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3 mai 2025
Développement
PAR ADAMA DIENG
UN APPEL À L'ACTION
75 ans après la libération des camps d'Auschwitz, le monde n'a apparemment pas tiré les leçons de ce passé tragique - Les pays doivent s'attaquer aux causes profondes de la haine, y compris le racisme, défendre l'universalité des droits de l'Homme
Cette semaine, nous commémorons le 75e anniversaire de la libération en 1945 des camps de concentration et d'extermination nazis d'Auschwitz. La gravité de ce qui s'est passé dans ces camps, où plus d'un million de personnes ont été tuées dans d’horribles conditions, ne réside pas seulement dans le nombre de victimes et la reconnaissance de leur sacrifice, mais aussi dans notre capacité collective à tirer les leçons de cette tragédie et à faire en sorte qu'elle ne se reproduise plus. Nous le devons aux victimes.
Malheureusement, les campagnes menées avec succès contre la haine ne peuvent cacher les revers subis. 75 ans après la libération des camps, le monde ne semble pas avoir tiré les leçons de ce passé tragique. Les génocides au Cambodge, au Rwanda et à Srebrenica, les attaques en cours contre la population rohingya, les souffrances des communautés yézidies en Irak, et de nombreuses autres situations où il existe un risque élevé que des populations subissent des crimes d'atrocité, soulèvent de sérieuses interrogations sur notre engagement au-delà de notre rhétorique du «plus jamais cela». Si par le passé, le manque d’informations ou de connaissances suffisantes était invoqué pour ne pas prendre des mesures décisives, aujourd’hui, le monde dispose de nombreuses informations souvent à notre portée par un simple «clic». Pourtant, la volonté d'agir face à des informations crédibles demeure hésitante. Notre promesse de «plus jamais cela» doit commencer par un engagement indéfectible pour la coexistence pacifique, le respect des droits de l'Homme et de l'état de droit. L'Holocauste n'a pas commencé avec des chambres à gaz. Il a commencé par l'intolérance, la discrimination et la déshumanisation des Juifs comme «l'autre».
Gérer les signes d'alerte précoce et les facteurs de risque est la meilleure forme de prévention. Cependant, de plus en plus d’Etats, y compris ceux du monde développé, sont confrontés à des défis pour faire face à ces risques. L'Europe, le continent qui a été témoin de l'Holocauste, connaît aujourd'hui une intolérance et des tensions croissantes entre les communautés locales et ceux qui franchissent les frontières pour y chercher refuge, fuyant la persécution et d'autres violations graves des droits de l'Homme, ou qui cherchent désespérément à échapper à la pauvreté. Les communautés minoritaires, les migrants et les réfugiés sont souvent utilisés comme «cibles» faciles lorsque les débats politiques se polarisent. Alors que les extrémistes injectent un langage incendiaire dans le discours politique dominant répandu sous le couvert du «populisme», les discours et les crimes de haine ne cessent d'augmenter. En jetant le blâme sur les migrants et les réfugiés en les qualifiant de menace pour la sécurité nationale, les dirigeants d'extrême droite et les leaders populistes entretiennent un climat où il est justifié de commettre des actes de violence contre eux comme moyen de «légitime défense». Ces mouvements extrémistes se réapproprient le récit de «l'autre» que Hitler maîtrisait si bien.
De nos jours, la dissémination rapide du discours de la haine à travers les médias sociaux abondamment utilisés par la jeunesse pourrait avoir des conséquences néfastes sur la façon dont les jeunes perçoivent le monde et l'interaction entre les communautés pour les prochaines générations.
Un leadership audacieux est nécessaire pour contrer ces faux discours de haine et de discrimination. Les dirigeants progressistes doivent approfondir leur compréhension du problème et assumer leur responsabilité de protéger toutes les populations menacées. Les pays doivent s'attaquer aux causes profondes de la haine, y compris le racisme et la discrimination, défendre la société civile, l'état de droit et l'universalité des droits de l'Homme. La poursuite de l'érosion des protections que confèrent les droits de l'Homme et celle des normes démocratiques exacerbe le risque potentiel de conflits violents, conduisant à des actes d'atrocités. Aucun pays au monde ou aucune région n'est à l'abri des conflits fondés sur l'identité et, par conséquent, personne ne devrait faire preuve de complaisance quant au respect de sa responsabilité de protéger.
Alors que nous commémorons l'anniversaire de la libération des camps d'Auschwitz, ainsi que le 75e anniversaire de la Charte des Nations Unies, nous devons réfléchir à ce que nous pouvons faire pour prévenir la répétition des atrocités et faire avancer les engagements et les valeurs de la Charte. Les atrocités dont le monde a été témoin depuis l’adoption de la Charte devraient nous rappeler constamment que ce qui s’est produit il y a 75 ans se produit encore aujourd’hui, avec des conséquences catastrophiques pour l’humanité. Un engagement renouvelé en matière de prévention est nécessaire pour honorer véritablement les victimes de l'Holocauste non seulement en paroles mais également en actes. Autrement, nous ne tiendrons jamais la promesse de la Charte de «sauver les générations futures du fléau de la guerre».
Adama Dieng est Conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la prévention du génocide.
À 30 ans, le Sénégalais n'a eu besoin que de quelques semaines pour s'imposer comme une évidence au PSG. Tuchel est sous le charme, comme tous ses homologues avant lui. Mais pourquoi Gana ne débarque-t-il au très haut niveau que maintenant ?
So Foot |
ERIC CARPENTIER ET MATHIEU ROLLINGER |
Publication 24/01/2020
À 30 ans, Idrissa Gueye n'a eu besoin que de quelques semaines pour s'imposer comme une évidence dans le milieu du PSG. Thomas Tuchel est sous le charme, comme tous ses homologues avant lui. Mais alors, pourquoi Gana ne débarque-t-il au très haut niveau que maintenant ? La réponse est à chercher dans ses débuts, quelque part entre le Sénégal et le Nord-Pas-de-Calais.
Daniel Percheron peut avoir des regrets. À la présidence du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais pendant 14 ans, ce « grand supporter du Racing Club de Lens » est passé tout près d’offrir un diamant brut à son club de cœur. En 2003, l’association Diambars, dont le siège social français est établi à Arras, voit le jour en partie grâce à un financement régional, validé par l’ex-sénateur socialiste. Cinq ans plus tard, une première pépite sort de l’académie sénégalaise : elle s’appelle Idrissa Gueye et signe au LOSC. « Effectivement, la région Nord-Pas-de-Calais a été la première à croire en notre projet et à nous accompagner financièrement, acquiesce Jimmy Adjovi-Boco, monument Sang et Or et cofondateur du projet. Et personnellement ça ne m’aurait pas déplu qu’Idrissa signe au RC Lens. » De fait, les premiers contacts avec la région penchent vers le pays minier. Ce sont les "tournées Baobab" : chaque année depuis 2004, la délégation sénégalaise passe un mois dans le Nord, pour s’entraîner et participer à des tournois, mais aussi pour visiter les mines et les brasseries du coin. Le tout sous les attentions bienveillantes de familles locales.
Ch'ti Gana
Patrick Wastiaux faisait partie de ce comité d’accueil. « Ce sont des amis médecins, supporters du RC Lens, qui m’ont parlé de ce projet, resitue ce retraité du monde des assurances. Il se trouve que nous, on a eu Idrissa. Tout de suite, ça a bien fonctionné dans la mesure où on a un garçon qui a le même âge que lui et qui était passionné de foot. » Avec la famille Wastiaux, Gueye profite de quelques sorties à vélo, se prend de passion pour les lasagnes maison, passe des heures à jouer au ping-pong sur la pelouse et quelques nuits blanches sur la console. « Mais quand ils étaient là, ils avaient entraînement tous les jours et des matchs les week-ends, recadre Patrick. C’était assez rigoureux, ce n’était pas vraiment des vacances pour eux. » Car le but de ces voyages est surtout de pouvoir caresser un rêve : celui d’une carrière européenne.
Pour Gueye, le rêve prend forme au printemps 2008. Et alors qu’il avait été jusqu’ici choyé par des cœurs Sang et Or, ce sont les Lillois qui mettent le grappin sur le gamin de Dakar. « À chaque printemps, Diambars venait avec un groupe de 22-24 joueurs susceptibles d'être recrutés. Cette fois-ci, ils sont venus au domaine de Luchin pour faire deux test-matchs, raconte Jean-Michel Vandamme, le directeur du centre de formation. Là, il y en a un qui est fracassant, c'est Pape Souaré. Idrissa est beaucoup moins en vue, mais il ne surjoue pas et fait merveilleusement bien tout ce qu'il doit faire. Et ça, c'est un signe d'intelligence. Donc je les invite tous les deux au tournoi de Pentecôte, à Croix, où on les fait jouer avec notre équipe. » Souaré et Gueye sont intégrés avec les U18 du LOSC. Une réussite. Trois ans plus tard, Pape et Idrissa, mais aussi Omar Wade, seront champions de France. L’opération Baobab est un succès, l’institut Diambars tient son modèle.
Diambars et ça repart
Ce n’est pas un hasard si, au moment de se souvenir des débuts du projet, Jimmy Adjovi-Boco choisit avec soin ses deux premières pierres. D’abord celle posée avec les cofondateurs du projet Diambars — Patrick Vieira, Bernard Lama et Saer Secke — à Saly, à 90 bornes de Dakar et « au milieu de 15 hectares de sable » . Ensuite celle extraite la même année lors d’une détection au Terrain de la Piscine, lieu de repère pour tous les gamins à ballon de la capitale : Idrissa Gana Gueye. Membre de la promo inaugurale, composée de 32 garçons nés en 1989 et 1990, Gueye est « un symbole pour Diambars » , assure Adjovi-Boco. « C’est lui qui a réussi la plus belle carrière d’un point de vue footballistique, et celui qui est le plus représentatif en matière de valeurs et de travail dans ce qu’on a essayé de mettre en place il y a 20 ans. » Une fierté, surtout, parce qu’il n’a jamais été question de prédestination pour Idrissa Gueye, mais bien de construction.
La promesse des Diambars — « les guerriers » en wolof — se résume en un slogan : « faire du foot passion, un moteur pour l’éducation » .
Chez Idrissa, la passion se manifeste dans les navétanes, ces tournois de quartier rythmant les week-ends à la Médina de Dakar. D’abord simple observateur, il est propulsé sur le devant de la scène à 11 ans, lorsqu'un entraîneur lui demande de remplacer au pied levé un joueur blessé. Idrissa n’a pas de chaussures, ne pratique le foot que dans la confidentialité, mais il termine le match à quatre buts et deux passes décisives. Trois ans plus tard, cette passion devient un vrai projet quand il s’agit de quitter le foyer familial pour essuyer les plâtres à Saly. « Les premières années, on logeait dans un petit hôtel qu’on avait trouvé en location et on avait aménagé une maison pour faire des salles de classe, décrit Adjovi-Boco. C’était des conditions assez rudimentaires, mais si vous en parlez aux jeunes, ils en ont certainement gardé un bon souvenir. » C’est le cas pour Omar Wade, qui voyait son grand pote Idrissa Gueye s’incruster dans sa chambre au moment de la sieste : « De temps en temps, on partait jouer à la plage, on allait à la piscine... mais surtout, on ne pensait qu’à jouer au foot ! »
De 14 à 19 ans, Idrissa s’épanouit dans ce cadre. « C'est là que j'ai appris à presser, à courir avec le ballon et à être agressif en possession du ballon » , reconnaissait-il au Guardian en 2016. Jimmy Adjovi-Boco retient lui que ce « petit gabarit » — surnommé par Wade et ses camarades « "Bop Pik", parce qu’il avait une grosse tête et un petit corps » — n’était « ni la plus forte personnalité, ni le meilleur joueur » . En revanche, le milieu possède un autre atout : son éducation, qui lui permet d’être rapidement désigné capitaine de sa promo. « On n’a fait qu’affiner ce qui avait été fait par ses parents, continue Adjovi-Boco. Chez lui, on a très vite vu que le travail d’éducation était parfait. Idrissa était et est toujours d’une correction incroyable. » Coupé de son père, tapissier de profession, et de ses frères aînés qu’il ne voit qu’une seule fois par mois, le garçon va se servir de cette absence pour s’affirmer. « Ce n’était pas facile au départ, mais il s’est rapidement forgé un caractère pour devenir un vrai meneur. Ce qu’il est aujourd’hui, c’est le fruit de son travail et de son sérieux. » Ces mêmes ingrédients qui le conduisent en 2008 au LOSC, à qui les Diambars confient le bâton de l’éducation.
Arrêt « gars du Nord »
À Lille, François Vitali prévient d'entrée : « Si vous voulez des choses croustillantes, vous n'êtes peut-être pas sur le meilleur personnage » . En revanche, comme aux Diambars, Idrissa Gueye symbolise une stratégie réfléchie bien plus qu'un coup de chance. Une approche détaillée par celui qui travaillait à l'époque sur le recrutement des jeunes pousses du club : « Des profils comme lui, comme Cabaye, comme Debuchy, comme Stéphane Dumont avant, c’était la marque de fabrique du LOSC. Des joueurs talentueux, pas forcément les plus fantastiques, mais des garçons avec une éducation, une discipline. » « Que des garçons avec des profils psychologiques très au-dessus de la moyenne dans leur catégorie, renchérit Rachid Chihab, qui a entraîné Gueye pendant ses deux dernières années avec la réserve. Ils n'ont pas forcément eu le même parcours, mais ils ont tous fait carrière. »
Le charme discret de son talent est pourtant ce qui a fait douter la direction lilloise au moment de faire confiance au Sénégalais. « Pape Souaré a eu un contrat plus long, mais tout le monde n’était pas convaincu par ce que pouvait donner Idrissa, remet Vitali. Il a fallu trouver une solution. » Il faudra alors que Claude Puel soit sollicité pour confirmer l’analyse de ses collègues de la formation, donner son aval et convaincre le président Seydoux. C’est ensuite la carte Diambars qui l’emporte. « C’est là que les très bonnes relations de Jean-Michel Vandamme avec Jimmy, et le financement des Diambars par la région, ont permis une discussion intelligente entre toutes les parties » , continue Vitali. Pour Claude Puel, Idrissa Gueye sera comme un cadeau d’adieu : deux semaines avant le début du contrat du milieu à Lille, l’entraîneur signe à Lyon.
