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22 avril 2025
Diaspora
L'ÉCOLE POUR TOUS RESTE UN MIRAGE
Un bond historique dans la scolarisation mondiale ne suffit pas à masquer les inégalités persistantes. Alors que seuls 3% des enfants des pays riches sont privés d'école, ce chiffre grimpe à 33% dans les nations les plus pauvres
(SenePlus) - L'UNESCO vient de publier jeudi son rapport annuel sur l'éducation mondiale, présenté à Fortaleza au Brésil, dressant un bilan en demi-teinte de la scolarisation dans le monde.
D'après les informations rapportées par l'AFP, le nombre d'enfants scolarisés a atteint un niveau historique avec une augmentation spectaculaire de 110 millions d'élèves entre 2015 et 2023, portant le total à 1,412 milliards d'écoliers.
Les taux d'achèvement des études montrent également une progression encourageante. Au niveau primaire, ils sont passés de 85% à 88%, tandis que le secondaire enregistre une hausse de 53% à 59%, représentant 40 millions de diplômés supplémentaires en huit ans.
Cependant, rapporte l'agence de presse, ces avancées sont assombries par un chiffre préoccupant : 251 millions d'enfants demeurent privés d'éducation, une diminution quasi insignifiante de 1% depuis 2015.
Les inégalités entre pays riches et pauvres restent criantes, souligne l'AFP. Dans les nations les plus défavorisées, un tiers des enfants et adolescents n'a pas accès à l'école, contre seulement 3% dans les pays les plus prospères.
L'AFP met en lumière des situations particulièrement alarmantes dans certains pays. En Afghanistan, où les normes sociales et la pauvreté aggravent l'exclusion scolaire, au moins 1,4 million d'adolescentes sont privées d'enseignement secondaire depuis le retour des talibans en 2021. Le Niger fait également partie des pays les plus touchés par ce phénomène.
Ce rapport, précise l'AFP, a été dévoilé lors de la réunion mondiale de l'UNESCO sur l'éducation, organisée dans le cadre de la présidence brésilienne du G20. L'objectif affiché est de "promouvoir le dialogue multilatéral" en réaffirmant le rôle de l'éducation comme "facteur d'égalité sociale et moteur du développement durable".
L'IMPUNITÉ DES MEURTRES DE JOURNALISTES ATTEINT DES SOMMETS ALARMANTS
En deux ans, 162 journalistes ont été assassinés dans le monde. L'équivalent d'une mort tous les quatre jours. Plus inquiétant encore, 85% des meurtres de journalistes depuis 2006 restent non élucidés
(SenePlus) - Selon une information de l'AFP, l'UNESCO publie ce samedi un rapport accablant à l'occasion de la Journée Internationale de la fin de l'impunité pour les crimes contre les journalistes. Le constat est sans appel : 85% des meurtres de journalistes recensés depuis 2006 restent non élucidés, rapporte l'agence de presse.
D'après l'AFP, la directrice générale de l'UNESCO, Audrey Azoulay, dresse un bilan dramatique : "En 2022 et 2023, un journaliste a été tué tous les quatre jours simplement pour avoir fait son travail essentiel de quête de la vérité." Elle ajoute que "dans la majorité des cas, personne ne sera jamais tenu responsable de ces meurtres."
Le bilan des deux dernières années est particulièrement lourd, indique l'AFP : 162 journalistes ont perdu la vie dans l'exercice de leur fonction. La moitié d'entre eux travaillaient dans des zones de conflit armé, où les journalistes locaux représentent 86% des victimes.
Toujours selon l'AFP, le Mexique arrive en tête des pays les plus meurtriers en 2022 avec 19 cas, suivi par l'Ukraine qui a enregistré 11 décès de journalistes. En 2023, l'État de Palestine a connu le plus grand nombre de victimes avec 24 journalistes tués.
L'agence de presse souligne que les femmes journalistes ont été particulièrement ciblées en 2022, avec dix assassinats. Parmi ces victimes, Maria Guadalupe Lourdes Maldonado López, abattue à la frontière américano-mexicaine, et Shirine Abu Akleh, tuée lors d'un raid israélien en Cisjordanie occupée.
L'AFP rapporte également que de nombreux journalistes sont assassinés à leur domicile ou à proximité, exposant leurs familles à des risques considérables. Hors zones de conflit, les victimes couvraient principalement des sujets sensibles comme le crime organisé et la corruption, ou trouvaient la mort en couvrant des manifestations.
Face à ce taux d'impunité préoccupant, conclut l'AFP, l'UNESCO appelle les États membres à intensifier significativement leurs efforts pour traduire en justice les responsables de ces crimes.
LE LOGEMENT, BAROMÈTRE DU CHANGEMENT PROMIS
Alors que les précédentes tentatives de contrôle des prix ont échoué, le nouveau gouvernement prépare un Conseil interministériel crucial. La situation est devenue intenable pour la classe moyenne sénégalaise, poussée toujours plus loin en périphérie
(SenePlus) - D'après Des informations recueillies par Jeune Afrique (JA), le gouvernement prépare activement un Conseil interministériel sur la question du logement. L'enjeu est de taille : il s'agira, révèle le magazine, de traiter simultanément la baisse des loyers et l'accès aux logements sociaux, deux problématiques étroitement liées.
L'ampleur de la crise, détaillée par Jeune Afrique, se mesure aux chiffres de la Commission nationale de régulation des loyers (Conarel). Son président, Momar Ndao, confie au magazine que "61,5 % des locataires ont des difficultés à payer leur loyer". Une situation d'autant plus alarmante que le magazine rappelle que le salaire mensuel moyen au Sénégal reste inférieur à 125 000 F CFA, selon l'Agence nationale des statistiques et de la démographie (ANSD).
Le phénomène le plus inquiétant, note JA, est l'apparition d'une discrimination ouverte envers les locataires locaux. Le magazine cite des annonces explicites mentionnant "NB : pour étrangers", révélant une préférence assumée pour les locataires expatriés. Elimane Sall, président de l'Association pour la défense des locataires du Sénégal (ADLS), explique dans les colonnes du magazine : "Les bailleurs estiment que les Sénégalais sont de mauvais payeurs, contrairement aux étrangers qui peuvent payer plusieurs mois d'avance."
