SenePlus | La Une | l'actualité, sport, politique et plus au Sénégal
24 avril 2025
Développement
PAR Jean-Baptiste Placca
LE FRANC CFA VEUT-IL SURVIVRE PAR L'ÉCO ?
Très sincèrement, il est aussi vain que prétentieux d’espérer qu’un pays comme le Nigeria viendrait se ranger sous cette bannière d’un CFA réaménagé. Le Ghana n’accepterait pas davantage de se mettre derrière un eco « made in Uemoa »
Alors que l'Afrique de l'Ouest attend sa monnaie commune, la disparition annoncée du franc CFA sème la confusion. Comme si la zone franc cherchait une planche de salut à travers l'eco.
Présentateur : Samedi dernier, le 21 décembre, vous évoquiez les « certitudes d’espérance » par rapport à l’avenir de l’Afrique. Et quelques heures plus tard, à Abidjan, le chef de l’État ivoirien, aux côtés de son homologue français, annonçait la fin du franc CFA et la naissance de l'eco, la monnaie ouest-africaine. On parle là d'une revendication de l’opinion publique africaine. Peut-on dire qu’une espérance vient d’être comblée ?
Non, hélas ! Non. Et c’est d’autant plus regrettable que la phase dans laquelle on semble s’engager donne une désagréable impression de précipitation, comme si l’on avait voulu court-circuiter la naissance du véritable eco. Les fondements de cet eco semblaient clairs, pourtant, et les peuples commençaient même à intégrer son avènement dans leurs rêves de sursaut de l'Afrique.
Lancer un eco arrimé à l’euro, avec une garantie de la France, n’était, en rien, le projet ouest-africain annoncé par lequel les peuples de la sous-région, particulièrement ceux de l’actuelle zone franc, espéraient renouer avec leur destin et le vivre pleinement. Très sincèrement, il est aussi vain que prétentieux d’espérer qu’un pays comme le Nigeria viendrait se ranger sous cette bannière d’un CFA réaménagé. Le Ghana n’accepterait pas davantage de se mettre derrière un eco « made in Uemoa » (Union économique et monétaire ouest-africaine).
Mais c'est chez les « francophones » - appelons-les ainsi - que l’on entend de plus en plus de voix s’élever contre l’annonce d'Abidjan pour souhaiter que les chefs d'État de la Cédéao reprennent rapidement l’initiative, pour enrayer une cacophonie qui pourrait s’avérer néfaste. Le continent est prêt pour des avancées audacieuses. Et il serait coupable de briser cet élan, par manque de cohésion. C’est de l’avenir des peuples qu’il s’agit.
Il n’empêche, l'Uemoa est la seule zone organisée, le seul modèle possible pour l’eco.
Construire un modèle de sérieux, de rigueur monétaire, n’est pas au-dessus de la sous-région. Le Ghana a des cadres extrêmement compétents. Le Nigeria aussi, et ils sont nombreux au plus haut niveau, aux États-Unis et ailleurs. La Côte d’Ivoire compte des cadres formés dans les meilleures universités et écoles de France, des États-Unis et d’ailleurs, et il en est de même dans chacun des autres États.
Nul ne peut donc faire à l’Afrique l’affront d’imaginer qu’elle manque de profils pointus pour tous les compartiments, toutes les spécialités que requiert une monnaie crédible. Mais pour avancer sur des bases saines, il faut démarrer dans la clarté. Abidjan, pour tout dire, a été un faux-pas, fâcheux, mais pas irréversible. Et ce n’est pas avec des annonces comme celle-là que l’on fera taire les critiques contre le franc CFA, ou un quelconque succédané qu’on en extrairait.
Le dirigeant ivoirien était pourtant dans son rôle. Est-ce bien sérieux de lui demander de renoncer à ses prérogatives ?
Les enjeux actuels portent sur le destin de quelque 350 millions d’âmes et dépassent les considérations personnelles. La Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest ronronnait et semblait avoir atteint ses limites. Cet eco, nom tiré de la moitié du sigle anglais « ecowas » de la Cédéao, était une occasion rêvée. Le leadership véritable tient à la capacité de chacun à ne pas gâcher cette opportunité historique.
Un analyste ouest-africain (francophone) a résumé les enjeux en des termes on ne peut plus clairs : « L’intégration est notre seule chance, dit-il. Elle est très, très importante. Il ne faut pas laisser les intérêts politiques du moment de quelques chefs d’État, ou même de quelques États, saper sa marche vers l’intégration, qui est la seule opportunité pour les pays de l’Afrique de l’Ouest, comme de l’Afrique centrale, et des autres régions, pour constituer une masse critique d’expertises, au plan économique, et mutualiser les forces, les énergies et les ressources, pour peser sur l’échiquier international. »
L’Afrique a 60 ans, dans trois jours. On ne peut plus se permettre de rater des rendez-vous avec l’histoire. Car cette monnaie peut être une étape cruciale vers une refondation du panafricanisme. L’Afrique de l’Est créera sa monnaie. L’Afrique australe se rangera derrière l’Afrique du Sud et son rand. Même l’Afrique centrale pourrait nous surprendre.
Il ne faut pas oublier que dans le compte d’opération jusqu’ici logé dans les livres du Trésor français, cette zone de l’ancienne Afrique équatoriale française représentait les deux tiers, et l’Afrique de l’Ouest n’abondait que pour un tiers.
Même au sein de l’Uemoa, les Africains avaient observé, ces dernières semaines, quelques dissonances entre Alassane Ouattara et Mahammadou Issoufou.
Le chef de l’État nigérien est sans doute le plus au fait de ce qu’est censé être l’eco, puisque depuis plus de cinq ans, c’est à lui et à son homologue ghanéen, John Dramani Mahama, que les chefs d’État de la Cédéao avaient confié la charge de réfléchir à cette monnaie commune. On ne peut plus tergiverser à une étape aussi cruciale.
LA CÔTE D'IVOIRE PRISONNIÈRE DE SES CHEFS
Les accusations de complot portées contre l’opposant Guillaume Soro rappellent que le logiciel politique ivoirien n’a guère évolué depuis vingt ans
Le Monde |
Cyril Bensimon |
Publication 28/12/2019
Triste Côte d’Ivoire. C’était il y a vingt ans tout juste. Le 24 décembre 1999, un « père Noël en treillis » faisait irruption dans la vie des Ivoiriens. Le général Robert Gueï, un officier ayant poussé dans l’ombre du père de la nation, Félix Houphouët-Boigny, venait de chasser du pouvoir Henri Konan Bédié, un autre héritier du « Vieux ». Une mutinerie de soldats mécontents s’était transformée en coup d’Etat. A Abidjan, on dansa le mapouka malgré les trois cents morts du putsch et les pillages. Les leaders de l’opposition d’alors, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, exclus des dernières élections, se félicitèrent plus ou moins ouvertement de la chute d’un régime dont la trace principale avait été la promotion de l’ivoirité, une forme de préférence nationale appliquée au contexte si particulier de ce pays.
Vingt ans et une guerre de près d’une décennie plus tard (2002-2011), la Côte d’Ivoire n’en a pas fini avec les complots réels ou supposés, les petites manœuvres en coulisses pour prendre ou conserver le pouvoir et une vie politique confisquée, peu ou prou, par les mêmes personnalités qui ont mené le pays vers l’abîme. A dix mois de la présidentielle d’octobre 2020, les jeux ne sont pas faits mais les cartes à disposition n’ont guère changé, chacune espérant trouver l’association qui lui permettra de remporter la mise.
Fréquentations infréquentables
Dans cette partie où l’expérience a montré que toutes les alliances sont possibles, Guillaume Soro, « le nouveau venu », pensait être le plus habile. N’est-ce pas lui qui fut le premier artisan de la chute de Laurent Gbagbo, lorsque le plus roublard des politiciens de la place utilisait tous les stratagèmes pour conserver son fauteuil présidentiel après l’élection perdue de 2010 ? S’il n’a que 47 ans, l’ancien chef rebelle s’est tracé à la hache un parcours au sein des institutions ivoiriennes : premier ministre de Laurent Gbagbo puis d’Alassane Ouattara, président de l’Assemblée nationale. De quoi vanter dans le même temps l’expérience et la jeunesse lorsque l’on se déclare candidat à la magistrature suprême. Mais voilà, Guillaume Soro ne semble pouvoir s’empêcher d’envisager des coups tordus, de s’entourer de fréquentations infréquentables.
