SenePlus | La Une | l'actualité, sport, politique et plus au Sénégal
24 avril 2025
Développement
par Alassane Kitane
LA LIGNE DE DÉFENSE MENSONGÈRE DE MAKHTAR CISSÉ
Vous faites un parjure en comparant la capacité de production actuelle de la Senelec à celle sous Diouf ou sous Wade : les fluctuations du marché du pétrole que vous évoquez vous-même n'étaient-elles pas plus périlleuses à cette époque ?
« …l'autorité exclut l'usage de moyens extérieurs de coercition ; là où la force est employée, l'autorité proprement dite a échoué » - Hannah Arendt
1. Les mensonges du clan Makhtar Cissé sur la Senelec
Le mensonge est profondément humain, car il prouve une certaine forme d’intelligence. Mais quand le mensonge devient un mode de gouvernance, il finit tôt ou tard par détruire la notion d’autorité et par ricochet, le tissu social. Qu’arrive-t-il à une société ou à une famille dont le chef fonde toute sa légitimité sur le mensonge ? Ce chef de famille ou d’État n’a d’autre choix (lorsque ses menteries auront saturé les consciences) que d’imposer son mensonge comme étant la vérité : c’est là le mobile de toutes les formes de dictature. Un père de famille qui a perdu l’amour de ses enfants se réfugie derrière l’autoritarisme. Et c’est la même chose pour un chef d’État qui a perdu la confiance de son peuple : la force brute devient son principal levier politique. L’usage intempestif de la violence dans une démocratie est révélateur d’une crise d’autorité, d’un déficit énorme de légitimité.
Notre ministre, le génie des hydrocarbures, l’excellent Makhtar Cissé, prétend que la hausse du prix de l’électricité est dictée par les aléas liés aux cours non maitrisés du baril du pétrole et du dollar. Que valent de telles explications face à deux réalités qui s’imposent à l’esprit et à l’œil. La première est que le baril du pétrole a toujours fluctué, ce qui impose à un État sérieux de trouver des mécanismes de péréquation susceptibles d’amortir les chocs. De 2009 à 2019 le baril du pétrole a connu toute sorte de variation : on est passé de 139 dollars (en moyenne parce qu’il y a une pique qui a frôlé les 150 dollars) à 62,98 dollars. Qu’a-t-on fait des périodes fastes où le prix du pétrole a chuté jusqu’à 40 dollars ? La Senelec ne pouvait-elle pas s’inscrire dans la dynamique des contrats prédéterminés avec ses des fournisseurs ou une autre forme de péréquation ? Il n’y a pas de société ou même d’État au monde qui maîtrise les fluctuations du prix du baril, mais il y a des prévisions sur lesquelles on peut s’appuyer pour ne pas subir de plein fouet le caractère brusque et aigu de certaines crises. La deuxième réalité est qu’entre 2012 et aujourd’hui, il n’y a pas une hausse exponentielle du pétrole qui puisse justifier cette mesure impopulaire qu’on veut nous imposer. Quel a été l’impact des lampes à basse tension dans la consommation ? Quel profit la Senelec a-t-elle tiré des compteurs prépayés relativement au recrutement ?
Il y a assurément mensonge sur le recrutement, car un personnel superflu est dénoncé à la Senelec : lorsqu'une entreprise traine une dette et qu'elle est subventionnée par l'Etat, elle ne peut pas se permettre de faire un recrutement pareil ! Il y a également mensonge sur les coupures d'électricité, car au soir du second tour de l'élection présidentielle, il n'y avait presque plus de coupure : consultez la presse de l'époque, car elle avait suggéré que c'était une mesure électoraliste. Peut-être qu’elle le fut effectivement, mais dans ce cas, la même explication vaut aussi pour vous. Oui, mais vous avez menti en affirmant que l'embelli de la Senelec est le fruit de la vision de Macky Sall : consultez les communiqués des conseil de ministres de l'année 2011-1912, vous y verrez tous les projets que vous avez réalisés et comment la politique énergétique et stratégique actuelle de la Senelec a été définie bien avant votre arrivée au pouvoir.
Oui, vous faites un parjure énorme en comparant la capacité de production actuelle de la Senelec à celle sous Diouf ou sous Wade : les fluctuations du marché du pétrole que vous évoquez vous-même, les aléas qui pèsent sur vous présentement n'étaient-ils plus périlleux à cette époque ? Comparez le budget du Sénégal à ces différentes périodes, le PIB, les capacités financières liées, entre autres, au nombre d'abonnés, aux effets des mesures prises entre 2011 et 2012 et à la clémence du marché du pétrole. Imaginons un père de famille qui dit qu'il y a dix ans j'avais un téléviseur ordinaire, en 2019, j'ai un téléviseur plat, ça se voit que je travaille dur et bien ! C'est du sophisme, car il sait très bien que le prix et la qualité technique du téléviseur ne dépendent pas de lui et que s'il fait le ratio, son pouvoir d'achat n'a pas augmenté d'un centime. Arrêtez d'arnaquer le peuple !
2. Rappel de quelques faits et dates
Le J.O. N° 6571 du lundi 14 février 2011 créant et organisant le fonds spécial de soutien au secteur de l’énergie (FSE) donne un clé de lecture précise sur les mesures qui ont été prises pour renflouer la Senelec. C’est grâce à ce fonds que les coupures de courant ont été presque ramenées à des proportions raisonnables. En septembre 2010 déjà l’ancien ministre Samuel Sarr présentait un rapport sur les « perspectives de redressement du secteur ». Dans ce rapport il y avait non seulement le diagnostic des difficultés de la Senelec, mais aussi une politique d’incitation à la baisse de la consommation d’électricité par les ménages. Les lampes à basse tension ont été vulgarisées et mises sur le marché.
