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24 avril 2025
Culture
LE KUMPO, SYMBOLE D'UNE SYMBIOSE ETHNIQUE
Le masque reflète le brassage culturel, l’ouverture des groupes ethniques en Casamance. Les Mandingues et les Baïnouks se disputent la paternité de ces figures dotées de pouvoirs surnaturels aujourd’hui popularisées par les Diolas
Idrissa Sané et Seydou Ka et Moussa Sow |
Publication 23/08/2020
Le village de Bourofaye Baïnouk bascule dans une ambiance joyeuse l’après-midi du samedi 8 août 2020. Dans la vaste cour d’une concession, des femmes, sous l’ombre des manguiers, chantent et dansent, d’autres se trémoussent entre les grandes marmites posées sur le brasier. La cause de cette ambiance, une fille du village est donnée en mariage à un homme originaire de Niamone. Le village entier est en fête. Mais, tout s’accélère dans la soirée. Les convives attentent les ballets des masques. C’est la tradition dans cette communauté. Peu avant le crépuscule, un masque, avec les languettes de feuille de rônier, déboule derrière un bosquet. C’est le « kumpo ». Sa tête est surmontée d’un bâton coiffé d’un arc. Il se dirige vers la maison de la jeune mariée. Jadis, la danse du « kumpo » n’était pas réservée aux cérémonies de mariage. C’est la preuve que cette communauté a adapté la vocation de ce masque en fonction des nouvelles réalités. La constance, c’est la beauté de la chorégraphie, la force surnaturelle qui habite le porteur. Lorsqu’il tourne et se retourne, les languettes de feuille de rônier décrivent des formes circulaires captivantes. On n’est pas moins fasciné par son équilibre lorsqu’il s’arrête en s’agenouillant et enchaîne d’autres rotations sous les vivats des femmes, des jeunes et des non-initiés. Ce masque ne sort pas n’importe comment et n’importe où. Du moins, c’était la règle. Mais, depuis quelques décennies, les conservateurs sont moins rigides. « Le « kumpo » est encore sacré même si, aujourd’hui, il fait des prestations lors des mariages, des festivités, comme pour accueillir un hôte », tempère Malamine Goudiaby, le manager de la troupe culturelle et artistique de Tabi, baptisée Gharlanto. Au fond, le « kumpo » sert à cimenter la vie en communauté chez les Diolas où il est plus popularisé. Ce groupe l’a emprunté aux Baïnouks.
De Tabi, dans le Kalounaye, à Niamone, beaucoup reconnaissent que le « kumpo » est un mot mandingue qui peut signifier « inconnu » ou l’ « énigme ». Lors de notre passage dans la capitale des Baïnouks, comme des historiens, nous avons recueilli d’autres versions et vocations et des récits. « Dans le Niamone, le « kumpo » n’est pas banalisé. Nous ne savons pas ce qui est derrière. La robe en feuille de rônier est posée à l’entrée de la forêt. C’est à partir de là qu’il partira pour rejoindre le village. Mais, avant sa sortie, le village est informé 24 heures à l’avance. Lorsque le « kumpo » sort, il faut savoir qu’il y a un problème dans le village. Il participe à l’éducation des enfants et au renforcement de la cohésion sociale », confie Bakary Diémé qui appartient à la famille des tradipraticiens du village de Niamone où le « kumpo » est vénéré. « En réalité, le « kumpo » est un masque baïnouk plus connu chez les Diolas qui l’ont rendu célèbre », revendique Lacomb Coly. Cette thèse est soutenue par les plus anciens.
Selon d’autres versions, le « kumpo » est apparu à la suite de la rencontre du « Nama » mandingue et du « Kossé » baïnouk. C’est par la suite qu’il a été vulgarisé dans le Fogny et le Kalounaye par les Diolas et aussi en pays Kharones, dans les îles. Au-delà de tout, le « kumpo », le « kankourang » et le « fambondi » sont des masques qui symbolisent la symbiose ethnique », pour reprendre la formule de l’historien Amadou Fall, spécialiste de la Casamance et vacataire à l’Université Assane Seck de Ziguinchor. Le partage des masques véhicule l’harmonie d’une vie commune dans la diversité. « Il faut le dire, actuellement, les groupes ethniques se partagent beaucoup de masques en Casamance, qu’il s’agisse du « kumpo », du « kankourang », ou encore du « fambondi », précise l’universitaire.
Tout le monde peut voir le « kumpo » qui reste un esprit au sein des communautés. Mais, les non-initiés doivent se tenir loin. Aujourd’hui, à part le village de Ouonk, dans le Kalounaye, la sortie du « kumpo » a son caractère sacré. Ce qui est immuable, c’est que le « kumpo » est une figure mythologique des ethnies mandingue, baïnouk et diola du Sénégal, de la Gambie et de la Guinée-Bissau.
JAMRA RECLAME LA CENSURE
Les concessions du Conseil de régulation de l’audiovisuel (Cnra) demandant certaines précautions avant la diffusion de la série «Infidèles» sont insuffisantes aux yeux de Jamra.
Les concessions du Conseil de régulation de l’audiovisuel (Cnra) demandant certaines précautions avant la diffusion de la série «Infidèles» sont insuffisantes aux yeux de Jamra. L’association religieuse vient d’introduire un appel auprès du régulateur pour demander l’arrêt pur et simple de la diffusion de la série.
C’est parti pour être un feuilleton dans un feuilleton. Un nouveau feuilleton pourraiton dire même. Après sa première plainte contre la série Infidèles, Jamra ne lâche pas l’affaire. Les décisions prises par le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) ne semblent pas contenter le «gardien des bonnes mœurs» du pays.
L’association dirigée par Mame Matar Guèye est en effet retournée auprès du régulateur pour demander l’arrêt pur et simple de la diffusion de la série. «Le Peuple sénégalais, dans son écrasante majorité, très attaché à ses croyances, toutes obédiences confondues, semble loin d’accepter la production et la diffusion d’œuvres érotiques, classifiées «interdit aux moins de 16 ans» sur son sol.
Par conséquent, le Collectif des plaignants contre les dérives audiovisuelles exige que toute œuvre télévisuelle, telle qu’Infidèles, entrant dans cette classification, soit purement et simplement interdite de diffusion télévisuelle au Sénégal», écrit le collectif composé de Jamra et du Comité de défense des valeurs morales (Cdvm).
Avant d’en arriver là, il faut rappeler que Jamra avait saisi le régulateur dès la diffusion des premiers épisodes de la série d’Evenprod pour dénoncer «l’apologie de l’adultère, la promotion de la fornication et la banalisation de l’homosexualité, sur fond de pornographie verbale». Cette plainte visait également une autre série Rewolene sakh diffusée également par la Sen Tv.
Après audition des différentes parties, le Cnra avait reconnu l’existence de «séquences et propos susceptibles de nuire à la préservation des valeurs, sensibilités et identités culturelles et religieuses» avant de décider de mettre des garde-fous aux producteurs et diffuseur de la série Infidèles.
Le Cnra demandait notamment l’arrêt de la diffusion de «propos, comportements et images jugés indécents, obscènes ainsi que des séquences et propos susceptibles de nuire à la préservation des valeurs, sensibilités et identités culturelles et religieuses». Le régulateur sommait également le diffuseur de ne plus diffuser ou rediffuser la série avant 22h 30mn, d’extirper des bandes annonces de cette série, les scènes susceptibles de heurter la sensibilité du jeune public et d’insérer de manière visible et pendant toute la durée de la série, un pictogramme rond de couleur blanche avec l’incrustation de -16 en noir.
Seulement, ces décisions ne semblent pas suffisantes aux yeux de Mame Matar Gueye et Cie. Ils viennent ainsi d’introduire un appel par rapport à cette décision pour demander l’arrêt pur et simple de la diffusion de la série. Coutumière de ces actions, Jamra avait également mené le même combat contre la série Maitresse d’un homme marié. Une action qui avait grandement contribué a la popularité de la série. Et aujourd’hui, les mêmes causes produisant les mêmes effets, Infidèles prend le même chemin de popularité puisque, selon son producteur Ibou Guèye, la série frôle les 2 millions de vues sur internet.
