ne cesse de progresser. Et ce genre de rassemblement ne fait qu’empirer la situation. Et en tant que communauté responsable, la communauté mandingue saura être aux côtés de l’Etat dans le cadre de cette riposte», a invité Mor Talla Tine.
Par Makhily Gassama
FAIDHERBE AUX RACINES DU MAL FRANCOPHONE
Nous sommes persuadés que s’indigner, c’est cogner la tête contre le mur de lamentation ; se libérer collectivement, c’est se lancer dans une aventure insensée. L’école coloniale a parachevé notre aliénation
Soixante années de souveraineté, dit-on. Au nom de notre dignité, au nom de l’Histoire, déboulonnons enfin les statues et débaptisons nos rues et édifices, Monsieur ! Au nom de l’Histoire ne les déboulonnons pas, Madame, ne débaptisons rien ! Saint-Louis sans Faidherbe, quel désastre ! Le Général nous a honorés devant tout le Sénégal, devant toute l’Afrique ! Le président Lamine Gueye valait-il le capitaine Joost Van Vollenhoven ?
Le président Léopold Sédar Senghor avait-il plus de mérite que le Gouverneur général Ernest Nestor Roume ? Ces « grands Blancs » nous ont arrachés aux ténèbres de l’ignorance ; ils ont tendrement aimé nos langues et nos mœurs ; ils les ont étudiées au vitriol pour mieux nous connaître et nous servir…Ils ont construit des routes et des ponts… Ô ! Oui, l’élégant pont Faidherbe, fierté de la somptueuse ville de Saint-Louis ! Comment les noms Gueye et Senghor peuvent-ils ainsi effacer, sans coup férir, ceux de ces héros de la colonisation ?… Et Faidherbe, il fut véritablement nègre avec les nègres… Quelle ingratitude insensée, Madame ! Ah ! des routes et des ponts ! Par qui ? Pour qui ?...Quelle histoire !...
Et Faidherbe assimilé par la tribu nègre de Ndar en dépit des massacres massifs de nos populations sans armes et l’humiliation infligée à nos princes et princesses !… Lourds, très lourds blasphèmes ! Ignorez-vous que ces statues que vous croyez « nôtres » ont été conçues, coulées et placées là où elles sont par les vainqueurs sans la moindre concertation avec les vaincus ? Qui a osé écrire, en notre nom, au fronton de la statue de Faidherbe :
« A son gouverneur Louis Faidherbe, le Sénégal reconnaissant » ? Les vainqueurs ou les vaincus ? « Et vous faites nôtres ces statues ? Diantre voilà plus de soixante années d’indépendance que vous les adorez sans gêne ! Vous osez narguer vos ancêtres morts pour notre pays ! Voyez-vous, monsieur, je n’ai pu découvrir, dans aucune ville de France, au fronton des édifices, des rues, des avenues et des boulevards, les noms d’Hitler ou de ses compagnons dans le mal. Pourtant, ils tenaient tellement à la France, appréciaient tellement le patrimoine gaulois, ces héros de la race aryenne ! Pas non plus de statues célébrant leur passage fulgurant sur les terres de France !
Eux c’est eux, nous c’est nous, Madame !
Le monstre gît là. Tout est dit : nous ne sommes que ce que nous sommes sur la Terre des hommes, nous, Africains nègres et francophones, sous-hommes, condamnés à la soumission, donc à la damnation. Nous voici, défiant Aimé Césaire, Frantz Fanon, Cheikh Anta Diop et d’autres Nègres téméraires. Et « bedonnants de diplômes », nous voici enflés d’orgueil : pourtant nous acceptons, de plein gré, dans une béatitude profonde, de n’être que les avatars de ceux qui ne sont pas et ne seront jamais nous. Nous avons ouvert dans tous les domaines du développement humain, depuis la proclamation des « Indépendances », de larges chantiers, couverts aujourd’hui de poussière, devenus des chantiers de l’insipide collaboration dans le mal, des chantiers de la trahison et de la honte. Et nous pensons que l’Histoire n’est pas vraie, comme nous pensons que le coronavirus n’est pas réel. Pourtant l’Histoire existe : elle nous jugera implacablement, comme la pandémie existe : elle tue tous les jours.