La suite appartient aux formateurs, au premier rang desquels Rachid Chihab et Pascal Plancque, qui a eu Gueye lors de sa première saison dans le Nord. Mais à les entendre, le job était facile, presque trop. « Nous, on a juste la chance de le détecter et de l’accompagner » , s'efface le premier. « Idrissa, en matière de mentalité de travail, c’était magnifique » , encense le second. Qui ne rejoue pas pour autant la carrière a posteriori : « Je me disais : "J'espère qu'il va y arriver !", parce que des mecs comme ça, on a envie qu’ils réussissent. Mais tu n’es pas sûr. Un Eden Hazard, on peut dire à 14-15 ans que ça va être un top joueur. Pas Idrissa. » Une idée reprise par Brian Obino, partenaire de Gueye lors de sa première saison en formation : « On avait un groupe de petits phénomènes ! On avait Eden, Yannis Salibur, Omar Benzerga, Badis Lebbihi... Et en second plan, il y avait des joueurs comme Idrissa. Il ne faisait pas de bruit, mais il a toujours été constant, rigoureux, et on s’est rendu compte que c’était une valeur sûre. »
L’art de prendre
Si « le travail est le père, et la nature la mère de toute chose » (William Petty), alors une carrière fondée sur le travail et l’éducation doit prendre le temps de grandir. C’est en tout cas ce que pense Jean-Michel Vandamme à propos d’Idrissa Gueye : « Avec le temps, il fera du dépassement de fonction, quand il aura compris qu’il a le niveau. Mais d'abord, il est tellement respectueux, tellement soucieux de répondre au bon de commande qui lui est fait, que sa réponse est une merveille pour un entraîneur, mais que, parfois, il ne se met pas assez en valeur. » Autrement dit, Idrissa Gueye n’est pas du genre à se faire mousser pour passer devant le concurrent. Mais comme le prévient Rachid Chihab, « on sent que dès que la porte va s’ouvrir, il va saisir l’opportunité et ne va pas décevoir » .
« Il disait tout le temps : "Ne t’inquiète pas, notre jour viendra, on sera bientôt là-bas", se souvient Omar Wade, hébergé un temps par son copain d’enfance lorsqu'il l’a rejoint en 2009 chez les Dogues. Mais à l’époque, il y avait Mavuba, Balmont, Cabaye... Ce n’était pas facile de se faire une place ! » Alors Gueye patiente. Et apprend. « Mais il a bien appris parce qu’il a eu des bons mentors, son capitaine par exemple ! » se marre Rio Mavuba. Si le capitaine se rappelle que le LOSC s’était fait sortir de Coupe de France par Colmar pour la première de Gueye en pro, un samedi de janvier 2010, il garde également en mémoire un mec qui « quand il est arrivé, n’était pas là pour rigoler. Il taffait, il taffait, il taffait ! Et sincèrement, il comprenait très vite. » Une semaine avant le titre de champion de France 2011, une première récompense va se présenter, sous la forme d’une titularisation en finale de Coupe de France.
Ce soir-là, on retrouvera Gueye, cravate desserrée au VIP Room après le match. Le trimeur relâche. Mais n’oublie pas les collègues devant la caméra du club : « On dédicace aux jeunes de Diambars, tu vois. C'est possible, on l'a fait. [...] On sort de Diambars, il y a Souaré, il y a Omar, il y a mon gars qui est là, j'ai joué titulaire, c'est merveilleux, on en profite ! » Une exclamation rare dans une carrière menée sous le signe de la modestie. Si pour trouver un appartement en ville, il a pu compter sur Patrick Wastiaux, son logeur arrageois toujours prompt à filer un coup de main à son « troisième fils » , le guerrier s’est construit pendant sept saisons une petite vie calme et sereine dans la capitale des Flandres, entouré de ses anciens compères de Diambars. « On allait souvent dans un resto sénégalais, le Toucouleurs(aujourd’hui fermé, N.D.L.R.), on y avait emmené Eden Hazard, Moussa Sow et Gervinho, se souvient Wade, aujourd'hui joueur du FC Gueugnon. Des cinés, du karting aussi. » François Vitali avait raison : peu de coups d’éclat remontent lorsqu'on aborde le sujet Gueye. Plutôt une impression générale, toujours excellente. Il n’y a guère que Rio Mavuba pour dessiner un moment aussi précis que précieux pour cerner le personnage. La scène se joue dans les couloirs du Stade de France, quelques heures avant le VIP Room : « Je me souviens du calme qu’il avait avant le coup d’envoi. Il était tout jeune, il allait commencer une finale de Coupe de France, mais il restait parfaitement calme. C’est Idrissa Gueye, quoi. Un sage. »
"ON NE PEUT PAS ÊTRE INSOLVABLE DANS SA PROPRE MONNAIE"
Ndongo Samba Sylla met en garde contre toute précipitation dans la mise en place de l’Eco et brûle le franc Cfa qui a installé, selon lui, la plupart des populations concernées dans la misère. Entretien !
Spécialiste ayant fait beaucoup de travaux sur les questions monétaires, coauteur de ‘’L’arme invisible de la Françafrique, une histoire du franc CFA’’, Ndongo Samba Sylla dissèque la monnaie dans toutes ses facettes. Panafricaniste convaincu, il met en garde contre toute précipitation dans la mise en place de l’Eco, brûle le franc Cfa qui a installé, selon lui, la plupart des populations concernées dans la misère et vante les mille et une vertus de la souveraineté monétaire pour un pays. Entretien !
Le projet de monnaie unique de la CEDEAO suscite beaucoup d’enthousiasme. Mais vous, vous semblez moins emballé. Pouvez-vous revenir sur les raisons qui font que vous êtes moins enthousiaste ?
Beaucoup de personnes veulent l’unité de l’Afrique et elles ont raison de penser que c’est à travers cette unité que le continent pourra se développer et assumer sa présence dans le monde. Mais la question qui se pose est de savoir à partir de quel fondement il faut créer cette unité. Selon Cheikh Anta Diop et Kwame Nkrumah, c’est à partir de l’intégration politique qu’on peut mettre en place l’intégration économique. Cela veut dire : avoir une armée continentale, un gouvernement fédéral, un ministre des Affaires étrangères commun, un ministre des Finances commun, etc. A défaut, il faut avoir une politique coordonnée dans ces différents domaines.
Aujourd’hui, beaucoup pensent que la monnaie unique CEDEAO pourrait être un début pour l’unité politique. Cette idée me semble non étayée. Il faut regarder l’histoire de l’humanité. Il n’existe aucun exemple de partage de monnaie unique, entre des pays souverains, qui ne soit basé sur une structure fédérale. Le seul exemple, c’est la Zone euro et elle ne marche pas. La plupart des pays qui la composent se sont appauvris. Prenez l’exemple de la Grèce. Elle va retrouver son niveau économique de 2008 en 2034. Elle perd ainsi une génération. Les Européens, eux-mêmes, se rendent compte que l’euro ne marche pas, puisqu’ils n’ont pas mis les préalables politiques et économiques nécessaires.
Quels sont ces préalables qu’il faut mettre en place pour qu’une zone monétaire unique puisse être performante ?
Il faut avoir un gouvernement politique, un fédéralisme budgétaire - c’est-à-dire un trésor fédéral qui dispose d’un budget conséquent - une harmonisation des politiques fiscales et budgétaires, une harmonisation de la législation bancaire, etc. Les Européens reconnaissent maintenant que si l’euro ne marche pas, c’est parce que tous ces préalables n’ont pas été mis en place. Je ne comprends donc pas pourquoi nous, qui avons la chance d’observer tout ça, nous voulons résolument répéter les mêmes erreurs. Sans gouvernement politique fédéral, il n’y a pas d’intérêt à aller vers une monnaie unique. D’ailleurs, aucun travail économique ne montre que la CEDEAO constitue une zone monétaire optimale, c’est-à-dire que les pays qui la composent ont avantage à partager une même monnaie.
Quels sont les critères d’une zone monétaire optimale ?
Il faut que la zone soit très intégrée sur le plan commercial, c’est-à-dire que les pays qui la composent commercent beaucoup entre eux. Il faut aussi que les cycles économiques soient synchrones, c’est-à-dire que les pays aient des conjonctures économiques similaires. Il faut aussi un minimum de fédéralisme budgétaire. Dans ces conditions, une monnaie unique peut marcher. Sinon, c’est compliqué. Et dans le cas des pays de la Zone franc, en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, il n’y a aucun travail qui montre qu’on est dans une zone monétaire optimale. Cela veut dire que ces huit pays de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) ne devraient pas partager la même monnaie. Maintenant, on veut l’élargir à un plus grand ensemble où le commerce régional est faible (10 % environ) et au sein duquel le Nigeria pèse plus de 2/3 du PIB, est exportateur net de pétrole là où les autres, pour la plupart, en importent. Cela pose d’énormes difficultés.
Peut-on en déduire que l’Eco CEDEAO risque d’être plus catastrophique que le CFA UEMOA, si l’on sait que les huit pays présentent moins de disparités ?
Je ne parlerai pas de catastrophe. Je ne fais pas de pronostic, parce qu’il y a beaucoup d’autres facteurs qu’il faut prendre en compte. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas, pour l’instant, d’arguments économiques solides permettant de justifier la désirabilité d’une monnaie unique CEDEAO. Si nous voulons une monnaie unique pour doper le commerce interafricain, il y a des alternatives plus pratiques. Au-delà de la Zone de libre-échange continental - un projet problématique également - nous pouvons songer à mettre en place un système de paiements et de règlement continental. Ce qui nous permettra de commercer dans nos propres monnaies, en lieu et place des devises dominantes.
Afreximbank porte déjà ce projet. Si nous voulons une monnaie unique afin d’être plus solidaire entre nous, nous pouvons mettre en place un fonds monétaire africain qui gèrera une proportion donnée de nos réserves de change. Si nous voulons plus de coordination monétaire, nous pouvons décider de fixer nos taux de change les uns vis-à-vis des autres avec des marges de fluctuation et de faire de l’Eco une unité de compte commune (et non pas une monnaie unique). Cette démarche serait beaucoup plus cohérente que de faire le saut directement vers une monnaie unique. La vraie convergence serait obtenue beaucoup plus facilement avec ces approches alternatives et gradualistes.
Justement, cette monnaie était initialement prévue pour 2020. Vous dites que ce n’est pas possible, car la plupart des Etats ne respectent pas les critères de convergence. Pouvez-vous rappeler ces critères ?
Je ne peux pas commenter ces chiffres dont je ne dispose pas. Ce que je sais, c’est qu’en juin 2019, la CEDEAO a publié un rapport pour dire qu’aucun pays ne remplissait les critères de convergence en 2018. Pour 2019, apparemment, seul le Togo remplirait tous les critères. Ce qu’il faut savoir, c’est que ces critères ont été importés de la Zone euro. Ils ont été imposés par l’Allemagne qui était réticente, au départ, quant à son adhésion à la Zone euro. Pour y entrer, les Allemands ont exigé des garanties. Ils ne souhaitaient pas se retrouver dans la position d’avoir à payer les déficits des pays voisins qui auraient des problèmes budgétaires.
Les critères de convergence étaient la réponse aux garanties exigées par l’Allemagne. Et nous, nous les avons reproduits bêtement. Je dis bien bêtement, car il n’y a aucun sens à vouloir limiter le plafond d’endettement à 70 % ou à limiter le déficit public à 3 ou 4 %. Pourquoi ? Prenons l’exemple du déficit public. Il correspond exactement au surplus du secteur non gouvernemental. Quand le gouvernement est en déficit de moins 3 % du PIB, le secteur non gouvernemental a exactement plus 3 %. Du point de vue de la théorie économique, ce qu’on appelle la finance fonctionnelle, le bon niveau de déficit est celui qui permet à tout un chacun de trouver un emploi.
En réalité, dans le cas des pays africains, les prétendus critères de convergence ont été mis en place pour s’assurer que leurs Etats ne vont pas faire des dérapages budgétaires qui compromettraient leur capacité à rembourser la dette. Ils n’ont donc pas été mis en place pour permettre aux Etats d’avoir une certaine marge de manœuvre sur le plan de la politique budgétaire, pour faire une politique de développement. Ce ne sont donc pas des critères économiques, mais des critères financiers.
Le paradoxe est donc que les Africains ont repris, comme condition de leur association monétaire, des critères que l’Allemagne a exigés pour se dispenser d’être solidaire avec ses voisins.
Pourtant, l’esprit de solidarité panafricaniste est aussi brandi comme un des arguments militant en faveur d’une zone monétaire unique…
C’est d’ailleurs ce qui est ironique. Nous disons que nous allons vers l’unité et en même temps, nous reprenons des critères européens qui présupposent une absence de solidarité et de confiance entre nous. Vous voyez à quel point c’est problématique. Pourtant, des alternatives plus porteuses et moins risquées sont là. Il s’agit de mettre en place un fonds monétaire africain, une unité de compte commune, un système de paiements et de règlement continental, fixer si c’est possible nos monnaies les unes les autres pour aller vers la vraie convergence, la véritable unité politique dans la solidarité.