DES SPECIALISTES DE L’IMAGE ET DU CINEMA SE PRONONCENT
«Maîtresse d’un homme marié», «Mœurs», « Infidèles», séries sénégalaises suivies aussi bien au Sénégal que dans les autres pays du continent, ont cela de commun de «heurter la sensibilité de certains téléspectateurs»
«Maîtresse d’un homme marié», «Mœurs», « Infidèles», autant de séries sénégalaises qui ont le vent en poupe. Chaque nouvel épisode de ces séries atteint facilement le million de vues sur YouTube. Suivies aussi bien au Sénégal que dans les autres pays du continent, toutes ces séries ont cela de commun de «heurter la sensibilité de certains téléspectateurs». Même si cet ecritel est toujours absent, ces séries mettent en avant des histoires de sexe, d’argent. Hypocrisie d’une société, disent certains, tandis que réalisateurs comme producteurs disent offrir un miroir de la société et que ces séries servent plutôt à dénoncer les tares de cette société dont Jamra se veut le gardien de la bonne morale. Faut-il montrer pour dénoncer ou faut-il user d’une démarche plus subtile ? Le Quotidien a posé la question à des spécialistes de l’image et du cinéma.
Mamadou Sellou Diallo, enseignant à l’université de Saint-Louis, cinéaste : «La société sénégalaise n’est pas hypocrite»
Ces films ne racontent pas la société. C’est une production de flux. Pourquoi le cinéma ne rendrait pas meilleure la société. Les films indiens racontent bien leurs sociétés, leurs cultures, leurs croyances. Mais nous au Sénégal, on choisit de raconter cette réalité-là. Pourquoi on ne raconte pas cette réalité qui dit que nous sommes croyants, que nous ne regardons pas certaines choses devant nos enfants, que les Sénégalais ne s’embrassent pas dans la rue ? Et dans ces séries, tout le monde est riche, tout le monde habite dans de belles maisons, conduit de belles voitures. Cette réalité n’existe pas. Elle n’est que particulière. Les artistes sont des êtres sociaux qui n’ont peut-être même pas la compétence culturelle qu’il faut. C’est absolument nécessaire qu’il y ait des corps de contrôle et c’est la société, c’est nous, c’est Jamra, etc. Pourquoi Jamra n’aurait pas le droit de parler de conviction religieuse et sociale ? Pourquoi les producteurs n’assument pas qu’ils sont dans la pornographie ? La société sénégalaise n’est pas hypocrite. Nous avons nos mœurs et c’est un arrangement social.»
Moussa Sène Absa, cinéaste : «Il y a une banalisation du sexe dans ces séries»
Il y a un vrai problème du discours parce qu’il faut savoir comment dire les choses, comment montrer les choses et qu’est-ce qui est fondamental pour notre société ? J’ai regardé deux épisodes d’Infidèles et je ne m’y retrouve pas. Je trouve qu’il y a beaucoup de vulgarité et quand il y a de la vulgarité, il n’y a plus d’art. Quoi qu’on dise, nous avons aussi nos valeurs. Moi quand j’ai vu une fille sortir un coton hygiénique…Je ne peux pas faire ça ! Je n’ai jamais vu une image qui montre cette intimité de la femme. Dans nos sociétés il y a des choses qu’on ne dit pas et ce n’est pas de l’hypocrisie. C’est ce qu’on appelle le woorma. On sait que ça existe mais ce ne sont pas des choses qu’on met devant le public. Ça manque d’élégance, ça manque de subtilité, de finesse. Est-ce qu’on doit laisser nos enfants et nos petits-enfants être modelés dans cette nouvelle culture qu’on veut nous imposer et qui nous dépasse en fait. Ces gens, je ne peux pas les appeler des réalisateurs, ce sont des techniciens de la télévision. Il y a une banalisation du sexe dans ces séries et ils vont tuer Dieu. C’est-à-dire utiliser des scènes que notre foi, chrétienne, musulmane ou animiste, n’accepte pas. C’est nous imposer un monde de libertinage, d’infidélité, un monde où la famille n’a plus de sens où la femme est réduite à un objet de désir et de sexe. Je ne suis pas un censeur mais chacun doit prendre ses responsabilités. L’Etat, les producteurs, les réalisateurs aussi. Ce n’est pas parce que ça donne des vues, des buzz et que tout le monde en parle que c’est bien.
Dr Hadja Maï Niang, enseignante-chercheure en Didactique de l’image, université de Thiès : «Le Cnra doit être mieux structuré»
«Le Cnra doit être mieux structuré. Les avis trimestriels ne sont pas visibles et le Cnra doit avoir une connotation plus populaire. Consigner un avis sur du papier ne suffit pas. Il faut des communiqués verbaux, une traduction des avis trimestriels dans les radios, les télés et les réseaux sociaux. Toute série à diffuser doit passer par un comité de veille. Une série est d’une dimension sociétale, ce qui fait qu’elle doit être supervisée avant diffusion mais aussi amendée par le Cnra. Si le Cnra faisait bien son travail, Jamra, Daraay Sembène et les autres organisations ne seront pas là à parler après la diffusion. Le Cnra doit réfléchir à son rôle et se demander pourquoi ce sont toujours des associations qui viennent lui faire la leçon. On peut exposer les tares de la société sans faire le dessin. Autant la télévision est intelligente, autant le public l’est. C’est avoir une carence d’imagination que d’étaler de a à z ce qu’une certaine frange de la société vit. Ça n’apporte pas de valeur ajoutée. Dans Infidèles rien que par le verbal du générique, les tonalités et les sonorités qu’ils veulent imposer, font penser aussitôt à une telenovela.
Le film est une compilation de situations de mœurs. Quelle que soit la force de la mondialisation, toutes les nations font valoir une part de culture dans leurs œuvres audiovisuelles. L’exemple par l’industrie Bollywood en Inde et l’industrie télévisuelle brésilienne. Il y a une forte part de culture dans les telenovelas et le Brésil transporte ainsi sa culture. Mais dans les téléfilms sénégalais, à 90%, l’accoutrement des personnages est un rejet de la culture mais avec une petite dose de culture pour leurrer. Il y a matière à réflexion et il faut revoir tout cela. N’est pas scénariste, réalisateur ou acteur qui veut. On doit faire valoir la formation. Sinon, la mort des séries télévisées est déclarée. On peut berner le Peuple pour un laps de temps mais à force de berner, le public va se réveiller et rejeter ces films. C’est quelque chose de récurrent dans de nombreux pays et le Sénégal ne fera pas exception. Le cinéma peut émouvoir, faire pleurer, faire adhérer le public au point qu’il se déchaîne. C’est pourquoi c’est un outil à la fois futile et dangereux.»
«JAMRA SE TROMPE DE METHODE ET DE PRIORITE»
Miroir de la société ou expression d’une hypocrisie assumée, les nouvelles séries sénégalaises qui mettent «Jamra» dans tous ses états sont passées à la loupe par l’expert audiovisuel, Thierno Diagne Ba
Miroir de la société ou expression d’une hypocrisie assumée, les nouvelles séries sénégalaises qui mettent «Jamra» dans tous ses états sont passées à la loupe par l’expert audiovisuel, Thierno Diagne Ba. Selon lui, Jamra se trompe de combat.
Depuis quelques années, le Sénégal se distingue par ses séries. Des productions locales qui sont très appréciées même dans les autres pays du continent. Seulement, l’on constate que beaucoup d’entre elles mettent en avant le sexe, l’argent, etc. Comment faut-il analyser cette tendance ?
Les séries télévisées sont devenues une réalité. Elles se sont imposées dans les sociétés comme des produits culturels transnationaux. Elles n’ont plus de frontières. Les séries télévisuelles deviennent ainsi un objet d’études sociétales, géopolitiques, idéologiques, économiques et esthétiques. Les séries sénégalaises ont le vent en poupe ces dernières années en Afrique et dans sa diaspora. Les thèmes et sujets tournent essentiellement autour de l’amour, de la trahison, de l’infidélité, de la richesse, du pouvoir, de la cupidité, des mœurs et relativement du sexe (pas encore de nudité ou de baisers poussés). Ces thèmes s’expliquent d’une part parce que les séries sont aussi de la radio télévisée. Les émissions de radio les plus écoutées (Teuss, Xalass…) tournent autour des mœurs, de la tromperie, du viol, de l’infidélité, etc.
D’autre part, c’est une réalité sénégalaise qu’on le veuille ou non. Le scénariste n’est pas un donneur de leçons et il est libre de traiter ces thèmes de société demandés par les sériephiles. Ce n’est pas une tendance, c’est juste l’envergure et la manière de raconter qui ont changé. Nous ne sommes plus à l’ère de Daaray Kocc ou de Diamonoy Tay qui faisaient du théâtre filmé. Chaque cinéaste est témoin de son temps et ces jeunes ont besoin de raconter à leur façon, à leurs contemporains leurs propres histoires. Il me semble important de rappeler encore aux parents que l’école n’éduque plus, elle dispense des cours sur des matières comme les mathématiques, l’histoire, la géographie. La télévision n’éduque plus, elle est devenue un art de faire passer du temps à travers des informations, des séries et des émissions parfois médiocres. Un parent responsable ne confie jamais l’éducation de son enfant aux écrans.