L'enquête de Jeune Afrique dresse une cartographie éloquente des prix. Dans le centre-ville de Dakar (Plateau), les loyers atteignent 400 000 à 500 000 F CFA pour un appartement de deux chambres, et 300 000 F CFA pour un studio. Même la périphérie n'est plus épargnée : le magazine rapporte qu'un studio proche des axes de transport peut coûter jusqu'à 150 000 F CFA.
Selon JA, la classe moyenne contribue involontairement à cette inflation. Jean Malou, ingénieur statisticien à l'ANSD, explique au magazine que les jeunes cadres, coincés entre l'impossibilité d'accéder à la propriété et le refus des logements précaires, acceptent des loyers élevés, alimentant ainsi la spéculation.
Le magazine rappelle que le précédent gouvernement avait déjà tenté de réguler le marché avec le décret 2023-382 du 24 février 2023, imposant une baisse échelonnée des loyers (15% pour les loyers jusqu'à 300 000 F CFA, 10% entre 300 001 et 500 000 F CFA, 5% au-delà) et un plafonnement des cautions. Mais Jeune Afrique souligne que ces mesures ont été largement contournées par les bailleurs.
L'enquête met également en lumière un phénomène de gentrification accélérée. Les quartiers desservis par les nouveaux transports en commun (TER et BRT) voient leurs prix grimper, créant de nouvelles zones d'exclusion pour les Sénégalais moyens, rapporte le magazine.
Face à ces défis, note Jeune Afrique, le gouvernement Sonko, qui a fait de la réduction du coût de la vie une priorité, devra trouver des solutions innovantes. Le prochain Conseil interministériel, conclut le magazine, aura la lourde tâche d'élaborer une régulation efficace, tout en préservant l'équilibre entre les intérêts des propriétaires et l'accessibilité au logement pour tous les Sénégalais.
par l'éditorialiste de seneplus, tidiane sow
LA THÉORIE DES « PASSAGERS CLANDESTINS », DU BALLON D’OR AU PASTEF
EXCLUSIF SENEPLUS - Plein de « Rodri » ayant profité des indicateurs collectifs positifs du parti présidentiel se sont grassement installés comme maires et députés. La peur de l’indicateur individuel les pousse dans des coalitions contre nature
Dans les trophées remportés par l’Espagne, était-il meilleur que Carvajal* ? Certains diront que oui, arguant qu’il a été désigné meilleur joueur de l’Euro, sa seule distinction individuelle. Dans les trophées remportés pas Manchester City, était-il meilleur que Foden* ? Sûrement pas. Tout se passe comme si on ramenait alors l’exploit collectif de l’équipe d’Espagne et du club Manchester City à un exploit individuel de Rodri. L’exploit dit individuel serait dès lors une conséquence de la réussite collective. Rodri n’est pas meilleur joueur de Premier League, le championnat où il évolue. Pire, il n’est même pas le meilleur joueur de Manchester City, club dans lequel il joue.
Rodri est donc élu sur la base d’indicateurs collectifs qui ne sont pas, comme bien souvent, la solution aux divers problèmes que l’on se pose, notamment celui de l’octroi du Ballon d’or.
La fragilité des indicateurs collectifs repose sur le phénomène « du passager clandestin » bien connu des économistes et des politiques. Il consiste à ne rien faire et profiter de l’effort d’autrui. Sans aller jusqu’à dire que Rodri n’a rien fait, on dira qu’il a largement profité des bonnes performances de l’équipe d’Espagne et de celles de son club Manchester City. D’où la controverse de sa nomination.
Évidemment, si tout le monde tenait ce raisonnement fort rationnel au demeurant, (je fais le minimum, je profite des efforts des autres), la conséquence collective pourrait être désastreuse. Par exemple, j’étais frappé de voir les quartiers huppés de Sandton à Johannesburg dans le noir complet, faute d’éclairage public. Personne ne voulant « cotiser » pour des lampadaires publics, chacun se contentait d’éclairer sa maison et de poser des barbelés électrifiés pour se prémunir de toute intrusion. Chacun jouait en quelque sorte au « passager clandestin », ce qui expliquait l’absence de l’éclairage public. On observe le même phénomène en ce qui concerne les ordures publiques dans nos cités. Ce n’est le problème de personne. Chacun pense que c’est quelqu’un d’autre qui doit en prendre soin. Les solutions préconisées par la théorie économique pour résoudre ce problème de « passager clandestin » seraient alors, de faire intervenir l’État, ou des sociétés privées pour prendre en charge l’éclairage public ou pour mettre des camions de ramassage d’ordures à la disposition des ménages. En contrepartie, ils obligeraient les citoyens à en payer le prix sous forme de taxes.
Prenons notre environnement politique. Le Pastef refuse les « passagers clandestins » dans cette élection législative. Il a décidé de ne pas s’embarquer dans une coalition souvent encombrante où il jouerait tout seul le rôle de la locomotive et les autres, de wagons. De son expérience avec la coalition « Yeewi Askaan Wi », le Pastef a tiré la leçon des « passagers clandestins » ayant profité de sa notoriété, de son envergure et de l’aura de son chef. Cette fois, il livrera la bataille sous sa bannière. Cela est nouveau dans le paysage politique sénégalais. Plein de « Rodri » ayant profité des indicateurs collectifs positifs du Pastef se sont grassement installés comme maires et députés. C’est le cas notamment du plus turbulent d’entre eux, le maire de Dakar.
La peur de l’indicateur individuel les hante, au point de les pousser à s’allier dans des coalitions contre nature, dans le seul but de se réfugier dans des indicateurs collectifs. Le peuple sénégalais n’est toutefois pas dupe, il a tôt fait de repérer ces partis « yobalé ma » *, car leurs jeux répétés de se mettre tout le temps en coalition et de ne jamais « se peser », c’est-à-dire profiter de l’éclairage public sans payer sa contribution, finit par les perdre.
Dr Tidiane Sow est Coach en Communication politique.