Vous dites que certains plafonds, notamment pour ce qui est de la dette, n’ont pas de sens. Est-ce à dire que vous ne voyez pas d’inconvénient par rapport au niveau de la dette du Sénégal ?
Je dis que le ratio dette/PIB en lui-même ne veut rien dire sur le plan économique. Le Japon a une dette de 250 % par rapport au PIB. Les taux d’intérêt sont à 0 % et son économie est au plein emploi. Ce qu’il faut voir, c’est si l’Etat émet sa monnaie ou s’il est un utilisateur de monnaie, comme c’est le cas du Sénégal et des autres pays de la Zone franc. L’autre question est de savoir si on s’endette dans sa propre monnaie ou dans une monnaie étrangère. Quand on s’endette dans une monnaie étrangère, c’est toujours compliqué. Mais quand on le fait dans sa propre monnaie, il y a moins de danger. Si le Japon est à 250 %, c’est parce qu’il s’endette dans sa propre monnaie.
Au Sénégal, le niveau de dette est préoccupant, parce que la dette est essentiellement libellée en monnaie étrangère. Cela veut dire que, tôt ou tard, nous allons la rembourser en termes de ressource réelle. Si on voit le gouvernement supprimer des subventions, augmenter des taxes, c’est parce qu’il faut payer la dette contractée en monnaie étrangère. Si notre gouvernement pouvait s’endetter dans sa propre monnaie nationale, il n’aurait pas eu besoin d’infliger des politiques d’austérité. L’endettement en monnaie étrangère est donc toujours dangereux. Un gouvernement qui aspire à un minimum d’indépendance financière doit tout faire pour ne pas s’endetter en monnaie étrangère.
Vous parlez souvent de la notion de souveraineté monétaire. Pouvez-vous revenir sur ses implications ?
D’abord, la souveraineté monétaire traduit l’indépendance financière de l’Etat. Cela veut dire que l’Etat peut réaliser toutes ses dépenses sans contrainte financière. Pour que ce soit possible, il faut que l’Etat ait sa propre monnaie ; qu’il ait la capacité de taxer l’économie ; qu’il ait un contrôle sur le secteur bancaire (la banque centrale et les banques commerciales) et qu’il ait la souveraineté sur ses ressources économiques (les terres, la main-d’œuvre, les ressources naturelles, etc.). Si ces conditions sont réunies et que l’endettement est effectué en monnaie nationale, cet Etat peut financer tout ce qu’il a envie de financer et il ne peut jamais être insolvable. On ne peut jamais être insolvable dans sa propre monnaie.
Mais quels sont les risques relatifs au fait de battre sa propre monnaie ?
Il n’y a pas de risques particuliers. Les risques, ce sont ceux qui sont inhérents à la politique économique. Et la monnaie, en elle-même, n’est pas l’instrument le plus important. L’instrument le plus important, c’est le budget.
Pourtant, on parle souvent de risques comme l’inflation…
Ce qu’il faut dire, c’est que dans les pays qui utilisent le CFA, les niveaux d’inflation sont beaucoup trop faibles, par rapport à la norme, pour des pays aussi pauvres. Ce sont les travaux scientifiques qui l’établissent. La deuxième chose, c’est qu’est-ce qu’on entend par inflation ? Il faut comprendre que si l’Etat dépense pour augmenter les capacités productives, il n’y a pas d’inflation. Mais si on crée de l’argent pour certaines dépenses qui n’augmentent pas les capacités productives, cela crée de l’inflation. En fait, le problème fondamental est que beaucoup parlent de la monnaie, mais peu comprennent ce que c’est véritablement. Certains spécialistes vous diront ses fonctions : unité de compte, moyen de paiement et réserve de valeur.
Ce qui ne nous avance pas. Quelle est la nature de la monnaie ? C’est d’être une dette de l’Etat. Quand vous tenez un billet de 1 dollar par exemple, c’est une dette de l’Etat américain à l’égard de celui qui détient ce billet. Quand vous avez votre monnaie, vous pouvez créer autant d’argent que vous voulez pour financer tout ce qui peut s’acheter au sein de votre économie. Vous avez la possibilité de créer directement des emplois pour les jeunes au chômage. C’est ce qu’on appelle les programmes de ‘’garantie d’emplois’’. Si vous n’avez pas de souveraineté monétaire, vous ne pouvez pas mettre fin au chômage des jeunes ; vous ne pouvez pas réduire le sous-emploi, etc. C’est pourquoi je dis que sans un minimum de souveraineté monétaire, pas de développement possible. Par exemple, si on a des professeurs qui sont au chômage et des jeunes dont les parents n’ont pas les moyens de les envoyer à l’école, c’est une faillite de l’Etat. Car un Etat souverain sur le plan monétaire ne peut jamais manquer d’argent pour financer ce qui est utile à la société.
Mais nous ne vivons pas en vase clos. Nous commerçons avec l’extérieur et il y a des étrangers qui sont établis dans nos pays. N’y a-t-il pas de risques à ce niveau ?
En fait, il faut avoir une politique cohérente. Est-ce qu’on a besoin de dépenser chaque année plus d’un milliard d’euros pour acheter des produits alimentaires ? Est-ce qu’on a besoin d’importer du riz de Thaïlande, alors que nous pouvons le produire ici. Ce sont des choix à faire. Si nous voulons la prospérité pour tous, il faut partir des ressources que nous avons. Mais si nous voulons que 20 % s’en sortent et que tout le reste tire le diable par la queue, laissons tout venir entrer dans notre marché. Quelques privilégiés vont vivre comme des Européens, mais la grande majorité croupira dans la misère.
Récemment, le FMI a procédé à une réévaluation des risques par rapport à l’endettement du Sénégal. On est passé de risque de surendettement faible à risque de surendettement modéré. Qu’est-ce à dire ?
Ce n’est pas spécifique au Sénégal. Les pays africains, en général, sont très exposés à la conjoncture mondiale. Quand il y a eu la crise financière en 2008, les capitaux ne pouvaient plus s’employer de manière profitable dans les pays riches. Les investisseurs se sont donc réorientés vers les marchés émergents. Parce qu’à l’époque, et c’est toujours le cas, les banques centrales avaient des politiques de taux d’intérêt nul. Donc, quand vous aviez vos capitaux, vous ne pouviez ni les investir dans l’économie réelle qui était morose ni les placer, puisque les taux d’intérêt étaient faibles. Raison pour laquelle ils étaient allés vers les pays émergents et les pays pauvres. Nos économies en ont donc profité. Mais, depuis 2012, le niveau de la dette est allé croissant. Cela a plus que doublé (il est passé de 2 700 milliards en 2012 à 8 076,6 milliards de francs CFA, NDLR).
A votre avis, le Sénégal s’endette-il bien ?
Pour moi, une bonne politique économique consiste à faire le maximum pour ne pas s’endetter dans une monnaie étrangère. Et le franc CFA est une monnaie étrangère, car nous ne l’émettons pas. Nous nous endettons surtout en euro et en dollar. Et, tôt ou tard, nous devrons payer cette dette en ressources réelles. Nous devrons exporter des ressources réelles - du pétrole, du gaz, de l’arachide, etc., - pour obtenir des devises en vue de payer la dette ou nous endetter à nouveau. Par exemple, les eurobonds qu’on a émis en 2018 ont une maturité de dix ans. D’ici là, on devra payer environ 1 milliard d’euros au titre des intérêts. Et ce sont les citoyens qui paient tout ça à travers les impôts et taxes, mais aussi à travers les ressources réelles. C’est cela le sous-développement. Ce qui est accumulé chez vous va vers l’étranger. Il faut changer de cap, réinvestir ce que nous accumulons sur place pour avoir un effet multiplicateur, un cercle vertueux. Malheureusement, ici, on accumule et on transfère sous forme de profits rapatriés ou sous forme de paiement des intérêts de la dette.
Il y a aussi les politiques de gratuité de l’Etat, les bourses de sécurité familiale, la couverture maladie universelle dont l’efficacité peut être contestée. L’Etat a-t-il les moyens de ces politiques ?
On peut avoir des réserves par rapport à la manière dont ces politiques sont menées. Mais, pour moi, un Etat soucieux du développement de son économie doit veiller à la santé de ses populations. La couverture maladie universelle est importante, mais elle n’est pas, pour le moment, effective. Pour les bourses de sécurité, je comprends la logique, mais je préfère un programme de garantie d’emploi. Par exemple, l’Etat va dans une commune particulière où il y a des besoins essentiels (assainissement, sécurité, éducation, etc.) ; il paie un salaire minimum à tous ceux qui sont prêts à travailler dans ces secteurs. Aussi, ce qu’il faut savoir, c’est qu’un Etat qui a la souveraineté monétaire a toujours les moyens de sa politique. La seule limite, c’est la disponibilité des ressources réelles (terres, main-d’œuvre, ressources naturelles, etc.). Le Sénégal n’a pas les moyens de sa politique, parce qu’il n’est pas souverain d’un point de vue monétaire.
Si vous aviez à noter les performances du franc CFA, quelle serait la note ?
C’est difficile. Pour moi, c’est une monnaie dont il faudrait se débarrasser au plus vite. Et le Sénégal, pour moi, doit battre sa monnaie nationale rapidement.
Concrètement, quels sont les signaux qui montrent que le CFA n’est pas de nature à favoriser les conditions d’un développement de nos pays ?
Il faut regarder les performances économiques sur le long terme. En 2016, le Sénégal avait un revenu réel par habitant du même ordre qu’en 1960. Pour la Côte d’Ivoire, son revenu réel par habitant de 2016 était inférieur d’1/3 à celui de 1978. Pour les pays d’Afrique centrale, prenez le Cameroun, le Congo-Brazzaville, le Gabon qui sont les trois pays les plus importants sur le plan économique. Leur niveau de revenu réel par habitant est inférieur par rapport aux années 1980.
Donc, vous êtes dans une zone, où la grande majorité des populations est dans une pauvreté absolue. A quoi nous a alors servi cette zone ? Je ne veux pas dire que le sous-développement que l’on voit un peu partout est exclusivement dû à la gestion monétaire. Néanmoins, tant que nous maintenons cette monnaie, tant que les banques continuent de fonctionner comme elles fonctionnent, je ne dis pas que le développement est improbable, c’est impossible.
Quelle lecture faites-vous de la déclaration récente des pays de la Zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest ?
C’était prévisible et c’est normal. La CEDEAO avait sa feuille de route. En juin 2019, ils ont dit qu’ils ont choisi Eco comme nom de la monnaie unique de cet espace régional ; un taux de change adossé à un panier de monnaies pas seulement à l’euro ; une banque centrale de type fédéral. Ils s’étaient aussi mis d’accord sur le fait que l’Eco ne doit être mis en place que par les pays qui sont prêts. C’est-à-dire les pays qui remplissent les critères de convergence. Ce qui n’est pas le cas pour les pays de l’UEMOA, à l’exception du Togo et ce dernier ne peut pas lancer la zone seule. Macron et Ouattara ne peuvent donc pas venir nous dire qu’ils vont renommer le CFA Eco. Et le communiqué de la Zmao est très clair et sobre, en appelant à un respect de la feuille de route préalablement défini.
Quid de l’échéance 2020 qui a été fixée ? L’Eco peut-elle être effective à cette date ?
Je ne sais pas. Mais si l’on maintient la méthodologie des critères de convergence et si le principe de l’adhésion sur une base individuelle – pays par pays - est maintenu, je peux vous dire qu’on va rester encore 30, 40 ans à parler encore du lancement de l’Eco. Pourquoi ? Prenez un pays comme le Cap-Vert ; son taux d’endettement est de plus de 100 %. Pour respecter le critère prévu, il lui faudra au moins 20 ans. Et il ne peut le faire qu’en s’appauvrissant, ce qui est aberrant. Même chose pour la Gambie. Pour les pays comme le Liberia, la Sierra Leone, le Nigeria et la Guinée, ce sont des pays qui ont un taux d’inflation à 2 chiffres. Pour eux aussi, il faudra des politiques d’austérité, c’est-à-dire s’appauvrir pour arriver à respecter les critères de convergence. Aussi, on nous dit qu’il faut entrer un par un. Et si, dans l’UEMOA, par exemple, tous les pays sont prêts sauf le Sénégal, qu’est-ce qu’il va faire ? Battre sa propre monnaie ? S’y ajoutent les problèmes politiques. Si le Nigeria, qui représente plus de 2/3 du PIB de l’Afrique de l’Ouest, n’est pas conforté dans son rôle de leader, il n’y aura pas d’Eco avec le Nigeria.
Justement, où en est ce pays avec le respect des critères de convergence ?
Non, il ne les respecte pas. Il a même beaucoup de problèmes. Il faudra auditer les comptes de la Banque centrale nigériane. Cela va prendre au moins deux ans et ça n’a pas été fait. Aussi, la principale organisation qui rassemble les patrons dans le secteur industriel a émis des réserves par rapport à l’entrée du Nigeria dans la zone Eco. Il y a donc des problèmes réels de faisabilité. Selon moi, la voie la plus réaliste est d’aller vers des solutions alternatives. Les Etats peuvent commencer par fixer les taux de change ; mettre ensemble leurs réserves de change ; adopter des politiques communes d’autosuffisance alimentaire et énergétique ; un système de paiements et de règlement. Voilà des choses simples qu’on peut faire, si les gens tiennent vraiment à faire avancer la solidarité entre Africains.
