LES DAMNÉS DU PARI
"Si je ne gagne pas aujourd'hui, je risque la prison." Cette confidence bouleversante illustre le drame qui se joue dans les kiosques de paris sportifs dakarois. Derrière l'effervescence des matchs, se cachent des destins suspendus à un ticket de jeu
Chaque weekend, beaucoup de personnes s’activent dans les paris sportifs à Dakar. Que ce soit en ligne ou dans les agences et kiosques de jeux, tous les moyens sont bons pour être au diapason des matchs. Et obtenir des gains quel que soit le risque à prendre. Entre craintes, espérance et superstition, les parieurs se livrent à cœur ouvert.
En ce jour de weekend, les affiches des matchs des championnats européens sont alléchantes. Au grand bonheur des parieurs. À Liberté 6, tout près de la Maison d’arrêt et de correction du Camp pénal, un kiosque bleu destiné aux paris sportif et mutuel urbain (Pmu) est bien occupé par des parieurs. Dans cet espace, il n’y a que des hommes aux tranches d’âge différentes qui engagent une discussion hyper animée.
Les matchs de la premier League, de la Liga, de la Ligue 1 française et de la Bundesliga sont au cœur des débats. Ces personnes discutent avec passion, faisant appel aux derniers résultats des équipes qui sont à l’ordre du jour, pour peaufiner leurs paris. Et pour cela, stylos, smartphones et connexion internet sont des outils essentiels pour s’y atteler. De temps en temps, des individus qui ne sont pas concernés par cette discussion vivante, viennent valider leur combinaison auprès de la gérante du kiosque. Sur les deux voies de Liberté 6, les gens circulent aisément. Certains n’hésitent pas à regarder indiscrètement ces férus du ballon rond qui discutent sans se soucier des passants. L’heure du démarrage des premières rencontres du jour approche.
C’est le moment de valider définitivement les tickets pour certains. L’hésitation se fait ressentir à travers leurs discussions. Le doute commence à s’installer dans le raisonnement de ces parieurs. « J’hésite à valider mon ticket, car j’y ai mis un match qui commence à 11h et j’ai peur de perdre mon pari dès la fin du premier match », confie M. N., un jeune homme, la vingtaine, vêtu d’un t-shirt blanc assorti d’un short. Cet homme qui était très enthousiasmé pendant le débat, n’est plus trop assuré de ses choix. « J’ai pris des risques sur mon pari. Mais je n’ai pas le choix car j’ai gravement besoin d’argent avant le début de la semaine », conclut-il sur un ton craintif. M. N., n’est pas la seule personne dans cette situation.
Son homologue supporter de Manchester United, arborant le maillot de son club fétiche, est presque dans le même cas de figure. S. T, un homme longiligne, étudiant en master à l’Ucad craint que son club de cœur lui joue un mauvais tour. « En tant que fidèle supporter de Manchester United, je doute de leur victoire face à Brentford. Néanmoins j’ai confiance en eux », souligne-t-il à voix basse. À part la méfiance qu’il a vis-à-vis de son club, S. T., a aussi des superstitions à propos des gains. Le trentenaire évite les matchs matinaux pour ne pas perdre. « Quand je mets un match qui commence à 11h voir 12h, je ne gagne jamais. Depuis que j’ai fait cette remarque, j’ai complétement arrêté d’y mettre ces matchs. Tous mes paris victorieux concernent uniquement les rencontres qui commencent au-delà de 14h », argue-t-il avec beaucoup d’humour. Après avoir lâché ces confessions, M. N et S. T se dirigent vers le kiosque pour valider leurs combinaisons. En ayant espoir que leurs paris soient victorieux.
Miser à tout prix
À quelques encablures de Liberté 6, « Khar Yalla », un quartier périphérique de la commune de Grand-Yoff. Tout près du terrain d’entrainement de l’Asc « Gaal Gui », se trouve une agence de pari sportif de couleur verte et blanche. À l’intérieur des écrans plats diffusant les matchs du jour y sont visibles. Les programmes des rencontres avec les côtes sont affichés sur les murs. Les gérants de l’espace, surveillent de près les comportements des parieurs, composés de personnes d’âge mur et un nombre important d’adolescents. Les discussions et concertations fusent de partout. Une ambiance des grands jours règne ici. D’un joueur à un autre, les méthodes utilisées pour trouver la bonne combinaison sont différentes. L’agence est bruyante, mais cela ne semble pas déranger les occupants des lieux. À cet endroit, les parieurs allient paris en ligne et paris physiques. Cela dépend de la nature des parieurs.