Après la publication d’écoutes téléphoniques en 2015 qui le mettaient en cause dans la tentative de coup d’Etat ratée quelques semaines plus tôt au Burkina Faso, son vrai faux retour à Abidjan, quatre ans plus tard, vendredi 23 décembre, a été l’occasion, pour le pouvoir ivoirien, de sortir un autre enregistrement compromettant. M. Soro y assure auprès de ses interlocuteurs avoir ses hommes « positionnés un peu partout » en vue de profiter d’« une insurrection populaire ». Dans le tourbillon des accusations, Afoussiata Bamba, l’une de ses proches, reconnaît que ces propos ont bien été échangés avec Francis Perez, un patron de salles de jeux en Afrique et « une barbouze »française, mais que la bande a été coupée et remonte à 2017. L’aveu est destiné à prouver que les accusations du pouvoir sont purement opportunistes et n’ont pour seul but que d’« écarter Guillaume Soro de la course à la présidence ». Il renseigne néanmoins les Ivoiriens sur les méthodes que le mis en cause est prêt à employer pour satisfaire son ambition depuis qu’il a compris qu’Alassane Ouattara ne lui offrira pas sa succession.
« S’il y va, j’y vais »
L’affaire ne grandit pas non plus le pouvoir en place. Avant son élection en 2010, Alassane Ouattara avait promis de restaurer l’indépendance de la justice. Le mandat d’arrêt international lancé contre Guillaume Soro pour « complot contre l’autorité de l’Etat » le 23 décembre, les accusations de « détournement de fonds publics » concernant l’achat de la villa qu’il occupait depuis près de dix ans, les incarcérations d’une quinzaine de ses proches, dont des députés, ne peuvent cependant que renforcer le sentiment que le pouvoir judiciaire exécute la volonté du palais. « Qui est fou ? », comme il se dit à Abidjan, pour croire que le procureur de la République n’avait d’autre choix que de lancer ces poursuites. Dans le petit jeu des accusations mutuelles, l’ex-chef de la rébellion a d’ailleurs fait savoir qu’il « ne reconnaît qu’une seule déstabilisation, celle du 19 septembre 2002 pour le compte de l’actuel président de la République, M. Alassane Dramane Ouattara ». Il avait jusqu’ici toujours déclaré le contraire, mais la vérité du moment est la meilleure à entendre et revenir sur sa parole ne semble plus être un motif de disqualification.
Il en va de même pour le président Ouattara qui, à la veille de sa réélection en 2015, avait exclu toute possibilité de briguer un troisième mandat du fait de la révision constitutionnelle qu’il venait de faire adopter. Mais aujourd’hui, « pour empêcher ceux qui ont détruit le pays de revenir au pouvoir » comme le dit une source à la présidence, le chef de l’Etat laisse poindre la possibilité de concourir en 2020. Il aura alors 78 ans. Soit huit ans de moins qu’Henri Konan Bédié, « un jeune comme les autres » selon sa propre appréciation, avec lequel il semble avoir noué un étrange pacte négatif : « S’il y va, j’y vais. »
La candidature du « Sphinx de Daoukro » n’est pas encore formelle mais vingt ans après sa chute, celui-ci n’a jamais fait le deuil du fauteuil que tous ses successeurs se sont montrés « indignes » d’occuper. Dans les instances de son parti, la relève attend depuis longtemps et se prépare à attendre encore. « Nous sommes pris en otages, mais, dans lacommunauté Akan où un chef ne désigne pas son successeur et où la base de notre électorat est communautaire, il est suicidaire de contester Bédié », explique un jeune plus si jeune d’un ancien parti unique, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), où « les cordons de la bourse restent entre les mains du patron ».
Nostalgie amnésique
Dans les rangs du parti de Laurent Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI), gare également à celui qui ose contester la figure du chef. L’avenir de l’ancien président, aujourd’hui en résidence surveillée à Bruxelles, est jalonné de points d’interrogation : en aura-t-il fini de ses affaires judiciaires devant la Cour pénale internationale (CPI) avant la fin juillet, date limite du dépôt des candidatures ? A-t-il le souhait, la santé, la volonté de se lancer dans une nouvelle bataille électorale ? Une chose est sûre : l’homme continue de faire l’unanimité chez ses partisans et de créer la peur chez ses adversaires. « S’il le peut et s’il le veut, il sera notre candidat naturel », dit Laurent Akoun, le vice-président du FPI, tout en reconnaissant « cette tendance mortifère à l’hyperpersonnalisation de la vie politique ». « Dans la conscience collective, il a développé une sympathie de martyr. Qu’il soit candidat ou pas, il demeure une menace bien plus grande qu’Henri Konan Bédié. Un mot d’ordre de sa part représentera 20 % de l’électorat », se désole un responsable important du parti au pouvoir (RHDP).
Près de neuf ans après son transfert devant la CPI, « la popularité de Laurent Gbagbo reste intacte, même si ses années de pouvoir ont été catastrophiques. Son populisme lui a permis de construire un lien fusionnel avec le peuple », constate le sociologue Francis Akindès. Le souvenir de la brutalité de ses sbires, de l’ultranationalisme brandit comme un étendard au motif que la guerre avait été « imposée de l’extérieur » s’est dissous dans une nostalgie amnésique.
« La société ivoirienne a peur de revivre ce qu’elle a vécu, mais elle n’a pas renouvelé son logiciel politique. Ouattara, Bédié et Gbagbo sont des icônes communautaires. Or nous sommes toujours sur une rhétorique tribale et dans un système “grand-frériste” qui vassalise les jeunes et les empêche d’afficher une ambition. Cependant, il existe désormais une très grande fracture avec la classe dirigeante qui sait qu’elle doit partir, mais ne sait pas trouver les modalités d’un bon départ », analyse M. Akindès, pointant pour preuve de cette désaffection grandissante les moins de 4 % d’inscrits sur les listes électorales parmi les 18-24 ans.
« On est l’un des seuls pays de la région à n’avoir jamais connu de transition démocratique et pacifique, reconnaît piteusement une figure politique ivoirienne. C’est à la fois une frustration pour notre génération et une humiliation pour notre pays. »
L'AFRIQUE TOUJOURS EN QUÊTE DE SON MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT
Près de soixante ans après la grande vague des indépendances de 1960, où en est l'Afrique subsaharienne ? Démographie, croissance, pauvreté, inégalités...Le continent reste à la recherche de son modèle de développement
Près de soixante ans après la grande vague des indépendances de 1960, où en est l'Afrique subsaharienne ? Démographie, croissance, pauvreté, inégalités...Le continent reste à la recherche de son modèle de développement, crucial pour répondre aux besoins d'une jeunesse avide d'avenir.
Mais comment mesurer le chemin parcouru?Les experts soulignent la difficulté de décrire avec précision l'évolution d'un continent qui demeure un "désert statistique".
Par exemple, "huit pays africains seulement disposent d'un système d'enregistrement des naissances couvrant au minimum 90% de la population, et trois seulement d'un système d'enregistrement des décès couvrant au minimum 90% de la population", relève la Fondation Mo Ibrahim dans son rapport 2019 sur la gouvernance en Afrique.
Puisés dans les bases de données des grandes institutions internationales, quelques indicateurs, forcément partiels, permettent toutefois d'esquisser un tableau.
UN MILLIARD D'HABITANTS
Portée par les progrès de la médecine, en dépit des épidémies de sida, du paludisme et de la tuberculose, l'espérance de vie en Afrique subsaharienne a progressé de 20 ans ces soixante dernières années, selon la Banque mondiale (BM).Sa population s'est envolée: 227 millions d'habitants en 1960, plus d'un milliard en 2018, le double en 2050, selon les projections.Nigeria, Ethiopie et République démocratique du Congo (RDC) forment le trio de tête.
C'est aussi le continent le plus jeune au monde.En 2015, plus de 60% des Nigériens avaient moins de 20 ans, selon les Nations unies.
Depuis les années 60, "le changement le plus spectaculaire est l'irruption d'une jeunesse désoeuvrée", explique à l'AFP le sociologue camerounais Francis Nyamnjoh."Une population jeune, prête à exploser à tout moment parce qu'elle a faim de libertés politiques, faim d'opportunités économiques et d'accomplissement social".
Une jeunesse en déshérence qui peut constituer une proie facile pour les groupes armés, notamment jihadistes, quand elle ne tente pas une émigration clandestine souvent mortelle, vers l'Europe en particulier.