Si je parle ainsi, ce n’est pas parce que je suis contre les monnaies uniques de manière inconditionnelle. Je dis : allons-y doucement en mettant les préalables. En plus, on parle de zone monétaire, alors qu’il n’y a même pas encore de traité d’union monétaire, pas de statut de la Banque centrale, pas d’harmonisation du secteur bancaire, etc. J’ai l’impression que les gens ne savent pas à quel point c’est complexe de mettre en place une monnaie unique. Cela demande une certaine homogénéité. Dans tous les espaces unifiés sur le plan monétaire, il a fallu préalablement unifier l’espace politique : mêmes lois, mêmes règlements, même culture, etc. Quand vous avez des pays très hétérogènes, où les leaders ne sont pas très engagés pour la cause panafricaniste, c’est très compliqué. Il faut y aller pas à pas.
Y-a-t-il des risques de s’acheminer vers une querelle autour du nom ?
Je ne le pense pas. Eco, c’est juste le diminutif d’Ecowas - CEDEAO en anglais. Les pays de l’UEMOA ne peuvent pas se quereller dessus.
par Mamoudou Ibra Kane
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LE CHAHUT DE LONDRES ET LA LEÇON "SOULEYMANE JULES DIOP"
Comme Me Wade, il y a 10 ans, Macky Sall a désormais son "Souleymane Jules Diop" en la jeune Mbayang Camara. Attention à la portée de ces chahuts, fussent-ils cas isolés. Quelle portée accorder à ce genre d’actes politiquement symboliques ?
Dans sa chronique de ce vendredi, 24 janvier 2020, Mamoudou Ibra Kane rebondit sur la mésaventure londonienne du président Macky Sall, hué par une dame en signe de protestation à l’emprisonnement de Guy Marius Sagna. Et c’est pour revisiter les souvenirs de faits similaires vécus par d’anciens chefs d’Etat d’ici et d’ailleurs.
Comme Me Wade, il y a 10 ans, Macky Sall a désormais son "Souleymane Jules Diop" en la jeune Mbayang Camara. Attention à la portée de ces chahuts, fussent-ils cas isolés. Quelle portée accorder à ce genre d’actes politiquement symboliques ? Le journaliste se demande ainsi si les destinataires de ces faits démocratiques réussissent à bien les interpréter, s’ils ne font pas l’erreur de les banaliser.
Autre lecture : la générosité de la diaspora sénégalaise, à l’amorce de changements politiques majeurs. Dynamique, cette sève nourricière a une telle influence sur la population qu’un élu attentif ne devrait l’ignorer...
Par Mamadou Oumar NDIAYE
«JUSTICES» EXÉCUTRICES DE CHALLENGERS !
En Afrique, les chefs d’Etat au pouvoir sont décidément passés maîtres, ces dernières années, dans l’art d’activer leurs « justices » pour neutraliser des opposants dangereux qui auraient l’outrecuidance de les défier aux urnes
Guillaume Soro ne sera pas candidat à l’élection présidentielle ivoirienne de la fin de cette année. Motif : la « justice » éburnéenne a lancé contre lui un mandat d’arrêt international pour tentative de déstabilisation du pays. Plus exactement, le qualificatif retenu par le procureur Adou richard, c’est : « tentative d’atteinte à l’autorité de l’Etat et à l’intégrité du territoire national ». pas moins ! Et défense de rire…
Des faits qui remonteraient à 2017 et dont la glorieuse « justice » du pays des Eléphants ne s’est saisie qu’il y a quelques mois, lorsque des négociations de la dernière chance ont échoué et qu’il est devenu certain que l’ancien président de l’Assemblée nationale n’allait pas soutenir le dauphin présumé du président Alassane Dramane ouattara. C’est-à-dire son actuel vice-président Amadou Gon Coulibaly. passe encore que l’ « insolent » Soro ait refusé d’adhérer au rHDp (rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la paix) créé au forceps par le président ouattara et regroupant, outre son parti, le rDr, des transfuges du parti démocratique de Côte d’ivoire (pDCi), parti de son ex-allié au pouvoir, l’ancien président Henry Konan Bédié, plus quelques partis cabines téléphoniques. Mais refuser de soutenir le candidat du président ouattara et même envisager de se présenter contre lui !
C’était là un casus belli, assurément, et il fallait faire payer très cher à l’ex-patron de la rébellion armée des Forces nouvelles cet affront. D’où l’invention de cette « tentative de déstabilisation » pour suspendre l’épée de Damoclès d’un emprisonnement sur la tête de Soro au cas où il s’aviserait de se promener sur les bords de la Lagune Ebrié d’ici décembre prochain. Car après les élections — et la victoire souhaitée de Gon Coulibaly — tout sera toujours possible au nom d’une énième réconciliation nationale… Sénégal : Comme le facteur du film, le Président Macky (empri) sonne toujours deux fois !
En Afrique, les chefs d’Etat au pouvoir sont décidément passés maîtres, ces dernières années, dans l’art d’activer leurs « justices » pour neutraliser des opposants dangereux qui auraient l’outrecuidance de les défier aux urnes. Dans ces cas, à la « justice » de jouer et de neutraliser ces empêcheurs d’être réélus les doigts dans le nez ! Charité bien ordonnée…
Débutons ce petit tour d’horizon des présidents emprisonneurs par notre beau pays. pour mettre toutes les chances de son côté à l’élection présidentielle de février dernier, le candidat Macky Sall n’a pas eu d’états d’âme : il a actionné sa « justice » pour jeter en prison Karim Meïssa Wade et Khalifa Sall, présentés comme devant être ses plus redoutables challengers.
il lui a suffi d’emprisonner le premier pour « enrichissement illicite » avant de l’exiler chez les émirs du Golfe, et le second pour escroquerie sur les deniers de sa mairie et le tour était joué ! D’ailleurs, à voir le féroce procureur de la république de Côte d’ivoire exposer gravement les faits d’atteinte à l’autorité de l’Etat dont se serait rendu coupable le pauvre Guillaume Soro — qui avait pourtant porté Ouattara au pouvoir ! —, on se croirait en face de son alter ego sénégalais, Serigne Bassirou Guèye, en train de charger Karim ou Khalifa Sall ! réélu — à vaincre sans péril… —, Macky Sall a gracié le second et engagé des négociations avec le père du premier. L’essentiel, c’était de rempiler !
Trafic de bébés et escroquerie immobilière
Pour rester dans la sous-région ouest-africaine, dans l’espace uemoa si l’on préfère, faisons escale au niger. où, sans autre forme de procès, le président de la république, Mahamadou issoufou, pour écarter son plus sérieux rival à la dernière présidentielle, Hama Amadou, a actionné lui aussi sa « justice » qui n’a pas cherché loin pour trouver un « crime » à reprocher à l’ancien président de l’Assemblée nationale de ce vaste pays sahélien. Ce « crime », c’est celui de « trafic de bébés » en provenance du nigeria et il a suffi pour jeter au gnouf l’infortuné Hama Amadou ! Malgré tout, étant donné que sa candidature avait été validée par l’instance chargée des élections, il avait pu, du fond de sa cellule, mettre le président en exercice en ballotage ! Autrement dit, il avait réussi à se qualifier pour le second tour. n’ayant pas pu battre campagne et négocier des alliances, Hama avait finalement été battu à l’issue du second tour par le sortant. il purge actuellement le restant de sa peine après être parti se réfugier à paris… Là aussi, on prête au très démocrate Issoufou l’intention de le gracier ! Direction l’Afrique centrale où l’ancien président Joseph Kabila, n’étant pas très sûr de remporter l’élection à multiples prolongations — qui s’est finalement tenue en décembre 2018 et qu’il a perdue — et ayant surtout peur de la popularité de l’ex-gouverneur de la richissime province du Katanga, Moïse Katumbi, également propriétaire du grand club de football tout-puissant Mazembé, Joseph Kabila, donc, a lui aussi fait emprisonner Moïse Katumbi par sa « justice ». Motif : une « escroquerie immobilière » au détriment d’un mystérieux propriétaire grec actionné pour les besoins de la cause. D’ailleurs, avant le verdict de ce procès rocambolesque, la juge en charge du dossier avait reçu une visite « amicale » du patron de la très redoutée Agence nationale de renseignement (Anr) venue la « conseiller » sur la sentence à rendre. Elle avait été obligée de prononcer une peine ferme à l’encontre de l’opposant ! Depuis lors, d’ailleurs, elle a fui le pays. Après Katumbi qui n’avait pas attendu l’issue de ce procès pour se faire la malle. D’autant plus qu’une autre affaire judiciaire, de « recrutement de mercenaires » cette fois-ci, lui pendait sur la tête !
Des juges qui ne perdent pas le Nord…
Mais que ceux qui avaient tendance à croire que ces persécutions politico-judiciaires contre des opposants — en tout cas des challengers de présidents au pouvoir — n’avaient cours que de ce côté-ci du continent se détrompent : en Afrique du nord, aussi, elles existent ! A preuve par la Tunisie où, durant l’élection présidentielle d’il y a quelques mois, le candidat Nabil Karaoui, présenté par les sondages comme devant être le plus sérieux rival de l’alors premier ministre Youssef Chahed (le président en exercice est mort juste avant la fin de son mandat), s’est retrouvé au cachot à deux semaines à peine du démarrage de la campagne électorale. Ce sous l’accusation de « fraude fiscale ». Là également, la glorieuse « justice » tunisienne était entrée en action ! Sans avoir pu aller à la rencontre des tunisiens, Karaoui avait néanmoins réussi à se qualifier pour le second tour à l’issue duquel il avait été battu par l’homme qui préside désormais aux destinées du pays : Kaïs Saïed. Ce petit tour d’horizon — qui n’est pas exhaustif — juste pour montrer combien le fait d’être challenger des présidents en exercice sur notre continent peut être suicidaire. Et à quel point nos « justices » peuvent être sévères pour ces impertinents qui veulent déboulonner les présidents qui les ont mises en place. ou, du moins, ont nommé les juges obséquieux qui trônent à la tête de ces juridictions. retour à la case départ, c’est-à-dire en Côte d’ivoire où, comme c’est curieux, Alassane Ouattara qui vient d’actionner sa « justice » contre son ancien allié Soro Guillaume, avait pourtant été victime des mêmes pratiques qu’il met en œuvre aujourd’hui contre un rival de son dauphin présumé. A l’époque — Bédié était président…—, on lui avait tout simplement dénié la nationalité ivoirienne. Et on avait dit qu’il était un Burkinabé ! pour laver l’affront, Soro avait déclenché la lutte armée à partir du…Burkina pour permettre à Ouattara de prendre le pouvoir. Et voilà qu’il est accusé aujourd’hui de déstabiliser le pays par devinez qui ? Le même Alassane Ouattara qu’il avait porté au pouvoir !
par Ousmane Sonko
LA GANGRÈNE DE LA CORRUPTION
Le seul responsable de la corruption au Sénégal s’appelle Macky Sall - Prodac, COUD, Poste, Petrotim, Port, King Fahd, Lonase…, la liste de dossiers impliquant ses proches qu’il couve dans une impunité indécente est longue
Indice de perception de la corruption 2019, qui est vraiment surpris du mauvais classement du Sénégal !
La corruption est une pratique consacrée et légitimée à tous les échelons étatiques au Sénégal, et il n’est nécessairement pas besoin d’un rapport ou d’une étude pour l’établir.
Mais le vrai débat est celui des responsabilités. Le seul responsable de la corruption au Sénégal s’appelle Macky Sall. Lui qui, par une gestion familiale, clanique et partisane, entretient un système bâti sur la corruption, le détournement et l’escroquerie portant sur nos deniers publics.
- C’est lui qui nomme, à des responsabilités directionnelles, des personnes qui faisaient déjà l’objet de rapport à charge des corps de contrôle ;
- c’est lui ensuite qui les promeut à des responsabilités ministérielles quand bien même leur gestion antérieure a fait l’objet de réserves voir de dénonciation par ces mêmes corps de contrôle ;
- c’est lui enfin qui met le coude, directement ou indirectement (par son procureur), sur lesdits rapports, empêchant toute poursuite judiciaire contre son clan.
Prodac, COUD, Poste, Petrotim, Port autonome, King Fahd, Sécuriport, CSS, 94 milliards, Navire Olinda, Aser, Sénélec (Myna distribution), titre Bertin, Lonase…, la liste est très longue de dossiers impliquant ses proches ou des transhumants qu’il couve dans une impunité indécente.
Monsieur Macky Sall est l’Alpha et l’Oméga du système de corruption au Sénégal. Et à titre personnel, son rôle est encore frais dans l’attribution frauduleuse du gaz du bloc de Saint Louis à Frank Timis (Aliou Sall) par la signature d’un décret corrompu.
Les Sénégalais doivent bien comprendre une chose, au delà des slogans creux et de la propagande médiatique : Macky Sall ne peut pas être le mal et le remède à la fois.
MADANI TALL, L'HOMME PROVIDENTIEL DE DIAMNIADIO ?
L’ancien de la Banque mondiale se reconvertit bien dans les BTP. Après les deux sphères ministérielles de Diamniadio, il va réaliser la cité des Nations Unies à Diamniadio via son entreprise Envol Immobilier Sénégal
Déjà trois grands chantiers d’envergure dans le Pôle urbain de Diamniadio. Envol Immobilier Sénégal a la baraka. La société de Madani Tall, ex-Directeur des Opérations mondiales de la Banque mondiale pour l’Afrique de l’Ouest, va exécuter le chantier de la cité des Nations Unies que Macky Sall compte ériger à Diamniadio, près de l’aéroport de Diass. La ‘‘Lettre du Continent’’ sert ce réchauffé que Macky Sall avait déjà annoncé, il y a un an, en réceptionnant la 2e sphère ministérielle de Diamniadio le 16 janvier 2019.