Notes :
-Palmarès de Rodri : Eueor 2024 ; meilleur joueur de l'Euro ; Premier League ; Coupe du monde des clubs ; Supercoupe de l’UEFA ; Community Shield
-*Rodri, Carvajal et Foden : joueurs de football
-*Yobalé ma : « emmènes-moi avec toi »
par Mamadou Diop
QUAND AMADOU BA PRÉTEND RÉPONDRE À OUSMANE SONKO
Face aux accusations de mauvaise gestion portées par le nouveau gouvernement, l'ancien Premier ministre multiplie les références à son intégrité personnelle. Cette stratégie, analysée sous le prisme des théories de Roland Barthes, trahit ses faiblesses
Je ne peux pas m'abstenir d'engager un petit débat-fut-il prétentieux de ma part avec Amadou Ba ex-Premier ministre sous le régime de Macky Sall. Dans sa dernière sortie médiatique, Amadou Ba cherche à travailler son ethos dans un discours que j'appréhende comme une réplique non assumée face aux déclarations du Premier ministre, Ousmane Sonko qui tenait à rendre compte de la situation en ruine qu'il vient d'hériter de Macky Sall et de son gouvernement. Il me paraît important en tant qu'analyste du discours politique et du discours en général, de relever des distorsions discursives qui mettent à "nue", expression doublement sémantique, car renvoyant aussi bien à la face déformée du locuteur, qu'à ce roman graphique sur le thème du cancer du sein donnant ainsi à entendre la situation de ruine dans laquelle Bah et les pontes de l'ex régime ont plongé le Sénégal.
J'entame mon propos par une citation de Roland Barthes, qui élucide un concept devenu à nos jours incontournable dans les sciences humaines et sociales. Il s'agit de la notion d'"Ethos", concept pluridisciplinaire qui éclaire l'auditeur ou l'auditoire sur la façon dont la personne qui parle façonne son image à travers le choix du registre de langue et des mots dans la production textuelle de son dire. Revenons à cette notion centrale avec Barthes. Pour le linguiste l'ethos s'appréhende comme « les traits de caractère que l'orateur doit montrer à l'auditoire (peu importe sa sincérité) pour faire bonne impression : ce sont ses airs [...] L'orateur énonce une information et en même temps il dit : je suis ceci, je ne suis pas cela".
À ce titre, Amadou Ba contrevient à ce principe discursif, car il opère une focalisation sur sa personne dans le but de se rendre digne de foi : « Ce que l'orateur prétend être, il le donne à entendre et à voir : il ne dit pas qu'il est simple et honnête, il le montre à travers sa manière de s'exprimer »
Le caractère verbal de l'image pose problème dans sa formulation si tenté que l'entreprise de persuasion ne réussit que si "cette confiance soit l'effet du discours, non d'une prévention sur le caractère de l'orateur".
Dans la même veine, et pour un souci simple qui consiste à se conformer à cette exigence de clarification notionnelle afin que le lecteur ne rencontre quelque difficulté d'adaptation à mon propos, j'évoque toujours Barthes pour éviter que l'on tombe dans le piège enfoui dans le discours d'apparat, qui vise à haranguer l'auditoire enfermé dans une salle de maison. Si l'ethos discursif doit s'envelopper de certaines qualités d'ordre intellectuel voire moral, susceptibles d'éveiller la confiance et d'entraîner la persuasion, celles-ci doivent, cependant, être adossées aux traits appropriés à l'entreprise de persuasion dans laquelle s'inscrit Amadou Ba, et qui doit être conforme au modèle institutionnel dont se réclame son discours. En effet, les objectifs recherchés par l'ancien Premier Ministre de Macky Sall renvoient à un sujet intentionnel qui affiche une activité délibérée d'un acteur politique qui cherche à gérer l'image qu'il lui faut créer dans une situation donnée : une situation de reddition des comptes programmée au sortir des législatives du 17 novembre 2024.
L'ethos, tel que la rhétorique l'envisage, entretient une relation essentielle avec la persuasion, c'est-à-dire l'art de convaincre les destinataires du message afin qu'ils adhérent à un certain point de vue. Amadou Ba cherche non seulement à influer sur une future décision de justice, mais à modifier ou à déconstruire la doxa, c'est-à-dire l'opinion que l'électorat sénégalais se fait majoritairement du leader du Pastef, Ousmane Sonko dont les idées ont fini de s'agréger pour devenir une idéologie. Ses pensées sont devenues un "discours qui, en mobilisant des genres très divers, façonne l'existence de vastes communautés de conviction, qui assigne une identité aux individus et donne sens à leur existence".
La prise en compte du lexique chez Amadou Ba est particulièrement importante de ce point de vue et je ne me focaliserai pas sur les lexèmes ouvertement idéologiques dont il a recouru, mais plutôt sur des lexèmes (adjectifs, substantifs, adverbes, déictiques) qui relèvent de la dimension expérientielle de l'orateur et qui sont en mesure de jouer à la fois sur le dire et sur l'énonciation. Mais en réalité, que cherche à faire Amadou Ba si ce n'est de tenter de déconstruire la doxa, cette opinion que les Sénégalais ont majoritairement de lui et son ex-mentor Macky Sall.
Si l'on revient à ce qu'il qualifie d'une "séance de travail", en l'occurrence son discours nous voyons, qu'au-delà du rituel d'usage discursif qui ouvre toute allocution (salutations, décor etc), Amadou Ba se pose comme ce prophète qui avait alerté sur l'urgence d'une action coordonnée des services de l'État :
« mobiliser toutes les ressources du pays pour répondre efficacement à cette crise / protéger nos populations et prévenir de nouvelles tragédies / je me tiens devant vous aujourd'hui pour m'adresser directement aux Sénégalais, car il est de mon devoir et de ma responsabilité pour mettre en lumière les réalités que traverse notre pays/ Depuis l'arrivée des nouvelles autorités , il y a de cela six mois, j'ai choisi librement de garder le silence, mais un silence qui n'est pas du tout de l'indifférence. J'ai volontairement refusé de multiplier les interventions publiques pour leur laisser le temps de s'installer, de prendre connaissance des dossiers et surtout de présenter leur vision pour sortir le Sénégal des difficultés croissantes auxquelles il est confronté ».
