LE CAR RAPIDE, UN SEIGNEUR DES ROUTES QUI RESISTE AU TEMPS
Au Sénégal, les cars rapides assurent quotidiennement les transports en commun intra et interurbains, en concurrence avec les bus des compagnies étatiques et les taxis collectifs ou individuels privés. Ils sont devenus de véritables « œuvres d’art »

Le car rapide est un moyen de transport emblématique prisé par les Sénégalais. Malgré les menaces de retrait de la circulation par les autorités à cause de sa vétusté, il résiste et demeure toujours incontournable dans la mobilité de nos compatriotes.
Au Sénégal, les cars rapides assurent quotidiennement les transports en commun intra et interurbains, en concurrence avec les bus des compagnies étatiques et les taxis collectifs ou individuels privés. Au fil du temps, ils sont devenus de véritables « œuvres d’art ». Les peintres s’en inspirent et les touristes sont fascinés par les motifs décoratifs qui ornent ce genre de fourgons.
Il est 11 heures, le soleil est au zénith. À 100 mètres du tribunal de Dakar, à la gare routière Lat-Dior, en plein cœur de Niayes Thiocker, une file de cars rapides s’étire le long des trottoirs. De petites flaques d’eau noirâtres provoquées par les écoulements d’huiles jonchent le sol. Le bourdonnement des moteurs des voitures qui traversent la rue se mêle à celui des marteaux perforateurs des tôliers. La fumée émise par les voitures qui empruntent régulièrement le quartier pour échapper aux embouteillages de la grouillante avenue Blaise Diagne rend la qualité de l’air très « mauvaise », irrespirable et presque toxique. Pantalon gris, teeshirt parsemé de taches d’huile de moteur, Mor Guèye est un chauffeur de car rapide. Assis au volant de son véhicule, il profite de son temps libre pour se reposer. Écouteurs vissés aux oreilles et cure-dent à la bouche, cet homme d’une quarantaine d’années affirme que le car rapide est le moyen de transport le plus pratique. « Le car rapide a une histoire qui remonte à l’ère coloniale. Les premiers modèles, on les surnommait Ndondy 44. À chaque fois que je suis au volant de mon véhicule, je trouve du plaisir. J’étais mécanicien avant d’être chauffeur. C’est tout un symbole pour moi. Nous disposons de porte-bagages, ce qui nous permet d’attirer la clientèle. On m’a plusieurs fois proposé un TATA, mais j’ai refusé », déclare-t-il. Tout en descendant du véhicule pour faire les derniers réglages avant d’effectuer le trajet Reubeuss-Grand-Dakar, il explique que le car rapide a l’avantage d’être plus efficace et robuste que ses concurrents.
Un moyen de transport accessible
À quelques mètres de là, au terminus situé à la rue Madeleine, la boue et les déchets couvrent la chaussée. Silhouette gracile, Mariam Djiré attend impatiemment un car rapide pour rentrer chez elle à Fass Delorme. La fumée qui se dégage des pots d’échappement ne semble point l’importuner. Visage défraîchi par la sueur et renfrogné par la forte canicule, cette étudiante béninoise dit être une « inconditionnelle » des cars rapides. « Je préfère prendre le car rapide pour rentrer chez moi. C’est plus confortable que le bus. Ça coûte aussi moins cher. Tu payes seulement 100 francs. En plus, l’avantage du car rapide, c’est qu’on arrive facilement à destination », déclare-t-elle toute souriante. Toutefois, cette jeune femme, d’une vingtaine d’années fustige le comportement de certains apprentis-chauffeurs. « Parfois, ils intimident les clients ou leur manquent de respect »,se désole-t-elle. En ce qui concerne la sécurité, elle préfère ne pas s’y attarder. « Après tout, je n’ai jamais vu un accident de car rapide et puis les cars rapides tombent rarement en panne contrairement aux autres moyens de transport », soutient-elle.