PAUVRETÉ ET INÉGALITÉS
La part de la population vivant sous le seuil de pauvreté (moins de 1,90 dollar US par jour) est passée de 54,7% de la population en 1990 à 41,4% en 2015, selon les dernières données disponibles de la Banque mondiale.
Mais cette moyenne masque d'énormes écarts d'un pays à l'autre, entre le Gabon (3,4% de la population en 2017) et Madagascar (77,6% en 2012).
"Les inégalités inter-pays sont aussi élevées qu'en Asie et les inégalités intra-pays aussi élevées qu'en Amérique latine, où des paysans sans terre coexistent avec d'énormes propriétaires fonciers", estime l'économiste togolais Kako Nubukpo.
Pour Christophe Cottet, économiste de l'Agence française de développement (AFD), "on mesure très mal les inégalités.Il n'y a notamment aucune donnée sur les inégalités de patrimoine, alors que c'est fondamental en Afrique".
MÉGALOPOLES ET CAMPAGNES
Lagos, Kinshasa...Les dernières décennies ont vu pousser les mégalopoles africaines, souvent ceinturées de bidonvilles d'une pauvreté extrême, mais aussi de très nombreuses villes moyennes.
Plus de 40% des Africains vivent désormais en zone urbaine, contre 14,6% en 1960 (BM).En 1960, seules deux métropoles africaines - Le Caire et Johannesburg - comptaient plus d'un million d'habitants.D'ici 2030, il y en aura une centaine, selon le cabinet McKinsey.Deux fois plus qu'en Amérique latine.
Mais cette urbanisation ne rime pas forcément avec exode rural.
"La part de la population urbaine continue à croître mais ça ne veut pas dire que les campagnes se dépeuplent, c'est l'Afrique entière qui se peuple.Les villes à un rythme un peu plus élevé que les campagnes.Il y a aussi un problème de chômage en ville en Afrique donc les gens n'ont pas tellement intérêt à migrer vers les villes", juge Christophe Cottet.
ECONOMIE : "20 ANS DE PERDUS"
L'économie du continent a connu une phase d'expansion jusqu'au début des années 80, puis une période de crise de deux décennies (crise de la dette, politiques d'ajustements structurels…), avant une "renaissance" dans les années 2000.
En témoigne l'évolution en dents de scie du Produit intérieur brut (PIB) par habitant en dollars constants: 1.112 USD en 1960, 1.531 en 1974, 1.166 en 1994 et 1.657 en 2018 (BM).
Des statistiques à nuancer, car elles "couvrent le secteur enregistré, officiel" et non "l'économie réelle", largement informelle, souligne l'économiste Jean-Joseph Boillot, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
"Si on fait le bilan sur 60 ans, il s'est passé quelque chose de grave en Afrique: on a perdu 20 ans. Mais il ne faut pas nier ce qui est en train de se passer maintenant qui est plus positif", observe Christophe Cottet.
"En mettant l'accent sur le court terme au détriment des investissements en matière d'éducation, de santé, de formation, les programmes d'ajustements structurels du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale ont cassé la dynamique de développement", déplore aussi Kako Nubukpo, auteur de "L'urgence africaine, changeons le modèle de croissance".
UN MODÈLE À INVENTER
Faiblement industrialisée, avec un secteur agricole prédominant et une récente émergence du tertiaire, l'Afrique cherche donc encore son modèle de développement.
"On n'est pas sortis du modèle colonial.Au fond, l'Afrique reste productrice et exportatrice de matières premières", du cacao à l'uranium."Et elle importe ses propres matières premières transformées", épingle Kako Nubukpo."C'est patent sur le coton: 97% de la fibre de coton africaine est exportée sans transformation.Or, c'est au moment de la transformation de la matière première que se créent la valeur et les emplois".
Pour Jean-Joseph Boillot, "l'Afrique est encore en phase de recherche d'un modèle économique de développement".
"Il y a très peu de développement d'industries locales.Cela ne peut se faire que par une protection industrielle très forte du continent, mais il est taraudé par les grandes puissances pour continuer le libre-échange.Les Chinois, les Indiens et les Occidentaux veulent pouvoir continuer d'y déverser leurs produits", juge l'auteur de "Chindiafrique, la Chine, l'Inde et l'Afrique feront le monde de demain".
GOUVERNANCE
"Nos responsables politiques doivent faire beaucoup plus pour défendre les intérêts des Africains, pour s'affirmer dans leurs relations au reste du monde", estime Francis Nyamnjoh.
Pour Kako Nubukpo, "l'Afrique ne se développe pas parce qu'elle est prise au piège des rentes et les premiers rentiers, ce sont les dirigeants africains.Il faut promouvoir la démocratie, des élections libres et transparentes pour avoir des dirigeants légitimes qui aient à cœur l'intérêt général, ce qu'on n'a absolument pas".
Parmi les quarante pays jugés les plus corrompus au monde en 2018, 20 étaient en Afrique subsaharienne, selon l'indice de perception de la corruption de Transparency international.
par Abdou Diaw
COMPRENDRE LE CHOIX DU NOM DE LA MONNAIE UNIQUE ÉCO
Qu'est-ce qui explique ce choix ? Quels ont été les autres propositions de nom soumises au groupe de travail chargé du programme de la monnaie unique de la Cedeao ?
Rappelons que le Groupe de travail sur le nom de la monnaie unique de la CEDEAO avait retenu trois noms sur un ensemble de treize (13) propositions soumises à son appréciation.
Par ordre, les noms proposés étaient :
1) ECO,
2) AFRI
3) KOLA.
Les choix de ses noms ont été opérés sur la base des critères pondérés préalablement définis, à savoir :
i) Identité de la CEDEAO (40 %) ;
ii) (ii) Signification (25%) ;
iii) iii) Facilité de prononciation (20%) ; et
iv) iv) Créativité (15%).
De même, les symboles associés à chacune des trois propositions de nom ont été présentés à la réunion. A l’issue des échanges sur cette question un consensus s’est dégagé sur la dénomination ‘’ECO’’ comme monnaie unique de la CEDEAO.
Source: Rapport final de la Réunion du comite ministériel sur le programme de la monnaie
unique de la Cedeao, tenue les 17 et 18 juin 2019 à Abidjan.
Ps: Rappelons également que Eco est le nom proposé pour la Zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest (Zmao) qui devait réunir la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Libéria, le Nigéria, le Cap Vert et la Sierra Leone.
REDÉFNIR UN NOUVEAU CONTRAT SOCIAL ENTRE L'AFRIQUE ET SA JEUNESSE
Avec « Panser l'Afrique qui vient ! », Hamidou Anne avait ouvert au « Point Afrique » des pistes de réflexion que le contexte actuel appelle à explorer
Le Point Afrique |
Malick Diawara |
Publication 27/12/2019
Quel est le rôle de la société civile dans tout ça ? Peut-elle aider à réconcilier ou à lier le monde politique, dont tout le monde se méfie, et les réalités locales ?
Absolument ! Quand on voit aujourd'hui l'importance qu'a prise la société civile ces dernières années, on se rend compte qu'il y a un présent à transformer et un futur à proposer avec elle. Je parlais il y a quelques jours d'un nouveau contrat moral à redéfinir entre le politique, la société civile et le monde économique. Quand on voit des mouvements de la société civile comme Y'en a marre au Sénégal, Le Balai citoyen au Burkina Faso, Filimbi en RD Congo, et d'autres ONG un peu partout, on constate qu'il y a un dynamisme de la société civile, laquelle est à cheval entre le monde politique et le monde de l'économie.
Elle a certainement moins de moyens pour faire les choses mais, par contre, elle a plus de marge de manœuvre dans les territoires où les politiques sont absents, dans ces territoires que les services publics ont désertés.
Il en est ainsi dans nos campagnes, mais aussi dans nos villes où elle accompagne les populations les plus vulnérables. De fait, cette expérience, cette idée, cette vision de développement endogène devrait être utilisée par les politiques pour proposer de nouvelles politiques publiques.
On dit que l'Afrique est le continent de l'avenir. Quelles sont selon vous les conditions pour que cet avenir ne soit pas un cauchemar ?
D'abord, on dit que l'Afrique est le continent de l'avenir, le continent du futur. C'est un récit souvent repris en Occident que je trouve assez candide. Pourquoi ? Parce qu'on promeut des personnalités, des individualités, des jeunes leaders par-ci par-là sans interroger assez la réalité et le vécu. On ne se projette pas assez dans le corps social de nos pays et des possibilités du futur.