Ces producteurs, scénaristes et réalisateurs répètent toujours qu’ils ne font que mettre en image les tares de la société. Pensez-vous que quand on veut dénoncer, il faut montrer ou faut-il être plus subtil ?
La série peut être un miroir de la société. Le scénariste peut avoir le choix de lui montrer ses tares, ses défauts mais aussi ses valeurs. Malheureusement, certaines personnes ne savent pas lire un film et elles ne voient que du négatif dans les contenus sénégalais. Le cinéma est un art et l’art est liberté. C’est pourquoi, ce n’est pas à une organisation de dire ou d’imposer aux scénaristes et réalisateurs comment faire leurs séries. Ce n’est pas parce que le film est violent qu’il pousse à la violence. Consommer une série d’horreur ne pousse pas à l’horrible, une série sur l’infidélité, le viol ne pousse pas non plus à faire ces actes. Je dirais que les séries nous donnent une claque et nous questionnent sur les faits de société. Comme si pour nous dire que le viol, l’infidélité, l’inceste, la pédophilie existent dans nos maisons et c’est à nous de continuer le questionnement pour trouver une solution. Oui, je suis pour la subtilité. Les questions sur la formation et l’esthétique des séries sénégalaises apparaissent encore une fois.
Ce n’est pas la première fois que Jamra monte au créneau pour dénoncer la «vulgarité», les images inadéquates dans ces séries. Pensez-vous qu’il faut une sorte de censure pour préserver «nos mœurs» comme disent ces organisations ?
J’ai du mal à comprendre le combat de Jamra. Son combat n’est que poursuite du vent, car cette organisation se trompe de méthode et de priorité. A quoi bon combattre les séries sénégalaises (pas de nudité, de relations sexuelles, de baisers) et laisser les télénovelas infester nos télévisions et à des heures de grande écoute.
A écouter le responsable de Jamra, je pense qu’il ne prend jamais le temps de voir une série et de l’analyser objectivement. Il se fonde sur le «ouï-dire». La preuve, il est passé complètement à côté en expliquant le lien entre les personnages de «Mame Diarra» et de son frère «Ridial» dans la série Infidèles. Il faut le dire, Jamra veut imposer son œil aux Sénégalais. Une série, c’est avant tout une histoire, un récit. Dans l’histoire, il y a toujours le protagoniste et un ou des antagonistes qui jouent les contre-valeurs. C’est comme un combat entre le bien et le mal. Un destin tragique attend ceux qui incarnent le mal s’ils ne changent pas leurs défauts. J’ai l’impression que Jamra souhaite que les séries ne montrent que le bien. Or, les scénaristes et les réalisateurs le voient autrement. Ils ont besoin du bien et du mal pour rendre crédibles leurs histoires. Rien aussi n’empêche ces organisations de produire et de réaliser des séries comme elles les souhaitent. Je suis contre la censure, je suis plutôt pour la formation et l’éducation.
Le Sénégal n’a pas assez investi sur la formation, nous n’avons pas encore d’Institut national de cinéma et de l’audiovisuel et c’est là que nous devons formater l’idéologie de notre audiovisuel pour en faire un creuset d’excellence artistique. C’est aujourd’hui qu’il faut rappeler l’importance de l’éducation à l’image dans les établissements scolaires afin d’aider les enfants à passer au tamis tous les contenus audiovisuels qui les agressent pour en extraire le meilleur. C’est ça le combat. La formation et l’éducation comme le font les pays comme l’Iran, la Turquie, l’Egypte et le Maroc. Le combat pour la préservation des valeurs comme le disent ces organisations doit être un projet de vie et de développement : les Sénégalais sont malades dans leurs esprits parce que le système éducatif et l’enseignement supérieur sont à l’agonie, les Sénégalais sont malades dans leurs corps car ils ne font plus confiance à un système de santé défaillant, les Sénégalais sont malades dans leurs ventres car ils ont faim et la pauvreté tue.
Et vouloir organiser des marches contre des séries, sans réclamer de meilleurs systèmes éducatifs et de soins, relève d’un manque de vision notoire. Ce n’est pas à ces organisations d’imposer la censure dans une République laïque. Oui il faut réguler. Mais j’ai envie de dire au Cnra que l’on ne régule pas dans le vide, l’on ne régule pas parce qu’une organisation veut imposer sa vision. On régule par des textes clairs et sans ambiguïté. Il existe un dispositif dans les textes qui régissent le cinéma et l’audiovisuel sénégalais, c’est la Commission de contrôle et de classification des films. J’avais moi-même fait le projet de mise en œuvre et en voulant l’adapter au contexte actuel et à nos réalités, j’avais suggéré que les séries passent devant cette commission pour obtenir un visa de diffusion. Ce dernier sera composé de la signalétique jeunesse ou tout public, les heures de diffusion ou si la série est interdite de diffusion dans les télévisions classiques au Sénégal. Je suis convaincu que nous devons revoir notre audiovisuel. Le secteur est bouleversé et ce bouleversement a changé les règles du jeu.
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DES ÉLÈVES COMPOSENT LES PIEDS DANS L'EAU
Les élèves de l'école Pikine 20 B ont composé le Cfee dans des salles inondées
Jeudi, le ministre de l’Education nationale Mamadou Talla se réjouissait du bon déroulement des examens du Cfee. Mais il faut croire que la tutelle n’avait pas prévu les conséquences de l’hivernage sur certaine écoles, notamment à Guédiawaye, à l’école Pikine 20 B. En effet, une pluie s’est abattue dans cette partie de la banlieue dakaroise vers 3h du matin. Au grand dam des élèves qui ont dû composer les pieds dans l’eau ce matin.
Par Pape Samba Kane
RESSUSCITÉ, FAIDHERBE N'EN CROIRAIT PAS SES YEUX
Ce n’est assurément pas nous sénégalais, qui causerions quelque traumatisme à la France, si nous continuons à refuser de nous défaire de cette réputation de supplétifs du colonisateur
La débâcle française dans la bataille de Diên Biên Phu au Vietnam, en 1954, est un des plus grands traumatismes français sur la fin son aventure coloniale. C’est ainsi que s’est conclu le texte d’un documentaire vu sur la chaine Planète Plus, jeudi 6 août 2020, entre 15 et 17 heures.
Cette fameuse bataille, perdue par l’état colonialiste français, malgré l’Appel au secours entendu par la puissance impérialiste américaine, suivi de son intervention massive, signe la fin de la présence française au Vietnam ; et annonce l’indépendance de l’Algérie tout également arrachée par la force par le front de Libération nationale (Fln) à la France, qui s’accrochait à l’époque, avec l’énergie du désespoir, aux mamelles nourricières qui lui permirent, deux siècles durant - après la traite négrière qui le lui permit pendant quatre siècles - de tenir son rang de puissance mondiale ; et surtout de s’offrir un niveau et une qualité de vie que ses ressources propres n’eussent jamais pu lui offrir.
La traite négrière et la colonisation ne furent jamais rien, et avant tout, que des moyens d’enrichissement d’une immoralité criante, qu’il fallut laborieusement dissimuler derrière des paravents moraux, maquillés de philosophie, de religion, et d’oripeaux idéologiques disparates qui ne firent jamais vraiment illusion.
Dès que les premiers aventuriers blancs - qu’à l’école des Blancs on nous a appris à appeler «explorateurs» - ont mis le pied sur les continents africain, américain, asiatique, ils ont rencontré des résistances. Les expéditions militaires qu’ils annonçaient ont rencontré les mêmes oppositions aux desseins des états commanditaires. Et ils ont ici rusé, là maté, ailleurs massacré les populations autochtones résistantes - s’ils n’usèrent des trois armes simultanément - pour s’implanter ; afin de s’approprier tout ce qui pouvait ressembler à de la richesse. Et puisqu’il fallait durer, ils ont également entrepris, systématiquement, d’aliéner les esprits des autochtones. Et si les résistances multiformes rencontrées n’avaient pas été farouches, constantes, régulières, induisant des drames humains chez les colons, les divisant, les opposant entre eux, oppositions parfois sanglantes, sans parler des guerres de pénétration coloniales et des échos de leurs violences inouïes, traumatisantes en Métropole, jamais il n’y aurait eu d’abolition de l’esclavage, et ainsi, plus tard, de décolonisation.
Ces deux grandes étapes franchies, les sangsues insatiables se sont accrochées à quelque chose de moins formel que la colonisation, une politique plus sournoise, pour continuer de sucer le sang des anciennes colonies. C’est le néocolonialisme, presque exclusivement appliqué aux anciennes possessions d’Afrique noire, celles qui négocièrent leurs indépendances, parmi lesquels notre pays ... - ces indépendances dont Alpha Blondy a dit dernièrement dans une intervention télévisée, qu’elles ne furent qu’un «transfert de compétences», une délégation de pouvoirs administratifs, dirions-nous. Il ne s’agit pas, ici, de refaire l’histoire, elle est d’ores et déjà faite, et bien des questions soulevées autour restent, encore aujourd’hui, sans réponses définitives.
