DE LA DÉVOLUTION MONARCHIQUE DU POUVOIR !
«L’histoire nous mord la nuque», avait coutume de dire le défunt Daniel Bensaïd, génial théoricien de la Ligue communiste révolutionnaire.
C’est peu de dire qu’avec son interpellation et son placement en garde à vue survenue hier après un énième face à face avec le procureur spécial de la Cour de répression de l’enrichissement illicite, Karim Wade est rattrapé par son passé recomposé.
Il n’est nullement question ici d’hurler avec la meute et d’accabler un homme déjà à terre. Mais si l’ancien ministre à rallonge devait être condamné, au vu du très lourd dossier qui lui pend au nez, les Wade, junior et senior, ne devraient s’en prendre qu’à eux-mêmes.
Le premier pour s’être pris pour le maharadjah du Sénégal avec un train de vie de potentat d’une monarchie pétrolière, à coups de voyages à bord d’un jet privé ou plus exactement privatisé, dans une belle débauche d’affairisme. Le second, pour avoir sérieusement cru qu’il pouvait léguer à son rejeton un pays où, en 1776 déjà, l’immense Souleymane Baal et ses valeureux compagnons révolutionnaires avaient édicté un traité de bonne gouvernance et produit une charte qui condamnait la dévolution monarchique du pouvoir.
Une bande d’opportunistes, Machiavel tropicaux aux petits pieds, flairant le bon coup, adeptes de la facilité et des raccourcis, avaient monté à la hâte une vaste entreprise d’escroquerie politique pompeusement appelée «Génération du concret» pour prétendument conduire Karim Wade au«sommet».
C’était alors à qui ferait le plus de courbettes et de génuflexions devant le «prince héritier ». Sociétés écrans, écrans de fumée, cavaleries financières….Dans une insulte permanente à notre intelligence, le père s’est évertué, en pure perte, à faire passer son fils pour un messie.
On sait comment nos compatriotes ont réglé, dans la rue et dans les urnes, cette imposture et cette mystification. On comprend maintenant mieux pourquoi, entre autres raisons, le président Wade, malgré un âge vénérable, tenait coûte que coûte à s’accrocher à son fauteuil, quitte à sortir de l’histoire politique du Sénégal par la petite porte, alors que, objectivement, tout n’est pas à jeter dans son bilan : la crainte de voir un nouveau pouvoir découvrir l’ampleur du désastre opéré par son fils.
694 milliards ! Autrement dit, plus que le budget de l’Etat du Sénégal avant 2000 ! C’est le patrimoine de Karim Wade estimé par les enquêteurs alors qu’on n’est même pas encore à l’audit de sa gestion du sommet de l’Oci.
Avec une telle somme, combien de structures de santé pouvait-on construire à Lougueré Thiolly ou à Doune Baba Dièye, alors que des femmes meurent encore en couches, faute de soins appropriés ?
Combien de jeunes auraient pu trouver un emploi, avec un pareil butin, alors que des étudiants désespérés s’immolent par le feu, faute de perspectives ?
Combien d’hélicoptères de combats pour notre armée sous-équipée ?
Les voleurs de poules et de chèvres qui encombrent le Camp pénal et Reubeuss doivent, de rage, se cogner la tête contre les murs ! Ils doivent se maudire et se dire qu’ils sont de vrais amateurs, comparés à certains !
Si les faits reprochés à Karim Wade sont avérés, la seule comparaison possible qui vient à l’esprit est celle du Zaïre sous Mobutu, celui-là même que Bernard Kouchner qualifia un jour de «coffre fort ambulant coiffé d’une toque de léopard» et dont le fruit des rapines était considéré comme supérieur à la dette extérieure de son pays !
Quelque que soit le sort que lui réservera la justice sénégalaise, on peut d’ores et déjà dire que l’affaire Karim Wade est d’abord le procès de la patrimonialisation du pouvoir et du clientélisme politique débridé, deux fléaux qui gangrènent le continent africain et plombent son développement. N
ul doute que dans bien des capitales africaines, selon le bord où l’on se trouve, l’on se réjouira ou l’on s’inquiétera de ce nouveau coup d’éclat de la singulière démocratie sénégalaise.