Selon le rapport du Système d’information énergétique du Sénégal (SIE) de 2010, le taux d’électrification nationale en 2010 était de l’ordre de 54 % contre une moyenne mondiale de 60 %. Selon toujours le même rapport, « les objectifs initiaux fixés par le gouvernement dans le Programme d’Actions Sénégalais d’Electrification Rurale (PASER) qui visait à porter le taux d’électrification rurale à 30% en 2015 puis à 62% à l’horizon 2022, pourraient largement être atteints avec des taux respectifs de 38,4% et 77,4% pour 2015 et 2022 ». Il est facile de voir comment ces chiffres sont présentement revendiqués par Macky Sall. Qu’est-ce que le gouvernement de Macky Sall a fait de toutes ces études ? Les fanfarons du régime viennent nous snober avec des taux dont ils ne sont guère les auteurs. Plusieurs personnes ont écrit le même article dans des médias différents, ce qui laisse croire que c’est des éléments de langage, une standardisation d’une rhétorique ! Ils n’ont jamais parlé du principe de la continuité de l’État quand ça ne les arrange pas. En 2008, le baril du pétrole frôlait les 150 dollars (110 dollars en 2010) : comparons ces données avec celles actuelles pour comprendre que la mesure de hausse est plutôt due à une mal gouvernance manifeste. Le gouvernement du Sénégal est devenu spécialiste de la rhétorique des chiffres, ce qui lui permet de maquiller ce qu’il veut. Mais la réalité est toujours rebelle aux élucubrations mathématiques ! Cette façon de gouverner montre que ce régime est indigne de gouverner une nation aussi civilisée que le Sénégal.
VIDEO
AÏDA MBODJ DIT TOUT
La présidente de l’Alliance nationale pour la démocratie, invitée de l'émission Jury du dimanche sur e-media, s'est prononcé sur l'actualité sociopolitique nationale
e-media |
Aliou DIOUF & Pape D. DIALLO |
Publication 22/12/2019
Lors de la dernière présidentielle du 24 février 2019, Aida Mbodji avait, publiquement, déclaré qu’elle ne soutiendrait aucun des 5 candidats en lice. Mais, certains la soupçonnaient d’avoir soutenu, en cachette, le président de la République, Macky Sall lors de ces joutes. Elle dégage en touche ces accusations portées contre elle. Face à Mamoudou Ibra Kane, la parlementaire répond sans sourciller. « Je suis dérangée par le mot cachette. Si je devais soutenir le président Macky Sall, je pense que je suis à une telle envergure que je ne peux pas le soutenir sans qu’on le sache », a précisé la présidente de l’Alliance nationale pour la démocratie. Selon elle, sa neutralité lors de cette élection présidentielle est dictée par une ligne dessinée par leur parti qui avait porté son choix sur elle.
« Macky Sall exerce son dernier mandat »
La question sur un éventuel 3e mandat du président de la république a été également au menu des débats. « Il exerce son dernier mandat. Macky Sall est beaucoup plus intelligent qu’on ne le croit. Le problème se trouve au sein de l’Alliance pour la république où les responsables se bousculent pour la succession de Macky Sall », pense Aïda Mbodj.
« La page Pds est tournée »
Par ailleurs, « la lionne du Baol » n’envisage pas retourner au Parti démocratique Sénégal, quoi qu’elle reconnait que Abdoulaye Wade demeure et reste son mentor. « La Page Pds est tournée. Est-ce que je pourrais même être dans un parti politique après mon parcours. Je crois que je suis l’une des rares responsables politiques à avoir quitté le PDS et à se frayer un chemin jusqu’à arriver à l’Assemblée nationale », s’enorgueillit-elle. Avant d’ajouter : « Je crois au leadership féminin et, cela ne déplairait pas à Abdoulaye Wade parce qu’il est lui-même féministe ». A en croire Aida Mbodji, de tous les quatre présidents de la République qui se sont succédés à la tête de la magistrature suprême, Me Abdoulaye Wade est le plus féministe. « Il a le féminisme dans le cœur. Il tient cela de sa grand-mère », renseigne-t-elle.
De même, elle estime que des retrouvailles entre les libéraux pourraient se faire mais, cela dépend du contexte et des termes à adopter. Mais, elle pense que le PDS gagnerait à se retrouver s’il veut reconquérir le pouvoir. Se prononçant sur le dialogue politique, Aïda Mbodji salue l’installation de Famara Ibrahima Sagna. Ce dernier, dit-elle, a obtenu l’onction de l’opposition et tout le monde lui fait confiance. Son installation, explique-t-elle, va mettre fin à beaucoup d’hésitation et va permettre de démarrer le travail. S’agissant de l’affaire des 94 milliards, elle reste convaincue que la justice fera son travail.
« Moustapha Cissé sait ce qu’il dit »
Actualité oblige : le journaliste Mamoudou Ibra Kane a interpellé Aïda Mbodji sur les intrants agricoles qui font l’objet de débat surtout avec le démarrage de la campagne arachidière. Elle regrette, d’emblée, que beaucoup d’argent soit injecté à perte dans ce secteur qui, selon elle, pourrait participer au développement de l’économie sénégalaise. A l’en croire, l’Etat a créé des gros producteurs qui n’en sont pas. « Les gros producteurs sont fabriqués et façonnés par le régime actuel. Ils ne connaissent même pas où se trouvent les intrants. Moustapha Cissé est une voix autorisée qui dit ce qu’il sait ».
FRANC CFA, UNE FIN QUI INTERROGE
Annoncée comme un jour historique, la fin de la monnaie partagée entre la France et quinze pays africains est diversement reçue. Revue
Le Point |
Viviane Forson |
Publication 22/12/2019
La décision annoncée par les présidents de la Côte d'Ivoire, Alassane Dramane Ouattara, et de la France, Emmanuel Macron, à propos de la fin du franc CFA, a très vite fait réagir parmi les économistes, acteurs politiques ou encore spécialistes des questions monétaires. Si beaucoup ont souligné comme historique ce moment après 75 ans d'existence ainsi que le changement de dénomination, nombreux sont ceux qui appellent à rester vigilant quant aux contours de la future monnaie, l'Eco.
Un jour jugé historique
« Le moment historique que nous vivons aujourd'hui fait écho à notre engagement pour le changement ! » s'exclame sur sa page LinkedinKako Nubukpo, économiste togolais. « Le passage du FCFA à l'Eco est une bonne nouvelle pour l'avenir des pays qui l'utiliseront ! Nous resterons tout de même vigilants sur la question du régime de change qui devrait bientôt être résolue la parité fixe étant transitoire », a-t-il réagi, alors que ses positions sur le franc CFA, lui ont fait perdre tour à tour son poste de ministre de la Prospective et de l'évaluation des politiques publiques du Togo, en 2015 et celui de directeur de la francophonie économique et numérique au sein de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) à la fin 2017.