Entre la France épuisée et traumatisée par les issues toujours humiliantes pour elle des guerres de libération et rusant avec ce qui restait de son empire - principalement en Afrique - pour en contrôler les élites suite à des «indépendances octroyées» - « si vous voulez l’indépendance, prenez-la !», avait aboyé le général de Gaulle en août 1958, sur La Place Protet de Dakar» -, et le «réalisme politique» sûrement trompeur de ces mêmes élites acceptant d’entrer dans un jeu dont les règles - Pacte colonial, Accords de coopération, de défense et autres - avaient été écrites sans leur avis, s’insèrent mille autres questionnements, non élucidés également. Le résultat est cependant, là, sous nos yeux, depuis soixante ans, désastreux.
Les entreprises françaises qui, sous la colonisation s’appelaient Maurel et Prom ou Comptoir français d’Afrique occidentale, se nomment aujourd’hui Eiffage, total ou Areva, ou suez. Une des règles non écrites du Pacte, devait être qu’il fallait maintenir nos nouvelles nations dans un état d’arriération chronique - économique, bien sûr, mais aussi culturelle. Tous les spécialistes des questions de développement, entraînant le grand public dans leur sillage, s’accordent, quand il faut mesurer cette arriération économique, pour brandir une comparaison entre notre pays et la Corée du Sud ou le Vietnam qui, au moment où nous accédions à l’indépendance, étaient au même niveau de développement que nous, et qui, aujourd’hui et depuis longtemps, nous ont laissés loin dans les abysses du classement. Et généralement, nous inclinons à nous en imputer l’entière responsabilité, avec des arguments soutenus par des imputations et des indexations vexantes dont nous ne nous rendons pas toujours compte qu’elles sont nourries par les présupposés généralisateurs et le pathologique sentiment de supériorité de l’oppresseur intéressé, «civilisateur» autoproclamé, qui avait besoin de se croire «meilleur homme» que nous et de nous le faire croire. Il s’agirait de notre paresse congénitale, de notre inclination à la jouissance, et j’en passe. Oubliant les règles du jeu, controuvées, que nous évoquions tantôt, et qui ont beaucoup, sinon tout à voir avec la peine que nos états éprouvent à se développer.
Également, pendant des siècles, un conditionnement psychologique systémique a insidieusement gangréné notre jugement sur nous-mêmes. Depuis nos indépendances, dans les années 1960, pendant que les grandes puissances étaient occupées par la Guerre froide, et que l’Afrique noire francophone était laissée au plan géopolitique à la «gestion» quasi exclusive de son ancien colonisateur, cette dernière, excessivement gourmande et de courte vue, n’a jamais cru devoir combiner ses intérêts bien compris avec une intelligence stratégique qui lui aurait rappelé que «tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse». Sinon qu’à force de l’étrangler pour en tirer des œufs au forceps, sa poule aux œufs d’or risquait de rendre l’âme. La France, qui avait besoin de main-d’œuvre - seulement parce que le travail forcé n’était plus possible - a maintenu sciemment nos Etats en situation de ne pouvoir offrir du travail à leurs habitants, pour favoriser une émigration ouvrière et manufacturière laborieuse chez elle. Entre autres politiques mesquines, bien évidemment ! C’est cette courte vue seule qui explique qu’après quatre cents ans de présence, dont les soixante dernières en position presque exclusive de puissance partenaire sur le terrain de la coopération au développement, la France n’a même pas construit - ou participé à construire - une usine de fabrication de vélos chez nous. A la place, des savonneries, brasseries et autres fabriques de babioles ...
Chaque fois que j’en parle, je ne peux manquer de penser que c’est grâce à l’Iran, moins développée que la France, et dont la coopération avec notre pays n’est pas vieille, qu’on monte, depuis le début des années 2000, des voitures à Thiès ; et que si nous avons aujourd’hui un aéroport digne de ce nom, c’est grâce aux saoudiens pour le commencer et à la coopération avec la Turquie pour le finir. - N’en jetons plus ... Mais le colonisateur, nous l’avons suggéré tantôt, a tôt fait de nous apprendre l’autoflagellation. D’où cette propension - séculaire comme sa présence - que nous avons à accepter ces tares dont il nous a affublés avec une condescendance insupportable, surtout pour justifier son entreprise funeste d’aliénation-asservissement-exploitation, sans réserve aucune. De sorte que, malgré Senghor et sa négritude, malgré Nkrumah et son panafricanisme, malgré Cheikh Anta Diop et son fédéralisme, malgré Cheikh Ahmadou Bamba, il existe encore dans nos pays, surtout chez les intellectuels et les politiciens, des légions entières de nos frères, victimes des embrigadements psychologiques du colon qui, dès qu’on touche à un fil de l’échafaudage qui lui permet de perpétuer sa domination polymorphe, se dressent comme un seul homme pour sa défense.
Notre littérature foisonne de scènes et de personnages qui illustrent le caractère tragi-comique de cette situation et de ceux qui l’entretiennent. Ainsi, Malick Fall, dans son inaltérable roman La Plaie, nous conte à sa façon, inénarrable, la révolte de son personnage principal, le fier Magamou, contre ces éreinteurs indigènes de l’Afrique et des Africains : « Il détestait ces otages dressés à vilipender l’ Afrique», écrit-il ; car « c’était dans ce lot de privilégiés que se recrutaient les plus assommants pourfendeurs des coutumes africaines» . Et pourquoi donc, ces otages se flagellaient-ils ? La réponse du romancier sonne comme un coup de fouet : «Pour une coupe de champagne à un cocktail ou un bout de chaise à un dîner»(P. 48 et 49). Je ne vais pas hésiter à le dire, rien n’a changé depuis 1967, année de la première publication de ce roman. Aujourd’hui encore, certains intellectuels pensent à leur prochaine demande de visa, quand ils prennent position sur une question qui interpelle la France ... sournois, le néocolonialisme est plus difficile à combattre, puisqu’il est le prolongement de la politique d’aliénation sur des sujets dont la vigilance est maintenant distraite, trompée par l’illusion de l’autonomie politique et culturelle, alors que la simple et élémentaire réciprocité dans le traitement de la question des visas ne peut être appliquée par notre pays à l’ancien colonisateur. Il y a près d’une année, en octobre 2019, dans une déclaration sur les ondes de RFI, le ministre de l’Intérieur sénégalais Aly Ngouye Ndiaye, annonçait, « pour des raisons de réciprocité et de sécurité » le rétablissement de l’obligation du visa d’entrée au Sénégal pour, entre autres Européens, les ressortissants français.
C’est l’ambassadeur de France chez nous, Philippe Lalliot, par une sortie dans la presse sénégalaise, agissant en véritable proconsul, qui a mis fin à cette velléité d’autonomie, en affirmant que ce n’était pas dans l’intérêt de notre pays. Depuis, on n’en entend plus parler. L’ambassadeur de France, gardien de nos intérêts, mieux que notre gouvernement ? On croit rêver. Toute cette politique de domination que nous venons de survoler, depuis les premiers pas des premiers aventuriers européens, ne repose que sur le sentiment de supériorité d’une race sur d’autres. Et l’on ne peut trouver meilleure définition du racisme...
C’est cela, quand tout ce que je viens de dire n’est plus, depuis longtemps, qu’une évidence aveuglante - même pour les enfants -, et quand, dernièrement, la tragique affaire George Floyd est venue donner un de ces coups d’accélérateur dont l’histoire a le secret, mobilisant le monde entier dans une révolte contre les injustices induites - qui fait que je ne comprends pas qu’il y ait encore un ancien colonisé qui puisse s’opposer à ce qu’on remette la statue de Faidherbe dans un musée, ou que l’on songe à débaptiser ces nombreuses rues et avenues dont vous ne trouverez aucun équivalent africain en France. «Rue Aline Sitoé Diatta», martyrisée par la france coloniale, dans un coin de Paris par exemple ! Ou Avenue Samory Touré, et d’autres et d’autres encore du foisonnant martyrologe colonial en Afrique, pour expier les péchés de la colonisation, qualifiée pourtant, de « Crime contre l’humanité» par le président Macron, le 15 février 2017, à Alger ?