La question fondamentale est de savoir comment, avec tant d’insouciance, avec tant de tranquillité, même de sérénité, probablement acquise au contact de Descartes et dans la pratique des spéculations philosophiques sans bornes, qui ont émasculé, chez nous, toute volonté d’agir efficacement, comment nous sommes parvenus à oser « jurer une sainte alliance » avec l’ancien colonisateur au détriment de notre propre bien-être collectif. A examiner les comportements de ceux qui dirigent nos Etats et de ceux de nos élites intellectuelle et économique, à comparer ces hideux comportements à ceux des enfants de n’importe quelle autre nation de ce monde moderne, on est ébahi devant notre capacité à refouler tout sentiment d’indignation devant le mal et à créer et à entretenir un amour insatiable et ridicule pour des situations d’exception : nous sommes seuls à être ce que nous sommes dans le monde et tout révèle quotidiennement que ce que nous sommes n’est pas flatteur. Nous sommes persuadés que s’indigner, c’est cogner la tête contre le mur de lamentation ; se libérer collectivement, c’est se lancer dans une aventure insensée ; or dans une société ambitieuse, rien de grand ne peut se construire sans le goût pour la liberté collective, sans le sentiment d’indignation qui, pour l’intellectuel francophone, est un sentiment ridicule et condamnable au même titre que l’émotion. Ainsi toute force qui peut nous faire avancer est à traîner dans la boue. Cette manœuvre machiavélique nous a permis de corrompre le lexique de la tribu francophone. Nous y reviendrons.
Qui nous sommes ? Quels nous sommes ?
Nous savons tous que nous venons de loin ; de très loin. Le chemin de la souffrance a été long, très long : environ 4 siècles de traite négrière et 3 siècles de colonisation. Donc 7 longs siècles d’humiliation quotidienne, d’angoisse existentielle, d’agenouillement. Absolument rien de précis à l’horizon. Aucune réussite collective ne pouvait être envisagée. Et l’on pense que cela n’a pas transformé ou, mieux, n’a pas formaté notre être et pesé lourdement sur nos comportements actuels. Nous venons à peine d’être libérés du joug colonial qu’il nous est reproché, avec l’ignominieuse complicité d’une partie de notre propre classe politique et de notre propre intelligentsia, de nous pencher sur ce passé fait de cruautés et de crimes innommables contre la race humaine, d’en parler ne serait-ce que pour l’exorciser.
Oui, il nous est fait obligation de nous taire, de faire table rase du passé et de ne considérer que l’avenir, un avenir sans racines, qui doit être défini à notre mesure et conduit par des forces extérieures, des forces dominantes, notamment par l’ancien colonisateur. Il nous est interdit de parler de notre phénoménal apport au monde, surtout à l’industrialisation de l’occident, nous, êtres réputés paresseux, nous, portefaix robustes de la race humaine, nous sommes paresseux, dit-on sans gêne, sans avoir peur de la contradiction ! Il convient de faire la chasse à des œuvres comme celles de Cheikh Anta Diop - si impertinent, si turbulent, si encombrant ! J’entends d’ailleurs le président Nicolas Sarkozy nous reprocher de parler de l’âge d’or qui n’avait jamais existé et qui n’existera pas, affirme-t-il sentencieusement. Dialogue de sourds que de parler avec un « grand blanc » qui, au fait, ne sait rien de nous, ne sait rien non plus de la marche du monde.
L’œuvre d’un Cheikh Anta Diop est trop compliquée pour lui : le président Sarkozy va vite, il est pressé, il piétine des pans entiers de l’histoire des relations humaines sans s’en rendre compte. Son récent livre, comme son discours de Dakar, révèle scandaleusement qu’il semble tout ignorer ou feint de tout ignorer des désastres causés par la françafrique, dans nos pays, dans tous les domaines du développement humain. Il nous rend responsables de notre propre malheur ; à bien réfléchir, il a certainement raison : nous sommes devenus masochistes ; car nous avons tout permis à la France jusqu’à comploter avec elle contre le devenir de nos peuples. C’est avec notre appui, le précieux appui de nos grands « chefs », avec la complicité de certains de nos intellectuels et hauts cadres de l’administration, que son pays est parvenu à construire la monstrueuse françafrique, unique en son genre sur toute l’étendue de notre globe ; elle a réussi à saboter avec arrogance notre souveraineté dans tous les secteurs de développement de nos pays. Et nous osons bénir la France sous le charme de l’ « aide » qu’elle nous apporte et des diplômes acquis dans ses universités. « Aide » !