Un jour important pour le collectif Sortir du franc CFA qui se réjouit « de cette nouvelle historique » et ajoute : « Nous soutiendrons l'éco que si elle se fait avec tous les pays de la Cedeao. » Mais le collectif dit malgré tout « désapprouver la manière dont les choses se sont effectuées. Il aurait fallu le faire avec la Cedeao » analyse Makhoudia Diouf pour Le Point Afrique. « Nous attendons donc la déclaration de la Cedeao avant de nous prononcer définitivement. Alassane Ouattara est un défenseur zélé du franc CFA donc il n'a pas la légitimité ni la crédibilité pour décider de la future monnaie. Pour le président français, sa parole ne compte pas réellement pour nous. » Selon lui il faut comprendre que « le franc CFA n'est pas totalement mort car la Cemac et le franc comorien sont encore là. Au lieu de faire des déclarations depuis Abidjan, Macron, pour prouver sa sincérité, pourrait signer un décret mettant fin à la zone franc. »
« Non, le franc CFA n'est pas mort »
L'économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla affirme pourtant que « non, le franc CFA n'est pas mort. Macron et Ouattara se sont seulement débarrassés de ses atours les plus polémiques », tranche le spécialiste, coauteur avec Fanny Pigeaud de L'Arme invisible de la Françafrique. Une histoire du franc CFA, publié en 2018. « Le cœur du système est bel et bien en place (accord de coopération monétaire avec la France comme "garant" ; parité fixe avec l'euro ; politique de répression monétaire ; maintien d'une zone franc composée de pays qui commercent peu entre eux et qui logiquement ne devraient pas partager une même monnaie). Avec "leurs" réformes, Macron et Ouattara ont signé l'acte de décès du projet d'intégration monétaire entre les 15 pays de la Cedeao », écrit-il sur sa page Facebook.
Au-delà de la problématique monétaire, la question est éminemment politique. Pour l'opposant ivoirien Mamadou Koulibaly, qui a veillé très tard dans la nuit de samedi à dimanche pour répondre aux questions que se posaient citoyens et partisans, il est « triste de constater, encore une fois, que Ouattara a trahi les peuples ouest-africains qui voulaient s'offrir une bonne monnaie, l'Eco, dans la Cedeao et auxquels il vient de voler leur rêve d'intégration monétaire, en sacrifiant cet espoir à un vestige de l'esclavage qui a pris les avatars de la colonisation et qui, moribond, cherchait une source vivifiante pour rebondir », a réagi le président du parti Lider. « Je me suis demandé si Ouattara avait l'aval des autres pays membres de l'UEMOA pour faire ce qu'il a fait et si les autres pays de la Cedeao avaient donné leur accord pour que l'Eco soit reprise en main par la France qui va lui donner sa garantie avec une parité fixe contre l'Euro », s'interroge-t-il dans un échange avec Le Point Afrique. Et l'homme connu pour son activisme sur la question du franc CFA d'avouer sa surprise quant à cette annonce qui n'a fait l'objet d'aucun débat parlementaire dans le pays. Selon lui, le droit n'a pas été respecté. « Dans des univers d'État de droit, une telle réforme ne se serait pas contentée de la signature de deux ministres. Car, ce qui semble avoir été modifié par les Ouattara et Macron à Abidjan, c'est la convention du compte d'opérations qui gère la domiciliation des réserves de change des pays membres de la BCEAO, la parité du FCFA, les garanties de convertibilité… Or, remettre en cause ce dispositif change les statuts de la BCEAO qui doivent être modifiés pour définir où et comment détenir les réserves de change et d'or des pays », poursuit par écrit Mamadou Koulibaly. « Toucher à ces statuts remet en cause le traité de coopération monétaire entre la France et l'UEMOA. Qui dit traité, dit signature par les chefs d'État et de gouvernement et ratifications par référendum ou par les parlements. Ce que je veux dire, c'est que, si on n'a pas jugé utile de faire intervenir les chefs d'État et de gouvernement et les parlements nationaux, c'est parce que, en définitive, rien ne change. »
« Les jours qui viennent nous diront pourquoi cette précipitation et quel est d'agenda caché de telles annonces qui ne changent en définitive que les soi-disant 0,75 % de taux d'intérêt que la France versait à la BCEAO comme rémunération des réserves qui y étaient déposées. Mais en attendant, la France, inquiète de la montée de la clameur publique contre le FCFA, a peut-être pensé désamorcer cette pression ? » se demande Mamadou Koulibally.
La pression des jeunes et des activistes
En effet, jugé par trop néocolonialiste par les jeunes générations, le franc CFA est de plus en plus contesté. De même que la parité fixe avec l'euro (1 euro = 655,957 francs CFA et 1 euro = 491,968 francs comoriens) est critiquée, car elle priverait les économies africaines de la zone franc de la flexibilité d'un taux de change ajustable qui pourrait leur donner un avantage comparatif pour exporter. Alors qu'avec un franc CFA rattaché depuis 1999 à une monnaie forte comme l'euro, elles sont plus enclines à importer qu'à produire pour elles-mêmes, voire à exporter. Resté longtemps technique et réservé jusqu'ici aux seuls experts, le débat sur le franc CFA a pris une tournure plus politique. Les déclarations récentes du président du Bénin, Patrice Talon, demandant ouvertement – et pour la première fois – que l'Afrique retire ses réserves de change du Trésor français, pourraient avoir sonné son hallali.
Pour l'activiste franco-béninois Kémi Séba, connu pour avoir brûlé un billet de cinq mille francs CFA en août 2017 à Dakar lors d'une manifestation « il est nécessaire de préciser que si aujourd'hui le président Macron fait ce changement qui n'est que cosmétique, c'est parce que jamais depuis les indépendances le sentiment hostile au néocolonialisme français n'a été aussi puissant au sein de la jeunesse africaine et de la société civile. Je pense qu'Urgences panafricanistes a eu une très grosse responsabilité dessus », a-t-il réagi à Ouagadougou, peu avant une nouvelle expulsion du territoire où il organisait une conférence dans laquelle il n'a pas hésité à insulter directement le chef de l'État Rock Marc Christian Kaboré. Il a ajouté devant les médias : « Ils ont fait un semi-compromis, on ne va pas présenter cela comme une victoire. On va continuer à faire pression, 2020 va être une année plus que jamais ou on va se faire entendre sur le terrain. »
Pour aller plus loin
L'économiste, spécialiste des questions de chaînes de valeurs et de pauvreté, Pape Demba Thiam veut nuancer le débat qui suscite de nombreuses réactions depuis hier. « Il s'agit d'abord d'une décision politique dont les modalités pratiques de la mise en œuvre doivent encore faire l'objet de beaucoup de travail dans les prochains mois » écrit-il dans une tribune publiée par le site Seneplus. Fin observateur des économies africaines, Pape Demba Thiam fait l'analyse selon laquelle « la seule manière de changer du CFA à l'ECO du tic au tac, serait simplement d'en changer le nom tout en gardant les mécanismes de fonctionnement. Or ceci ne semble pas être le cas puisque le “compte d'opérations” est prévu pour disparaître dans le même temps qu'on dit que la parité fixe avec l'euro sera maintenue. »
Mais attention, avertit l'ancien coordonnateur pour la Banque mondiale de la stratégie régionale pour le développement du secteur privé et financier en République démocratique du Congo « on dit bien “la” parité, pas “une” parité, ce qui voudra dire qu'un euro équivaudrait toujours à 655,956 Eco. Ce sont deux paramètres de travail qu'il faudrait pouvoir réconcilier par des stratégies qui conviennent à la diversité des économies de l'UEMOA. » « Je retiendrai donc plutôt la volonté de ne pas abandonner un outil d'intégration monétaire important et indispensable tout en espérant que la nouvelle monnaie ira au-delà d'un simple instrument de paiement pour devenir un instrument de politique économique », conclut-il.