Cette allocution m'intrigue de par ses contrariétés et de par ses contradictions. Pour Amadou Ba, plutôt que de contester la situation difficile que le nouveau régime est en train de traverser et qui est imputable au régime de Macky Sall, il donne implicitement raison au Premier ministre Ousmane Sonko qui, lors d'une conférence de presse, avait dénoncé une dette colossale dissimulée et un déficit budgétaire travesti par le régime de Macky Sall. Cette sortie médiatique du gouvernement donna lieu à une polémique sur la scène nationale et internationale.
Ce qui me paraît à juste titre un peu rebutant dans le discours d'Amadou Ba, ce sont les emplois récurrents et trop répétitifs des déictiques de la première personne « je », « moi, me, m' », et cela dénote, non seulement un narcissisme exacerbé du locuteur, mais également une angoisse existentielle chez lui. Le chef de file de la coalition « Jam ak njariñ » pour les législatives anticipées ne nient pas les allégations de l'actuel gouvernement dirigé par Ousmane Sonko. En revanche, Amadou Ba semble réfuter à titre personnelle son implication sur toute malversation ou gabegie sous quelque forme qu'elle puisse être.
À ce titre, « l'ethos se montre dans l'acte d'énonciation, il ne se dit pas dans l'énoncé, ce qui met en difficulté Amadou Ba qui tente de justifier ce qu'il prétend qualifier d'accusations portées contre sa personne. Pour donner à voir cet « ethos dit » à la place de l'« ethos montré » qui devrait envelopper son énonciation sans être explicité, Ba nous parle de lui-même tout en versant dans la prétérition : « Je ne suis pas ici pour m'engager dans des polémiques, ni répondre par l'invective parce que les attentes du pays sont ailleurs. Je dois néanmoins rétablir la vérité avec sincérité et sérénité et rappeler les faits rien que les faits » comme si l'on est en présence des Confessions de Rousseau, roman autobiographique dans lequel l'auteur entendait dire toute la vérité.
Mais puisque nous sommes en matière d'État, Amadou Ba ne devait pas se dérober à cette obligation rousseauiste. Sa stature d'homme d'État qui a eu à gérer nos deniers publics et à piloter notre administration voudrait qu'il dise toute la vérité sur sa gestion :
« J'ai gravi les échelons au mérite depuis le début comme inspecteur des impôts, commissaire contrôleur des assurances, inspecteur vérificateur jusqu'à mes fonctions de chef de centre des grandes entreprises, directeur des impôts avant de devenir directeur général des impôts et des domaines pendants sept ans, ministre de l'économie (6 ans), ministre des affaires étrangères et enfin Premier ministre. J'ai toujours mis l'intérêt du Sénégal au-dessus de tout ».
L'énonciation s'inscrit implicitement dans une dynamique réactive. L'orateur tente de justifier sa fortune prétendument excessive. Il me semble que, Amadou Ba manque de rigueur intellectuelle et de probité morale dans la mesure où, en dépit des positions hautement stratégiques occupées dans l'administration sénégalaise, l'ex Premier Ministre n'arrive pas à convaincre par la preuve. Il n'en brandit aucune et à la place il nous sert des allégations à la tonalité rebutante :
« J'ai toujours servi le Sénégal avec rigueur, transparence et intégrité. Aucun acte, aucune écriture ne peut m'être imputé dans quelque gestion frauduleuse ou malversation que ce soit, et je le dis avec foi, fermeté et solennité. Je n'ai jamais été épinglé dans aucun rapport d'audit. J'ai servi mon pays dans le respect strict des règles de bonne gouvernance. Aujourd'hui, certains m'accusent sans apporter la moindre preuve concrète [...] Je n'ai jamais falsifié les statistiques budgétaires et je nourris un doute profond sur la véracité de ces allégations ».
Dans ce discours, l'orateur travaille sur un paradigme constitutif du discours politique, à savoir le fait de susciter le pathos dans ses propos pour en faire une preuve à côté du logos afin que « le destinataire construis[e] une représentation évaluée du locuteur en s'appuyant sur les catégories et les normes de la communauté concernée »
Dans cette perspective, l'ethos de victimisation interagit avec les représentations que le public se fait de lui et qui sont antérieures à son discours. Ainsi, il est dans une mise en scène repérable dans la mobilisation du « je » pour en arriver à projeter l'image d'un commis de l'État orthodoxe, intègre et serviteur de son peuple. Les adverbes sont bien choisis et ils confortent l'idée de persévérance au service de l'État « toujours », « jamais ». Le décor colle bien avec l'endroit choisi pour tenir un pareil discours comme en atteste l'approbation de la foule, ce que le locuteur a consciemment suscité :
« Quand je parle en public, c'est l'approbation du peuple que je veux. Car l'orateur qui par son langage réussit à avoir l'agrément de la multitude, il est impossible qu'il n'ait pas aussi l'agrément des connaisseurs »
Nous sommes dans un processus de prévention qu'Amadou Ba opère sur sa personne. L'orateur convoque deux composants, « le statut institutionnel, les fonctions ou la position dans le champ qui confère une légitimité à son dire [et] l'image que l'auditoire se fait de la personne préalablement à sa prise de parole (la représentation collective, ou stéréotype, qui lui est attachée »
La construction d'un ethos d'homme intègre fonctionne comme un moyen d'échapper à d'éventuelles poursuites judiciaires :
« Je tiens aussi à préciser clairement depuis mon entrée dans le gouvernement en septembre 2013, aucun terrain ne m'a été attribué, aucun immeuble, aucun appartement, aucune villa de l'État ne m'a été cédé ou octroyé sous quelque forme que ce soit. Ces accusations d'accaparement de bien publics me concernant sont injustifiés et relèvent de la pure calomnie, du dénigrement. Je n'ai jamais détourné les biens de l'État ni failli à ma mission de service public [...] En tant que serviteur de l'État, je n'ai jamais menti au peuple sénégalais ni cherché à me dérober à mes responsabilités. Ce parcours, je l'ai mené avec honnêteté et j'ai la conscience tranquille. Ces accusations apparaissent dans un contexte particulier, celui de la préparation d'une campagne électorale où on cherche à semer la confusion, discréditer ceux qui comme moi, ont consacré leur vie au service de la nation. Mais je tiens à être clair, rien ne m'empêchera, à part le bon Dieu, d'aller à la rencontre des Sénégalais pour défendre ma vision et mon engagement pour le pays [...] Il est essentiel de rappeler les faits et de dresser les faits objectifs de mon passage à la tête du ministère des finances »
En témoigne la modalité auto-référentielle qui traverse tout son discours, en ce sens que l'orateur ne cesse de parler de lui-même au travers des déictiques personnels du type « je », « mon », « m' » et qui sont autant de variations morphologiques renvoyant à la même référence discursive.