Voilà encore un autre concept vidé de son contenu et rechargé à volonté par la françafrique. Voilà que je contreviens imprudemment aux diktats du président français : oui - pourtant comme lui - j’ose ressasser l’histoire de mon pays. on ne se pose pas la question de connaître le nombre impressionnant de films, de documentaires, de livres, etc., réalisés sur les atrocités des deux Grandes Guerres, sur l’Allemagne nazie, sur le nazisme et sur la Shoah. Combien de cérémonies mémorielles sont organisées annuellement en France, ces cérémonies si adulées par le président Sarkozy ?
Les chiffres sont impressionnants, mais qui s’en plaint ? Qui ose parler de « ressasser l’histoire » de France ? En tout cas, pas ces intellectuels africains de l’école du président Sarkozy, prompts à défendre les intérêts majeurs de l’occident sur nos terres. Combien de films, de documentaires, de livres, réalisés sur le peuple souffrant, sur le passé du Nègre, sur la traite négrière et sur la colonisation, ces plus grands crimes de tous les temps, dans toute l’histoire de l’Homme, par leur apport au développement gigantesque de l’occident, par leur nature, par leur intensité, par leur durée et par le nombre de victimes ? Pourtant le nombre de ces documentaires est nettement insignifiant, voire ridicule par rapport à ce qui a été réalisé sur une Europe menacée dans sa chair et dans sa dignité durant une très courte période de son histoire.
Existe-t-il en Europe des personnages historiques de la dimension de l’Empereur Soundjata Keita que ses contemporains comparaient à Alexandre le Grand, d’Almamy Samory Touré, d’Alpha Yaya Diallo, d’El Hadj Omar Foutiyou Tall dont la vie et l’œuvre n’aient pas été portées de nombreuses fois à l’écran ? Combien d’œuvres de tous genres ont été consacrées à ces figures historiques européennes ? Et l’on nous accuse de « ressasser l’histoire » ! Si l’école du président Sarkozy triomphe en dépit de la fatuité et de la légèreté de son programme, l’Afrique francophone ne sortira jamais du sous-développement.
Parler des crimes dont nous avons été victimes, fouiner dans les archives pour produire des œuvres artistiques et des ouvrages scientifiques et d’imagination, organiser de grandes rencontres de réflexions, tenir des conférences, inscrire ces pans de notre existence dans nos programmes scolaires et universitaires dans l’unique dessein d’un meilleur éclairage des générations présentes et futures du continent africain, c’est « ressasser l’histoire », expression chère à l’ancien président français, un des précieux leitmotivs de son lexique politique, aussi stérile que son agitation autour du thème de la repentance qu’aucun Africain francophone ne lui réclame.
Pour lui, en accomplissant ainsi notre devoir d’intellectuels ou tout simplement de cadres africains ou de politiciens patriotes, nous fuyons nos responsabilités et cherchons à faire endosser tout le mal par son pays à lui, ce cher pays qui a inventé la françafrique après la colonisation, avec un talent politique et diplomatique sans précédent dans l’histoire des relations internationales. Le président s’acharne à nous condamner avec férocité sans jamais apostropher vertement ses pairs africains francophones, sans jamais parler de l’œuvre de la françafrique : il s’en prend non pas à ceux qui nous dirigent, aux criminels qui freinent sciemment le développement de nos pays au profit de leur confort personnel, mais aux peuples et à certaines de ses élites intellectuelle et politique qu’il faut museler, et à sa jeunesse qui se veut patriote, aux vigoureux contempteurs des actions crapuleuses et funestes de la françafrique, qui croient encore que leurs communautés sont défendables ; mais le président Sarkozy sait pertinemment que ces différentes catégories de citoyens ne font pas partie de ses interlocuteurs, car aucun dialogue n’est possible entre eux et le Président français d’autant plus qu’ils évoluent loin des postes de commandement, donc des cercles de décision. Il s’agit, dans ses discours, pour l’ancien président français, d’une bravade sans risque, parce que sans vrais interlocuteurs, sans objet, une bravade à la Don Quichotte.