FRANC CFA, CE QUI VA CHANGER
La réforme annoncée par les présidents français et ivoirien à Abidjan mérite d'être scrutée pour en comprendre la profondeur
Au regard de l'annonce faite à Abidjan, huit pays d'Afrique de l'Ouest, à savoir le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo ont décidé de concert avec la France de signer un accord qui change les modalités qui président au fonctionnement de la zone franc Afrique de l'Ouest et par conséquent du franc CFA. Les six pays d'Afrique centrale utilisant également le franc CFA, mais qui forment une zone monétaire distincte, ne sont pas concernés par cette réforme.
CE QUI CHANGE
LE NOM
À sa création en 1945, franc CFA signifiait « franc des colonies françaises d'Afrique ». Après les indépendances des années 1960, le nom avait déjà évolué pour devenir « franc de la Communauté financière africaine », pour les huit pays d'Afrique de l'Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo). Mais ce nom restait perçu comme un symbole post-colonial. Le FCFA va devenir l'« Eco », qui est en fait le nom choisi pour la future monnaie unique des 15 pays de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cedeao).
FIN DU DÉPÔT DES RÉSERVES DE CHANGE EN FRANCE
Deuxième point majeur de la réforme, la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest (BCEAO) ne devra plus déposer la moitié de ses réserves de change auprès de la Banque de France, une obligation qui était perçue comme une dépendance humiliante vis-à-vis de la France par les détracteurs du FCFA. La BCEAO « n'aura à l'avenir plus d'obligation particulière concernant le placement de ses réserves de change ». « Elle sera libre de placer ses avoirs dans les actifs de son choix », selon la présidence française.
GOUVERNANCE : PLUS DE REPRÉSENTANTS FRANÇAIS
Troisième changement : la France va se retirer des instances de gouvernance de l'Union monétaire ouest africaine (UMOA) où elle était présente. « La France ne nommera plus aucun représentant au conseil d'administration et au comité de politique monétaire de la BCEAO, ni à la commission bancaire de l'UMOA », a expliqué l'Élysée. Il s'agit de « désamorcer les critiques », selon lesquelles la France continuait de dicter ses décisions dans ces instances via ses représentants, selon l'Élysée.
CE QUI NE CHANGE PAS
LA PARITÉ FIXE AVEC L'EURO
La parité fixe avec l'euro du franc CFA, futur Eco, est maintenue (1 euro = 655,96 francs CFA). Il s'agit d'éviter les risques d'inflation (présente dans d'autres pays d'Afrique), a expliqué le président ivoirien Alassane Ouattara. Cette parité fixe est pourtant l'une des caractéristiques du FCFA les plus critiquées par des économistes africains, selon lesquels l'arrimage à l'euro, monnaie forte, pose problème pour les économies de la région, beaucoup moins compétitives, qui ont besoin de donner la priorité à la croissance économique et à l'emploi plutôt que de lutter contre l'inflation. Ces économistes plaident pour la fin de la parité fixe avec l'euro et l'indexation sur un panier des principales devises mondiales, le dollar, l'euro et le yuan chinois, correspondant aux principaux partenaires économiques de l'Afrique.
LA GARANTIE DE LA FRANCE
Paris conservera son rôle de garant financier pour les huit pays de l'UEMOA. « Si la BCEAO fait face à un manque de disponibilités pour couvrir ses engagements en devises, elle pourra se procurer les euros nécessaires auprès de la France », explique l'Élysée. Cette garantie prendra la forme d'une « ligne de crédit ». « Avec le maintien de cette garantie, en attendant l'Eco, nous voulons éviter la spéculation et la fuite des capitaux », a justifié Alassane Ouattara.
LES INCERTITUDES SUR L'ECO
La réforme du FCFA est « une étape préalable » « dans la feuille de route du projet de monnaie unique de la Cedeao », selon la présidence française. Mais quand sera vraiment lancée cette monnaie unique ? Les pays de la Cedeao ont évoqué l'année 2020, mais sans fixer de calendrier précis. Au sommet de la Cedeao qui s'est tenu ce samedi à Abuja, Zainab Shamsuna Ahmed, la ministre des Finances du Nigeria – poids lourd économique régional – a estimé que la mise en œuvre de l'Eco en 2020 n'était « pas certaine », jugeant qu'il restait « encore du travail à faire pour répondre aux critères de convergence ». Les pays de l'UEMOA, qui respectent dans l'ensemble ces critères (contrairement aux autres pays de la Cedeao), pourraient constituer l'avant-garde de l'Eco.
La réforme du FCFA devrait satisfaire le Nigeria, qui exigeait qu'une monnaie commune ouest-africaine soit déconnectée du Trésor français.
KÉMI SÉBA EXPULSÉ DU BURKINA FASO
Lors de sa rencontre avec des étudiants burkinabè à l'Université Joseph Ki-Zerbo le samedi 21 décembre 2019, le leader de "Urgences panafricanistes" a qualifié le président du Faso, Roch Kaboré, de « passoire politique »
Kémi Séba, Président de "Urgences panafricanistes" a été « expulsé » du Burkina Faso dans la nuit du samedi 21 décembre 2019.
Joint par la BBC, Hervé Ouattara, responsable du front anti-CFA au Burkina a confirmé la nouvelle tout en ajoutant : « on ne sait pas encore, où est-ce qu'il a été emmené ». Par ailleurs, le domicile de Hervé Ouattara a été « assiégé » par des jeunes.
« La gendarmerie est allée à l'hôtel de Kemi Séba. On les a pris et directement à l'aéroport », a precisé Hervé Ouattara.