Impensable, bien sûr - parce que nous, on se contente de mots pour solde de tout compte ! Ou … ? tiens donc ! Qu’on rende la statue de Faidherbe à la France, propriétaire et fabricant, qui aujourd’hui, entreprend de nous refourguer les emblèmes qu’elle a pillés durant cette longue et sombre période de notre histoire, oubliant que dans les mêmes conditions, pendant que se perpétuait le «crime contre l’humanité», des tonnes d’autres richesses inaltérables, comme des blocs d’or et de diamant, étaient soustraites. Si cet élan autocritique de l’actuel successeur des Rois de France n’était pas qu’hypocrisie, il fallait, à défaut de nous les rendre, qu’on en parle au moins.
Plutôt que de se la jouer premier soutien de nos pays qui, aujourd’hui, tendent la main pour l’annulation de la dette africaine … Dette injuste, elle-même inscrite dans ce rapport de force défavorable que tente de renverser - avec ses moyens - cette jeunesse africaine sans «complexes de colonisé», porteuse de ce «sentiment anti-français» qui, oh surprise, semble étonner, sinon énerver Emmanuel Macron, au point qu’il ait convoqué à Pau, en janvier 2020, les chefs d’état du G5 sahel pour leur demander d’y mettre fin. Et ils y ont tous couru se faire sermonner. C’est encore cela notre histoire avec le colonisateur. Histoire qu’il ne s’agit pas de faire semblant d’oublier en débaptisant des rues, oh non !, mais d’arrêter de célébrer, comme avec cette inscription sur la stèle qui porte le fantôme métallique de l’ancien gouverneur du Sénégal : «à Faidherbe le Sénégal reconnaissant».
Comme si nous ne savions pas ce que ce général de l’armée coloniale française - exclusivement pour le triomphe, la puissance, la richesse, la gloire de son pays et le confort des bourgeoisies françaises - a commis d’atrocités, de pillages et d’abus moraux imprescriptibles qui, depuis plusieurs semaines, par des intelligences reconnues, des intellectuels de haut niveau, nous sont rappelés avec rigueur et pertinence ; surtout avec un sens de la mesure dont je serais incapable, si je devais me lancer dans le même sinistre inventaire des exploits de Léon-Louis Faidherbe. Lui-même, ressuscité, n’en croirait pas ses yeux de lire ça : « Reconnaissant ! » Ce n’est assurément pas nous sénégalais, qui causerions quelque traumatisme à la France, si nous continuons à refuser de nous défaire de cette réputation de supplétifs du colonisateur (tirailleurs sénégalais, fut une appellation générique loin d’être innocente ...) et de ses continuateurs, pour nous mettre à son service chaque fois que l’ancien maître fait face à la moindre fronde.
QUELLE QUE SOIT LA LONGUEUR DE LA NUIT
Retour sur la trajectoire de l’intellectuel maoïste Omar Blondin Diop, figure de l’opposition au président Sédar Senghor, disparu dans des circonstances troubles, à travers le puissant essai politique et cinématographique de Vincent Vincent Meessen
Dans un puissant essai politique et cinématographique, Vincent Meessen explore la trajectoire de l’intellectuel maoïste sénégalais Omar Blondin Diop, figure de l’opposition au président Léopold Sédar Senghor, disparu dans des circonstances troubles.
"Omar est une figure dans laquelle n’importe quel jeune Africain, peut se reconnaître." Né en 1946, Omar Blondin Diop grandit dans une famille musulmane peu pratiquante et bercée de théorie révolutionnaire. Militant maoïste, le jeune homme brandit ses convictions politiques dans La Chinoise de Godard et dans les amphis de Nanterre, participant au Mouvement du 22 mars emmené par Daniel Cohn-Bendit, puis à Mai 68. Expulsé de France pour "activités subversives", il intègre l’Institut fondamental d’Afrique noire à Dakar, se nourrit de lectures situationnistes et bouscule le pouvoir de Léopold Sédar Senghor avec ses discours égalitaires et anticolonialistes. En 1971, les membres du "groupe des incendiaires", dont deux frères d'Omar, sont condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement pour avoir mis le feu au ministère des Travaux publics et pour avoir tenté d’attaquer le cortège du président Georges Pompidou, en visite à Dakar. Face à cette répression, Omar Blondin Diop quitte l’École normale supérieure de Saint-Cloud, et suit une brève formation militaire dans un camp de fedayin en Syrie. Arrêté à son tour, le jeune révolutionnaire est retrouvé pendu dans sa cellule le 11 mai 1973. Sa mort, que ses proches dénoncent comme un assassinat politique, soulève un vent de colère à travers le pays, qui conduit à une libéralisation du pouvoir et à la naissance d’une avant-garde artistique.
Héritage
Dans ce fascinant essai cinématographique et politique, Vincent Meessen met en regard La Chinoise avec la destinée tragique du militant maoïste, tout en traçant des parallèles entre le processus créatif de son propre film et celui de Jean-Luc Godard. Traversé d’images saisissantes et nourri des confidences de ses frères et compagnons de lutte – qui réclament toujours justice –, le documentaire explore l’héritage culturel et contestataire d’Omar Blondin Diop, du Laboratoire Agit’Art au collectif Y en a marre, de la Françafrique à la Chinafrique.
par l'éditorialiste de seneplus, Emmanuel Desfourneaux
POUR UNE HISTOIRE GAGNANTE-GAGNANTE (1/3)
EXCLUSIF SENEPLUS - L’histoire de Faidherbe, c’est aussi l’engendrement d’une communauté de métis au Sénégal. Ce pays ne doit pas perdre de vue que son histoire est plurielle, elle doit y incorporer toutes les franges sans laisser personne en marge
Emmanuel Desfourneaux de SenePlus |
Publication 20/08/2020
Récemment, une psychologue française se demandait pourquoi pensions-nous le monde en noir et blanc, en bien et mal, en gentil et méchant. La Covid-19 et l’effet George Floyd confortent cette pensée manichéenne ; deux alternatives contradictoires s’imposent à nous : pour ou contre, antinoir ou noir, anticolonialisme ou préfets de la France, déboulonnement ou anti-déboulonnage. En lisant les arguments divergents des uns et des autres sur le sort de la statue de Faidherbe à Saint-Louis, je finissais par tomber d’accord avec tous ! Peut-être devrions-nous alors aborder la question sous un angle autre que celui de l’antagonisme !
Loin de moi de vouloir trouver une histoire entre-deux, une histoire conciliante, voire pardonnante ; il est plutôt question pour ma part d’inviter à la réflexion autour d’une histoire du vivre-ensemble, moins dualiste, plus plurielle pour englober les interactions historiques et les aspirations d’aujourd’hui. Loin de moi de vouloir déformer l’histoire comme mes aïeuls l’ont fait naguère ; c’est surtout d’éviter que nous soyons captifs d’une histoire idéologique qui nous renferme dans des stéréotypes rabaissant et qui nous éloigne de la vérité et de ses multiples nuances.
Cet exercice n’est pas facile. Je m’y jette à corps perdu quand même. Dans l’hystérie d’une humanité qui doute d’elle-même sur fond d’une crise socio-économique sans précédent, la dualité des esprits est plus exécutable car simpliste. Pourtant, l’histoire ne manque pas de ressources « achromatopsiques » : l’Afrique, depuis ses origines, favorisa la cohabitation avec son dissemblable. Ce continent est le fleuron de l’histoire gagnante-gagnante. S’additionnèrent aux cultes traditionnels animistes les religions monothéistes venues d’ailleurs. Cette juxtaposition se singularisa par des processus culturels et cultuels originaux, à l’exemple de l’ethiopianisation du christianisme ou de l’émergence d’un Islam noir.
La région du Sénégal, marquée par de nombreux emprunts extérieurs résultant du croisement des Empires et des petits royaumes d’une part et de sa connexion avec l’Europe d’autre part, donna naissance à un modèle démocratique du vivre-ensemble inédit. Ce pays a réussi jusqu’à maintenant à inclure les intérêts particuliers de nombreuses ethnies et de communautés dans l’idéal de la régulation démocratique gérée par l’Etat central. Les confréries ont préservé la stabilité et la paix au Sénégal.
Seulement, ce modèle de cogestion démocratique s’essouffle depuis quelques décennies. L’élection d’un catholique à la tête de l’Etat sénégalais serait presque mission impossible aujourd’hui ! Les divisions se font plus fortes et inquiétantes. Avec l’appui de Macky Sall, le professeur Iba Der Thiam a travaillé sur l’Histoire Générale de ce pays. Sa réécriture n’a pas été un long fleuve tranquille. De nombreuses familles religieuses s’insurgèrent contre les versions les concernant. A la veille de la Tabaski, fête du pardon, Mame Mactar Guèye, président de JAMRA, provoqua l’indignation des catholiques du Sénégal, ulcérés par son assimilation des Saintes chrétiennes à des personnages de fiction supposés immoraux.