Soyons sérieux : les vrais responsables des malheurs de l’Afrique francophone sont les militants de la françafrique qui regroupent la plupart de nos hommes et femmes politiques au pouvoir aussi bien que dans l’opposition, notre élite économique, qui est sans vision dynamique de l’économie nationale, et notre élite intellectuelle et nos hauts cadres, toujours fiévreusement en quête de distinctions académiques de la France et de ses institutions publiques et privées. « Le vieux nègre et la médaille » est loin d’avoir rendu son dernier souffle. On comprend qu’après soixante années de gouvernance nègre, ces pourfendeurs de nos intérêts s’opposent, tantôt avec brutalité, tantôt avec finesse, au déboulonnage des statues de colons qui encombrent nos places publiques et nos consciences ! Il y a lieu de s’interroger sur les racines de tels comportements.
Les racines du mal
Il faut reconnaître que l’Empire français n’avait pas été créé à la légère. Il était assis sur des fondements scientifiques solides. Toutes les disciplines universitaires, même le droit et la littérature, ont participé à sa création et à son fonctionnement. Dans sa consolidation et sa pérennisation, ces disciplines scientifiques ont joué un rôle bien plus efficace que les canons. La littérature, par exemple, a pesé lourd sur la balance d’autant plus que les poètes français, de ronsard aux poètes du xxe siècle, comme Pierre Emmanuel ou Alain bosquet, sont tous de grands séducteurs, même ceux qui ont transformé leur plume en glaive spirituel, comme Théodore Agrippa d’Aubigné.
Les XVIIe et XIXe siècles ont attribué à la France, sur nos terres, une couronne resplendissante. Quel paysan analphabète en français, dans nos campagnes, n’avait pas entendu parler du génie de Victor Hugo ? Les vers de Jean racine, par leur fluidité, nous faisaient penser aux poèmes-chants psalmodiés par nos mères. La virilité qui ébranle les vers de Pierre Corneille nous rappelait le bruissement des armes dans les armées de Soundjata Keita et d’autres vaillants guerriers du continent. Le verbe est sacré en Afrique ; ses prêtres le savaient et l’enseignaient. Certaines disciplines ont accouché des filières nouvelles pour la gloire de l’Empire : la spécialisation, par exemple, en droit indigène ou en médecine tropicale. Toutes les disciplines universitaires ont été sollicitées ; « aucune ne peut prétendre épuiser seule la complexité et la connexité des difficultés engendrées par l’avènement de la « Plus Grande France ».
Philosophes, sociologues, économistes, politistes, juristes, ethnologues, géographes, historiens, adeptes de la psychologie des peuples indigènes, médecins coloniaux…, tous ceux qui, à l’époque – et ils sont fort nombreux – étudient la construction impériale en sont conscients », reconnaît olivier Le Cour Grand maison. Vaste tâche ! Insistons sur le fait qu’aucune discipline universitaire n’a été écartée ou négligée par les bâtisseurs de l’Empire ; par contre, c’est nous qui avons oublié que pour nous décoloniser, pour réaliser le nouveau citoyen et le rendre efficace, il fallait faire appel à toutes ces disciplines. La France, elle, est allée jusqu’à créer des institutions nouvelles pour la consolidation de « La Plus Grande France » et pour son détachement des préoccupations du peuple français : il y avait la Métropole et il y avait le reste de l’Empire. Sur le terrain, prospéraient des romanciers dits « coloniaux » dont les œuvres ont fini par provoquer la naissance d’une littérature africaine de langue française. Que peut-on arguer de ce constat ?
Tout cela permet de nous rendre compte que l’histoire de nos relations avec la France est une histoire sérieuse et complexe, fortement ancrée dans notre être. L’école coloniale a parachevé notre aliénation. Dirigée par des pédagogues chevronnés, cette école a été dynamique et efficace dans le formatage de la nouvelle personnalité du serviteur de l’Empire. Le système éducatif de la France n’est pas innocent car il n’est pas sans brutalité. Cela relève de sa conception de la culture, surtout la conception qu’elle se fait de sa culture, qui n’est pas, à ses yeux, une culture nationale, mais qui est plutôt une culture universelle dont la caractéristique essentielle est qu’elle vit en autarcie, sans tolérance, surtout linguistique, pour les cultures voisines. Elle n’a de respect que pour le latin et le grec, ces langues mortes. Bien avant la construction de l’Empire, certaines régions françaises ont souffert d’une sorte de « colonisation intérieure », qui se traduisait, en partie, par le rejet brutal du patois et de son environnement, comme l’occitan, langue d’oc parlée dans le sud du pays. Le plus révoltant c’est moins ce mépris des langues autres qu’elle affiche de façon ostentatoire que l’acharnement du système scolaire à dévaloriser tout l’environnement à conquérir ou à dominer et à refuser systématiquement d’emprunter quoi que ce soit à l’autre. Ce n’est pas sans raison d’ailleurs que la politique linguistique de la francophonie continuera de tourner à vide. Cette institution parle beaucoup de la rencontre des cultures, de la diversité culturelle et même de la culture de la diversité, de la tolérance, mais dans la réalité, elle ne fait rien de significatif pour marquer son intérêt.