Ce mégaprojet, dont ‘‘les études et les travaux ont déjà démarré’’, selon le PCA Madani Tall, dans une interview à ‘’Financialafrik’’ datée de septembre 2018, vise à centraliser la présence de toutes les agences des Nations Unies présentes au Sénégal. Au total, 33 d’entre elles devraient être logées dans ce qui va être vraisemblablement appelé ‘’Onu City’’, dans un délai de livraison de 24 mois. L’ancrage déjà profond de cette entreprise, malgré sa jeunesse, a poussé l’Etat du Sénégal, à travers l’Agence de gestion du patrimoine bâti de l’Etat (AGPBE), à sélectionner Envol Immobilier pour ce projet. Il sera accompagné, de l’aveu même de M. Tall, par le plus grand groupe bancaire chinois, la Industrial and Commercial Bank of China’’ (ICGC).
En parallèle, une cité résidentielle devra être construite pour répondre au besoin de logement des futurs fonctionnaires des Nations Unies et résidents de Diamniadio. Dans la vision de Macky Sall, la ville nouvelle de Diamniadio est une sorte de Smart City. Elle doit s’ériger, outre sa vocation économique, numérique et universitaire, ‘‘en centre administratif de premier plan’’ avec l’installation progressive et définitive des ministères, a-t-il l’habitude de défendre.
Le chef de l’Etat sénégalais et Madani Maki Tall se rejoignent sur un point, puisque Macky Sall, obsédé par la réduction de la charge locative de l’Etat, se retrouve parfaitement dans les objectifs affichés par le PCA du groupe Envol Immobilier. ‘‘Un de nos objectifs premiers est de proposer des solutions techniques et financières optimales à nos Etats clients afin de leur permettre de sortir du piège de la location ‘ad vitam aeternam’ et enfin devenir propriétaire des infrastructures qui abritent les services publics notamment. C’est ainsi que nos Etats pourront remplir dignement leurs missions régaliennes et offrir aux citoyens le meilleur service public possible’’, a déclaré Madani Tall dans une interview à ‘’Financialafrik’’ en septembre 2018.
Sept mois d’avance sur le délai de livraison de la première sphère ministérielle
Les choses sont allées très vite pour le directeur des Opérations de la BM en Afrique de l’Ouest, qui a quitté ses fonctions en 2013. Après plus de 25 ans au sein de cette institution, il a créé un cabinet de conseil en stratégie, spécialisé dans la conception de grands projets de développement et d’opérations d’investissement en Afrique, notamment dans le domaine des partenariats publics-privés (PPP). Le 16 janvier 2019, la 2e sphère ministérielle de Diamniadio (plus tard appelée Ousmane Tanor Dieng) était livrée par Envol Immobilier, ainsi que le consortium Teylium, devant un président Macky Sall content de cette performance, au point d’utiliser, pour la première fois, dans une allocution officielle, son anglicisme du moment. ‘‘Il y a des entreprises sénégalaises capables de rivaliser avec les entreprises étrangères. Quand je parle de ‘fast-track’, je ne m’adresse pas seulement à ces dernières. Teylium, comme Envol, viennent de montrer que nous avons des entreprises du secteur privé national qui peuvent répondre aux exigences du ‘fast-track’ dans la qualité et la rapidité’’, s’était alors félicité le chef de l’Etat.
La première ‘‘prouesse’’ s’est faite huit mois plus tôt, le 2 mai 2018, quand la société de M. Tall livrait la première sphère avec sept mois d’avance sur le délai contractuel dont le coût global de l’investissement est de 56 milliards de francs CFA. Un financement assuré par Envol Immobilier lui-même, grâce à un emprunt bancaire de 30 milliards de francs CFA contracté auprès du groupe Coris Bank.
Mais s’il est question de diminuer la charge locative de l’Etat, il est aussi question d’amortir le coût de l’investissement. Pour les six années à venir, l’entreprise de M. Tall exploite et entretient ce bâtiment avant son transfert à l’Etat moyennant un loyer. ‘‘Compte tenu du mode de financement innovant, des risques encourus par le développeur et dans l’intérêt économique de l’Etat du Sénégal, une annexe fiscale, conforme à la réglementation sénégalaise ainsi qu’aux dispositions de l’Ohada, a été conçue et annexée au contrat de location-vente, dans le but d’éviter que les charges financières sur les crédits qui serviraient à financer les impôts ne viennent renchérir le coût global du projet.
En d’autres termes, l’objectif du régime fiscal du projet est de neutraliser les effets-coûts de la fiscalité indirecte sur le projet afin de rendre ainsi le coût des loyers plus abordable pour l’Etat du Sénégal’’, a déclaré M. Tall dans son interview à ‘’Financialafrik’’. La société anonyme est de droit sénégalais, avec un capital de deux milliards de francs CFA.
L’université Amadou Makhtar Mbow en ligne de mire ?
Les circonstances aidant, M. Tall pourrait être le chemin le plus court pour aller d’un problème chronique à solution très pratique. Excédé par le retard d’autres chantiers du Pôle urbain de Diamniadio dont la réception de l’université Amadou Makhtar Mbow, qui fait partie des 200 projets structurants de ce pôle, Macky Sall avait menacé de sortir la cravache en janvier 2019. ‘‘Je vais demander la résiliation pour que la reprise soit faite, et l’année prochaine, qu’elle puisse ouvrir ses portes. Cette université a malheureusement connu des retards. Il faut savoir sanctionner négativement quand c’est nécessaire’’, s’était-il pratiquement emporté.
Une année après la menace, hier, le quotidien d’informations sénégalais ‘‘Libération’’ faisait savoir, dans sa livraison, que les pouvoirs publics sénégalais ont finalement sévi. ‘‘L’Etat chasse officiellement Adama Bictogo et Cie de Diamniadio : 30 milliards décaissés pour une université fantôme’’, a titré ce journal en page 3. Une opportunité de plus qui se ferme pour l’ancien ministre de l’Intégration de Côte d’Ivoire, après son contentieux avec l’Etat sénégalais sur la confection des cartes biométriques. Et peut-être une énorme opportunité qui s’ouvre pour le PCA d’Envol Immobilier qui a aussi en charge l’exécution des travaux pour l’université de San Pedro, en Côte d’Ivoire.
par Ousseynou Nar Gueye
VENTRILOQUIE À REWMI, IL FAUT FAIRE PARLER LE SOLDAT IDRISSA SECK
Il a un contentieux non réglé avec la psyché collective sénégalaise, qui le tient pour trop ductile pour être parfaitement honnête, depuis ses allers-retours chez Wade avant le premier tour de la présidentielle de 2007
J’ai commis une tribune dans l’édition de Jeune Afrique datée du 19 au 25 janvier 2020, titrée ‘‘Les papes du Nopi’’. Parmi ce quatuor de silencieux opposants sénégalais - puisque le ‘‘Nopi’’, urbi et orbi, dont il est question, est le leur- figure en bonne place Idrissa Seck.
Le ‘‘cas Seck’’ turlupine tous les analystes (et acteurs politiques ?), si ce n’est l’opinion publique sénégalaise toute entière, bien qu’elle joue les blasés sur le mode « Idy, on le connait ». Plus habitués que nous sommes aux saillies du Thiéssois qu’à ses silences, nous nous posons tous la question, même si nous ne sommes unanimes à nous l’avouer.
Idy est aphone depuis février 2019 : personne ne l’a entendu s’exprimer en public depuis la présidentielle où il a récolté un peu plus de 20% des voix. Toutes les affaires (y compris d’État) qui ont secoué la pirogue Sénégal depuis la réélection de Macky Sall ont laissé Idrissa Seck de marbre et aussi énigmatique que la Pythie de Delphes. Toute la presse sénégalaise y va donc de ses conjectures : ‘‘Le Témoin’’ du 21 janvier titre à sa Une : « Mutisme d’Idrissa Seck : stratégie de com ou lâcheté politique ». ‘‘Sud Quotidien’’, le 18 janvier, dans un article, pointe ‘‘le leader (de Rewmi) Idrissa Seck confiné dans un silence assourdissant depuis la défaite électorale de la présidentielle de février dernier ». Seneplus.com, le même jour, parlant de la ‘‘(re)naissance d’une opposition radicale », relève « le silence d’Idrissa Seck ».
Bref, un silence qui fait beaucoup de bruit. Tract se doit d’y aller aussi de son analyse. Pour paraphraser l’inénarrable Cheikh Yérim Seck : ‘‘Entrons donc dans la tête du leader de Rewmi’’. Notre analyse est de juger qu’Idrissa Seck a choisi cette cure de mutisme désormais sempiternel pour trois raisons principales :
Premièrement, mettre ses lieutenants devant leurs responsabilités : il n’y a pas de raison qu’à Rewmi, le leader soit le seul à payer de sa personne et à tenir le crachoir. Quand on se veut un (futur) parti de gouvernement, on se doit de jouer une partition collective digne d’un orchestre symphonique et pas seulement applaudir aux solos du ténor en chef.
Deuxio : En poussant ses lieutenants à se signaler aux avant-postes et à avoir des sorties médiatiques de leur propre initiative, Idy veut envoyer aux Sénégalais(es) le message subliminal selon lequel Rewmi dispose de cadres en nombre suffisant pour gérer le pays au pied levé et dès le premier jour de leur accession au pouvoir, dans le cas où le parti orange serait appelé aux affaires par les électeurs.
Ter : Idrissa Seck entend émuler celui qui reste son baromètre (« barreau-maître » ?) en politique, Abdoulaye Wade, qui avant sa dernière tentative d’opposant qui fut la première victorieuse, s’était emmuré dans un silence prolongé pendant plus d’un an derrière les murs de sa résidence de Versailles, suscitant ainsi la demande expresse de l’opposition sénégalaise, dont les faiseurs de rois étaient venues le quérir presque à son corps défendant, pour (enfin) bouter Abdou Diouf hors du pouvoir en 2000.
Pour ce qui est de la première raison, le leader de Rewmi a raison : il ne peut se payer le luxe de se coltiner des adjoints qui soient autant de fardeaux, seulement attentifs à attendre qu’Idrissa Seck secoue le cocotier pour lui faire chorus. Ceux- ci doivent pouvoir le suppléer, démontrer au passage qu’il y a une démocratie interne dans Rewmi (denrée trop rare dans le paysage politique sénégalais) et prouver que l’aventure Rewmi ne s’arrêtera pas avec la retraite politique (momentanée ou définitive) d’Idrissa Seck : Déthié Fall, Yankhoba Diattara, Abdou Fouta Diakhoumpa, et tutti quanti, on doit vous entendre plus et plus souvent, vous voir vous battre et battre le macadam plus et plus souvent, si le rêve présidentiel de l’ancien maire emblématique de Thiès doit un jour devenir réalité. ‘‘Pour accéder au pouvoir suprême, il faut qu’il y ait plus de gens, notamment dans votre proximité immédiate, qui le veuillent plus que vous –même, le candidat’’.
Pour ce qui est de la deuxième motivation que nous lui prêtons et qui découle de la précédente, nous pensons que c’est aussi une bonne tactique pour Idrissa seck : lui qui a une fois dit que ‘‘la forêt qui pousse ne fait pas de bruit’’, a raison de vouloir montrer aux Sénégalais qu’il n’est pas l’arbre qui cache le désert. Et qu’il y a bel et bien pléthore de cadres valables dans les rangs de Rewmi. A eux de s’affirmer et de le faire savoir. Comme dit Wolof Ndiaye, « wakh, ci guémigniou borom la dakkhé ».
Toutefois pour la dernière raison qui motive Idrissa Seck, c’est un pari risqué : il a un contentieux non réglé avec la psyché collective sénégalaise, qui le tient pour trop ductile pour être parfaitement honnête, depuis ses allers-retours chez Abdoulaye Wade avant le premier tour de la présidentielle de 2007, jeu de voltige qui l’a certainement empêché de mettre Gorgui en ballotage, pour cette élection dont beaucoup s’accordent à dire que c’est celle où Idy devait être élu président de la République. En 2019, 20% des électeurs ont voté pour Idy. C’est un score honorable de challenger crédible, dans toute démocratie qui se respecte. Mais cela peut aussi s’interpréter ainsi : 4 Sénégalais sur 5 ne font pas confiance à Idrissa Seck.
S’il l’a fait un peu et à demi-mots, il ne l’a pas fait franchement : Idy n’a pas donné acte au peuple sénégalais de cette erreur stratégique de sa part en 2007 (presqu’une faute morale !) et ne s’en est pas suffisamment battu la coulpe devant les populations avides de votre contrition publique pour vous considérer à nouveau digne de confiance.
Mais l’espoir reste permis, car Gorgui, avant l’alternance de 2000, avait lui aussi un contentieux avec les Sénégalais, pour être entré deux fois dans les gouvernements d’Abdou Diouf, au sujet duquel il alla jusqu’à dire : « « je suis son prolongement ». La victoire finale et l’accession éventuelle à la magistrature suprême, pour Idrissa Seck comme pour tout autre homme d’Etat (ce qu’il est sans aucun doute !) est et sera avant tout affaire de circonstances : « être l’homme qu’il faut à la place qu’il faut au bon moment ».