Pour preuve, quand on interroge la démographie africaine on sait que d'ici à 2050 la population passera à 2,4 milliards. Une fois cette donne posée, il faut imaginer qu'il faudra nourrir cette population, l'éduquer, la soigner, lui donner un toit, etc. À mon avis, il faut fondamentalement changer de modèle. Le modèle capitaliste, libéral post-Seconde Guerre mondiale a montré ses limites partout, notamment à travers l'impasse climatique, les inégalités sociales, le repli sur soi, la montée des nationalismes qu'on voit en Europe.
Aujourd'hui, j'ai l'impression qu'on promeut les mêmes solutions qui ont échoué ailleurs. Or, nous devons redéfinir un nouveau contrat social entre l'Afrique et sa jeunesse, entre les populations africaines elles-mêmes, et faire en sorte que les populations et les élites dialoguent en vue de mettre en place un nouveau modèle ancré sur nos réalités sociales, sur notre contemporanéité.
L'idée serait de repenser les imaginaires et de proposer un chemin différent. L'Afrique était à la traîne ces siècles derniers mais, avec le tournant civilisationnel, elle peut redéfinir un nouveau modèle ancré sur l'humain qui soit à même de diriger le tournant civilisationnel du monde.
L'une des particularités de l'économie africaine, c'est l'importance de son secteur informel. Comment faire pour réconcilier ce secteur avec l'univers de l'autre secteur, le formel ?
D'abord, il faudrait interroger les chiffres. Aujourd'hui, plus de 80 % des entreprises au Sénégal, parfois très connues, sont informelles, et le restent souvent parce qu'elles n'ont pas intérêt à se formaliser eu égard à des enjeux de fiscalité et aux failles dans l'environnement des affaires. Nous sommes dans un marché, une société différente avec des pratiques différentes et où on doit vraiment interroger le secteur informel et essayer de travailler avec lui de sorte à intégrer tout ce beau monde dans un même et seul circuit économique.
Au Sénégal, quand on regarde les chiffres : 400 000 emplois formels, pour 100 000 fonctionnaires, 300 000 du secteur privé et tout le reste de la population active est dans le secteur informel. Comment faire pour intégrer tous ces gens-là dans le circuit formel de l'économie ?
Est-ce qu'on interroge les modèles que certains ont développés pour conclure que tout n'est pas forcément à considérer dans les schémas classiques de l'économie mondiale ?
Est-ce que l'Afrique, à l'aune de sa réalité qui est différente, ne peut pas proposer un modèle différent ? Est-ce qu'on ne peut pas interroger nos économies, notre structuration, notre modèle entrepreneurial, à l'aune de nos réalités et à l'aune des difficultés que nos économies rencontrent ?
À quoi devrait ressembler le modèle idéal africain, étant donné que l'Afrique est impliquée dans les circuits internationaux et souvent par le mauvais côté. Il y a beaucoup de choses en tout cas qui viennent de l'extérieur, or « qui finance commande » !
Aujourd'hui, dans l'enceinte des relations internationales, notamment aux Nations-unies, la formule consacrée est « chaque pays a une voix ». C'est inexact ; toutes les voix ne sont pas égales. La réalité est que le pouvoir est entre les mains des puissances économiques réunies dans leur petit cercle. Face à cette réalité, il faut absolument que l'Afrique fasse émerger des économies fortes afin que les décisions prises ailleurs ne lui soient plus imposées.
Mais la dignité ne se négocie pas. Les pays africains n'ont pas vocation à attendre d'être forts pour imposer leur voix. Observons le Rwanda ou le Ghana, dont les économies ne sont pas forcément puissantes, mais qui ont su prendre une place de leader par leur prise de parole forte sur la notion de développement, sur la relation avec les pays occidentaux et sur la nécessaire redéfinition de la carte des relations internationales.
Mais ce qui fonde en dernier recours mon optimisme est la montée de la dignité chez les jeunes Africains. C'est elle celle qui va enclencher la rupture et la transformation qui vont libérer l'Afrique et lui octroyer un futur désirable.
OÙ VA L'ARGENT DES MIGRANTS ?
En 2019, les fonds envoyés par les migrants et les diasporas dans leurs régions d’origine vont dépasser le total des investissements des entreprises étrangères dans les pays à bas et moyen revenus. Coup de projecteur sur cette manne
Le Monde |
Julien Bouissou |
Publication 27/12/2019
En 2019, les fonds envoyés par les migrants et les diasporas dans leurs régions d’origine vont dépasser le total des investissements des entreprises étrangères dans les pays à bas et moyen revenus. Coup de projecteur sur cette manne et les circuits financiers utilisés par les expatriés.
Depuis qu’il a ouvert un magasin Apple au Mali, il y a une dizaine d’années, Diadie Soumaré est surnommé « la Pomme ». Lors de ses passages à Paris, l’élégant trentenaire, chemise blanche, costume noir, donne ses rendez-vous à la brasserie Barbès, sur le boulevard du même nom. Lui, fils de migrant qui a grandi dans le Val-d’Oise, et sa famille avaient l’habitude d’aider leurs proches restés au Mali en contribuant à des caisses communes appelées « tontines ». L’une pour financer l’achat de denrées de base, l’autre pour réparer un barrage ou encore construire un puits.« Mais l’aide associative a ses limites et l’investissement a davantage d’impact pour le développement à long terme du pays », a réalisé « la Pomme ».
Il a donc décidé d’investir au Mali, tout en continuant de financer des projets dans le village de sa famille par le biais des tontines WhatsApp, lesquelles ont remplacé les vieux carnets de compte rédigés à la main.
Avec plusieurs amis, il a monté l’Union des ambassadeurs franco-maliens, qui aide les entrepreneurs français de la diaspora à investir au pays. Les enfants de migrants comme Diadie Soumaré possèdent des atouts précieux pour aider au développement de leur autre pays d’origine : la connaissance du marché, des compétences acquises en France et, enfin, l’accès aux capitaux. Ils prennent des risques dans les pays pauvres que d’autres investisseurs ou entreprises étrangères ne prendraient pas. Ils sont devenus des acteurs incontournables du développement.
« BAILLEUR DE FONDS LE PLUS FIABLE »
A tel point que les fonds envoyés par les mi grants et diasporas chaque année dans leur pays d’origine vont dépasser pour la pre mière fois, en2019, le total des investisse ments directs des entreprises étrangères dans les pays à bas et moyen revenus. Selon la Banque mondiale, ils devraient atteindre les 550 milliards de dollars (494 milliards d’euros) en 2019, soit plus du triple de l’aide publique au développement. Les cinq plus grands pays bénéficiaires sont l’Inde, la Chine, le Mexique, les Philippines et l’Egypte. Un chiffre qui pourrait même être beaucoup plus élevé si l’on tenait compte des flux fi nanciers qui ne sont pas inscrits dans les sta tistiques officielles, comme l’envoi d’argent en espèces par des proches. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ces transferts informels pourraient représenter 35 % à 75 % des flux comptabilisés, en fonction des régions.
Cette hausse des transferts s’explique en partie par l’accroissement du nombre de mi grants. Entre 2000 et 2018, la part des mi grants dans la population des pays à haut revenu de l’OCDE est passée de 8,8 % à 13,9 %, avec une forte hausse – 78 % sur la même période – de l’immigration en provenance de pays du Sud. Des expatriés de plus en plus qualifiés. Dans d’autres pays riches comme ceux de la région du Golfe, les migrants, en majorité originaires d’Asie du Sud, sont majoritaires : ils constituent près de 90 % de la population en Arabie saoudite et plus de 80 % de la population au Koweït et au Qatar. Enfin, le coût des transferts d’argent a diminué grâce à l’adoption des nouvelles technologies et à la hausse de la concurrence, même si les tarifs restent élevés. Les commissions de transfert sont en moyenne de 6,4 % et atteignent au plus haut 9 % en Afrique subsaharienne. Au-delà de l’aide finan cière, l’OCDE note, dans son rapport sur les tendances de la migration internationale en 2019, qu’audelà des flux financiers, la diaspora est la source de « transferts de com pétences, de savoirs, d’idées et de valeurs» vers le pays d’origine.