Pendant l'expulsion de Kémi Séba du Burkina Faso, des « jeunes » ont pris d'assaut le domicile de Hervé Ouattara, a ajouté le responsable du front anti-CFA au Burkina.
« Ils sont arrivés, ils ont commencé à chanter l'hymne national. Ensuite, ils ont commencé à lancer des cailloux dans mon domicile et ils scandaient "Kémi à bas ! Hervé à bas ! ". Ils ont essayé même de défoncer les portes. J'ai même fait des tirs de sommation tellement ils forçaient ma porte. Ils ont commencé à 21h et c'est à 2h du matin que ma maison a été libérée par la gendarmerie », a-t-il expliqué.
Lors de sa rencontre avec des étudiants burkinabè à l'Université Joseph Ki-Zerbo le samedi 21 décembre 2019, Kémi Séba, Président de "Urgences panafricanistes" a qualifié le Président du Faso, Roch Kaboré, de « passoire politique ».
Aussi, il avait estimé que l'ancien président du Faso, Blaise Compaoré aurait mieux défendu le Burkina Faso que Roch Kaboré.
Ses propos ont été mal accueillis par des militants du parti au pouvoir, MPP, qui les ont jugé « déplacés », sur les réseaux sociaux.
Mais pour Hervé Ouattara, « Kémi Séba a toujours traité ainsi ceux qui collaborent avec la France. Quand il s'agit des autres présidents, les gens applaudissent. Mais quand il s'agit du président Kaboré, les gens ont estimé que ce n'est pas normal. Voilà la raison des attaques des domiciles. Kémi Séba, ce n'est pas sa première fois de traiter les présidents de la sorte », a-t-il conclu.
PAR Abdourahmane Sarr
FCFA : DÉBAT CLARIFIÉ, VICTOIRE D'ÉTAPE AVEC L'ÉCO
La question fondamentale sur laquelle tous les acteurs sont à présent obligés de se concentrer est la parité rigide de l’ECO, notre monnaie, par rapport à l’euro
La décision de renommer le FCFA ECO, de mettre fin à la centralisation d’une partie des réserves de change de la BCEAO au trésor français, ainsi qu’à la présence de représentants français dans les organes de gouvernance de la BCEAO malgré la continuité de la garantie de convertibilité française est une étape dans la bonne direction. Elle a l’avantage de clarifier le débat sur le FCFA qui était pollué par ces questions non essentielles, y compris celle du lieu d’impression de nos billets.
La question fondamentale sur laquelle tous les acteurs sont à présent obligés de se concentrer est la parité rigide de l’ECO, notre monnaie, par rapport à l’euro, parité qui ne sera pas dans les faits garantie par les nouveaux engagements de la France, pas plus qu’elle ne l’était avec la centralisation de réserves de change au trésor français. En effet, la France n’est que le garant politique de notre union monétaire et joue pour nous un rôle d’état central du fait d’un déficit de leadership politique assumé. Notre parité, ce sont nos réserves de change qui la garantisse et si nous devions être à court de réserves de change, comme tous les pays du monde, nous aurions recours au Fonds Monétaire International en dernier ressort. Le FMI a tous les instruments appropriés à cet égard. C'est ce qui explique certainement que la nouvelle garantie de la France soit assortie d'une nécessité de retour de représentants français dans notre gouvernance si elle devait s'exercer.
La décision prise par les chefs d’état est néanmoins une décision d’étape à saluer dans le processus devant mener à la libération totale de l’ECO, et donc de nos économies. Sur le plan pratique, cette libération ne pouvait se faire le même jour, d’où l’annonce d’une garantie française, mais la prochaine étape est la responsabilisation de la BCEAO avec une autonomie d’objectif sur le taux de change sans la France.
La Directrice Générale du Fonds Monétaire International dit également saluer «une étape importante dans la modernisation de notre arrangement monétaire avec la France…et son institution se tient prête à accompagner la mise en œuvre des réformes qui viennent d’être décidées». Dans la mesure où aucune décision techniquement difficile à mettre en œuvre n’a été prise et qui aurait nécessité une assistance du FMI, nous pouvons dire sans risque de nous tromper que nous allons vers la flexibilisation de l’ECO dans un avenir proche. Il faudra au préalable préparer la BCEAO et renforcer sa gouvernance pour lui permettre d’être à l’abri de ce que nous appelons «Fiscal Dominance » ou financement monétaire de déficits budgétaires, qui est souvent à l’origine de forts taux d’inflation dans les pays à régime de change flexible avec un leadership irresponsable.
Dans la mesure où nous sommes dans une union, nous pouvons espérer que dans une gouvernance nouvelle avec un collège de gouverneurs, aucun de nos états n’aura l’influence que la Côte d’Ivoire a eu dans la gestion de la BCEAO qui les 5 dernières années a indirectement financé des déficits excessifs de nos états. Un tel comportement dans le cadre d’un régime de change flexible nous vaudra bien évidemment une inflation forte à la place des réserves de change que nous avons perdues et l’endettement extérieur que la Côte d’Ivoire et le Sénégal ont dû encourir augmentant ainsi notre vulnérabilité extérieure pour les renflouer et soutenir la liquidité du secteur bancaire actuellement à rude épreuve.
Les rapports du FMI publiés il y a deux jours sur son programme avec la Côte d’Ivoire, programme allongé d’une année pour couvrir la période de l’élection présidentielle dans ce pays, donne l’opportunité aux acteurs de débattre des questions de fond. Nous pouvons leur dire d’ores et déjà que la stratégie d’endettement de la Côte d’Ivoire décrite dans son programme avec le FMI donne une place excessive à l’endettement extérieur en devises (euro ou dollar), et une stratégie incohérente sur la dette en FCFA/ECO qui ne sera pas possible si la parité fixe rigide sur l’euro est maintenue. Les investisseurs non-résidents n’achèteront pas notre dette en ECO dans un tel régime, et un endettement en euro sur la base de la fixité de la parité va hypothéquer le choix de régime de change des générations futures. Cette stratégie suppose donc une continuation d’un arrimage rigide sur l’euro à moyen terme qui ne doit pas être le choix du Sénégal, et par conséquent de l’UEMOA. Elle devra changer ou justifier la fin de notre compagnonnage avec la Côte d’Ivoire dans l’UEMOA (SENEXIT). Nous l’avons expliqué dans notre tribune intitulée « SENEXIT : Libéralisme Patriotique ou Socialisme? ».