À côté du guichet des paiements, se pointe un homme de taille moyenne hyper concentré sur son smartphone. Il est en train d’effectuer ses derniers réglages, avant de valider son pari en ligne, via une application en vogue au Sénégal. Après un moment d’hésitation, il finit par expliquer son enthousiasme lié au pari sportif, sous le couvert de l’anonymat. « En tant qu’amoureux du ballon rond, je mise mon argent pour vivre ma passion. Je mise de grosses sommes car ça me procure du plaisir, même s’il m’arrive de perdre », confie le trentenaire. Les entrées et les sorties se multiplient dans cet espace de jeu. Au cours des weekends, l’affluence est toujours de mise. Certains parieurs s’exercent sur la sélection des matchs, via les programmes affichés un peu partout dans l’agence.
Les joueurs qui s’y affèrent font preuve de concentration et d’analyse profonde pour trouver les bonnes côtes. Parmi eux, F.T., ouvrier de profession, vêtu de sa tenue de travail, des bottes tachetées d’huile couvrent ses pieds. Il explique les raisons de ses paris excessifs. « Quand j’ai de l’argent je pense automatiquement à miser quelle que soit la circonstance. Je parie beaucoup, car j’aime miser pour obtenir des gains assez conséquents », souligne-t-il, avant de continuer sa sélection avec assiduité en consultant de temps en temps sur son téléphone portable, le classement des clubs qu’il a choisi de mettre dans son combiné.
Parier à leurs risques et périls
Les points de jeu sont éparpillés un peu partout à Grand Yoff. Après « Khar Yalla », Hlm, Patte-d’oie, un autre quartier de la commune de Grand Yoff accueille une zone de convergence des parieurs, situé tout près du stade communal de Grand Yoff. Cet emplacement est presque similaire à celui de « Khar Yalla », mais les adolescents ne sont pas les bienvenus. Le gardien des lieux, habillé tout en noir, veille scrupuleusement à la nature des personnes qui accèdent à cet endroit. Les joueurs ne sont pas nombreux ici. Mais cela n’affecte pas les discussions. Certains discutent sur les clubs à éviter pour ne pas perdre. Tandis que d’autres se concentrent sur les options de pari pour déjouer les pièges des bookmakers à travers les cotes données.
La crainte peut se lire sur le visage de certains parieurs, quand ils choisissent les matchs. Quelques-uns prennent le temps nécessaire pour calculer les côtes en faisant des comparaisons. Les clubs qui reçoivent et qui se déplacent sont aussi pris en compte par les parieurs, pour avoir une idée sur la mise à choisir. T. F, trouvé sur les lieux en train de vérifier ses coupons déjà joués avec angoisse, exprime son émotion sans gêne. « Actuellement, j’ai l’obligation de gagner car je dois rembourser une dette qui date de 6 mois. Et si ces paris effectués ne sont pas gagnants, je risque d’aller en prison. J’ai joué mais j’ai vraiment peur de perdre », confesse-t-il d’un air pensif. L’homme vêtu d’une chemise blanche et d’un pantalon kaki de couleur beige, ajoute : « Je n’ai pas d’alternative, c’est à cause de ça que j’ai recours aux paris sportifs pour régler mes problèmes. C’est un risque énorme que j’ai pris actuellement ».
Les parieurs sont prêts à tout pour obtenir des gains. Même s’il faut faire d’énormes sacrifices et en assumer les conséquences. Un autre parieur est dans une situation similaire à celui de T. F. T-shirt noir à l’effigie d’un lutteur, un jean déchiré couvre ses membres supérieurs, ce jeune homme âgé de 25 ans avec la mine dépitée se confesse sous le couvert de l’anonymat. « J’ai impérativement besoin d’argent. Car je dois payer mon logement. Sinon je risque d’être mis dehors car j’ai déjà accumulé des arriérés. Si aujourd’hui je ne gagne pas, je risque de vivre une grande humiliation », explique-t-il, dépité. Cet adepte du pari en ligne espère juste que la chance sera de son côté pour sortir de cette impasse. « Ces temps-ci je ne suis pas chanceux, et j’ai perdu beaucoup d’argent. J’ai épuisé toutes mes économies à cause de ces paris. Et je suis condamné à gagner aujourd’hui pour régler mes problèmes », conclut-il d’un regard rempli d’espoir, après la consultation de ses dernières mises.