«La diaspora est devenue le bailleur de fonds le plus fiable, souligne Olivier Kaba, chargé des projets migrations à l’Agence française de développement (AFD), ils sont là quand d’autres partent au bout de quinze ans, changent de priorités ou de destinations géographiques. » Les transferts d’argent sont aussi plus stables que les investissements étrangers et servent d’amortisseurs aux catastrophes naturelles ou aux crises éco nomiques. « Les investisseurs étrangers ont tendance à rapatrier leurs capitaux à la moindre difficulté tandis que les migrants en voient au contraire de l’argent pour aider leurs familles », explique Dilip Ratha, écono miste chargé du programme Knomad, le centre d’expertise de la Banque mondiale sur les migrations. A rebours des agences de développement et des banques multilatérales qui privilégient les prêts aux dons, l’aide de la diaspora est donc cruciale. «Quand on est pauvre, on ne cherche pas à investir mais à se nourrir, se soigner et envoyer ses enfants à l’école», insiste M. Ratha, qui ajoute que l’« investissement est une dette pouvant se transformer en fardeau ».
RECUL DE LA PAUVRETÉ
La Banque mondiale a calculé que ces fonds envoyés par la diaspora avaient permis de faire reculer la pauvreté de 4 points de pour centage au Népal, 10 au Bangladesh et 11 en Ouganda. Des chercheurs ont même observé que, dans les foyers éthiopiens et bangladais recevant de l’argent d’un de leurs membres partis à l’étranger, le travail des enfants avait diminué et la malnutrition avait reculé. La Banque mondiale note également que les transferts d’argent permettent une hausse des dépenses dans l’éducation au Sénégal et au Kenya, un meilleur taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur au Salvador et aux Philippines.
Les agences et les banques de développement misent donc sur ces « agents du changement ». « Ils sont des relais de très grande proximité. Grâce à eux, on a accès directement à la communauté ou au village», témoigne M. Kaba, qui reconnaît volontiers que «le travail avec la diaspora a changé la manière de faire du développement ». Grâce aux liens entretenus par les migrants avec leur ville ou village d’origine, le rôle des collectivités locales dans les pays récipien daires a été redynamisé et la coopération s’est décentralisée. Et contrairement aux institutions étrangères parfois critiquées pour leur ingérence, la diaspora est très res pectée dans son pays d’origine. «Tout le monde les écoute, car ils contribuent à une part importante du PIB et ont gagné en in fluence politique », observe Diadie Soumaré.
L’AFD cofinance ainsi des projets de déve loppement portés par les migrants dans leur pays d’origine. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a mis en place en Palestine, au Liban, ou encore au Liberia, le projet Tokten (Transfer of Knowledge through Expatriate Nationals, ou transfert de savoirs par l’intermédiaire des expatriés), qui consiste à mettre les compétences et expertises de la diaspora au service de son pays d’origine. De son côté, l’Organisation internationale pour les migrations a mis sur pied le programme Temporary Return of Qualified Nationals pour aider et financer le séjour de migrants qualifiés qui souhaitent participer à l’effort de reconstruction dans leur pays d’origine. L’aide des migrants est très difficile à tracer. Certains sont sans papiers, d’autres vivent dans des foyers.
Un exemple de l’influence de cette diaspora ? L’organisation à Paris, le 25 avril, de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme. Ce jourlà, des chanteurs, des créateurs de mode et des hauts responsables comme Abdourahmane Diallo, le directeur général du Partenariat RBM («pour en finir avec le paludisme »), et Peter Sands, le directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, avaient fait le déplacement sur l’esplanade de l’Hôtel de ville.
La capitale française n’est pourtant pas la ville au monde la plus touchée par l’épidémie, mais elle regroupe des diasporas de plusieurs pays africains touchés par l’épidémie, et qui jouent un rôle important dans les messages de prévention. «A chaque personne qui tombe malade, c’est à nous qu’on demande de l’aide, alors mieux vaut prévenir que guérir, c’est la mission de service public de la diaspora », explique Mams Yaffa, directeur de l’association Esprit d’ébène, partenaire de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme. Cet enfant de migrants maliens estime à 30% la part des dépenses de santé dans les sommes envoyées au Mali.
UN IMPACT MICROÉCONOMIQUE
Dans son local du quartier de la Goutte d’Or, à Paris, Mams donne des conseils aux autres migrants et revendique une approche différente de celle de ses parents, immigrés du Mali : « Quand mon père recevait un coup de fil de la famille restée au village, il envoyait directement l’argent, nous, on prend le temps de demander à quoi l’argent va servir avant de l’envoyer.» Les enfants de migrants ne sont pas soumis à la même pression sociale ou familiale que leurs parents.
L’afflux de tels montants a-t-il un impact sur la croissance des pays bénéficiaires ? La réponse n’est pas évidente. En exploitant les données recueillies dans 49 pays en déve loppement entre 2001 et 2013, les économis tes Jude Eggoh, Chrysost Bangake et Gerva sio Semedo ont montré, dans une étude pu bliée en2019 par la revue The Journal of International Trade & Economic Develop ment, que les transferts d’argent n’avaient une influence macroéconomique que s’ils débouchaient sur des investissements.
Encore faut-il que les systèmes financiers en place le permettent. C’est ce qui a conduit les caisses des dépôts, en France et en Italie, à signer des partenariats avec leurs homo logues au Maroc, au Sénégal et en Tunisie afin que les migrants en Europe puissent placer leurs économies dans des produits d’épargne qui servent à des investissements del’autre côté de la Méditerranée. L’Australie et le Canada ont développé, avec l’aide de l’Organisation internationale du travail, une application disponible sur smartphone pour aider les migrants à épargner. D’autres Etats, à l’instar de l’Inde, du Sri Lanka ou du Liban, ont émis des obligations destinées à leur diaspora pour financer des projets d’infrastructure ou d’éducation.
Certaines expérimentations permettent également aux migrants de choisir l’utilisation de leurs fonds de transfert, que ce soit pour l’éducation ou la création d’une entreprise, par le biais d’applications. «Les migrants qui ont la possibilité de choisir la destination des fonds envoyés ont tendance à les augmenter », explique Dean Yang, professeur à l’université du Michigan, qui travaille sur une expérimentation menée par le centre de recherches américain Abdul Latif Ja meel Poverty Action Lab.
D’autres économistes sont plus prudents. Dans une étude publiée en 2016 par la revue Economic Analysis and Policy, Samuel Adams et Edem Kwame Mensah Klobodu soulignent l’importance de la stabilité politique dans les pays bénéficiaires. « Les transferts d’argent ont un impact microéconomique qui ne peut pas remplacer des politiques macroéconomiques de développement », met en garde Richard Kozul Wright, directeur de la division sur la mondialisation et des stratégies de développement à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. L’argent ne peut pas tout.
VIDEO
LE SAHEL, DE DAKAR À DJIBOUTI ?
Alors que le G5 Sahel demande le soutien de la communauté internationale nous nous intéressons à la délimitation du Sahel. Celui des Français n'est pas celui des Américains. Explications
Alors que le G5 Sahel demande le soutien de la communauté internationale nous nous intéressons à la délimitation du Sahel. Celui des Français n'est pas celui des Américains. Explications.
par Mamoudou Ibra Kane
VIDEO
2020 S’ANNONCE DÉJÀ SEXY
Au regard de ses enjeux, le Sénégal est à la veille d'un basculement, à l'image d'une femme en gésine - Le pays le choix entre le décollage définitif ou l'atterrissage en catastrophe - Ce sera l'émergence ou l'immergence
e-media |
Mamoudou Ibra Kane |
Publication 27/12/2019
Pour sa toute dernière chronique de l’année 2019, Mamoudou Ibra Kane fait le choix de regarder davantage dans son pare-brise que dans le rétroviseur. Plus de perspectives que de rétrospectives. Séduit par la sexy 2020 qui arrive avec son lot de bénédictions ou de bénédictions. Au delà des clivages, tous sont interpellés pour faire de la nouvelle décennie qui arrive le point de départ d’une émergence tant attendue, estime-t-il dans cette chronique qui veut regarder 2020 d’un air des plus optimistes.
Par Mamadou Oumar NDIAYE
CES VIEILLARDS QUI REFUSENT TOUJOURS LE SEVRAGE…
Soixante ans après les indépendances, il est tout simplement inacceptable que nos chefs d’Etat tètent encore au sein (maternel !) de la France. Cet allaitement que réclament encore nos dirigeants est indécent et immoral
Pourquoi diable nos dirigeants refusent-ils de grandir ? De se comporter enfin comme de adultes responsables ? De prendre en main les destins de leurs peuples ? Qu’est-ce qui explique qu’ils ne veuillent toujours pas s’affranchir de leur servitude vis-à-vis de la France ?
