LE SENEGAL, UN MODÈLE DE LUTTE ANTI-TERRORISME À DUPLIQUER DANS LA SOUS-REGION
La modernisation des renseignements, l'équipement de qualité des forces armées, le développement des zones frontalières sont autant d'initiatives qui valent au pays sa stabilité
La région du Sahel connait de multiples problèmes liés à l’insécurité. Avec le retrait de l’armée française du Mali et la volonté des groupes djihadistes d’étendre leur influence vers les pays côtiers, la nécessité d’adopter des mesures préventives apparait comme une évidence. Le Sénégal est un exemple édifiant en termes de mesures préventives et de stratégies antiterroristes.
Des renseignements performants
Le renseignement reste un atout de taille dans la lutte contre le terrorisme. Les agences de renseignement de l’Afrique subsaharienne avaient longtemps eu comme rôle de traquer les opposants et de détecter des menaces à la sûreté des États. Les anciennes méthodes ne sont plus efficaces dans la lutte contre le terrorisme. Dr Seydou Kanté, géo-politologue, estime que le Sénégal a pris rapidement conscience de la menace terroriste à ses frontières. « Contrairement à plusieurs pays sahéliens qui n’ont pas vu la montée en puissance des groupes djihadistes, les autorités sénégalaises ont pris les devants pour juguler d’éventuelles infiltrations », soutient-il. Selon lui, grâce à une réorganisation du dispositif sécuritaire, le Sénégal est devenu l’un des pays les plus sûrs d’Afrique de l’Ouest.
L’anticipation de la menace sur le plan des renseignements s’est avérée être un succès. « Dans le cadre de la prévention de la lutte contre le terrorisme, le Sénégal s’est outillé pour être à jour des défis sécuritaires qui s’imposent. L’école de cyber sécurité et l’école de guerre récemment créée entrent dans ce cadre », poursuit Dr Kanté. La réorganisation des services de renseignements et la coopération étroite avec les partenaires étrangers pour neutraliser les menaces le cas échéant semblent avoir porté leurs fruits. Le Sénégal reste le pays le plus stable de la sous-région ouest-africaine. Malgré très peu d’informations fournies par les autorités dans ce domaine ultra-sensible, les capacités techniques des renseignements sénégalais semblent être décuplées. En attestent leurs performances avec les coups de filets antiterroristes réalisés depuis 2015.
Une armée bien équipée
A partir de 2016, l’Etat du Sénégal s’est lancé dans un vaste programme d’équipement de ses forces armées. D’importants investissements pour moderniser l’armée étaient devenus indispensables pour contrer la menace djihadiste. En outre, réaliste et pragmatique, loin d’engouffrer ses ressources dans des équipements onéreux, l’armée sénégalaise a acquis des armes au coût d’exploitation soutenable, adaptées au contexte local, pour répondre aux défis asymétriques que peuvent causer les groupes armés. «Devant le péril et la complexité des menaces, le programme de renforcement des capacités opérationnelles de notre armée se poursuit, afin que nos forces de défense et de sécurité soient prêtes à assurer leur mission de défense du territoire national », a ainsi indiqué le président Macky Sall dans un discours prononcé à la veille du 62eme anniversaire de l’indépendance du Sénégal.
C’est ainsi qu’en matière de moyens aériens, 4 aéronefs KA-1S ont été réceptionnés en 2021. Ces avions légers à hélices, conçus pour voler à des températures élevées, ont une capacité d’emport d’armement et les rendent idéal pour contrer les pick-up de djihadistes dans des zones accidentées. Ces aéronefs permettront, d’après Me Sidiki Kaba, alors ministre des Forces armées, à l’armée sénégalaise « de participer à la défense de l’espace aérien national mais également d’appuyer les autres composantes des forces de défense et de sécurité »
En parallèle, afin de lutter contre l’émigration clandestine et de contrôler les routes migratoires, la marine nationale a acquis des patrouilleurs modernes pour protéger les 700 kilomètres de côtes. L’Armée s’est également dotée de pick-up modernes, rustiques et rapides, ainsi que de véhicules tactiques légers pour faire face à toutes les éventualités.
De surcroit, l’augmentation du budget de la défense (513milliard en 2022) permet d’accélérer la formation militaire, d’acquérir de nouveaux armements, ainsi que la création de forces antiterroristes et l’érection de nouvelles unités.
D’autres interventions, plus symboliques, portent sur la qualité de vie des soldats. La construction de nouvelles casernes et la modernisation structurelle de l’Armée ont permis d’améliorer le moral des troupes, de dynamiser le recrutement en rendant l’armée plus attractive pour les jeunes.
Par ailleurs, la mise en place du Garsi (Groupe d’action rapide de surveillance et intervention au Sahel) dans les zones frontalières sensibles constitue un tournant majeur dans la lutte contre le terrorisme. Ces unités d’élite, légères et mobiles, sont conçues pour être polyvalentes et calquées sur les modes opératoires des groupés armés. Très bien équipées en matériels logistiques et en munitions(équipements adaptés à la guérilla, véhicules, drones…), cette unité peut contrer les infiltrations et mener des opérations antiterroristes de façon autonome le long de la frontière avec le Mali.
Des initiatives payantes
Au-delà des investissements consentis dans la formation et l’équipement, ce sont surtout les stratégies nationales, pensées et conduites localement, tirant profit des particularités nationales, qui ont permis au Sénégal d’être le pays le plus stable de la région ouest africaine, au point qu’il fait aujourd’hui figure d’exemple dans la lutte contre les djihadistes. « Le sommet de Dakar pour la paix et la sécurité en Afrique regroupe des chefs d’Etat et de gouvernements, des ministres, des militaires et des experts du monde entier chaque année pour proposer des réponses réalistes aux défis sécuritaires actuels des pays africains », rappelle M. Kanté. Ce travail de réflexion s’est greffé à la volonté du gouvernement d’établir un lien avec les populations des régions rurales les plus reculées, considérées comme particulièrement vulnérables à l’infiltration d’éléments djihadistes qui prospèrent dans d’autres pays sur l’absence de l’État. Afin de prévenir ce risque, les autorités ont entrepris des programmes visant à assurer la continuité des services de l’Etat et renforcer le sentiment d’appartenance des populations transfrontalières au Sénégal. Les infrastructures de développement de base (écoles, électricité, eau, centres de santé…) y sont construites. Les zones frontalières sont sécurisées par le renforcement de la présence de l’Etat. Des routes sont construites pour assurer le désenclavement de certaines zones et les rendre opérantes pour les lignes téléphonique et internet. Cette approche de l’Etat vise à améliorer les conditions de vie et les prestations de services publics fournies à ces populations comme l’électricité, l’éducation, la santé, les routes et la connexion au réseau de téléphonie mobile. L’exemple le plus patent reste le Pudc (Programme d’urgence de développement communautaire).
Face à l’extension de la menace djihadiste vers les pays côtiers, la question se pose de savoir si la stratégie sénégalaise est « applicable » dans d’autres pays. En l’absence de réponse à cette question, ce qui devrait servir de modèle régional c’est surtout la forte volonté de l’État Sénégalais de renforcer son armée et de multiplier des initiatives de développement sur son territoire. Les approches à la fois institutionnelles, politiques et militaires, mais aussi culturelles, du Sénégal semblent avoir apporté des résultats tangibles. Devant la menace croissante et diversifiée des groupes islamistes militants, le modèle sénégalais offre des enseignements pertinents pour les pays du Sahel et du golfe de Guinée, confrontés à la recrudescence des attaques djihadistes.