En définitive, Amadou Ba, en tant qu'acteur du monde politique use de subterfuges discursifs pour se conférer une réputation qui tient à deux sources, l'une fonctionnelle et l'autre personnelle. Son statut d'homme politique lui donne une réputation liée à son champ d'activité (efficacité, connaissance des dossiers, honnêteté) et un ethos lié à sa vie privé (pour lui, il partage ce qu'il a acquis comme fonctionnaire compétent). Cependant le locuteur semble oublier que l'ethos qu'il tente de projeter dépend de l'époque, du type de discours et du contexte communicationnel. Il semble oublier que les électeurs dont il convoite le suffrage l'ont désavoué clairement face à ses opposants d'alors devenus actuellement Président de la République et Premier ministre.
par l'éditorialiste de seneplus, Amadou Elimane Kane
UN TEMPS POUR LA DÉCOLONISATION CULTURELLE
EXCLUSIF SENEPLUS - C’est la capacité de « réappropriation » de son patrimoine historique, culturel, social, politique et économique. Il s’agit, en d’autres termes, d’opérer une rupture épistémologique avec tous les méfaits de la colonisation
Amadou Elimane Kane de SenePlus |
Publication 31/10/2024
L’homme qui exerce des responsabilités politiques est un citoyen engagé auprès de son peuple et qui développe son combat à toutes les échelles fondatrices de la société. Ses exigences politiques et économiques doivent s’accompagner d’un engagement intellectuel, social et culturel.
En ces termes, on peut dire que l’homme politique est un être social, intègre, bâtisseur et convaincu qui défend des valeurs morales, culturelles, politiques et économiques dont son peuple se réclame.
C’est en ce sens que les dirigeants africains, face aux enjeux majeurs du 21ème siècle, doivent aujourd’hui œuvrer pour construire efficacement et durablement le socle de la renaissance africaine.
C’est à partir de ce postulat que nous développerons les conditions nécessaires à la bonne gestion d’un État, à sa cohérence démocratique, intellectuelle, culturelle et unitaire.
Après les indépendances et le processus de décolonisation, les dirigeants africains ont, pour la majorité, exercé leur pouvoir sur les décombres du colonisateur avec ses effets de dépendance économique, bureaucratique, sociale et culturelle. Ce long travail de désintégration de la culture africaine a eu, comme nous le savons, des conséquences désastreuses sur le continent et sur le peuple africain. Toutes ces forces de « dépersonnalisation » ont conduit certains États et leurs dirigeants à continuer de nier l’existence des valeurs africaines, d’un fonctionnement social singulier et d’une culture riche adaptée à son environnement, poursuivant ainsi le travail de division coloniale et dépossédant encore les peuples de leur patrimoine culturel et de leur estime identitaire.
L’impérialisme colonial a fait son œuvre pour pouvoir maintenir le continent africain dans un état de dépendance économique, sociale et culturelle, à telle enseigne que celui-ci ne puisse faire régner sa souveraineté continentale et assurer ses capacités d’autonomie économique, sociale et culturelle.
Les sciences, les avancées technologiques, les valeurs culturelles, la pensée sont un patrimoine universel. En aucun cas, elles ne sont le monopole des puissances colonisatrices. La culture africaine a autant de force et de richesse que la pensée européenne ou chinoise. Elles se nourrissent les unes des autres pour aboutir à ce que l’on nomme les croyances universelles qui puisent leur fondement dans la singularité de l’une pour enrichir l’autre.
Autrement dit, les États d’Europe qui ont colonisé les États d’Afrique, ne sont pas les détenteurs intellectuels, culturels et économiques du développement véritable et durable du continent africain.
Durant longtemps et en maintenant cette oppression mensongère visant à installer un sentiment d’infériorité intellectuelle, scientifique et administrative en Afrique, les puissances coloniales n’ont fait qu’exploiter les richesses du continent africain, au détriment des peuples et de leurs capacités à s’autogérer.
« La culture, c’est la façon dont une société donnée dirige et utilise les ressources de la pensée ». C’est de cette faculté culturelle ancestrale et moderne dont doit se doter l’Afrique pour recouvrir sa véritable identité.
C’est en cette « reconstruction » identitaire et en cette « renaissance » historique et culturelle que reposent les responsabilités des dirigeants politiques africains, associés aux hommes de culture, de sciences et aux intellectuels.
Aimé Césaire disait, lors du deuxième congrès des écrivains et artistes noirs en 1959, que « au jour du recul on dira, pour caractériser notre époque, que comme le 19ème siècle a été le siècle de la colonisation, le 20ème siècle a été le siècle de la décolonisation ».
Pour appuyer notre propos, qu’entend-on par le sens du mot « décolonisation » ?
Ce n’est pas seulement le retrait des forces coloniales, c’est la capacité de « réappropriation » de son patrimoine historique, culturel, social, politique et économique. Il s’agit, en d’autres termes, d’opérer une rupture épistémologique avec tous les méfaits de la colonisation et du désordre mental qu’elle a causé.
Cette conception de reconquête culturelle est liée à la volonté politique mais cela ne saurait suffire. Intellectuels, hommes de culture, hommes de sciences et de technologies nouvelles et bien sûr l’ensemble des acteurs sociaux doivent s’unir pour faire émerger cette conscience historique et culturelle.
Comme le précise encore Aimé Césaire : « Dans la société coloniale, il n’y a pas seulement une hiérarchie maître et serviteur. Il y a aussi, implicite, une hiérarchie créatrice et consommateur.