Alors que la plupart de nos pays vont commencer à célébrer dans quelques semaines le soixantième anniversaire de leur accession à la souveraineté internationale, il est plus que dommage que les questions ci-dessus puissent encore continuer à être posées. Nos dirigeants politiques, présidents de la République en tête — et même ceux d’entre eux nés après les indépendances hélas ! — se comportent toujours comme ces esclaves qui, bien qu’affranchis et libérés de leurs chaînes, sont obligés de revenir dans la maison de leur maître car, n’ayant jamais joui de leur liberté, ne savent pas quoi en faire. Et qui, donc, préfèrent leur servitude à leur état d’hommes libres !
C’est exactement le cas de nos dirigeants. Depuis 1960, nos pays sont dans leur grande majorité « indépendants » mais refusent, hélas, d’assumer ce statut. Prenons deux domaines essentiels à l’exercice de toute souveraineté que sont la défense et la monnaie. Six décennies après la fin officielle de la colonisation, nos Etats s’abritent toujours sous le parapluie militaire de la France. Laquelle maintient un peu partout sur le continent ses bases et se charge de nous défendre contre les menaces extérieures.
La « menace » soviétique jusqu’en 1989, date de la chute du Mur de Berlin et de l’effondrement de l’URSS, puis ou concomitamment la « menace » libyenne pour ce qui est du Tchad, la « menace » algérienne lorsque des « Jaguars » français s’envolaient de la base de Dakar pour aller bombarder des colonnes du Front Polisario — c’était l’époque où le président Senghor disait joliment que « je n’ai pas le complexe du « Jaguar » ! — et puis, de nos jours, la « menace » djihadiste !
A croire que la France a toujours besoin d’agiter une « menace » réelle ou illusoire pour maintenir sa présence militaire et apeurer nos dirigeants !.
La France dont chaque nouveau président, sitôt installé, jure croix-de-bois croix de-fer si je mens que j’aille en enfer, que la « Françafrique », c’est fini, les interventions militaires en Afrique également, avant de se lancer à son tour dans sa petite guerre africaine ! Citons la guerre giscardienne contre les « rebelles » du Katanga lorsque les paras français ont « sauté » sur Kolwezi, une ville minière évidemment, la guerre mitterrandienne contre la Libye, la guerre ivoirienne de Jacques Chirac, celle libyenne encore — au cours de laquelle le Guide Mouammar Kadhafi a été tué ! — mais de Nicolas Sarkozy cette fois-ci, celle malienne « Serval » de Français Hollande, et l’actuelle « Barkhane » du petit Emmanuel Macron ! Décompte non exhaustif, bien sûr, puisqu’on en oublie incontestablement. Plutôt que de développer de véritables armées nationales professionnelles bien formées, entraînées, convenablement équipées et aptes à accomplir leur mission de défense de l’intégrité de nos territoires, nos présidents ont laissé se développer de armées de soudards et de parade, plus douées à organiser des coups d’Etat et à réprimer les populations qu’elles sont censées défendre qu’à sanctuariser les frontières nationales contre toutes formes de menaces. Le tout avec la bénédiction de la France, bien sûr, qui avait tout intérêt à la déconfiture de ces armées pour rendre plus indispensable la présence de ses troupes.
De ce point de vue, dans un domaine aussi essentiel de la souveraineté, la faillite de nos chefs d’Etat est plus que patente : criminelle. On retiendra juste que 60 ans après nos « indépendances », les Africains de l’Ouest sont toujours incapables de se défendre contre les menaces qu’ils auront identifiées et en sont réduits à quémander le parapluie sécuritaire de la France. Aujourd’hui, contre des terroristes en motos « Djakarta » ! Lesquels infligent des raclées mémorables à nos troupes qui battent en retraite face à leur avancée ! Dans ces conditions, évidemment, le président Macron peut se permettre d’admonester nos chefs d’Etat et de les convoquer pour qu’ils viennent s’expliquer devant lui à Pau sur le « sentiment anti-français » supposé de leurs peuples. Au rapport, chefs d’Etat du « G5 Sahel » !
Abracadabra, que le CFA devienne ECO !
L’autre domaine essentiel de souveraineté dans lequel nos dirigeants refusent de s’assumer c’est, bien sûr, celui de la monnaie. Depuis nos indépendances nominales, ils ont peur de battre leur propre monnaie et de couper le cordon ombilical qui les lie à l’ancien colonisateur. Soixante ans après, il a fallu la permission de la France et la « décision » du président Macron de réformer le « CFA » pour que nos chefs d’Etat osent enfin changer le nom de cette monnaie et l’appeler « ECO » ! Dire qu’il y a quelques semaines à peine, nos présidents, en tête desquels Alassane Dramane Ouattara et Macky Sall, plus zélés gardes chiourmes de l’ordre français sur le continent, ces présidents, donc, assuraient que le CFA était une excellente monnaie. Et que, par conséquent, ils ne voyaient aucune nécessité à faire bouger les lignes ou introduire des changements dans son fonctionnement. Ce au moment où les peuples africains, les jeunesses, les activistes, d’importants pans de la Société civile et des économistes de renom, réclamaient à cor et à cris l’abandon pur et simple du CFA. Et brusquement, ces mêmes présidents, mais aussi les fonctionnaires de la BCEAO dont on se demande s’ils ne se croiraient pas en DOM-TOM !, deviennent « graves » — comme disait Hugo — s’enhardissent et décident non seulement, donc, de débaptiser le CFA qui va s’appeler ECO, mais encore de rapatrier les réserves de change qu’ils avaient l’obligation de loger au Trésor français.
Du moins 50 % de ces réserves. Dire que lorsque le président Abdoulaye Wade avait réclamé le rapatriement de ces réserves, ses autres collègues de l’UEMOA lui avaient volé dans les plumes ! Pour en revenir à la « décision » macronienne, surtout, on nous jure la main sur le cœur que, désormais, il n’y aura plus de représentants de la France au sein de nos instances monétaires. Ah bon, parce qu’ils y étaient et y jouaient un rôle ? Je me rappelle encore cette sortie de ce jeunot, directeur de l’Agence nationale de la BCEAO, Al Amine Lô je crois, qui soutenait crânement que la France n’avait pas son mot à dire dans notre politique monétaire, laquelle selon lui était gérée toute seule et comme un grande par la Banque centrale commune aux huit pays de l’UEMOA. Dans un éditorial que j’avais fait pour lui rabattre le caquet, je lui demandais comment se faisait-il, dans ce cas, qu’un petit ministre français — M. Michel Roussin, inculpé plus tard pour corruption — puisse se permettre de convoquer à Dakar, en 1994, 16 chefs d’Etat africains pour leur annoncer la « décision » (décidément !) de la France balladurienne de « dévaluer » le CFA ! Vingt-trois ans après, c’est un jeune et prétentieux chef d’Etat français qui, sur les rives de la lagune Ebrié, annonce sa « décision » de réformer notre monnaie !
Des réformes cosmétiques, en réalité, puisque l’objectif stratégique, ce que souhaitent les peuples africains, c’est une monnaie commune aux 16 pays de la CEDEAO. Comme des enfants ou d’innocentes proies qu’il conviendrait de défendre face à l’ « ogre » nigérian qui risquerait de les dévorer, la France a donc tranché : l’ECO s’arrêtera aux huit pays de l’UEMOA. Un point, un trait. L’histoire se répète : dans les années 90, pour torpiller l’envol de la CEDEAO bien partie pour mettre en œuvre le Plan d’Action de Lagos, la France avait déjà trouvé une idée de génie : créer l’UEMOA qui regrouperait ses néo-colonies. De la même manière, l’ECO Canadian dry tue dans l’œuf la future monnaie commune de la CEDEAO ! Ce alors qu’une opportunité unique était offerte à nos pays de se raccrocher à la locomotive de la première économie du continent, celle du Nigeria. Et d’y retrouver un wagon comme le Ghana, autre solide économie de notre sous-région.
Bonneteau monétaire
Oh certes, on nous prédit le pire, un chaos, un scénario à la zimbabwéenne avec une inflation à des milliers pour cent, une monnaie de singe et tous les scénarios cauchemardesques imaginables si nous refusons cette garantie que, fort obligeamment, la France veut encore continuer à accorder à notre monnaie. Et que nos dirigeants, Ouattara et Sall en tête, la supplient à genoux de continuer à nous accorder.