Nous réitérons notre ferme opposition à un libéralisme social internationalisé à taux de change fixe ou « croissance redistributive » extravertie, pour reprendre Macron, sans l’inclusion financière de nos entreprises comme c’est actuellement le cas. Nous lui préférons un libéralisme patriotique facilité par un régime de change flexible permettant d’amortir nos chocs extérieurs, la diversification de nos économies, leur résilience, et facilitant la transformation de notre inclusion financière en cette monnaie en un capital national qui sera complété par des investisseurs étrangers. Cette stratégie serait mise en œuvre dans un environnement de liberté économique ouvert sur le monde et l’Afrique. La jeunesse africaine veut prendre son destin en main, et totalement, subir les conséquences de ses choix, et corriger ses erreurs en toute responsabilité.
Librement
Abdourahmane Sarr est président CEFDEL, Moom Sa Bopp Mënël Sa Bopp
par Cheikh Tidiane Dièye
MACRON, OUATTARA ET CONSORTS VOLENT NOTRE MONNAIE !
Ils cherchent à nous couper l’herbe sous les pieds et à travestir l’ECO, en donnant l’impression que tout change alors que rien ne change - Rien dans l’ECO ne regarde la France
Le président français Emmanuel Macron et son homologue ivoirien Alassane Ouattara viennent d’annoncer à Abidjan la disparition du Franc CFA et son remplacement par l’ ECO en 2020.
Voici ce que Macron en dit : « C’est en entendant votre jeunesse que j’ai voulu engager cette réforme. Le Franc CFA cristallise de nombreuses critiques sur la France. Je vois votre jeunesse qui nous reproche une relation qu’elle juge post coloniale. Donc rompons les amarres »
Vous avez bien lu. Il dit bien « j’ai engagé cette réforme ». Une fois encore Macron fourre son nez et son nom dans ce qui ne le regarde pas. Lui et ses amis ouest africains cherchent à nous doubler en s’accordant la paternité de l’ECO. C’est une arnaque politique. Le processus devant conduire à la création de l’ECO est conçu, pensé et entretenu par la Cedeao hors de tout lien avec le CFA. Rien dans l’ECO ne regarde la France.
C’est pourquoi je voudrais exprimer, ici, mon indignation par rapport à cette décision politique opportuniste qui n’est rien d’autre qu’un viol. Un vol,aussi bien du nom que de toute la symbolique qui entoure la création et naissance de l’ECO. Ils cherchent à nous couper l’herbe sous les pieds et à travestir l’ECO, en donnant l’impression que tout change alors que rien ne change.
Ils peuvent, certes, supprimer le compte d’opération à la banque de France et retirer les représentants français qui siègent au sein des instances de la BCEAO. Mais ce serait une réforme du CFA et en aucun cas un avantage pour la création de l’ECO puisque ce dernier n’a jamais envisagé son existence par rapport à un quelconque lien avec la France. De plus leur « ECO détourné » garderait la parité fixe avec l’Euro avec une garantie assurée par la France alors que « l’ECO authentique » devrait être flexible et relié à un panier de devises.
Je suis de très près le processus de création de l’ECO depuis de nombreuses années. Il n’est pas destiné à remplacer le CFA. Son ambition est de doter la Cedeao d’une monnaie construite par elle-même pour les peuples qui la composent. J’avais écrit il y a quelques années que notre sortie du CFA était inéluctable, non pas en réaction ou opposition à qui que ce soit, mais parce que nous mettrions en place notre propre monnaie régionale dans laquelle les États de la Cedeao s’engageraient les uns après les autres en fonction de leur niveau de préparation et leur aptitude à atteindre les critères de convergence. C’est ce que nous avons appelé la « sortie du CFA par le haut ».
Si nous laissons Macron et ses amis faire, les autres pays de la CEDEAO pourraient ne jamais rejoindre l’ECO, qui est pourtant leur monnaie, notre monnaie.
Je reviendrai plus largement sur le long processus de création de l’ECO pour démontrer cette escroquerie.
Texte recueilli de la page Facebook de l'auteur.
par Demba Moussa Dembélé
COUP DE JARNAC CONTRE L'INTÉGRATION MONÉTAIRE !
EXCLUSIF SENEPLUS - L’accord signé entre Ouattara et Macron va perpétuer le même système sous une forme « rénovée » - Que les réserves de change quittent Paris ne change rien pour les pays africains
Lors de notre séance du samedi de l’économie du 14 décembre, je disais que la France était en train de manœuvrer avec Ouattara pour torpiller le projet de la CEDEAO. L’annonce d’aujourd’hui le confirme,
Ouattara est un cheval de Troie pour la France dans la CEDEAO.
L’accord va peut-être changer le nom du franc CFA mais la servitude monétaire va continuer.
En gardant un taux de change fixe avec l’Euro les banques centrales africaines vont mener les mêmes politiques monétaires en ayant comme objectif prioritaire la lutte contre l’inflation, comme la BCE.
Donc, que les réserves de change quittent Paris pour aller ailleurs ne change rien pour les pays africains. En fait, l’accord signé entre Ouattara et Macron va perpétuer le même système sous une forme « rénovée ».
C’est un très mauvais coup porté contre le processus d’intégration en Afrique de l’Ouest.
La lutte continue contre la servitude monétaire et la tutelle de la France !
par Pape Demba Thiam
LES DÉFIS À RELEVER AVANT L'ÉCO
EXCLUSIF SENEPLUS - Une des grandes questions reste celle de savoir par quels instruments décider de maintenir ne serait-ce qu’une parité fixe avec n’importe quelle monnaie forte - Il faudrait que les leaders de la zone UEMOA en prennent la mesure
Je crois qu’il s’agit d’abord d’une décision politique dont les modalités pratiques de la mise en œuvre doivent encore faire l’objet de beaucoup de travail dans les prochains mois. Parce que la seule manière de changer du CFA à l’ECO du tic au tac, serait simplement d’en changer le nom tout en gardant les mécanismes de fonctionnement. Or ceci ne semble pas être le cas puisque le “Compte d’Operations” est prévu pour disparaître dans le même temps qu’on dit que la parité fixe avec l’Euro sera maintenue. Attention, on dit bien “la” parité, pas “une” parité, ce qui voudra dire qu’un Euro équivaudrait toujours à 655,956 ECO. Ce sont deux paramètres de travail qu’il faudrait pouvoir réconcilier par des stratégies qui conviennent à la diversité des économies de l’UEMOA.