D’ici la prochaine échéance présidentielle, encore lointaine de 2024, Idrissa Seck a le loisir d’alterner le froid (silence polaire prolongé) avant de revenir au chaud (retour au naturel à ses shows oratoires). ‘‘On ne dirige que comme on est’’, dit un axiome du management. ‘‘Et on ne fait campagne que comme on est’’, sommes-nous tentés d’ajouter. Comme le volcan en éruption qu’a été Abdoulaye Wade lors de la campagne présidentielle de 2000, il faudra bien qu’un jour Idrissa Seck accepte à nouveau de jouer sur son véritable registre et de mettre en avant sa véritable nature, en abandonnant les rôles de sexagénaire assagi : les bons mots, les piques assassines et le verbe haut. Mais avant cela, il lui faudra bien – oui, peut-être bien - passer par la case (demande de) « Grand Pardon » au peuple sénégalais. Afin de remettre les compteurs à zéro et de repartir comme en l’an quarante. « Silence », puis « s’y lance ! ».
Comme le disait Miles Davis, « le silence qui suit la musique est aussi de la musique ».
Ousseynou Nar Gueye est fondateur de Tract
par Sams Dine Sy
L'ÉCO, SYSTÈME FÉDÉRAL 2.0
Il est de la responsabilité de l’UA de cesser de se concevoir comme une zone de projection et de se positionner comme la Plateforme Globale qui articule les trois espaces dans lesquels elle s’insère : Afroeuropéen, Afroasiatique et Afroaméricain
L’avènement de la monnaie unique en Afrique de l’Ouest consacre une transformation systémique dont la dimension ubiquitaire déconcerte. Innovation sortie indemne de la « traversée de la Vallée de la Mort », elle a franchi tant d’obstacles dressés sur son passage que sa pleine mise en œuvre suscite aussi des controverses inévitables, bien au-delà de cette zone. L’Eco et le programme d’Union Economique et Monétaire sont ainsi parasités par toutes sortes d’idées reçues qui distraient de l’essentiel. Pourtant l’examen de la base des données sur le régimes monétaires (AREAER 2010-2018) et les leçons tirées de l’expérience européenne suffisent pour amorcer le consensus. Un coup d’œil sur les projections économiques à l’horizon 2050 éclaire aussi le jeu des grandes puissances face à cet écosystème qui les confronte à une situation du type « dilemme du prisonnier ».
Pourquoi tant d’idées reçues sur le régime monétaire et l’UEM ?
Le débat sur le régime monétaire se réduit pour l’essentiel à la parité. Aux tenants de l’ancrage à une parité fixe du type Euro/Fcfa ou souple à définir, s’opposent les partisans d’une parité moins restrictive, voire libre ciblant comme le Nigeria un agrégat monétaire ou comme le Ghana l’inflation. Aux premiers il est reproché une forme d’asservissement en échange d’une stabilité macroéconomique. Selon les statistiques du FMI, seul 12% des pays choisi un « ancrage fixe » tandis que la majorité (34%) opte en fait pour le « flottement ». Quant, l’ancrage intermédiaire, dit « souple », il apparaît plutôt comme une auberge espagnole pour paradis fiscaux. Les Pays Africains de la Zone Franc CFA sont promenés d’une année à l’autre entre ces différentes classes : « fixe » en 2006 au même titre que la Zone Euro ou ces îles et pays de la Zone ECCU « souple » en 2018 quand les deux autres basculent vers le « flottement libre » pour le premier et le « fixe » pour le second. Ou quand au nom de la stabilité, la Zone FCFA flirte avec les paradis fiscaux.
Les partisans d’une parité moins restrictive voire libre sont accusés de mimétisme dans leur quête d’une efficience dynamique car ce choix est considéré comme l’apanage des puissances grandes ou moyennes. En 2006, ils étaient 22 pays africains à l’avoir fait. Ils ne sont plus que 9 en 2018, avec des profils très différents : Somalie et Ghana ou encore Madagascar et Afrique du Sud. S’il est difficile d’évaluer l’impact potentiel de ce régime sur l’efficience microéconomique, il faut aussi se demander pourquoi au cours de cette période tous les pays pétroliers africains ont renoncé au flottement de leur monnaie.
Fixe ou flottant, l’impact du choix d’un régime monétaire sur la cohésion sociale, les capacités substantielles, l’équité régionale et l’égalité transgénérationnelle attend toujours l’éclairage de l’économie politique positive. Depuis la floraison de travaux sur la conversion/transformation de l’ancienne Union Soviétique, c’est le silence quasi-complet.
L’UEM comme processus d’intégration régionale constitue une autre source d’amalgame. Cette démarche est érigée en modèle par les partisans d’une approche gradualiste et repoussoir pour les tenants de l’Afrique Unie « ici et maintenant ». Aux premiers, il est reproché de ne pas tirer les leçons des échecs de l’Union Européenne qui reste encore au stade de Fédération d’Etats-Nations malgré 70 ans de construction. Aux seconds, de confondre rêve à la réalité d’un espace captif, zone grise confiné à l’amont des chaînes de valeur, à la merci de chasseurs, apprentis sorciers ou marchands. Pourtant là aussi, l’histoire de la construction européenne et la critique de la théorie du processus politique offrent un éclairage qui renvoie dos à dos ces deux camps irréconciliables.
De quoi s’agit-il ? Au départ, c’est le « Rapport sur l’union économique et monétaire de la Communauté européenne » (1989) qui avait, à la demande des pays membres, défini le processus et les étapes vers l’UEM. Devant la lenteur à l’approuver et les hésitations de ces derniers, la Commission mis au point un stratagème qui consistait à brandir le chiffon de l’Union Politique sans préciser s’il s’agissait d’une condition préalable ou d’une obligation préliminaire. Elle fit recours au principe Erga Omnes, à la Clause de Sauvegarde et à l’obligation de Lever les Obstacles Juridiques à l’Ecu pour contraindre les pays à adopter le programme, y compris en dénonçant tous les accords monétaires bilatéraux avec des pays non européens. Il n’en fallait pas plus pour déclencher une levée de bouclier et pousser les dirigeants réunis au Sommet de Gênes en 1991 à s’étriper sur l’Union Politique tout en acceptant sans discussion la dévolution des compétences en matière d’Union Monétaire pour ne pas étaler publiquement leur division. Si le stratagème a bien fonctionné puisqu’il a été couronné par le Traité de Maastricht, force est de reconnaître que depuis ce Sommet, l’Union Politique est devenue un non-sujet voire un tabou malgré les risques de dislocation.
Au-delà de la dimension historique et économique, il convient de rappeler que l’UEM n’est que l’illustration du cadre théorique en vogue à l’époque, plus connu sous le nom « Heuristique des Etapes », interprétée comme un raccourcie du processus politique. Ce cadre participe, avec d’autres courants et théories, de ce qu’il est convenu d’appeler l’analyse de politique, science qui s’est déployée de façon vertigineuse aux USA dans la seconde moitié du XXe siècle, au sein d’une administration en quête de capacité à formuler et mettre en œuvre des bonnes politiques, se démarquant de la tradition philosophique westphalienne européenne du pouvoir qui tire sa légitimité de l’exercice de la puissance publique à travers la distribution de l’autorité et la main mise sur le service public. Tardivement adopté en Europe, ce courant continue néanmoins d’y prospérer au point de structurer la quasi-totalité des initiatives et programmes dont ses institutions sont partie prenante, y compris celles en charge de la spécification des exigences globales. Ce courant a été remis en cause depuis les années 80 et abandonné par les principaux maîtres à penser de la discipline qui peinent pourtant à proposer d’autres théories pour sortir de la dérive positiviste n’en déplaise aux tenants des approches normatives. D’où la nécessité d’investir dans cette discipline pour disposer d’un cadre intellectuel à même de relever les défis conceptuels de l’intégration régionale et de la globalisation. Ceci ne concerne pas seulement les instituions africaines mais aussi toutes les entités internationales. Malheureusement tout le monde ne prend pas cette direction surtout en qualifiant l’une d’elles en « état de mort cérébral » ce qui revient à signer le même acte pour toutes celles qui en sont encore restés à l’heuristique des étapes : UE, OCDE, G7 et Union Africaine, parmi d’autres. A cet égard, la décision de l’OTAN d’initier un exercice de réflexion prospective doit être saluée. Encore faudrait-il que les leçons des exercices à vocation exploratoire précédemment conduits ici ou là soient tirées, notamment en matière de construction d’échelles globales. C’est le cas pour le « Monde en 2020 et Megatrends STI/OCDE », « Global Trends/NIC », « le Monde en 2025/UE », sans oublier « Agenda 2063/UA » parmi d’autres.
Sommes-nous déjà en 2050 ?
A force de faire une fixation sur le régime monétaire et l’UEM, on en oublie presque l’essentiel que livrent les projections économiques à l’horizon 2050 et dont les conclusions sont sans appel, du moins pour les 5 principaux pays qui se partagent près de 80% du PIB mondial : Chine, USA, Zone Euro, Japon, Inde, Royaume Uni.
Prenons le cas de l’Europe, en particulier la Zone Euro dont la monnaie sert d’ancrage exclusif à près de la moitié des pays africains contre seulement 4 pour le Dollar. Avec 20% du PIB mondial, elle se classe en 3e position derrière les USA et la Chine et devant le Japon et l’Inde. A l’horizon 2050 - sauf bifurcation majeure dont cette région est coutumière - la part de la Zone Euro dans le PIB mondial tombe à 10% si elle ne parvient plus à se maintenir en Afrique. Face à cette situation du type « dilemme du prisonnier », la rhétorique darwiniste, anti-immigrationniste, grand remplacementiste, protectionniste de mode de vie apparaissent pour ce qu’elle est, un contre-feu. Au même titre que le « retenez-moi sinon... ». Pour sortir de ce dilemme, chaque pays membre s’invite dans l’agenda africain en optant pour une stratégie du type « passager clandestin ». Quand, pour reprendre sa place, l’un se lance - sabre au clair - dans la restitution d’œuvres d’art, de lingots d’or et de dépôts d’espèces, tel autre aligne des « promesses compactes ». Aucun d’entre eux ne se donne cependant la peine de tirer les leçons d’échecs passées, comme celle de ce « deal » conclu avec un pays de l’espace asiatique sur le dos de l’Afrique à peu près en ces termes : « tu réduis tes exportations et investissements vers l’Europe en échange on t’accorde une place dans le marché africain ».
Le même type de dilemme affecte l’espace asiatique, en particulier la Chine. Avec ce pays, le continent africain est passée en moins d’une décennie du statut de déversoir des surplus, fripes et contrefaçons à celui de pôle sur le triangle de croissance. Au même niveau que l’espace eurasiatique pour les infrastructures de transport (Belt & Road Initiative), que l’espace transpacifique pour les infostructures numériques (G5...). Aussi, plus l’Europe et les USA agitent le chiffon de la guerre commerciale, plus la Chine mais aussi l’Inde se rapprochent de l’Afrique pour maintenir leur position dans le top 5 du PIB mondial tout en renforçant la position du continent comme Marché Global.
Venons-en à l’Amérique, en particulier les USA, confrontés à une perte progressive de l’aura mondiale qui se transforme en cauchemar avec la perspective d’une chute régulière de sa part dans le PIB mondial, de 30% en 2010 à 20% en 2050. Si cette projection devient effective, la part des échanges mondiaux libellés en Dollar sera réduite d’autant. Alors sa monnaie et ses bons du Trésor ne lui permettront plus de faire supporter aux autres le coût d’un endettement explosif qu’il est le seul à s’autoriser. Pour continuer de compter au cours de cette première moitié du siècle, ce pays devra à son tour explorer d’autres options : redéfinir son rôle vis-à-vis du ROW (le Reste du Monde) ; mobiliser les afro-descendants pour « remplacer » l’Europe et l’Asie en Afrique ; lancer ses plateformes globales à l’assaut du continent... Le point commun entre ces options est qu’elles ciblent l’espace circum-saharien et son ventre mou comme point d’entrée. Il ne manquera pas de spécialistes en polémologie pour théoriser le redéploiement de l’Otan en recyclant le postulat sibérien en ces termes : « qui tient le Sahel tient l’Afrique. Qui tient l’Afrique détient la clé des changements globaux. Qui détient cette clé tient celle du monde de demain ! ».
Quel agenda pour l’Union Africaine ?
L’Union Africaine est tenue de prendre pleinement conscience des implications de la démarche en cours dans sa partie Ouest, qui concerne également les zones frontalières Nord et Centre. C’est le lieu de rappeler que ces 3 zones n’ont pas su être à la hauteur quand le reste du continent a réussi l’exploit de mettre en place la Zone Tripartie anticipant la ZLECA. Il est donc de la responsabilité de l’UA de cesser de se concevoir comme une zone de projection et de se positionner comme la Plateforme Globale qui articule les trois espaces dans lesquels elle s’insère : Afroeuropéen, Afroasiatique et Afroaméricain. C’est à son niveau que doit se faire l’inscription de l’Eco dans la dynamique de la construction d’une Monnaie Globale. Au lieu de se disperser sur la parité de l’Eco, les instances de l’Afrique de l’Ouest devraient mettre ce point au centre de l’agenda de la prochaine réunion. Il appartient aussi à cette Communauté de se positionner comme partenaire incontournable de tous les géants du numérique opérant à partir des trois espaces transcontinentaux. Ce point devra provoquer une réflexion inédite au sein d’une « Platform Summit » car c’est à partir de là que le cycle 2.0 de l’Eco Système Fédéral Africain Post-Westphalien devient viral.
PAR Achille Mbembe
POURQUOI ONT-ILS TOUS PEUR DU POSTCOLONIAL ?
Qui peut honnêtement nier que l’esclavage et surtout la colonisation, mais aussi l’extraction des richesses du sol et du sous-sol, les migrations, ont joué un rôle décisif dans ce processus de collision et d’enchevêtrement des peuples ?