En même temps, bien sûr, que la parité fixe vis-à-vis de l’Euro ! Autrement dit, et comme l’illustre si pertinemment l’activiste ivoiro-suisse Nathalie Yamb, Macron peint un vélo en bleu et nous dit qu’il s’agit d’une bicyclette ! Un tour de passe-passe qui ne trompe personne, bien sûr, sauf nos dirigeants qui font semblant de croire à la prestidigitation. « Abracadabra, que le CFA soit désormais un ECO », a dit le petit magicien Macron et nos chefs d’Etat ont applaudi à tout rompre ! Plus exactement, il s’est agi d’un numéro de bonneteau, ce « niéti khob » ou « bi gagne bi perte » dans lequel on s’est tous laissé prendre ! A tous les coups, nos présidents tiraient la mauvaise carte, ils le savaient mais ont tenté de nous faire croire le contraire. Encore une fois, les activistes ont raison car il serait dommage de se contenter de cette illusion d’optique. La « garantie » monétaire de la France doit sauter et nos dirigeants doivent être contraints de couper ce honteux cordon ombilical qui les lie encore à la puissance de second ordre qu’est devenue la France. Soixante ans après les indépendances, il est tout simplement inacceptable que nos chefs d’Etat tètent encore au sein (maternel !) de la France. Cet allaitement que réclament encore nos dirigeants est indécent et immoral. Quant on est un jeune homme, à dix-huit ans, on doit se résoudre à quitter le toit familial pour apprendre à être responsable, à gérer sa vie. Hélas, nos dirigeants, six décennies après les « indépendances » octroyées de1960, s’accrochent toujours à l’allaitement de Marianne…
PS : L’économie du Nigeria s’est-elle effondrée parce que la monnaie de ce pays n’est pas « garantie » par la France ou la Grande-Bretagne ? Celles du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie, de la Mauritanie, de l’Afrique du Sud, du Ghana etc. pour ne citer que ces quelques pays africains ontelle piqué du nez ou plongé dans le marasme parce qu’elles n’ont as eu la « garantie » d’une puissance européenne ? Mais pourquoi diable nous dit-on qu’hors la garantie de la France ce serait le déluge pour les pays de l’UEMOA ? Les banquiers centraux de la BCEAO seraient-ils incapables congénitalement de mener une politique monétaire sans les instructions de la France ? Seraient-ils dénués de la rigueur et de la technicité que suppose la gestion d’une monnaie ? Ou bien alors seraient-ils tout simplement des hommes liges, pour ne pas dire des agents de l’ancien colonisateur ? Qu’est-ce qui explique donc leur réticence, qui confine à l’obsession, à s’affranchir et à couper le cordon ombilical avec lui ? Pour le reste, qu’on ne vienne surtout pas nous parler de « sentiment antifrançais » car c’est un faux débat puisque s’il y a bien un continent qui représente l’avenir de la langue française —et donc de l’élargissement de l’influence culturelle mais aussi économique de la France —, c’est bien l’Afrique. Qui est aussi le dernier continent où le Vatican et aussi les églises évangéliques recrutent ! Simplement, ce que réclament les Africains, c’est des relations de partenariat et non plus de servitude vis-à-vis de la France. Des relations de respect et non plus de mépris. Des relations égalitaires et non plus du cheval et du cavalier, avec eux dans le rôle de la monture. Anti-Français ? Non ! Anti-Une certaine France dominatrice et colonisatrice, raciste et arrogante ? Oui ! Mille fois Oui !
BILAN ANNUEL ALARMANT DE LA GOUVERNANCE DE MACKY SALL
2019 a été une année d’élections truquées, suivie d’un troisième dialogue national organisé pour faire diversion - Le temps économique des prochaines années sera lourd - DÉCLARATION DE PRESSE D'ABDOUL MBAYE
SenePlus publie ci-dessous, la déclaration de presse de l'ancien premier ministre et président de l'ACT, Abdoul Mbaye, en date de 27 décembre 2019, à propos de la situation socoipolitique du pays au cours de l'année finissante.
"De quelques grands choix pour reconstruire le Sénégal
2019 était annoncée année électorale puisque d’élection présidentielle. La fin de l’année 2018 avait donc été consacrée à la préparation de cette élection majeure au Sénégal.
Nous avions ainsi fait le choix d’attirer l’attention des citoyens et électeurs sur l’importance qu’il convenait d’accorder au sens de la vérité et du respect de la parole donnée qui habiterait les futurs candidats, hommes ou femmes. Que vaut en effet un programme prononcé ou présenté par une personne dont l’électorat ou le monde entier a déjà pu retenir sa capacité à ne pas respecter des engagements pris ? Qu’étaient devenues les ruptures promises qui devaient mettre « la patrie avant le parti », instaurer une « gestion sobre et vertueuse du bien public », « réduire un mandat de sept à cinq ans »… ?
Au-delà des promesses non tenues, nous avions insisté sur la place occupée par de nombreux mensonges dans la construction d’un Sénégal miraculeux présenté comme déjà émergent à l’occasion de fêtes ou cérémonies d’inauguration. Un Sénégal de records de productions agricoles jamais atteints, d’un taux de croissance s’emballant et surtout devenu l’un des plus réguliers au monde, cela en opposition à un vécu chaque jour plus difficile des populations.
Le mensonge était aussi celui de l’émergence inéluctable de notre pays avec un maintien du taux de croissance à un niveau élevé porté par une compétitivité des facteurs de production s’accroissant, un renforcement du capital humain, une amélioration des soins de santé et des efforts d’éducation et de formation, une diversification des exportations, une amélioration de l’accès au crédit, avec bien entendu pour corollaire un recul constant et significatif de la pauvreté.
Au bout de ce parcours à moyen terme, le pétrole et le gaz devaient transformer le Sénégal en un petit eldorado. Ce doux rêve avait également pour but de faire oublier les dures réalités de la rigueur économique vécue au-delà des statistiques d’illusion.
Nous avions prévenu que les mensonges ne suffiraient pas pour gagner des élections. Il fallut en effet avoir recours à un système de parrainages inapplicable, inventé dans la précipitation d’une énième révision constitutionnelle pour éliminer des candidats, et surtout pour éviter un deuxième tour à l’élection présidentielle qui aurait pu être fatal au président sortant. Pour assurer la mise en œuvre du système de parrainage, le mensonge fut aussi présent dans le Considérant 10 de la Décision N°2 /E/2019 du Conseil Constitutionnel qui affirme le contrôle du système de parrainage par l’examen effectif de 1,5 millions de signatures en moins d’un mois.
Enfin nous proposions, pour placer le Sénégal dans une trajectoire de renforcement de son système démocratique, de réduire les pouvoirs constitutionnels du chef de l’État, de renforcer ceux de l’Assemblée nationale en même temps que le système d’élection des députés serait réaménagé pour abandonner l’injustice du scrutin à un tour pouvant faire élire plusieurs députés (en 2017, BBY avec 49,47% des voix, a obtenu 125 des 165 sièges, soit une majorité de 75,78%), de garantir l’indépendance de la Justice, et de remettre l’administration au service du citoyen et non du client politique, par des procédures reconstruites, notamment de recrutement.
Nous proposions aussi la nécessité de donner une nouvelle direction à notre stratégie économique en créant la plus-value et donc la croissance dans les secteurs les plus pauvres mais aussi les plus employeurs de main d’œuvre : en particulier l’agriculture pour améliorer le quotidien du paysan sénégalais et réduire la dépendance alimentaire de notre pays ; l’artisanat pour le faire migrer vers une semi-manufacture et plus tard une véritable industrie à l’instar des pays ayant réussi leur transition vers l’émergence.
Les grands travaux devaient se substituer aux grands projets dispendieux, gourmands en endettement extérieur, faisant la part belle aux entreprises étrangères et finalement peu utiles à l’économie nationale mais satisfaisant l’ego d’un Président. Nous proposions aussi un recours accru au Partenariat Public Privé (PPP), y compris à une échelle accessible au citoyen pour l’électrification et l’eau rurales notamment. Cette voie du PPP devient nécessaire face aux limites atteintes par le recours excessif à l’endettement extérieur par le régime de Macky Sall.