Je retiendrais donc plutôt la volonté de ne pas abandonner un outil d’intégration monétaire important et indispensable tout en espérant que la nouvelle monnaie ira au delà d’un simple instrument de paiement pour devenir un instrument de politique économique. Pour ce faire, battre sérieusement la nouvelle monnaie ECO, ne pourrait pas s’affranchir des principes universels de la théorie quantitative de la monnaie dont la création dépend aujourd’hui de la volonté d’endettement de l’économie.
Monnaie et crédit étant inséparables, une des grandes questions reste celle de savoir par quels instruments décider de maintenir ne serait-ce qu’une parité fixe avec n’importe quelle monnaie forte. Ce défi est à portée de réflexion, une société ne se posant que des questions qu’elle peut résoudre. Il faudrait cependant que les leaders de la zone UEMOA en prennent la mesure et mettent en place une commission d’experts pour les aider à naviguer cette nouvelle perspective.
LE FCFA, TOUTE UNE HISTOIRE
Depuis les indépendances, la devise créée en 1945 par la France dans les deux régions africaines de son empire colonial a évolué en ne cessant de faire débat
Le président ivoirien Alassane Ouattara a annoncé, ce 21 décembre, aux côtés d'Emmanuel Macron, la disparition prochaine du FCFA au profit de l'éco, en Afrique de l'Ouest. La devise créée en 1945 par la France dans les deux régions africaines de son empire colonial circule dans 14 pays d’Afrique de l’Ouest et centrale qui forment la « zone franc », en plus des Comores. Soit 173 millions d’habitants. Depuis les indépendances, elle a évolué en ne cessant de faire débat.
Le franc des Colonies françaises d’Afrique (CFA) est né par décret, en même temps que celui des Colonies françaises du Pacifique (CFP, Indochine), le 25 décembre 1945. Ce jour-là, le gouvernement provisoire de la France dirigé par le général de Gaulle ratifie les accords de Bretton Woods. Il fait sa première déclaration de parité franc-dollar au tout nouveau Fonds monétaire international (FMI). Il s’agit d’une mesure technique sans grand débat, comme le signale l’intitulé du décret, « fixant la valeur de certaines monnaies des territoires d’outre-mer libellées en francs ».
La « zone franc » créée de facto par la France avec ses colonies, où elle émet localement des monnaies qui portent le nom de « franc », a déjà été officialisée en 1939, par le biais d’un autre décret instaurant le contrôle des changes en métropole et « Outre-Mer ». Cette zone se trouve scindée en deux en 1945 : l’inflation a été moins forte dans les colonies durant la Seconde Guerre mondiale que dans la métropole. Du coup, lors de sa création, le franc CFA est plus fort que le franc français (FF), puisqu’il vaut 1,70 FF. Il repose sur quatre grands principes : parité fixe garantie par le Trésor public français, convertibilité et liberté des flux de capitaux dans la zone franc, en plus de la centralisation des réserves de devises des instituts d’émissions locaux, déposées auprès du Trésor public français. Lorsque le franc français est dévalué le 17 octobre 1948 par rapport au dollar, la valeur du CFA se renforce encore, de manière mécanique. Elle passe à 2 FF.
Les indépendances
Au moment des Indépendances, les choses se compliquent. En 1954, l’Indochine disparaît et avec elle le CFP. Le Vietnam, le Laos et le Cambodge vont créer leurs devises respectives, le dong, le kip et le riel. Le Maroc et la Tunisie, indépendants en 1955 et 1956, remplacent les francs « tunisien » et « marocain », l’un en restaurant le dirham en 1959, l’autre en frappant sa monnaie, le dinar, en 1958. L’Algérie, colonie française de peuplement où le franc français se trouve en circulation, instaure le dinar en 1964, deux ans après son indépendance.
En 1958, le « non » de la Guinée de Sékou Touré à l’Union française proposée par De Gaulle signifie une sortie de la zone franc, accomplie en 1960 avec la création d’un « franc guinéen ». Cette devise coupe les ponts avec l’ex-métropole, contrairement à ce que laisse supposer son nom. Au Mali de Modibo Keïta, le Parlement refuse de signer en mai 1962 le traité portant création de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA), qui deviendra l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), en 1994. Le pays sort dans la foulée de la zone franc et fait fabriquer le « franc malien » en Tchécoslovaquie. Il rejoindra la zone franc bien plus tard, en 1984. Quant au président du Togo fraîchement indépendant, Sylvanus Olympio, il rejette aussi le traité UMOA et entend battre monnaie. Il est assassiné le 13 janvier 1963, dans des conditions restées mystérieuses, au moment où sont publiés les statuts d’une Banque centrale togolaise qui ne verra pas le jour.
De son côté, le CFA ne change pas d’acronyme, mais devient en 1958 le franc de la « Communauté française d’Afrique ». Après les indépendances, en 1962, son « F » correspond plutôt à « la Communauté financière d’Afrique » dans l’UMOA (Côte d’Ivoire, Dahomey, Haute-Volta, Niger, Sénégal, Togo). Nuance : le même franc est celui de la « Coopération financière en Afrique centrale » pour les membres de l’Union monétaire de l’Afrique centrale (UMAC), Cameroun, Gabon, Congo-Brazzaville, République centrafricaine et Tchad. Si l’on parle de CFA partout, la devise est scindée en deux, chaque région ayant son code ISO international, XOF et XAF. Les deux CFA sont convertibles avec toutes les devises, ainsi qu’entre eux. Le franc comorien (KMF) fait partie de la famille, en tant que cousin éloigné de la zone franc.
Nouveau franc français et vent de fronde
Lorsque le nouveau franc français est créé en janvier 1969 par le général de Gaulle, pour une valeur de 100 anciens francs, le CFA change encore mécaniquement de valeur, passant de 2 à 0,02 FF. Les critiques de la période des indépendances ressurgissent. L’économiste égyptien Samir Amin préconise en 1969, dans un rapport qui porte son nom, le passage à des monnaies nationales, avec le CFA comme monnaie commune et non plus unique. Il reprend des recommandations déjà faites en 1960 par le Sénégalais Daniel Cabou, gouverneur de Saint-Louis, qui plaidait pour une «union africaine des paiements».