L’apprentissage de la langue française va avec l’apprentissage du mépris pour toute autre langue maternelle et avec l’effort considérable de dévalorisation de l’environnement où évolue l’apprenant. Dans cette perspective, il existe tout un arsenal d’opérations punitives, dont ce triste procédé d’ « inter-délation » que fut le « signe », appelé aussi « symbole » ou « la vache », mis en place sous la troisième république. Le besoin d’unification linguistique de la France, besoin qui est un trait de son génie, a été surtout dicté ici par la perte de l’Alsace et de la Lorraine, de même que l’Empire, « La Plus Grande France », naquit dans les cendres de la cruelle défaite de 1871 de Sedan, devant l’Allemagne de Bismarck. Le procédé du symbole a été exporté avec succès dans les colonies. Ce témoignage du professeur français Yvon Bourdet, sur l’importance donnée à l’école de langue française dans sa région au sud du pays, est éloquent : « Les premiers « succès » en classe, la moindre louange du maître d’école, rapportée aux parents ou aux amis, éclairait tous les visages : - « Si tu continues de « bien apprendre », tout sera plus facile pour toi ! » - « Si j’avais eu « de l’instruction », disait un autre, je ne serais pas resté ce que je suis ! »i. On croirait lire Bernard Dadié en Afrique au sud du Sahara.
Chaque citoyen africain francophone de ma génération se retrouve parfaitement dans ces propos : sensibles aux promesses de l’école, nous sommes en perpétuelle quête d’un statut supérieur qui nous rend aveugles et sourds à la recherche d’un bienêtre collectif. Le mécanisme de l’acculturation passe par la langue, féroce et intolérante, qui finit par polluer tout l’environnement de l’enfant : tous ces efforts visent à le couper de son milieu. On le réussira. On remarquera d’ailleurs que même le nouvel homme politique de chez nous, soumis, malgré lui, au système démocratique, contraint de se retrouver avec le peuple durant les campagnes électorales, une fois élu, gouvernera sans ce peuple et se montrera surtout attentif aux diktats de ses « maîtres extérieurs » : au fond de son être, il juge son milieu méprisable à jamais ; la puissance et l’efficacité ne peuvent être qu’ailleurs. Les outils de la réussite ne sont pas à l’intérieur, mais à l’extérieur de notre environnement ; les conséquences d’un tel état d’esprit sont énormes.
A nos yeux d’anciens colonisés, des statues de héros-bourreaux sur nos places publiques – personnages adulés à l’extérieur - ne peuvent qu’ennoblir ces places, donc améliorer notre propre image. On voit où nous ont conduits 7 siècles de servitude ! Les racines du mal sont profondes. Je ne ferai pas appel, ici, aux grands phares de notre histoire, aux génies de mon continent ; je m’appuierai plutôt sur les réflexions d’un génie de l’Hexagone. Jean-Jacques rousseau écrit audacieusement dans son « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité » : « Il en est de la liberté comme de ces aliments solides et succulents, ou de ces vins généreux, propres à nourrir et à fortifier les tempéraments robustes qui en ont l’habitude, mais qui accablent, ruinent et enivrent les faibles et délicats qui n’y sont point faits »ii. J’ai dit que nous avons vécu plus de 7 siècles de domination sans interruption, soumis quotidiennement à la servitude. Que pourrait être le rapport d’un tel être à la liberté une fois acquise ?
A vivre ce que nous vivons depuis la proclamation de notre souveraineté, nous nous rendons compte que la liberté est difficile à assumer ; nous en avons peur. Nous avons tellement peur de couper le cordon ombilical avec l’ancien colonisateur ! Nous avons peur de la liberté comme l’on a peur de l’aventure, de l’inexpérience. Aucun peuple sur cette erre ne partage avec nous un tel sentiment. Aussi avons-nous opté pour des situations d’exception, susceptibles de nous mettre à l’abri des risques. Jean-Jacques rousseau n’a pas tort de nous mettre en garde : « Les peuples une fois accoutumés à des maîtres ne sont plus en état de s’en passer […].