Le créateur des valeurs culturelles, en bonne colonisation, c’est le colonisateur. Et le consommateur, c’est le colonisé. Et tout va bien tant que rien ne vient déranger la hiérarchie. Il y a une loi de confort dans toute colonisation. Si prega di non disturbare. On est prié de ne pas déranger.
Or la création culturelle, précisément parce qu’elle est création, dérange. Elle bouleverse. Et d’abord la hiérarchie coloniale, car du colonisé consommateur, elle fait le créateur. Bref à l’intérieur même le régime colonial, elle rend l’initiative historique à celui à qui le régime colonial s’est donné pour mission de ravir toute initiative historique. »
Le continent africain uni doit retrouver ses élans de créativité et non plus choisir la facilité de l’assimilation. C’est en ces conditions que le bouleversement peut s’opérer, en refusant tout intellectualisme paresseux, en renonçant aux États féodaux, nationalistes, balkanisés pour s’engager honnêtement, sans népotisme, sans gabegie, sans détournement des deniers publics, avec respect total de la chose publique, pour bâtir l’Afrique de demain.
C’est dans ces perspectives fondamentales que j’ajoute ici que le 21ème siècle est celui de la « renaissance africaine ».
Amadou Elimane Kane est poète, écrivain.
ACHILLE MBEMBÉ SALUE L'EXCEPTION SÉNÉGALAISE
Pour le directeur de la Fondation de l'innovation pour la démocratie, ce pays représente bien plus qu'un simple laboratoire politique : il incarne une "cité ouverte pour l'intelligence africaine". Un statut unique qui s'accompagne de nouveaux défis
(SenePlus) - Le philosophe et historien camerounais Achille Mbembé a livré une analyse approfondie de la démocratie sénégalaise lors de la signature ce jeudi 31 octobre, d'une convention entre l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF) et la Fondation de l'innovation pour la démocratie, dont il est le directeur.
"Le Sénégal a été et reste une cité ouverte pour l'intelligence africaine", a déclaré Mbembé, soulignant la singularité démocratique du pays. Pour l'intellectuel, l'histoire démocratique sénégalaise, enracinée "bien avant les indépendances", s'inscrit dans une trajectoire unique qui fait du pays un "exemple symbolique" dans le débat politique africain.
Le récent changement à la tête de l'État sénégalais renforce selon lui cette position particulière. Toutefois, Mbembé insiste sur la nécessité de "traduire cette promesse dans des actes, des institutions et toute une série de réformes qui permettront d'aller de l'avant".
L'universitaire identifie deux priorités majeures pour l'avenir démocratique du pays : l'inclusion des femmes et des jeunes, qu'il qualifie de "catégories subordonnées de nos sociétés". "Une partie de notre avenir dépend effectivement de la libération de ces deux catégories et de l'exploitation des potentialités immenses et riches dont elles sont déposées", affirme-t-il.
Cette vision s'inscrit dans un projet plus large porté par sa Fondation, qui vise à développer un enseignement de haut niveau sur la démocratie en Afrique. "L'enseignement, l'apprentissage et la formation sont des leviers importants de réinvention de la démocratie en Afrique", soutient Mbembé, déplorant le manque actuel de "formations intégrant la construction de savoir-faire et savoir-être démocratiques" dans les institutions africaines.
Le programme, actuellement en phase pilote, implique quatre universités dont l'Ucad. Il ambitionne de créer une "communauté continentale d'enseignants chercheurs" capable de développer une pensée endogène sur la démocratie africaine, contrant ainsi l'idée qu'elle serait "un pur objet d'importation, extérieur à l'histoire africaine".
par Xaadim Njaay
MITTERRAND, L'AUTRE VISAGE COLONIAL
Le soutien de Mitterrand à la répression coloniale et ses menaces envers les indépendantistes du Rassemblement Démocratique Africain (RDA), Houphouët Boigny en particulier, révèlent un engagement pour le maintien de l'influence française
Dans "l’Afrique d’abord ! Quand François Mitterrand voulait sauver l'empire français", Éditions La Découverte, l’auteur, Thomas Deltombe, journaliste et chercheur en histoire, a exhumé un pan entier de la vie de ce membre de la droite nationaliste devenu président de la France.
L’ouvrage offre un éclairage fascinant et critique sur une facette méconnue de François Mitterrand, présenté comme une figure de gauche, mais dont les positions et les actions concernant l'Afrique coloniale révèlent une vision plus complexe et controversée.
Deltombe déconstruit l'image idéalisée de Mitterrand pour montrer comment, ignorant du monde colonial à ses débuts, il a été un fervent défenseur de l'Empire français, notamment en Afrique, où il s'opposait aux mouvements d'indépendance. "Je suis un partisan passionné de la présence et de la grandeur de la France en Afrique", disait-il en 1952.
Le livre paraît d'autant plus pertinent qu'il nous replonge dans une période où les contradictions de la politique française envers ses colonies, et particulièrement en Afrique, sont mises en lumière. Le soutien de Mitterrand à la répression coloniale et ses menaces envers les indépendantistes du Rassemblement Démocratique Africain (RDA), Houphouët Boigny en particulier, révèlent un engagement pour le maintien de l'influence française, contrastant avec l'image d'un dirigeant progressiste sur d'autres fronts.
L'étude de Deltombe, bien que s’inscrivant dans le prolongement d’autres recherches sur François Mitterrand couvrant la période de sa présidence entre 1981 et 1995, notamment ses manœuvres dans les événements au Rwanda pour maintenir le pays dans le giron de la France, se distingue par son objectif spécifique : elle cherche à élucider des faits passés sous silence ou minorés concernant son rôle et ses actions durant la période coloniale. Donc, à combler certaines lacunes historiques dans les récits existants sur l’homme politique.
Un ouvrage absolument à lire et à faire lire.