Dans la polémique des séries jugées indécentes, pourtant de fabrication sénégalaise, les enjeux en question s’inscrivent dans une contestation plus large du vivre-ensemble entre frères et sœurs dissemblables mais égaux. Au XVIIIe et XIXe siècle, en Afrique, des djihadistes remettaient déjà en cause les sociétés où coexistaient musulmans et non musulmans (diffusion du christianisme dès le 1er siècle en Egypte), et la pratique de l’Islam noir considérée comme impure. Début 2012, les djihadistes saccagèrent les mausolées de Tombouctou.
Au-delà de la notion évolutive des bonnes mœurs, ce sont aussi et surtout les femmes qui sont visées par Mame Mactar Guèye. De nombreuses sénégalaises réfutent la société patriarcale imposée par les religions monothéistes et la colonisation. Elles rappellent en chœur que le féminisme africain n’a jamais été importé mais fait partie intégrante de l’histoire du continent. Elles revendiquent une nouvelle histoire gagnante-gagnante avec la place et la liberté qui leur reviennent.
Mame Mactar Guèye se serait excusé ; mes nombreux amis activistes, si prompts à la critique et à l’acharnement contre le pouvoir, lui ont pardonné ses offenses contrairement à Idrissa Seck et ses paroles sur la Mecque et Jérusalem qui lui coutèrent sûrement la présidentielle de février 2019. A vrai dire, Mame Mactar Guèye, bien qu’il se réjouisse d’une couverture médiatique occidentale à son bénéfice sur sa page Facebook (peut-être le syndrome de Stockholm !), rassemble ses fidèles sur la base du bannissement occidental.
C’est symptomatique du processus de construction ou reconstruction nationale d’identifier un ennemi commun. Cela influe sur la mémoire collective et les masses. Dans le cas du Sénégal, les bienfaits du modèle de cogestion démocratique ne sont plus autant valorisés. Il faut dire que, depuis les années 2000, le tout-développement a tellement été vendu aux sénégalais qu’il en est devenu le seul paradigme national. L’émergence (conséquence logique du tout-développement) tarde pourtant, les jeunes n’ont pas d’emploi, le nombre de ménages sous le seuil de pauvreté reste élevé, le Sénégal est alors en quête d’une nouvelle étape d’indépendance patriotique autocentrée.
Le sous-développement, c’est la faute à Voltaire et des valets de la France ! C’est la rhétorique bien connue des Wadistes dans l’opposition et des Sonkistes se présentant comme des doctrines nationalistes d’auto-développement. Cette nouvelle lutte sociale et politique autorise à se dédouaner de toutes responsabilités dans les échecs socio-économiques depuis les années 80, à développer la théorie du « coup de poignard dans le dos » relié à un ennemi intérieur en la présence des chefs d’Etat serviables, et à l’utiliser comme un instrument populiste d’accès au pouvoir.
Le risque d’une réécriture de l’histoire dans cette configuration-là, encore que relevant de la souveraineté du Sénégal, est de fragiliser l’ADN du vivre-ensemble. Faidherbe est menacé d’être tué une deuxième fois, après avoir quitté le Sénégal en 1865 à la demande de la communauté européenne jugeant entre autres sa proximité avec les « indigènes » gênante. A la lecture du brillant article d’Abdoulaye Bathily (« Le rôle de l’œuvre ethno-historique de Faidherbe dans la conquête française du Sénégal »), son déboulonnement ne saurait nous rendre tristes. L’école des otages créée par le gouverneur illustre la planification d’un asservissement culturel certain.
Toutefois, faut-il appréhender l’histoire de Faidherbe à travers le seul prisme de la lutte des classes si chère à Bathily, et de sa critique envers l’éclosion d’une bourgeoisie coloniale ? Que dire de l’apparition des nouveaux riches sous l’ère de Me Abdoulaye Wade et celle de son allié Macky Sall ? L’histoire de Faidherbe, c’est aussi l’engendrement d’une communauté de métis au Sénégal. C’est pourquoi la question du déboulonnement, plus qu’ailleurs dans le monde, disloque la société sénégalaise.
Peut-être cette histoire est-elle pénible aux yeux des puristes ethniques et culturels mais elle existe : elle a produit un genre nouveau de sénégalais, certes minoritaire mais bien présent dans l’histoire du Sénégal dès le XVème siècle, connu sous le nom de Signare. Une des nièces de Ndaté Yalla en était une. Sous Faidherbe, des grandes familles métisses connaîtront un rayonnement extraordinaire. Aujourd’hui, certaines de ces familles historiques ont le sentiment d’être « bornoyées » alors que d’aucunes ont contribué à l’indépendance du Sénégal.
Toujours dans son article, le Professeur Abdoulaye Bathily s’attarde sur l’appartenance des métis de Faidherbe à deux mondes antagonistes. Selon lui, ils se seraient exclus de la société africaine pour servir les intérêts de la France. Cette vision du métis et des mondes antagonistes, et j’en reviens au début de mon édito, est manichéenne. Je crains qu’elle perdure, et que des politiques malintentionnés causent des dégâts irréparables. J’en veux pour preuve des responsables de parti de l’opposition qui déclaraient il y a peu ne pas aimer « ceux (les Africains) qui sont avec eux d’ailleurs (les Européens) » (mariage mixte, diaspora…).
Ce qui est grave, c’est d’une part la stigmatisation des métis qui sont les parties communes de la maison du Sénégal au même titre que d’autres communautés, et d’autre part celle de la diaspora africaine qui vit en Europe, elle-même particularisée par son nouveau vécu interculturel issu des deux continents. Dans ce rapport des antagonismes contre les interactions, la constitutionnalisation d’un droit au retour pour les Afro-américains victimes de violences raciales, formulée par Achille Mbembé, me laisse perplexe. Cette suggestion donnerait raison aux suprémacistes : nous vivrions dans un monde séparatiste ! Décevant pour l’inventeur de l’Afropolitain !
Oui, Aminata Touré a raison en proposant le remplacement de la statue de Faidherbe par celle de Ndaté Yalla. Elle marquerait le symbole de la résistance trop méconnue face aux anciens colons. J’apprécie particulièrement les propos rassurants de l’ancienne première ministre : ce déboulonnement ne se ferait contre personne. Ndaté Yalla serait donc l’héroïne de tout un peuple, sans antagonisme. En revanche, la statue de Faidherbe devrait rejoindre plus tard un musée de l’histoire coloniale à Dakar ou Saint-Louis en coopération avec la France. Les deux pays partagent déjà des archives sur cette époque. Je reviendrai dans ma deuxième partie sur cet aspect-là.
Le Sénégal a besoin de réécrire par équité son histoire, ne serait-ce que pour la rééquilibrer. Mais ce pays ne doit pas perdre de vue que son histoire est plurielle, elle doit y incorporer les femmes, les métis, les ethnies, les confréries, les libanais, les chrétiens et autres, sans laisser une personne en marge de l’histoire gagnante-gagnante. Le Sénégal d’aujourd’hui, c’est Méroé, la métisse d’hier qui, malgré ses emprunts aux empires précédents, a créé une civilisation autonome brillante.
A 65 ans, cet ancien instituteur est un connaisseur de l’histoire et de la culture casamançaises. Après avoir « rampé » jusqu’au doctorat, il a soutenu, en 2011, une thèse sur les baïnouks
Idrissa Sané et Seydou Ka et Moussa Sow |
Publication 19/08/2020
A 65 ans, cet ancien instituteur est un connaisseur de l’histoire et de la culture casamançaises. Après avoir « rampé » jusqu’au doctorat, il a soutenu, en 2011, une thèse sur le thème « La conception de l’être et de l’au-delà dans l’Égypte pharaonique et chez les peuples des rivières du Sud : exemple les baïnouks, les balantes, les diolas, les mankagnes », sous la direction de l’égyptologue Aboubacry Moussa Lam (Ucad).
Ses yeux semblent fatigués. Mais, l’homme dégage plutôt bonne mine dans son élégante chemise rouge-noire assortie d’un chapeau et d’une écharpe blanche que lui avait offert son ami Lamine Kéba Sonko, ancien champion de javelot, à l’occasion d’une fête organisée par l’Association mondiale des couples quarantenaires. Lui, n’a pas réussi à franchir ce cap symbolique en couple. Après trente ans de mariage, sa première épouse, originaire de Kaguitte, a brutalement demandé le divorce. Un épisode amer qu’il a encore du mal à digérer. On le sent dans sa voix. De cette première union sont nés trois enfants, dont une fille mariée et vivant actuellement à Atlanta, aux Etats-Unis.