Le peuple romain lui-même, ce modèle de tous les peuples libres, ne fut point en état de se gouverner en sortant de l’oppression des Tarquins. Avili par l’esclavage et les travaux ignominieux qu’ils lui avaient imposés, ce n’était d’abord qu’une stupide populace qu’il fallut ménager et gouverner avec la plus grande sagesse, afin que s’accoutumant peu à peu à respirer l’air salutaire de la liberté, ces âmes énervées ou plutôt abruties sous la tyrannie, acquissent par degrés cette sévérité de mœurs et cette fierté de courage qui en firent enfin le plus respectable de tous les peuples. » Serait-ce le sort de l’Afrique francophone ? Combien de temps faudra-t-il pour accepter et assumer notre liberté ? Il faut conclure. La conclusion sera brève. J’ai insisté sur les forces qui ont créé l’Empire français et ont permis à la France de se retrouver à la table des grands de ce monde après sa retentissante défaite devant l’Allemagne en 1871. Les divers rôles joués par l’ensemble des disciplines scientifiques et le système d’enseignement ont été déterminants dans la réussite de la colonisation française. C’est l’esprit qui est en jeu ; c’est lui qui a été atteint par la science de l’autre ; c’est lui qu’il faut remodeler.
Nos universités et instituts de formation ont-ils cherché à s’adapter à la nouvelle situation à l’instar de la prestigieuse Sorbonne qui avait rejoint le peloton des institutions scientifiques impérialisées de l’époque ? Il faut que nous ayons le courage de nous pencher sérieusement sur les programmes de nos écoles, de nos centres de recherche et surtout de nos universités. Tant que nos programmes scolaires et universitaires n’auront pas radicalement changé au profit de la formation exclusive du citoyen africain, la défense et la protection des actions nuisibles, comme celles des biens mémoriels du bourreau, constitueront toujours, à nos yeux, un devoir impérieux. Nous devons avoir la conviction, après le Général de Gaulle, pour nous affranchir enfin du joug de son pays, que « les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire »iii. Et ces moyens, ici, c’est la science et le courage de la faire mettre en œuvre par les enfants du pays !
i Yvon Bourdet, L’éloge du patois ou l’itinéraire d’un occitan, Editions Galilée, Paris, 1977.
ii Jean-Jacques rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité, bookking International, Paris, 1996. Souligné par moi.
iii Le Général de Gaulle, Appel du 18 juin 1940. Souligné par moi.
LE VILLAGE ARTISANAL DE SOUMBEDIOUNE AU BORD DU GOUFFRE
A l’échelle pyramidale des impactés de la pandémie du coronavirus, les acteurs du monde artisanal sont au sommet. Au village artisanal de Soumbédioune, les activités sont au point mort.
A l’échelle pyramidale des impactés de la pandémie du coronavirus, les acteurs du monde artisanal sont au sommet. Au village artisanal de Soumbédioune, les activités sont au point mort. La majorité des cantines est fermée. Et avec la propagation fulgurante de la pandémie qui a fini de s’installer dans le pays, les acteurs du monde artisanal doivent encore prendre leur mal en patience. La clientèle étant majoritairement composée de touristes, est donc presque inexistante actuellement. Ce qui met donc le village artisanal au bord du gouffre alors que l’aide étatique promise tarde à se matérialiser …
Au village artisanal de Soumbédioune, les visages ne sont pas radieux. La plupart des cantines sont toujours fermées depuis le début de la pandémie. Ce grand centre de l’artisanat, qui était une des attractions de la capitale et le point de convergence des touristes, est en train de mourir de sa belle mort. A l’intérieur, on se croirait dans une cathédrale, tellement le silence des lieux est religieux.
Mbaké Sylla, un jeune commerçant en maroquinerie, gérant de cantine, habillé d’une chemise multicolore et d’un pantalon kaki, se morfond dans sa cantine où il passe toute la journée sans voir l’ombre d’un seul client. « En temps normal, déjà, le secteur de l’artisanat était confronté à toutes sortes de difficultés dans ce pays. La pandémie du coronavirus nous a arrachés le peu que nous avions. Il faut que l’Etat change sa politique afin de mettre le secteur de l’artisanat au cœur de son projet de développement. Ce qui est plus aberrant, nous n’avons encore rien reçu de notre ministre de tutelle », déplore Mbaké Sylla.