LA RELÈVE CONFISQUÉE
Dans un pays où la moyenne d'âge est de 19 ans, les leaders historiques continuent de monopoliser les postes clés. Même la victoire de Diomaye, 44 ans, n'a pas suffi à provoquer le grand chambardement attendu dans les états-majors des partis
(SenePlus) - Si l'élection de Bassirou Diomaye Faye à 44 ans comme plus jeune président de l'histoire du Sénégal en mars 2024 semblait augurer d'un renouveau politique, la réalité est plus nuancée. L'ancien président Macky Sall, qu'on pensait en retrait après douze années à la tête de l'État, fait un retour remarqué sur la scène politique. À 62 ans, il prend la tête de la coalition Takku Wallu Sénégal pour les législatives du 17 novembre.
Un paradoxe tenace s'observe au Sénégal, souligne Jeune Afrique (JA) : "l'électorat se renouvelle, pas les dirigeants". Dans les états-majors des partis comme sur les listes électorales, les figures dominantes, majoritairement masculines, restent les mêmes depuis des décennies. Une situation d'autant plus frappante que la moitié de la population n'a pas 19 ans, et que trois Sénégalais sur quatre ont moins de 35 ans.
La défaite du camp présidentiel en mars n'aura pas suffi à bousculer les hiérarchies établies. Jeune Afrique rapporte les inquiétudes qui se manifestaient déjà avant le scrutin : "Notre erreur, c'est d'avoir laissé Ousmane Sonko se positionner sur les questions liées à la souveraineté, à notre rapport avec la France, à notre indépendance. Il occupe désormais tout ce terrain, et nous ne parviendrons pas à le récupérer", confiait un membre de l'ancienne majorité.
Le magazine dresse un tableau édifiant des figures historiques qui s'accrochent au pouvoir : Abdoulaye Wade préside toujours le PDS à 98 ans, Moustapha Niasse dirige encore l'AFP à près de 85 ans malgré une promesse de retraite en 2021, et Idrissa Seck, 64 ans, maintient son emprise sur Rewmi malgré trois échecs présidentiels.
"Une fois une certaine maturité atteinte, on va vers le déclin, par la force des choses", confie à JA un candidat aux législatives ayant quitté sa formation. Il ajoute avec amertume : "Ils vont te répéter que tu peux prendre leur place jusqu'à ce que tu sois vieux comme eux."
La création d'organisations de jeunesse au sein des partis - comme la Convergence des jeunes républicains (APR) ou le Mouvement national des jeunesses socialistes (PS) - ne change pas fondamentalement la donne. Selon un spécialiste cité par le magazine, "les jeunes ont souvent un rôle d'appendice [...]. Ils sont instrumentalisés, mais pas représentés de manière équitable au regard de leur poids électoral et de leur engagement politique."
Quelques figures nouvelles tentent néanmoins d'émerger. Jeune Afrique évoque notamment Anta Babacar Ngom, 40 ans, directrice générale de Sedima, qui a réalisé le meilleur score jamais obtenu par une femme à une présidentielle (0,34%), bien que modeste. Ou encore Pape Djibril Fall, journaliste de 38 ans, qui avait créé la surprise en 2022 en remportant un siège de député comme indépendant.
Ces jeunes leaders tentent désormais de créer une "troisième voie" à travers l'alliance Sàmm Sa Kàddu. "Nous avons tous moins de 50 ans, et nous avons tous refusé d'avoir des postes de sinécure", explique Thierno Bocoum dans les colonnes du magazine. "Le Sénégal est dans une phase de transition, avec une page à fermer et une autre qui s'est ouverte, qui doit être alimentée par une autre génération."
Le défi est de taille face à l'abstention massive des jeunes. Selon l'Agence nationale de la statistique citée par Jeune Afrique, en mai 2021, seule la moitié des 18-25 ans et à peine 10% des 18-20 ans étaient inscrits sur les listes électorales. Un million d'électeurs potentiels attendent ainsi d'être convaincus, alors que le pays fait face à des défis majeurs : migration irrégulière, pauvreté endémique et chômage massif des jeunes.
Dans ce contexte, la victoire historique de Bassirou Diomaye Faye apparaît moins comme une révolution générationnelle que comme une première brèche dans un système politique encore largement dominé par ses figures historiques. L'avenir dira si cette élection marque véritablement le début d'un renouvellement en profondeur de la classe politique sénégalaise.
par Aoua Bocar LY-Tall
SOULEYMANE BACHIR DIAGNE PLAIDE-T-IL POUR LA NON RESTITUTION DES ŒUVRES D'ART AFRICAINS ?
EXCLUSIF SENEPLUS - Le philosophe sénégalais affirme que les objets d'arts sont "chez eux" au Louvre, oubliant le combat historique pour leur retour. Sa conception de l'universalité apparaît comme une caution intellectuelle au statu quo colonial
Nul ne peut nier que Souleymane Bachir Diagne est un philosophe rigoureux et un érudit. Cependant, il lui arrive de mettre cette rigueur sous le paillasson par des pirouettes intellectuelles qui en étonnent plus d’un. Ce fut encore récemment le cas. J'ai lu avec étonnement ses propos dans une entrevue accordée au quotidien français La Croix du 13 octobre 2024, recueille par Mme Marianne Meunier (Cf. :https://www.la-croix.com/culture/restitutions-d-ouvres-les-objets-venus-dafrique-sont-chez-eux-au-louvre-20241013).
La Croix a d'ailleurs intitulé son entrevue par le fond de sa pensée, notamment : "Restitutions d’œuvres : « Les objets venus d’Afrique sont chez eux au Louvre »" Ce, au nom de son nouveau paradigme d'universalité que le président Macron s'est fait le plaisir de citer dans son discours d'ouverture de la XIXe session de la Francophonie tenue le 5 août 2024 à Villiers-Cotterêts, en France.