Depuis, il s’est remarié. « C’est (donc) mon épouse (actuelle) qui m’a conseillé de m’habiller ainsi », explique-t-il, en réponse à notre compliment sur son look. En pays animiste, Amadou Fall ne serait jamais habillé en rouge-noir, couleurs réservées au roi. En effet, le rouge est le symbole de la puissance, de la royauté. « Les adeptes de la religion traditionnelle, comme on en trouve encore en Casamance, ne s’habillent jamais en rouge, parce que cela diminue la puissance du roi, c’est source de calamités », explique Amadou Fall. L’homme est un connaisseur de l’histoire et de la culture casamançaises. Une connaissance nourrie par la passion pour cette belle région. « Quand on aime quelqu’un ou quelque chose parce… c’est qu’on n’aime pas assez. Moi, j’aime la Casamance sans savoir pourquoi », justifie-t-il. Il a consacré toute sa vie à scruter ce « miroir paléo-ancestral » qu’est la Casamance. « Depuis 1990, j’enquête sur les peuples et l’histoire de cette région », dit-il. Une persévérance dont le couronnement a été la soutenance, en 2011, d’une thèse de doctorat sur le thème « La conception de l’être et de l’au-delà dans l’Égypte pharaonique et chez les peuples des rivières du Sud (Casamance) », sous la direction de l’égyptologue Aboubacry Moussa Lam (Ucad). Un travail de raccordement des civilisations qu’il poursuit à travers divers chantiers.
Cependant, Amadou Fall estime que rien n’est encore fait en matière de recherche dans cette région, notamment sur le paléolithique, une période encore peu connue en Afrique de l’Ouest. « La Casamance est un trésor anthropologique », résume-t-il. C’est pourquoi l’historien est en colère contre les gouvernements qui se sont succédé à la tête du Sénégal depuis l’indépendance, parce qu’ils n’ont « pas mis assez de ressources pour connaître notre histoire, notre culture ». Il juge anormal qu’il n’y ait pas un musée digne de ce nom en Casamance. Idem pour les autres régions.
En plus de sa casquette d’universitaire – il est vacataire à l’Université Assane Seck de Ziguinchor dans trois départements : histoire, sociologie et tourisme –, Amadou Fall est un grand passionné de la radio. Depuis 1995, il est une voix familière des ondes (Dunya, Walf Fm, Rsi) et a animé plusieurs conférences sur la crise casamançaise. Par ailleurs, il est le président du comité scientifique du Bureau organisation pour la revalorisation du patrimoine baïnouk (Borepab). A ce titre, il contribue modestement à documenter l’histoire de ce peuple. « De la Falémé à Diogué, toute la région naturelle de Casamance est imbibée de culture baïnouk », soutient-il. C’est d’ailleurs, ajoute-t-il, l’extrême humanité des baïnouks, les premiers à s’installer dans la région, qui a fait de la Casamance un « kaléidoscope humain ». Lui-même en est une belle illustration. Il est baïnouk du côté de sa mère (une Coly de Niamone) et diola du côté de son père (un Badji de Thionk Essyl), et compte une grand-mère peule (de la famille El Hadji Omar Foutiyou Tall). Son nom de famille actuel, Fall, remonte à la conversion de sa famille à l’islam. « À l’époque, quand quelqu’un se convertissait à l’islam, on lui faisait croire qu’il devait également abandonner, en plus de son prénom, son nom de famille pour celui de son convertisseur », explique-t-il. Il donne ainsi la clé pour comprendre ce qui paraît une anomalie, ou en tout cas une curiosité, en Casamance : des diolas qui se nomment Ndiaye, Fall, Diop, Guèye, Sarr, Diouf ou Diallo…
Au-delà d’être une synthèse du Sénégalais – sur le plan ethnique –, Amadou Fall est aussi un citoyen de l’Afrique tout court. Il est né en 1955 à Abidjan, en Côte d’Ivoire, où son père, douanier, était affecté. Le papa décédé très tôt, il a grandi à Dakar auprès de sa maman infirmière. Une trajectoire personnelle qui a sans doute forgé son caractère et a fait de lui « un panafricaniste convaincu ». Militant de longue date du Rassemblement national démocratique (Rnd) de Cheikh Anta Diop, il avait voté pour le libéral Abdoulaye Wade en 2000. « Le jour de l’élection, j’étais hospitalisé, mais j’ai demandé à sortir pour aller voter, parce que j’étais convaincu qu’Abdou Diouf devait tomber », se souvient-il. Il sera vite déçu par son successeur lorsqu’il entend Wade se prononcer, à la conférence de Durban (Afrique du Sud), en 2001, contre le rapatriement du patrimoine africain sous le prétexte que nous n’avons pas de musées où conserver ces objets. Comme quoi, le détail fait la révolte !
PAR Mamadu Sokrate Joob
DJIBRIL DIOP MAMBETY, LE CLASSIQUE QUI N’EN ÉTAIT PAS UN
EXCLUSIF SENEPLUS - Rien ne prédestinait son cinéma à faire école. A la sortie de Touki Bouki, les professionnels crièrent au scandale. Mais rien n’y fit : vingt ans plus tard, le cinéaste a la reconnaissance qu’il mérite
“Le cinéma c’est de la magie. Si tu veux savoir, tu casses la magie”.
Rien ne prédestinait le cinéma de Mambéty à faire école. Acculé de tout bord par la critique à la sortie de Touki Bouki, un film avec une entité narrative au style baroque, faisant un pied de nez à l’esthétique du cinéma africain. Les professionnels crient au scandale à l’époque. Mais rien n’y fit : vingt ans plus tard, le cinéaste a la reconnaissance qu’il mérite. Djibril, malgré lui devient alors un grand classique du Cinéma africain. Il acquiert une aura internationale qui surprend plus d’un. Pour celui qu’on surnommait à tort ou à raison “l’enfant terrible du Cinéma”, la réhabilitation du son œuvre par Martin Scorsese et la récente illustration de la tournée en Afrique du couple de Stars Beyoncé et Jay-Z par l’affiche de Touki bouki en sont la preuve d’un Cinéaste qui aura marqué à jamais le Cinéma.
Né à Dakar en 1945 à Colobane dans la banlieue dakaroise, Djibril Diop Mambéty est considéré comme l'un des réalisateurs les plus originaux, visionnaires et expérimentaux du cinéma africain. Certains vont jusqu’à le surnommer “Le poète de l’image.” Fils d’un religieux et frère du grand musicien Wasis Diop, il débute sa carrière artistique dans le théâtre pour travailler plus tard en tant qu'acteur au Théâtre National Daniel Sorano à Dakar. Pour comportement outrancier, il est expulsé. Dira-t-il plus tard “On m’a montré la porte, et cette porte est devenue pour moi celle du cinéma. Et comme Marigot dans le Franc, je ne me suis jamais séparé de cette porte”. En 1969, à 24 ans seulement, sans avoir reçu une formation dans une école de cinéma, il produit et réalise son premier court-métrage, Contras City. L'année suivante Mambety réalise un autre court, Badou Boy un Western Urbain, qui remporte le Tanit d'Argent au Festival de Carthages en 1970 en Tunisie. Son premier long métrage, Touki Bouki, réalisé en 1973, décrié par la critique au départ reçoit le Prix de la Critique internationale au Festival de Cannes et le Prix Spécial du Jury au Festival de Moscou. Malgré le succès du film, il faudra attendre vingt ans plus tard pour revoir Djibril sur les plateaux de tournage. En 1992, il réalise son deuxième long métrage Hyènes, une adaptation de l’ouvrage de Friedrich Dürrenmatt “La visite de la vieille dame” qui lui vaut une sélection en compétition officielle à Cannes. Durant cette longue pause, il fait en 1989 Parlons Grand-Mère, un documentaire sur la réalisation du film Yaaba d’Idrissa Ouédraogo. Au cours des dernières années de sa vie, le réalisateur travaille sur une trilogie de courts métrages, intitulé Contes des Petites Gens. Il réussit à remplir seulement le premier volet, Le Franc en 1994, alors que La Petite Vendeuse de Soleil, presque terminé est interrompu par la mort du réalisateur, et sort à titre posthume en 1999, un an après sa mort.