Un mouvement de fronde part de la fin de la convertibilité du dollar en or, décidée par Nixon en août 1971, mettant fin au régime de change fixe hérité de Bretton Woods. À partir de cette date, le dollar se met à fluctuer. « Les Africains se disent qu’avec la hausse des cours des matières premières, ils perdent au change en raison de la parité fixe et non flottante du CFA par rapport au FF, explique l’économiste togolais Kako Nubukpo, de manière factuelle, sur un sujet qu’il connaît bien, étant l’un des principaux détracteurs actuels du CFA. Ils aspirent à une monnaie plus forte qui leur permettrait d’importer plus. »
Le président du Niger Hamani Diori, qui avait commandé le rapport Samir Amin, est soutenu par le Congo-Brazzaville, le Cameroun et le Togo. Il demande en janvier 1972 à Georges Pompidou, son homologue français, une réforme de la zone franc. La fronde incite la Mauritanie à quitter la zone pour créer l’ouguiya, et Madagascar à rétablir l’ariary en lieu et place du franc malagasy (ou « franc malgache ») en mai 1973.
La révision du système CFA est accordée en décembre 1973, mais pas dans les termes préconisés par Samir Amin, auteur de L’Afrique de l’Ouest bloquée, L’économie politique de la colonisation, 1880-1970 (Éditions de minuit, Paris, 1971). La principale mesure fait passer de 100 % à 65 % le niveau des réserves de devises placées auprès du Trésor français. La Banque ouest-africaine de développement (BOAD) est créée, avec son siège placé à Lomé, pour faire plaisir au général Eyadéma, qui a osé tenir tête à Pompidou sur le CFA lors d’une visite officielle, en novembre 1972. Le « rapatriement » des sièges des banques centrales africaines de la zone franc, situés rue du Colisée, dans le VIIIe arrondissement de Paris, est décidé. L’africanisation des cadres commence alors, même si physiquement, ce n’est qu’en 1977 que la Banque centrale des Etats d’Afrique centrale (BEAC) s’installe vraiment à Yaoundé et la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) en 1978 à Dakar.
La dévaluation du 12 janvier 1994
La Guinée équatoriale, seul pays hispanophone d’Afrique, entre dans la zone d’influence de la France et adopte le CFA en 1985, onze ans avant la découverte de ses gisements de pétrole. Sur le continent, les années 1980 sont celles de l’ajustement structurel, une mise au pas des pays endettés selon la doxa libérale en cours au FMI et à la Banque mondiale, avec dérégulation de l’économie et ouverture au libre marché. Cet effort d’ajustement réel est fait au prix de nombreux sacrifices, au lieu d’une dévaluation monétaire que rejettent les chefs d’État de la zone franc. Les salaires sont bloqués, les embauches gelées dans l’administration et des coupes claires faites partout, notamment dans les dépenses sociales.
La chute des cours des matières premières et la dépréciation du dollar, à partir de 1985, font que les recettes à l’exportation diminuent, mettant à mal les budgets, et par ricochet le niveau de la dette extérieure. L’échec de l’ajustement structurel conduit la France à envisager une dévaluation monétaire, sous les auspices du FMI, qui suspend son aide aux pays de la zone franc à partir de 1991. Dès août 1993, la convertibilité du CFA est suspendue, en raison des rumeurs de dévaluation, sur fond de fuite des capitaux hors de la zone franc. Il devient impossible de changer des CFA contre toute devise hors de la zone franc, et impossible de convertir des XOF en XAF, même dans la zone franc – une mesure contre la spéculation qui n’a jamais été levée par la suite. En septembre 1993, la « doctrine d’Abidjan », ou « doctrine Balladur » - du nom du Premier ministre français Edouard Balladur -, conditionne le soutien financier de la France à l’adoption de programmes du FMI.
Dévaluer ou pas ? Edouard Balladur est pour, mais le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny est farouchement contre. Le président français François Mitterrand écoute les deux avis, mais ne tranche pas. En décembre 1993, la mort d’Houphouët donne les mains libres aux partisans de la dévaluation. Sous couvert d’un sommet des chefs d’État de la zone franc au sujet d’Air Afrique à Dakar, une dévaluation de 50 % du CFA et de 33 % du franc comorien est imposée le 11 janvier 1994 à 14 chefs d’État africain, qui signent à contrecœur en présence de Michel Roussin, ministre français de la Coopération et de Michel Camdessus, directeur général du FMI. Du jour au lendemain, le CFA passe de 0,02 FF à 0,01 FF. Les populations des pays de la zone franc voient leur pouvoir d’achat divisé par deux. Des mesures d’accompagnement suivent, de même qu’un coup de fouet à l’exportation des matières premières, mais le choc est brutal.
Arrimage à l’euro en 1999 et polémiques
En 1997, c’est au tour de la Guinée-Bissau, ancienne colonie portugaise, d’entrer dans la zone franc, ce qu’elle demande depuis la fin des années 1980 pour sortir de sa spirale inflationniste (45 % en 1995). Au moment du traité de Maastricht, Paris a fait valoir le principe de « subsidiarité » pour continuer à gérer la zone franc, qu’elle ne peut plus réformer, en principe, sans consulter ses partenaires européens. Que signifie la subsidiarité ? « La responsabilité d’une action publique, lorsqu’elle est nécessaire, revient à l’entité compétente la plus proche de ceux qui sont directement concernés par cette action », renseigne Wikipédia. Le principal argument de la France en faveur du CFA : la stabilité économique et l’assurance d’une bonne gestion, en raison des critères de convergence en vigueur dans la zone franc, avec une inflation en principe limitée à 3 % par an, une dette publique qui ne peut pas dépasser 70 % du PIB et un déficit budgétaire limité à 3 % du PIB.
Les débats, portés entre autres par des économistes africains tels que Kako Nubukpo et Mamadou Koulibaly, opposant ivoirien, ont gagné en intensité en 2015, dans un contexte de croissance non inclusive en Afrique et de crise en Europe (dette publique en Grèce, campagne du Brexit). Ces économistes estiment que le CFA est trop fort, par rapport à la faiblesse des économies où il circule, et qu’il pénalise les exportations. Reprise par les tenants d’un certain nationalisme africain comme Kemi Seba, qui a brûlé un billet de FCFA en septembre 2017, la polémique ne fait qu’enfler, alors qu’elle ne devrait, en toute logique, ne pas avoir de raison d’être. Le sociologue sénégalais Lamine Sagna, spécialiste de l’argent, rappelle en effet que ces débats vont devenir caducs avec l’adoption de la monnaie commune ouest-africaine, l’éco, prévue par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest pour 2020. Ce 21 décembre, le président Ouattara a donc annoncé, en présence du chef de l'Etat français Emmanuel Macron, que l'éco remplacera le FCFA prochainement en Afrique de l'Ouest. Les huit pays de l'actuelle zone franc dans cette partie du continent vont, par ailleurs, couper les liens techniques avec le Trésor et la Banque de France, ils géreront eux-mêmes cette monnaie sans interférence de la France.