À la question de Mme Meunier : "Vous sentez-vous confronté, ici, à un récit colonial, qui célèbre une France au centre du monde, comme certaines voix le dénoncent ?", Souleymane Diagne répond : " Je me faisais cette idée du Louvre jusqu’à l’inauguration, en 2000 […] Dès lors, j’ai commencé à reconsidérer cette notion […] et à me dire que, d’une certaine façon, ce pavillon des Sessions recevait ces objets chez eux. "
Pire, Professeur Diagne renforce son argumentaire par des propos de feu Amadou Mokhtar Mbow. Il affirme que : " ... mais dans le même temps, il (Ndir Mbow) reconnaissait que ce patrimoine avait pris racine sur sa terre d’emprunt." Prendre racine dans un pays étranger pour y avoir duré ne signifie pas qu'on perd ses racines originelles et qu'on ne veut plus et/ou qu'on ne va plus retourner à ses vraies racines. Bien entendu avec leurs valeurs, leurs beautés, leurs spécificités, ces œuvres africaines ont rehaussé le statut des musées européens, et surtout, celui de Quai Branly. C'est cela que le patriarche Mbow soulignait. Cependant, l'historienne Bénédicte Savoy nous apprend dans son essai, « Le long combat de l’Afrique pour son art », Édition Seuil qu'en 1978, alors qu'il était directeur de l'Unesco, le Sénégalais, Amadou Mahtar M’bow, dans un discours qui fera date, défend fermement que : « ces biens de culture qui sont partis de leur être, les hommes et les femmes de ces pays ont droit de les recouvrer. » Et, monsieur Mbow n’a jamais vacillé de cette position qui avait été saluée ce jour là par le présentateur français Roger Gicquel dans le journal télévisé de TF1, à 20 heures. (La Croix).
Madame Savoy rappelle d’ailleurs dans son ‟passionnant et minutieux essai sur les efforts sans relâche d’un continent pour son art‟ que la demande de la restitution des objets d’art arrachés de force avait débuté par une « bombe » en forme d’injonction : « Rendez-nous l’art nègre », exige en 1965 le journaliste béninois Paulin Joachim à la une du mensuel sénégalais Bingo, lu dans toute l’Afrique francophone. (La Croix, 2024). Combat que poursuivra Mbow et beaucoup d’autres Africain-e-s et repris aujourd’hui par la jeunesse africaine.
Pourquoi professeur Diagne, votre plaidoyer au nom de l'Universel s'en tient-il uniquement à des objets d'art et ne s’étend-il pas aux Humains ? N'était-ce pas par là qu'il aurait dû commencer ? Pourquoi ne dites-vous pas aux Français au nom de votre conception d’universalité que les Africain-e-s qui arrivent en France sont chez eux ? Ce qui est fondamentalement vrai et fondé. Car, leurs ancêtres ont défendu cette France, ont versé énormément de leur sang sur cette terre française en vue de la sauver de la domination nazie et des humiliations hitlériennes. De même, les Africain-e-s resté-e-s sur leur continent ont nourri au nom de "l'effort de guerre" les Français et les ont sauvés de la faim engendrée par la première, et surtout, la seconde guerre mondiale. Les biens et les ressources (diamant, or, argent, manganèse, cobalt, uranium, phosphate, cuivre, uranium, etc.) de l'Afrique ont enrichi l'Europe et contribué à sa construction et à son essor économique. La force de travail des Africain-e-s drainée par l'ignoble "Traite des Humains" a enrichi la France et mis en valeur le dit "Nouveau monde" à savoir l'Amérique au point qu'elle soit devenue la première puissance mondiale. Aussi, ces objets d’art africains sont aussi une importante source d’enrichissement pour l’Europe, car, nul n’entre dans un musée sans payer. Pourquoi ne pas retourner une part de cette richesse à l’Afrique ? Alors, Souleymane Bachir Diagne, les Africain-e-s ne sont-ils pas chez eux en Europe, surtout dans les pays colonisateurs et aux États-Unis ?
Pourquoi avec votre puissante voix, ne faites-vous pas le plaidoyer des Africain-e-s mal traité-e-s, emprisonné-e-s, malmené-e-s, humilié-e-s, enchaîné-e-s et jeté-e-s au fond des mers, en plein désert ou au fond des geôles européens où ils sont malmené-e-s comme des bandits de grands chemins ? Pourtant, leur unique tort face à leurs pays laissés en ruine par des siècles de domination politique, d'exploitation économique, d'humiliation culturelle, c’est d'aller chercher dans cette Europe que l'Afrique a enrichie, de meilleures conditions de vie et des moyens pour aider leurs familles et leurs communautés ?
Alors, pourquoi ne le dites-vous pas aux Européens au nom de l'universalité ?
"Détruire l’universel, c’est détruire l’idée d’humanité", dites-vous toujours au cours de cette entrevue avec le journal La Croix. Détruire l’universel, n'est-ce pas plutôt déshumaniser une partie des Humains à travers des pratiques reconnues aujourd'hui comme "un crime contre l'Humanité", à savoir l'esclavage et ses séquelles qui perdurent à des traves le racisme et les discriminations. Professeur, la priorité n'est-il pas de contribuer à restaurer cette Humanité par entre autres votre conception de l'universel ?
Quand vous répondez à propos de la sculpture fon attribuée à Akati Ekplékendo, avant 1858, Bénin/Capucine-BARAT--GENDROT que : ‟« Ce “dieu du fer”, qui provient du Bénin, m’évoque la question des restitutions. Dans le film Dahomey (1), les étudiants béninois déplorent son absence parmi les 26 objets que la France a rendus à leur pays. De mon côté, je le vois bien rester ici. Cet objet est chez lui au Louvre. ‟ Là, je reste sans voix. Ainsi, vous alliez à l'encontre des aspirations du peuple africain, surtout de sa jeunesse ?
Je suis assurée que votre grand-frère, le grand combattant pour la liberté de l'Afrique et la dignité des Africain-e-s, le patriote Pathé Diagne (paix à son âme) était encore en vie, il vous aurait réprimandé en vous disant : "Non Bachir, il ne faut pas dire ça. Ce n'est pas juste. Rendons à César ce qui lui appartient. Il faut restituer aux Africain-e-s leurs objets d'art qui sont d'ailleurs dans la plupart des cas, des objets sacrés en Afrique. ..."
Dre Aoua Bocar LY-Tall est chercheure associée à l'Institut d'Études des Femmes de l'Université d'Ottawa au Canada, Historiographie et membre du COPIL de l'H.G.S ou Histoire Générale du Sénégal, sociologue/analyste, écrivaine et conférencière internationale.