Contrairement à Edward Saïd, Homi Bhabha ou Gayatri Spivak, je ne suis pas un théoricien du postcolonialisme, encore moins l’un des grands prêtres de la pensée dite décoloniale et dont l’essentiel des thèses, tout comme au zénith de la théorie de la dépendance (ou de ce que l’on appelait alors « le développement du sous-développement »), nous viennent d’Amérique Latine. Des subaltern studies (un important courant de pensée historiographique né en Inde dans les années 1980), je n’en ai entendu parler qu’au début des années 1990, lorsque je me suis établi aux États-Unis après des études à l’université de Paris I-Panthéon Sorbonne et à Sciences-Po.
C’est vrai, j’ai publié en 2000 un essai intitulé De la postcolonie, une réflexion avant tout d’ordre esthétique qui tirait son inspiration de l’écriture romanesque et de la musique africaine de la fin du XXe siècle[1]. Passé sous silence en France, l’essai fut rapidement traduit en anglais et connut un remarquable succès aux États-Unis et dans les mondes anglo-saxons où il est devenu un classique[2]. Les « études postcoloniales » n’en constituaient pas l’objet. En vérité, il s’agissait d’une contribution à la critique de la tyrannie et de l’autoritarisme, ces facettes souvent inavouées et longtemps réprimées de notre modernité tardive.
J’interrogeais en particulier la manière dont les formations sociales issues de la colonisation s’efforcèrent, alors que les politiques néolibérales d’austérité accentuaient leur crise de légitimité, de forger un style de commandement hybride et baroque, marqué par la prédation des corps, une violence carnavalesque et une relation symbiotique entre dominants et dominés. À ces formations et à ce style de commandement, je donnais le nom de postcolonie, un terme inventé de toute pièce, qui jusqu’à ce jour, du moins à ma connaissance, n’existe d’ailleurs dans aucun dictionnaire français.
Ne me reconnaissant guère dans ces mouvements d’idées, je n’ai par ailleurs aucune raison de leur être hostile. À quoi cela servirait-il ? Comme tant d’autres courants issus d’autres traditions intellectuelles à diverses périodes de notre histoire, je les considère comme faisant partie des archives du Tout Monde, une part désormais inéradicable de nos multiples héritages, que ceux-ci soient assumes ou non. Ailleurs et dans le reste du monde d’expression française, beaucoup l’ont au demeurant compris. Pourquoi priveraient-ils, alors que le nouveau siècle s’ouvre sur un déplacement historique majeur ? L’Europe, en effet, « ne constitue plus le centre du monde même si elle en est toujours un acteur relativement décisif » [3]. Pour avancer dans la nuit qui nous guette, ne vaut-il pas mieux rester éveillé, prêt éventuellement à accueillir l’inattendu, voire ce qui, à première vue, nous désoriente et nous déroute?
Toxicose
Hélas, telle n’est manifestement pas la sensibilité de l’époque. La preuve ? À peu près tous les deux ou trois mois, le public lettré d’expression française dans les quatre coins du monde est convié à un curieux sabbat au cours duquel des sacrificateurs auto-désignés procèdent à l’immolation rituelle non point d’un bélier, d’un agneau ou de tout autre bouc émissaire, mais de ces courants de pensée, auxquels il convient d’ajouter les études de genre ou de la race, et de leurs dévots supposés. Cela fera bientôt vingt ans que dure le manège et rien, en l’état actuel des choses, ne semble devoir l’arrêter. À y regarder de près, cette offrande à l’on ne sait quel dieu a toutes les apparences d’une tentative d’idéicide.
Il faut la qualifier d’idéicide dans la mesure où ce dont on cherche à empêcher la dissémination et ce dont on réclame à cors et à cris l’extirpation, ce sont des idées, quitte à blesser au passage ceux et celles qui les portent. Dans la langue des nouveaux sacrificateurs, plusieurs épithètes et sobriquets servent à typifier ces courants juges nocifs, et dont beaucoup, apparemment, redoutent ouvertement l’emprise sur les esprits et sur les institutions. « Obsédés de la race », « racistes anti-blancs », « bonimenteurs » en sont quelques-uns, sans doute pas les plus fleuris, d’une longue et scabreuse flopée. Que dire des multiples autres désignations, les unes plus sexistes que les autres, dont la fonction est, manifestement, de jeter le discrédit sur des pratiques et des univers cognitifs dont on ne sait pas grand chose, dont au fond on n’a cure (“féminisme radical, groupusculaire, vindicatif et victimaire”), ou que l’on réduit à une affaire de petits sous (vulgaire “business”), voire à une oiseuse et bruyante distraction (un simple “carnaval”) ?
Toutes ces épithètes, insultes et caricatures et tous ces sobriquets ont en commun une chose. Ils cherchent vainement à éloigner un spectre et à conjurer la terreur que ne cesse de provoquer un hideux fétiche mal acquis et mal dissimule, le colonial ou, ou, plus précisément, la colonialité, ses généalogies, ses structures et ses conséquences dans le présent. L’interminable campagne de stigmatisation et de dénigrement, et dans certaines circonstances d’intimidation pure et simple n’a, quant à elle, strictement rien d’un débat académique. Souvent menée à coup d’injures, ses véritables significations se trouvent ailleurs, et c’est sur ce dont elle est le symptôme (et non sur l’objet stigmatise) qu’il convient donc de se pencher.
Cette campagne de dénigrement est passée par plusieurs étapes. Au début des années 1990, très peu ayant pris la peine de s’informer, de lire les textes majeurs, de les traduire en français ou de les étudier sérieusement dans leur langue d’origine, ce ne furent que condescendance et indifférence, sarcasmes et quolibets, à quoi l’on ajoutait, de temps à autre, la traditionnelle dose de mépris. Ignorance, suffisance et arrogance ne parvenant guère à endiguer la vague, l’on passa au début des années 2000 au procès en illégitimité. Désormais, le temps est au combat frontal. Pour masquer la bêtise récurrente, l’on n’hésite plus à recourir aux injures ou à vilipender ce au sujet de quoi l’on ne sait strictement rien ou si peu. Du coup, ceux et celles d’entre nous qui s’attendaient à une véritable joute intellectuelle en sont pour leurs frais.
Car, à aucune de ces étapes, la raison n’aura avancé d’un seul pas. Au contraire, les approximations et raccourcis se multipliant, la pieuvre de l’ignorance et de la veulerie continue d’étendre au loin ses tentacules, recouvrant d’un assourdissant brouhaha les voix de ceux et celles, en vérité très peu nombreux, qui ont effectivement pris la peine de lire et d’étudier les dits courants de pensée afin d’en saisir le lexique, les méthodes, les énoncés exacts et leur impact réel ou supposé sur la compréhension de notre monde.
Comment expliquer autrement la confusion ambiante, entre ceux qui font semblant d’oublier d’où eux-mêmes parlent, et ces autres qui ne cessent de bégayer, de se mêler les pieds, de mélanger les noms, les dates, les lieux, les catégories et les arguments, de prendre le postcolonial pour le décolonial, le décolonial pour le racisme anti-blanc, la communauté pour le communautarisme (le vieux nouveau chiffon rouge), le racisme pour la race et l’étranger pour l’ennemi de l’universel ?
On le voit bien, nous sommes face à un cas de toxicose aigüe, du genre qui affecte les vieilles nations impérialistes lorsque, le deuil n’ayant vraiment jamais été fait de la colonie, sonne l’heure de la nostalgie et de la mélancolie. Hier, en effet, il s’agissait d’accaparer le monde au profit de quelques-uns. Telle était la définition, en dernière instance, du colonialisme. Dans un comique retournement de l’histoire, tout se passe comme si le monde qu’hier l’on croyait s’être accaparé cherchait aujourd’hui à nous dévorer de l’intérieur. La forteresse serait donc assiégée et prise d’assaut. D’où la panique. La bunkerisation. La volonté d’expurgation, l’irrépressible désir de violence en réponse au défi de la planétarisation du monde, ce vieux nouveau programme culturel européen.
À coup d’exhortations, d’appels répétés à la vigilance, à la dénonciation, à l’excommunication, voire à la répression bureaucratico-administrative, des personnages de diverses obédiences se sont donc mis à crier en chœur au loup. En ces temps où les plus forts se prennent pour des victimes, des gens qui ont tous pignon sur la place publique, dans les médias et dans les grandes institutions académiques et culturelles de la République, sans compter les grandes revues et les grandes maisons d’édition, se mettent soudain à pleurnicher. Afin de protéger de juteuses rentes de situation et de continuer de vivre et d’opérer dans une chambre d’échos, ils n’hésitent plus à en appeler à davantage de brutalité contre leurs propres collègues, voire leurs subordonnés sur lesquels ils veulent voir s’abattre la lourde main de l’État. Ravis de se retrouver entre soi, n’ont-ils pas pris l’habitude, des années durant, de pérorer sans interruption ni réplique à longueur de saisons ?
La communauté des nouveaux sacrificateurs se définit par son œcuménisme. L’on y retrouve, pêle-mêle, ceux pour qui la perte de l’Empire (et en particulier celle de l’Algérie française) fut une catastrophe, des marxistes dogmatiques pour lesquels la lutte des classes (et la question sociale) constitue le dernier mot de l’histoire, des anciens de la Gauche prolétarienne passés avec armes et bagages au néolibéralisme, des catéchistes de la laïcité défenseurs modèle républicain policier et autoritaire tout content d’éborgner à la pelle, des épiciers et pontificateurs de l’universalisme abstrait, des apologètes autoproclamés des valeurs de l’Occident ou encore de l’identité catholique de la France, des nostalgiques et orphelins de la culture classique, des lecteurs de Maurras et de Mao confondus, des tenants de l’antiaméricanisme de gauche comme de droite, des croisés anti-postmodernistes et adversaires de ce qu’ils nomment dédaigneusement la « pensée 68 », des fémonationalistes prêtes à reprendre le flambeau, à savoir le vieux « fardeau de l’homme blanc », et la foule des sans noms aux yeux desquels toute “personne de couleur” est par définition un “communautariste” qui s’ignore.
Mais de quoi ont-ils donc peur ? Qu’est-ce qui dans le discours post- ou décolonial ou les études de genre les traumatise tant, se demandent le prix Renaudot Alain Mabanckou et le critique américain Dominic Thomas dans une tribune récente. Il faut élargir l’interrogation et se poser la question de savoir quelle est cette figure de la panique et du traumatisme qui, subrepticement, s’empare du sujet apeuré et le pousse à hurler avec la foule et à ne plus s’exprimer que sur le mode du bégaiement, dans la langue de l’injure et en bordure de la diffamation? En d’autres termes, de quoi cette panique et la façon dont elle se manifeste sont-elles le symptôme ?
Les nouveaux voyages de la pensée
Car, dans le reste du monde y compris d’expression française, la critique de l’esclavage, du colonialisme, du racisme et du patriarcat n’a pas commencé aujourd’hui. Elle a toujours consubstantielle à celle des Temps modernes. Après tout, le virage postcolonial dans les sciences sociales et les humanités (pour nous limiter à cette approche) a eu lieu il y a bientôt un demi-siècle. Depuis lors, la critique postcoloniale, au même titre que la critique féministe, pèse dans de nombreux débats politiques, épistémologiques, institutionnels et disciplinaires. C’est le cas aux États-Unis, en Grande Bretagne et dans nombre de régions de l’hémisphère Sud, de l’Asie du Sud et du Sud-Est, voire de l’Europe orientale. À ce que l’on sache, dans ces parties du monde, ce tournant n’a pas été à la source du genre de traumatismes que l’on observe dans la France d’aujourd’hui.
Dès sa naissance, la pensée postcoloniale a fait l’objet d’interprétations fort variées et a suscité, à intervalles plus ou moins réguliers, des vagues de polémiques et controverses, voire des objections totalement contradictoires les unes avec les autres. Il a aussi donné lieu à des pratiques intellectuelles, politiques et esthétiques tout aussi foisonnantes et divergentes, au point que l’on est parfois fondé à se demander ce qui en constitue l’unité. Ces controverses, souvent d’une incontestable facture, se poursuivent allègrement, sans jamais déboucher sur la sorte d’hystérie autoritaire et néoconservatrice si typique de la scène intellectuelle française contemporaine[4].
La fragmentation de ce courant nonobstant, l’on peut affirmer qu’en son noyau central il se propose d’expliquer les conditions qui ont conduit à l’entremêlement de nos histoires et les conséquences de la concaténation de nos différents mondes depuis le début de l’ère moderne. Qui peut honnêtement nier que l’esclavage et surtout la colonisation, mais aussi la ponction des corps, l’extraction des richesses du sol et du sous-sol, le commerce et les migrations, la circulation des formes et des imaginaires ont joué un rôle décisif dans ce processus de collision et d’enchevêtrement des peuples ? C’est donc non sans raison que la pensée postcoloniale en a fait des objets privilégiés de ses enquêtes et de ses discours.
Dans leurs empires respectifs les puissances européennes avaient inventé des machines spécialisées dans la production de la différence. De tels dispositifs fonctionnaient, pour l’essentiel, sur des bases raciales. Des statuts juridiques differenciés et chaque fois infériorisants furent mis en place. En retour, au cours de leurs luttes pour l’abolition de la servitude et pour la remontée en humanité, bien des sujets colonises procédèrent à la critique des torts qu’ils avaient subi, recourant à l’occasion à des contre-grammaires tirées de l’arsenal colonial lui-même. La pensée postcoloniale examine ainsi le travail accompli par ces dispositifs et d’autres technologies de la différence.
