VIDEOKEN BUGUL, ON FAIT TROP D'ENFANTS AU SÉNÉGAL
Y-a-t-il un rapport entre démographie et émigration ? Quels sont les 3 visages du mal sénégalais ? Comment les contre-valeurs sont-elles devenues valeurs au Sénégal ? Les réponses de l'écrivaine Ken Bugul lors d'une table ronde avec José Manuel Farjado
Malgré les drames fréquents qui ont lieu dans la Méditerranée ou dans le désert, et dont les médias se font largement l'écho, les candidats à l’émigration irrégulière ne sont nullement découragés. Lors d’une table ronde sur le réalisme littéraire, en juin dernier, Ken Bugul a tenté d’analyser les causes profondes de cette bravade du danger par la jeunesse africaine et sénégalaise, en particulier.
En discussion avec son confrère espagnol José Manuel Farjado, à l’Instituto Cervantes de Dakar, Ken Bugul a dit les vérités qu’on n’aime pas toujours entendre.
D’abord, pour l’écrivaine, au-delà de la prégnance du chômage, du manque de formation, de perspectives et du dénuement, il y a l’humiliation et la pression sociale auxquelles sont soumis les jeunes. L’inconsidération est ambiante dans les familles quand vous êtes sans le sou.
Dans la même veine, l’écrivaine note la mort du droit d’aînesse dans la société sénégalaise. N’est respecté que quiconque expose de manière ostentatoire, voire indécente, ses espèces sonnantes et trébuchantes.
Pire, trois entités participent peu ou prou à cette inversion de valeurs d’après l’auteur du « Baobab fou ». Il s’agit d’«un lobby religieux cupide», «des médias nuls » et « des politiciens».
Face à un tel tableau, les jeunes en quête, eux aussi, de leur brevet de respectabilité, vont chercher vaille que vaille à s’en sortir. Dans cette quête, l’aventure européenne, ô combien périlleuse, est une option.
Ensuite, Ken Bugul pointe-t-elle du doigt la question de la démographie et d’environnement qui contribuent au fort désir des jeunes de partir. Pour ce qui est de la démographie, on s’émeut souventes fois quand quelqu’un ose dire à tort ou à raison qu’on fait trop d’enfants en Afrique et surtout quand le propos provient d’un Blanc.
Et bien Ken Bugul le dit tout de go : «On fait trop d’enfants en Afrique», déclare-t-elle avant de nuancer. En effet, pour elle, c’est une question d’organisation.
On peut bel et bien faire beaucoup d’enfants, mais il faut que cette démographie soit en adéquation avec un espace vital convenable. Si on décide de faire beaucoup d’enfants, il faut que les infrastructures suivent ainsi que les services sociaux.
Ce n’est manifestement pas le cas dans le Sénégal d’aujourd’hui comme dans d’autres pays africains. Quand on fait de plus en plus d’enfants dans un environnement non de moins en moins adapté, on finit par se sentir à l’étroit et mal à l’aise. Ce qui engendre d’autres problèmes.
Tenez, l’écrivain relève qu’à Dakar on est à l’étroit avec un environnement pollué et irrespirable par endroit. Un tel cadre combiné au manque de perspectives, ne garantit aucun épanouissement aux jeunes pour les maintenir chez eux. Ils préfèrent explorer d’autres horizons en quête de mieux-être et de qualité de vie.
Ken Bugul alerte sur le fait que, in fine, nous connaitrons une société de plus en plus encline à la violence du fait de tous ces problèmes sociaux si on n’y est pas déjà tout simplement. Pour mémoire, le dernier roman de Ken Bugul "Le trio bleu" porte sur l'émigration irrégulière.