Un véhicule solide
En 1980, des lots importants de fourgons Renault réformés sont vendus dans les pays francophones poure servir comme véhicules de transport collectif. Pour remplacer les Ndondy 44 (Ndlr : cars rapides des années 50-60), lestransporteurssénégalais, notamment ceux du RTYE (Réseau des transporteurs de Yoff et environs), ont massivement investi dans l’achat de « Super Goélette ». D’où l’appellation de « Super » qui a prévalu pour désigner ces véhicules de transport en commun. Ces fourgons ont bénéficié d’un savoir-faire autochtone en technique, mécanique et tôlerie. Ce savoir-faire a permis de prolonger l’âge de ces cars pittoresques dont un parc important continue à circuler jusqu’à présent dansles villes de Dakar et de Saint-Louis. Des cars qui ont chacun plus de 40 ans chaque, qui ne sont plus fabriqués depuis Mathusalem mais qui continuent à sillonner gaillardement nos routes et à transporter passagers et bagages !
A la gare routière Lat-Dior, la maintenance de cars rapides — ou, plus exactement, de « Super » — est l’une des activités principales. Guy Malel est un mécanicien spécialisé dans la réparation de ces véhicules depuis 2009. Il maîtrise parfaitement les moteurs des cars rapides. Assis sous une tente à côté de son atelier, la quarantaine, muni d’une pince, il répare minutieusement une pièce abîmée d’un car rapide en panne. Il consent à lâcher quelques mots : « Le car rapide est facile à entretenir. Le moteur est très solide. Il suffit d’avoir un million de francs pour le retaper entièrement. Pour ce faire, on achète des pièces venant de France, mais parfois on désosse une épave pour récupérer les pièces en bon état. » Et de poursuivre : « On a beau qualifier le car rapide de tas de ferraille ou de cercueil roulant, il est rarement impliqué dans les accidents de la circulation contrairement aux autres moyens de transport urbain » soutient avec force Guy Malel, le mécanicien. Selon lui, les gens ont tendance à avoir des préjugés négatifs, mais qui ne sont pas fondés, sur les cars rapides. « Le car rapide fait maintenant partie de notre patrimoine. Il porte aussi une partie de notre culture. La coloration et les motifs qui les ornent ne sont pas ordinaires. Ils ont des significations particulières », renchérit-il.
Des symboles mystiques
Le car rapide est un véritable objet d’art populaire « roulant », ce qui lui a valu son entrée à la galerie du musée de l’Homme de Paris en 2016. Ces véhicules sont porteurs d’un art populaire décoratif et protecteur original, à base de motifs multicolores, de végétaux, d’animaux, de personnages historiques ou de marabouts.
Ibrahima Diallo est un peintre décorateur. Habillé de haillons multicolores, il prépare un mélange de peinture devant la porte de son atelier. Ce jeune homme âgé d’une trentaine d’années est dans le métier depuis 15 ans. Ibrahima doit rajouter des dessins sur un car qu’il avait déjà peint quelques jours auparavant. La décoration des cars rapides n’a plus de secrets pour lui. « La manière de peindre les cars rapides est différente de celle des autres véhicules. Il faut deux couches de peinture pour que le fer retapé puisse retenir la peinture », explique-t-il. Selon lui, chaque propriétaire essaie de représenter ses croyances et ses origines à travers les décorations. « Les incantations en wolof et en arabe comme Yalla ou Allah et Alhamdoulilah sont toujours peintes devant et derrière le véhicule pour montrer que Dieu est au-dessus de tout. Il y a aussi la représentation du cheval de Lat-Dior Malaw et d’événements historiques marquants comme la bataille de Dekheulé », poursuit-il, en précisant que, dans l’imaginaire populaire, ces éléments sont considérés comme des signes mystiques pour se protéger contre les esprits maléfiques responsables des accidents. Une façon de montrer que le car rapide est devenu un emblème symbolique de la carte postale du Sénégal. Et à l’heure du TER (Train express régional) ou du BRT (Bus rapid transit), ce moyen de transport populaire tient toujours la tête et son rang sans éprouver de complexes !