Une vision nouvelle du Cinéma
« Ma mission est de réinventer la façon de faire du cinéma », déclarait Djibril Diop Mambety dans un entretien lors du Festival Panafricain du Cinéma à Ouagadougou (FESPACO) en 1987. Djibril confirme encore la vieille chansonnette des grands artistes : La création née de la frustration. Il en a fait l'expérience lorsqu'il évoque les raisons qui l’ont amené à réaliser Touki Bouki “Je n’en pouvais plus de la physionomie du cinéma africain qui m’exaspérait, qui était trop superficiel. Non pas sur le plan idéologique, mais sur le plan de la forme. On ne va jamais au-delà, rien ne vacille. Cette petite colère a donné naissance à Touki Bouki”. Le Cinéma Africain venait de recevoir sa plus grosse claque. Djibril sonne le glas au prosaïsme classique et à la vieille rengaine révolutionnaire d’une génération d’auteurs. En effet, au moment où en Afrique subsaharienne francophone, le cinéma arrive sous les tropiques, entre 1950 et 1960, une génération de cinéastes émergent. Les pionniers de ce jeune cinéma s’appellent Paulin Soumanou Vieyra, Jacques Melo Kane, Sembène Ousmane au Sénégal, Sébastien Kamba au Congo, Oumarou Ganda, Moustapha Alassane au Niger. La création des débuts s’inscrit dans une improvisation, sans lignes directrices. Certains comme Oumarou Ganda illustrent par l’image et travaillent les points d’accroche simples pour le spectateur, d’autres comme Sembène Ousmane structurent l’espace pour raconter dès 1966 dans La Noire de…, premier long-métrage de ce cinéma, une histoire de grande force illocutoire. Ce Cinéma est qualifié de “nationaliste” pour beaucoup de spécialistes en raison du combat identitaire qu’il entend mener, de la dénonciation des pratiques coloniales et de la recherche d’une Africaine traditionnelle perdue. Ce cinéma était marqué par un réalisme social sans fard. Il est dit « Politiques » suivant la définition que lui donnait un des pionniers « tout film social et même culturel est politique », affirmait Paulin Vieyra, dans le film Cinema of Senegal (Kardish et Vieyra, 1978). Ils traitaient des conflits sociaux, des problèmes que rencontraient les jeunes nations nouvellement indépendantes et des difficultés résultant de la confrontation entre la culture africaine et la civilisation occidentale. Les thèmes explorés comprenaient la critique de la nouvelle bourgeoisie corrompue, des traditions rétrogrades, la dichotomie ville/village, l’exode rural... La forme de ces films était fondée sur la priorité accordée au contenu plutôt qu’à la forme artistique. Mais, il faut le dire, ce cinéma manquait peu ou prou d’esthétisme, de poésie, de style séduisant. Le discours politique y était puissant, le beau, la poésie absent ou du moins relégué au second plan. N’en déplaise à certains puristes nostalgiques ! Mais quand Djibril sort des landes, il creuse un trou béant à l'intérieur des sentiers battus.
Un peu de fiction-un peu de réalisme : le réalisme magique
Si Sembène s’est inspirée de la littérature (ce qui justifie peut-être le rythme lent de ses plans), Djibril s’est inspiré du style Western. Il dira dans le bonimental de Parlons Grand-mère qu’un film comme High Noon de Fred Zinnemann (1938) n’a pas de secret pour lui “Plan après plan depuis l’âge de 15 ans”. Alors, au réalisme froid des anciens, “l’enfant terrible du cinéma Africain” impose un style nouveau : Le réalisme magique. Ses créations sont marquées par l’humour, la fantaisie et le fantastique, avec leur structure fragmentée et déconstruit. Dans les films de Djibril, le héros est un personnage solitaire larcin (Badou Boy), espiègle (Mory), jugé par un système hypocrite (Draman Dramé) balloté entre chance malchance (Marigo), finalement abattu par ce même système mesquin (Silly Lam). Tout semble désarticulé mais Mambéty maîtrise parfaitement son sujet. C’est un réalisateur qui laisse son héros bouffer l’espace. La gageure de son Cinéma est puissante dans l’utilisation à merveille du burlesque, de l’humour dans une esthétique purement carnavalesque et loufoque. Le cadrage et le montage sont difficilement séparables. Il y a du pressenti, du pré-montage dans l’approche filmique de Djibril. La post-prod commence dès le tournage. L’écart entre le scénario et le rendu final est minime. Le sujet filmique chez Djibril entremêle souvent dans le montage de ses films, soit en « syntagmes alternés », selon l’expression de Christian Metz, où l’alternance des signifiants correspond à la simultanéité des signifiés, soit en « syntagmes alternants du genre parallèle » entre lesquels il n’existe pas, au niveau du signifié, de rapports temporels pertinents, du moins au plan de la dénotation. Avec une grande originalité, Mambety utilise le montage et le filmage comme éléments créatifs déterminants. Il a su tirer des effets frappants qui s’embrigadent dans ses récits, à la fois art du raccord (montage parallèle) et art de la rupture (montage cut). C’est une douce brutalité ! N’est-ce pas aussi pour lui de laisser place aux êtres du monde parallèle qui envahissent ses films. Le religieux et le laïque coexistent dans le parallélisme de Djibril. Dans Le franc, les sons profanes d’Issa Cissoko au saxophone, en même temps que la récitation mélodique et rythmique des versets du Coran diffusée sur tout le quartier, depuis la mosquée sourdent ensemble. Il ne privilégie ni les premiers ni la seconde. Comme il le déclare dans le film de Laurence Gavron “Ninki Nanka, le prince de Colobane”, on peut aussi prier Dieu en jouant du saxophone. La forme des films de Djibril est donc le fruit de ces êtres qui pullulent son imaginaire. Touki Bouki en est la preuve. Ce taureau puissant ligoté, cette corne accrochée sur la mobylette de Mory, cette scène d’amour au bord de la plage (entre Mory et Anta) ne sont que le reflet d’un Djibril enchaîné par ses fantasmes et ses délires propres.
L’exaltation de “l’amateurisme”
Djibril savait dénicher la perle rare pour ses films. Le casting sauvage est un point fort de sa direction artistique. Il tirait toujours le meilleur de ses personnages rencontrés occasionnellement dans les crasses impitoyables des bidonvilles. Djibril était conscient qu’il lui fallait farfouiller dans les égouts pour trouver son héros. Les personnages loufoques ne surjouaient pas dans ses films. « La différence entre un professionnel et un non-professionnel est qu’un professionnel apprend son rôle et le joue, tandis qu’un non-professionnel joue sa propre personne avec toute son âme. C’est pourquoi il est plus authentique que le professionnel », déclare-t-il à June Givanni en 1995. En 1994, quand Adatte le questionne à ce sujet pour Pardo News, il répond : “C’est mon choix : les acteurs non-professionnels ne jouent pas, c’est comme si on les avait lancés du haut de la colline avec l’obligation de tomber. Ils ne savent pas que la cascade existe, donc ils tombent réellement. Et c’est ça que je sens le plus. Moi-même, ayant été formé sans être formé, au jeu du théâtre, je fais le précieux du fait de ne pas savoir.” Baba Diop grand critique de Cinéma affirme que Mambety arrivait à faire de ceux qu’il avait « croisés dans les bouges de la capitale » et qu’il avait choisis, « des comédiens performants ». Dans un entretien accordé au Journal le Soleil le 22 Mars 1990, Djibril déclare « analysé le visage, le cou, les mains, les pieds, pour ne choisir que ceux arqués et en chiasme.” Cette technique est fortement inspirée de la scène. C’est celle qu’utilisent de grandes figures du théâtre comme Samuel Beckett, dont l’exigence veut que le corps ne soit saisi que morcelé, et Constantin Stanislavski, pour qui le corps sur scène doit rester souvent invisible. Djibril amplifie souvent l’objet filmé à travers de simples reliefs. Le trégrosplanisme (c’est nous qui l’appelons comme ça) donne un effet de théâtralisation de ses plans. L’autre technique de Djibril et non moins visible est celle du Scénario au “texte troué”. Cette méthode est efficace et fait de l’acteur un élément central du récit narratif. Il participe à la réécriture du scénario dans son jeu. Les acteurs de Djibril parviennent avant tout par eux-mêmes à transmettre quelque chose corporellement. Il les libère de l’emprise du texte pour les orienter vers la performance. Ainsi deviennent-ils tour à tour peintres, danseurs, musiciens, acrobates, nageurs, jongleurs. Si le corps de l’espiègle Mory est encore dynamique pour se mouvoir de façon vertigineuse, ceux suppliciés, handicapés et meurtris de la Linguère Ramatou et Sili ne reposent que sur des béquilles. Dans Hyènes et La Petite Vendeuse de soleil, l’une et l’autre reviennent pour se venger. La Linguère Ramatou fait penser à Anta qui revient plus vieille pour mettre à mort Mory qui l’a lâchée le jour du voyage.
Djibril est donc un rêveur et il a fait rêver ses acteurs, les a consacré professionnels dans le tas. La chanteuse Aminata Fall dira de Djibril “S’il m’avait demandé d’égorger quelqu’un, je l’aurais fait les yeux fermés”. Djibril a tordu le cou de LA “Grammaire” du Cinéma, lui a cassé la “gueule”, réinventé son “discours” pour sa propre “pérennité”. Et si le train n’avait pas sifflé trois fois...