Elle s’intéresse par ailleurs à l’analyse des phénomènes de résistance qui jalonnèrent l’histoire coloniale, aux diverses expériences d’émancipation et à leurs limites, à la façon dont les peuples opprimés se constituèrent en sujets historiques et pesèrent d’un poids propre dans la constitution d’un monde transnational et diasporique, celui dans lequel nous vivons. Elle se préoccupe, enfin, de la manière dont les traces du passé colonial font, dans le présent, l’objet d’un travail à la fois politique et de resymbolisation, ainsi que des conditions dans lesquelles ce travail donne lieu à des figures identitaires inédites, hybrides ou cosmopolites.
Au passage, une immense contre-bibliothèque a pu être constituée, que l’on ne peut ignorer ou négliger qu’à ses propres dépens. Des savoirs autrefois insoupçonnés ont été sauvés de l’oubli et réhabilités. Des voix que l’on avait coutume d’étouffer se sont levées et ont prononcé des paroles neuves sur à peu près tout ce qui, auparavant, relevait de la seule parole des maîtres d’antan. Des institutions ont été mises en place. Des revues ont été créées dont le rayonnement international est sans conteste. Des littératures mineures ont enrichi le canon traditionnel. Il n’y a pas jusqu’à l’enseignement de la langue française à l’étranger qui n’en ait tiré de gros bénéfices, grâce en très grande partie à l’ensemble des créations d’expression française dans leur transnationalité.
De nouveaux voyages de la pensée ont donc été entrepris. Leur scène, ce n’est point une famille incestueuse dans laquelle règne en despote un père obsédé par la peur d’être évincé non pas par ses propres fils, mais par une descendance étrangère. Leur scène, désormais, c’est la planète tout entière. Ces voyages n’excluent guère l’Europe, mais ses principaux protagonistes ne se soucient plus guère d’en solliciter, comme auparavant ni la bénédiction, encore moins l’imprimatur. Incapables d’en faire le deuil, est-ce la fin du patriarcat épistémique longtemps exercé par l’Europe sur le reste du monde que nos sacrificateurs sont en train de vivre comme un parricide, reportant dès lors leur rage et leur traumatisme sur le mauvais objet ?
Capacité de vérité
Les vieilles nations ont en effet leurs façons d’inventer des moulins à vent. Quand elles jouent à se faire peur, il faut se méfier car c’est généralement dans le but de commettre un sinistre forfait aux dépens de plus faible qu’elles. On connait l’antienne. Les dominés seraient responsables de la violence qui s’abat sur eux. De cette violence, les puissants ne seraient guère responsables puisqu’ils ne l’exerceraient jamais que malgré eux, a contre-cœur, et souvent pour le bien même de ceux à qui elle est infligée puisqu’en fin de compte, il s’agirait de les protéger contre leurs mauvais instincts. Une telle violence ne serait donc pas criminelle. Relevant à la fois du don et de la miséricorde, elle serait éminemment civilisatrice.
La vérité, on s’en doute, est ailleurs. À la faveur du tournant autoritaire et néoconservateur d’une très large portion de la scène intellectuelle et culturelle française, beaucoup, de nos jours, ne veulent pas entendre parler du passé colonial. Ils prétendent que ce passé a été « globalement positif » (ce pour quoi les ex-colonisés devraient leur être reconnaissants), ou alors qu’il est cliniquement mort (pourquoi, des lors, le remettre en scène ?). Ils clament qu’en tout état de cause, ils n’en sont guère responsables, et que de toutes les façons seul importe le présent.
Ce pieux mensonge n’est pas seulement partagé par les milieux populaires supposément séduits par l’idéologie de la préférence nationale. Il est alimenté par des élites désireuses, elles aussi, de bénéficier de la rente de l’autochtonie. À titre d’exemple, ce présentisme radical (typique de la vulgate néolibérale) est l’un des fondements idéologiques de la politique africaine d’Emmanuel Macron : « Moi j’appartiens à une génération qui n’est pas celle de la colonisation, proclame-t-il fièrement. Le continent africain est un continent jeune. Les trois quarts [des habitants] de votre pays [la Côte d’Ivoire] n’ont jamais connu la colonisation. »
Dans sa vision du monde, le colonialisme, évènement à géométrie variable, fut tantôt un “crime contre l’humanité” (sa déclaration à Alger) et tantôt une “erreur”, une “faute de la République” (sa déclaration à Abidjan). Recourant volontiers à la ficelle générationnelle, il fait semblant de croire que le présent n’est jamais le produit du passé, ou encore que le rapport de l’un à l’autre est strictement de l’ordre de l’aléatoire. Il semble bien que pour lui, le passé colonial en tant que tel n’est pas passible de critique (tâche inutile). Il est inéluctablement voué à l’oubli. Et contrairement à ce que nous apprirent aussi bien son maître Paul Ricœur que les meilleurs des nôtres, il ne croit pas qu’il existe quelque relation que ce soit entre la mémoire et l’imagination[1]. Le fait pour une génération d’être née après un évènement traumatique scellerait nécessairement l’innocence de cette génération, autorisant dès lors le déni de responsabilité à l’égard de l’histoire dont elle est, par ailleurs, structurellement l’héritière.
On a beau expliquer que le meilleur de la pensée postcoloniale ne considère la colonisation ni comme une structure immuable et a-historique, ni comme une entité abstraite, mais comme un processus complexe d’invention à la fois de frontières et d’intervalles, de zones de passage et d’espaces interstitiels ou de transit, rien n’y fait. On a beau affirmer que parallèlement, cette pensée fait valoir, à juste titre, que l’un des résultats de la colonisation fut l’institution, sur une échelle planétaire, de rapports de subalternité entre les puissances coloniales d’une part, et d’autre part des entités humaines qui auparavant jouissaient d’une relative autonomie, voire étaient indépendantes. Là n’est apparemment pas la question.
La bête à cornes et la saison des poisons
Puisqu’en vérité il ne s’agit pas d’un débat académique, il faut donc prendre le taureau par les cornes.
Le tournant autoritaire et néoconservateur de la pensée française coïncide avec la réactivation du mythe de la supériorité occidentale et la redistribution de la haine sur une échelle planétaire. La guerre apparaissant dans ce contexte comme le sacrement de cette nouvelle époque, celle du brutalisme. Exploitant à sa manière tout l’arc des émotions et passions populaires, la nébuleuse des sacrificateurs contribue à entretenir le fantasme d’une France débarrassée des créations de l’esprit venues de l’étranger et de la pensée des Autres, ces symboles par excellence de l’Ailleurs, de ceux-la auxquels nous ne pouvons guère nous identifier, et que l’on doit, dans tous les cas, empêcher de se glisser dans nos formes de vie, puisqu’ils finiront tôt ou tard par nous empoisonner.
Le risque d’empoisonnement se trouve donc au cœur de la panique actuelle. Haïr viscéralement ce que l’on ne connait pas, ce dont on a cure ou ce à l’égard duquel l’on n’éprouve qu’indifférence est notre nouvelle passion, la passion pour les poisons de tout genre. Celle-ci est la conséquence d’une lecture ultra-pessimiste du moment contemporain marqué, entre autres, par la redéfinition de l’étranger en tant que porteur de risques mortels (les idées y compris) contre lesquels il faut à tout prix se prémunir. Le statut polémique qu’occupe l’étranger et ses idées dans l’imaginaire et le champ français et européen des affects n’incite guère à l’optimisme. L’hostilité à l’égard des courants de pensée post- et décoloniaux et des critiques du féminisme civilisationnel participe d’une nouvelle forme de “commissariat”, le commissariat pour la “protection du mode de penser européen” (à supposer qu’une telle curiosité existe), le pendant du portefeuille pour “la protection du mode de vie européen” concocté récemment par l’Union Européenne elle-même. Cette hostilité est le complément philosophique et culturel du désir renouvelé de la frontière. Elle va de pair avec la réactivation des techniques de séparation et de sélection généralement associées à toute institution frontalière.
Loin d’être à la repentance, l’ère est plutôt à la bonne conscience. À travers la colonisation, les puissances européennes cherchaient à créer le monde sinon à leur image, du moins à leur profit. « Rude et laborieuse race de mécaniciens, d’agriculteurs, de constructeurs de ponts » et de statues (dirait Nietzsche), les colons ne purent finalement accomplir que de grossiers travaux. Mais ils étaient armés d’une poignée de certitudes que la décolonisation n’a guère effacées et dont on peut constater la résurgence et les mutations dans les conditions contemporaines.
La première était la foi absolue en la force. Les plus forts ordonnaient, dictaient, agençaient, commandaient, et donnaient forme au reste du troupeau humain. La deuxième, toute nietzschéenne, était que la vie même était avant tout volonté de puissance et instinct de conservation. La troisième était la conviction selon laquelle les colonisés représentaient des formes morbides et dégénérées de l’homme, corps obscurs en attente de secours et qui réclamaient de l’aide. Quant à la passion de commander, elle se nourrissait du sentiment de supériorité à l’égard de ceux dont l’unique tâche était d’obéir et de se laisser instruire. S’y ajoutait l’intime certitude que la colonisation était un sublime acte de charité et de bienfaisance pour lequel les colonisés devaient éternellement témoigner de sentiments de gratitude, d’attachement et de fidélité.
Ce complexe idéo-symbolique sert de fondement à ce qui passe pour la bonne conscience européenne et à son fantasme-maître, le fantasme de l’innocence. Cette bonne conscience a toujours consisté en un mélange d’indifférence, de volonté de ne pas savoir et de pulsion de brutalité, notamment à l’encontre des non-parents. Elle a toujours consisté à vouloir n’être coupable de rien, la revendication d’un irénique état d’innocence qui trahit paradoxalement la peur de la vérité. Cette fuite permanente dans l’irénisme, cet attachement viscéral à un état illusoire d’innocence aura chaque fois poussé une certaine Europe à toujours vouloir nier ses crimes. Elle repose paradoxalement sur la conviction selon laquelle les instincts de haine, d’envie, de cupidité et de domination font partie de la vie, et qu’il ne saurait donc y avoir de morale valable pour tous, les forts comme les faibles. L’homme supérieur ne saurait être condamné sur la base de la morale du faible. Et, puisqu’il existe une hiérarchie entre les hommes, il devrait en exister entre les morales. Aux yeux des contempteurs des pensées minoritaires, la critique du passé colonial ne sert à rien, sinon à déviriliser l’Europe, à la dévitaliser et à en alanguir la volonté, c’est-a-dire la capacité de brutalisation.
Telle est la bête à cornes. Nietzsche disait qu’elle a toujours exercé le plus grand attrait sur l’Europe. Cet attrait ne s’est guère affadi. Bien au contraire, il est en pleine résurgence. Ceci étant, c’est son procès qu’il faut urgemment intenter si le monde tout entier doit redevenir le sol commun de toute l’humanité.
La pensée critique d’expression française se trouve à un véritable tournant. Si, comme l’explique la philosophe Nadia Yala Kisukidi, la colonisation a signifié l’accaparement du monde et du sol commun par quelques-uns pour le profit de quelques-uns, alors la décolonisation exige de « rendre à chaque partie du monde la possibilité de faire monde ». C’est à cette égale possibilité de faire monde que s’opposent les caporaux “du mode de penser européen”. Ils sont convaincus que de la liquidation des pensées venues d’Ailleurs dépend la survie de ce mode de penser. Ils ne veulent ni faire monde avec d’autres, ni habiter un monde commun.
Ainsi que je l’écrivais dans Critique de la raison nègre en 2013: « l’Europe ne constitue plus le centre de gravité du monde. Tel est en effet l’événement ou, en tous cas, l’expérience fondamentale de notre âge. Et, s’agissant d’en mesurer toutes les implications et d’en tirer toutes les conséquences, nous n’en sommes justement qu’au début. Pour le reste, que cette révélation nous soit donnée dans la joie, qu’elle suscite l’étonnement ou qu’elle nous plonge plutôt dans l’ennui, une chose est certaine : ce déclassement ouvre de nouvelles possibilités – mais est aussi porteur de dangers – pour la pensée critique » [5].
Dans le cas de la pensée critique d’expression française, ces dangers seront mortels si la raison défaite, l’intimidation, l’injure et la diffamation l’emportent sur la parole accueillante et dédiée à la seule tâche qui, aujourd’hui, vaut varitablement la peine, à savoir la réparation du monde et la réconciliation entre tous ses habitants, humains et non-humains.
[1] Achille Mbembe, De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2000. Cet ouvrage vient de faire l’objet d’une réédition en format poche chez La Découverte, avec une préface inédite de Nadia Yala Kisukidi [Paris, La Découverte, 2020].
[2] Il a été traduit en anglais sous le titre On the Postcolony, Berkeley, University of California Press, 2001.
[3] Achille Mbembe et Felwine Sarr (sous la direction de), Écrire l’Afrique-Monde, Paris, Philippe Rey, 2017.
[4] Voir, par exemple, le numéro spécial « Racial France » de la revue americaine Public Culture, Volume 23, no 1, 2011, avec des contributions entre autres de Sylvie Tissot, Jean-Francois Bayart, Robert J.C. Young, Ann Laure Stoler, Marnia Lazreg, Ranjana Khanna. Lire, par ailleurs, Dipesh Chakrabarty, « Postcolonial Studies and the Challenge of Climate Change » et Robert C.J. Young, « Postcolonial Remains », New Literary History, Volume 43, no 1, 2012. Ou encore le numéro special « New Topologies of the Postcolonial », in Cambridge Journal of Postcolonial Literary Inquiry, Volume 1, no 1, 2014.
[5] Achille Mbembe, Critique de la raison nègre, Paris, La Découverte, 2013, p. 9.
Achille Mbembe est historien, Enseigne l'histoire et les sciences politiques à l'université du Witwatersrand (Afrique du Sud) et à l’université de Duke (Etats-Unis)