Le triste bilan de 2019 ou l’éclatement des mensonges et scandales
Malheureusement pour le Sénégal, nos anticipations n’ont pas été trahies.
2019 a été une année d’élections truquées, suivie d’un troisième dialogue national organisé pour faire diversion et qui après sept mois vient d’être officiellement installé. La grande qualité de quelques-uns des animateurs de ce dialogue ne contredira pas le vrai dessein de son initiateur devenu spécialiste dans le gâchis de compétences.
D’ailleurs, très vite, une révision de la Constitution a été soustraite d’un dialogue considéré comme pas assez sérieux pour se saisir de questions aussi importantes. Au lieu d’être réduit, le pouvoir excessif du président de la République, principale souffrance de notre démocratie et de notre immobilisme économique, a été renforcé par la suppression du poste de Premier ministre et le retrait du pouvoir de censure du gouvernement dévolu à l’Assemblée nationale.
Le scandale du pétrole et du gaz est vite revenu au premier plan, gâchant leurs fêtes de victoire à l’élection présidentielle. Pourtant, dès 2016, nous avions alerté et appelé à des enquêtes. Elles seront donc décidées trois années plus tard mais avec pour objectif manifeste de tout enterrer.
L’échec de la politique économique du régime de Macky Sall a imposé un ajustement structurel déguisé en Instrument de Coordination de Politique Économique (ICPE), mais reposant sur les mêmes objectifs que tout ajustement, à savoir : le resserrement du déficit budgétaire, la priorité au règlement des échéances de la dette extérieure, les ponctions sur le pouvoir d’achat des ménages par la fiscalité et la hausse des prix, le harcèlement fiscal des entreprises sur lesquelles on dit pourtant compter pour porter la relance économique lorsque la capacité d’intervention économique de l’État a été dilapidée par mauvais choix économiques, mauvaise gestion et incompétence.
Ils osent continuer de soutenir que la croissance aurait été maintenue à 6%. Les mensonges de production les plus patents ne peuvent pourtant plus être cachés : la production d’arachides de 1,4 millions de tonnes n’aurait pas permis la collecte de plus de 300 000 tonnes en 2018-2019. Mais pour la campagne qui s’annonce, les prévisions sont encore plus pessimistes. Elles sont le résultat d’une stratégie ignoble visant l’enrichissement de politiciens vendeurs de mauvaises semences dites sélectionnées et subventionnées, aux dépens des paysans et du contribuable sénégalais. J’avais qualifié cette attitude scélérate de financement du sous-développement. Mes tentatives en 2013 de restaurer une production de semences certifiées ont été combattues puis abandonnées.
Où sont donc passées toutes ces quantités de céréales qui auraient été produites ? L’autosuffisance en riz avait été annoncée pour 2017. Nous avions récusé une telle assertion. Le président avait ensuite corrigé pour annoncer son report d’un an en 2018. On en parle désormais plus.
Et de nouveau l’insécurité alimentaire affectera près d’un million de personnes au Sénégal.
Nul n’ignore l’importance de la compétitivité énergétique dans la construction d’une croissance. Le Sénégal avait déjà l’une des électricités la plus chère de la sous-région. L’augmentation des tarifs après celle des produits pétroliers, participe à l’objectif de réduire le déficit budgétaire en même temps que le pouvoir d’achat des ménages. Rien ne la justifie qui ne relèverait d’une compétitivité insuffisante de la Senelec d’une part, et de sa gestion dépendant d’impératifs politiciens d’autre part. En effet, même après prise en compte du relèvement du cours du dollar, les prix de référence du brut restent inférieurs de 24% à avril 2012 en francs cfa. Le régime a en outre choisi de faire supporter au consommateur leurs erreurs de planification et de gestion qui n’ont pas permis la mise en place d’un mix énergétique compétitif.
Une telle situation est courante au niveau des entreprises du secteur parapublic où les résultats électoraux sont demandés à des dirigeants-militants plutôt que des performances profitant aux usagers et aux populations.
Les Sénégalais doivent le savoir : il n’y a d’autre chemin possible que d’ajustement structurel pour une économie non dynamique lorsque le déficit des paiements extérieurs s’aggrave en même temps que celui budgétaire, conséquences de mauvaises options économiques et d’une gabegie innommable. Le temps économique des prochaines années sera lourd non par la faute d’un environnement extérieur, mais comme conséquence de l’attitude ceux que nous aurions choisis pour nous diriger.
L’année 2019 s’est achevée avec une importante réforme du franc cfa, consacrant le retrait total de la France de la gestion de cette monnaie. C’est une victoire de dignité de la jeunesse africaine. C’est une lueur d’espoir qui laisse espérer qu’un jour prochain cette dignité sera réclamée à leurs dirigeants. Je reste encore étonné par le silence de notre Exécutif face à une réforme aussi importante affectant notre monnaie. Des pistes de réflexion doivent maintenant s’ouvrir pour en moderniser la gestion sans l’affaiblir, et en renforçant son caractère de monnaie africaine par son évolution vers l’ECO en partage avec d’autres pays de la CEDEAO.
Au nombre des scandales de 2019, et par pudeur, je n’évoquerai que par quelques mots les trafics de drogue et de faux billets semblant mêler au Sénégal mafieux et politiciens intouchables.
L’année 2020 et l’avenir politique de l’ACT
Dans le prolongement de la mise en œuvre de la politique d’ajustement structurel se substituant à une fausse « phase 2 du PSE », l’année 2020 sera une année de tensions économiques et sociales : la dépense publique sera resserrée au détriment du fonctionnement de l’administration de l’éducation et de la santé, lorsque le gaspillage en voitures et voyages pourrait être poursuivi. La dépense sociale souffrira également des priorités accordées à quelques grands projets à terminer dont des immeubles administratifs inoccupés.
Le pouvoir d’achat des ménages sera pressurisé. Le harcèlement fiscal des entreprises sera renforcé. Il est à cet égard annoncé que le déficit budgétaire devrait, d’après de curieuses projections, se réduire très rapidement grâce à une pression fiscale augmentant de 20% en deux années !
Pour éviter tout débordement face à la montée de la colère sociale, la « soft dictature » sera habile à restreindre les libertés, parfois en violation de la Constitution, en particulier le droit aux manifestations pacifiques dont on craint le succès.
Pour l’année qui s’ouvre, nous refuserons la sujétion au temps politique que Macky Sall, en bon politicien professionnel, cherche à imposer avec son dialogue national.
Nous opterons pour une attitude de sentinelle, poursuivant notre rôle d’éveil des consciences, afin qu’un jour, les Sénégalais connaissent mieux les raisons du non-développement de leur pays et choisissent mieux leurs dirigeants à l’occasion d’élections. C’est le sens que nous donnons et donnerons à notre action politique.
Nous continuerons à dénoncer les élections trafiquées, afin que le peuple et la communauté internationale ne soient pas dupes.
Nous combattrons le recul démocratique organisé par Macky Sall.
Ces postures citoyennes se poursuivront :
Par le suivi de la plainte pour faux et usage de faux en document administratif qui a permis d’attribuer des permis pétroliers à Frank Timis et à son partenaire privilégié Aliou Sall, même si depuis cinq mois le Doyen des juges refuse d’y donner suite au plan local.
Par la promotion de projets utiles à nos concitoyens tel le projet « REXODUS ». Ce dernier consiste à organiser le retour dans leurs pays d’origine des immigrés de première et de deuxième génération dans le secteur productif grâce à leurs employeurs, PME européennes délocalisant ou dupliquant une partie de leur activité, en co-investissant avec leurs employés émigrés et des nationaux du pays de retour.
Nous ne négligerons pas non plus cette formation des femmes à la production de savon, eau de javel, vinaigre et autres petites productions, à la tenue de caisse de micro-crédits. Les compagnons de notre parti ont déjà reçu la recommandation de s’associer à toutes activités citoyennes dans leurs quartiers, villages et localités.
Cette posture résolument citoyenne sera nôtre dans le cadre de l’espace déjà élargi que constitue le Congrès de la Renaissance Démocratique (CRD), mais qui reste ouvert à d’autres mouvements et forces citoyennes et politiques toutes conscientes que les alliances ne doivent pas se nouer et se dénouer pour « aller à la soupe », mais autour de valeurs partagées pour la recherche du progrès de notre cher Sénégal.
Je vous remercie de votre attention et vous souhaite à toutes et à tous, mes meilleurs vœux de nouvel an.