A l’en croire, cela fait plus de cinq mois que les pensionnaires de ce village vivent un calvaire sans que leur ministre de tutelle ne s’inquiète de leur sort. Alors que certains d’entre eux parvenaient à se retrouver avec 500. 000 francs de chiffre d’affaires chaque mois avec l’afflux des touristes, aujourd’hui, avoir 40 000 francs relève de l’exploit avec la désaffection des lieux par les touristes et les autochtones. Ce qui fait que la vie de ces acteurs de l’informel est devenue misérable, plaçant leur famille dans une situation inconfortable. L’autre goulot d’étranglement du village artisanal de Soumbédioune, c’est la construction du tunnel routier qui l’a complètement éclipsé. En effet, il n’y a même pas un seul panneau pour indiquer l’emplacement du village qui a perdu la plus grande partie de sa clientèle depuis la construction de ce tunnel sous le régime du président Abdoulaye Wade.
La concurrence des boutiques au niveau des hôtels
L’autre problème dont souffre ce centre qui fut le creuset de l’artisanat dans notre pays et le passage obligé de tous les touristes, c’est la concurrence « déloyale » que lui mènent les hôtels qui ont ouvert des boutiques qui vendent les produits réalisés par des artisans locaux. Autant de problèmes étouffent le secteur artisanal national devenu si vulnérable. « Les boutiques présentes dans les hôtels, et qui vendent les mêmes produits que nous, font que les touristes ne se déplacent plus pour visiter le village », regrette Alioune Kane, la trentaine, trouvé en train d’astiquer ses œuvres. Cependant, ce partenariat entre les boutiques des hôtels et les artisans vu village n’est pas forcément négatif, dans la mesure où certains parmi ces derniers tirent leur épingle du jeu dans ce business. Interrogé sur son chiffre d’affaires, notre interlocuteur explique qu’il lui arrive de se retrouver avec 300 000 francs à la fin du mois. Mais il peut aussi rester deux semaines sans rien vendre. Ces acteurs de l’informel fustigent le comportement de certains sénégalais qui ne consomment pas local. Raison pour laquelle, nos braves hommes qui évoluent dans le secteur de l’artisanat souffrent. Dans ce lot, une jeune demoiselle, le teint noir sans aucune trace de dépigmentation, dit subir les caprices de la pandémie du coronavirus. Ndèye Dibor Ndiaye, vendeuse de tissus, de robes, et brodeuse, estime que la désaffection des clients ainsi que la préférence des Sénégalais pour les produits étrangers font que leurs activités ont périclité. Ce qui place le village de Soumbediioune dans une profonde crise si bien que certains artisans disent être prêts à fermer boutiques tellement le mal est profond.
L’administration du village pointe du doigt les lenteurs administratives
Dans les locaux administratifs du village artisanal de Soumbédioune, la queue est longue. Les acteurs de l’artisanat sont venus nombreux pour s’inscrire sur la liste afin de bénéficier de l’appui de l’Etat. Cela fait plus de cinq mois qu’ils n’ont rien reçu. Et ce n’est qu’au début de cette semaine qu’ils ont appris qu’un fonds leur a été alloué. « Toute aide est la bienvenue. Nous avons assez attendu. Mais nous n’en pouvons plus avec les lenteurs administratives notées depuis l’ouverture des bureaux pour les inscriptions en vue de bénéficier du fonds » fustige Modou fall, un artisan. Serigne Mor Talla Babou, secrétaire général de la chambre de métiers de Dakar, la lenteur administrative est à corriger car les acteurs du monde de l’artisanat ont assez attendu leur part du fonds force Covid -19.
Au-delà de ce fonds, il fait savoir qu’il existe déjà un projet d’appui de 30 milliards de la banque mondiale qui est en cours et pour lequel huit corps de métiers sont ciblés. Les artisans espèrent voir le bout du tunnel avec l’effectivité de tous ces projets. Mais pour le moment, les pensionnaires du village artisanal de Soumbédioune crient en chœur que leur secteur est en crise depuis plus de cinq ans et la pandémie est venue mettre à genoux le village artisanal de Soumbédioune si bien qu’il est devenu un point désertique dans la carte touristique du Sénégal.