"JE SUIS SENGHORIEN ET JE LE REVENDIQUE !"
CHEIKH TIDIANE GAYE, POÈTE ET ROMANCIER SÉNÉGALAIS VIVANT À MILAN
Poète et écrivain, il est connu à travers toute la Péninsule où ses critiques acerbes contre les politiques discriminatoires en Italie l’ont propulsé sur le devant de la scène. Membre du Pen Club International de Lugano, en Suisse, il est auteur de plusieurs ouvrages publiés en français et italien. Il alterne prose et poésie, ses œuvres font aussi l’objet de thèses universitaires. Son dernier roman préfacé par le maire de Milan vient d’être primé au concours "Il Golfo 2014". Notre compatriote Cheikh Tidiane Gaye, c’est son nom, a reçu ce prix dimanche dernier 6 avril à La Spezia, ville faisant partie de la région de Ligurie. Nous l’avons rencontré pour échanger avec lui.
Le Témoin - On vous présente enItalie comme étant un poète de la Négritude ? Acceptez-vous cette qualification ?
Cheikh Tidiane GAYE -De par mes textes, je défends mes origines, la culture africaine en général et celle sénégalaise en particulier. Le mot Négritude n’appartient point au passé, je crois que nous devrons continuer à mieux le contextualiser et à lui redonner une cadence plus effervescente.
Je n’aime pas l’homologation et aujourd’hui plusieurs mouvements ont tendance à confondre l’intégration à l’interaction des immigrés. Je refuse d’être un "intégré". Mes valeurs ne sont point négociables. Je suis fier d’être noir, d’être africain et sénégalais et je me bats pour me faire respecter. Il faut qu’on s’impose.
La mondialisation est sûrement importante mais n’oublions pas notre identité, élément fondamental qui fera la différence au concert des peuples. La Négritude nous enseigne l’ouverture vers d’autres horizons culturels et nous met en garde de bien préserver ce que nous avons, ce que nous sommes, notre sang, notre essence. Le racisme que bon nombre de nos compatriotes africains vivent en Occident est une raison concrète pour parler de notre identité.
Alors, peut-on dire que vous êtes senghorien ?
Nous sommes tous des fils et petits-fils de Senghor, qu’on le veuille ou non. Il nous a indiqué le chemin, tracé le juste sentier qui nous a mené vers des horizons culturels multiples, riches et diversifiés. Senghor est pour moi le prophète de la mondialisation culturelle. Son projet qui s’est hissé au plus haut sommet des idéologies universalistes est à défendre. L’homme constitue ma lumière, son nom m’encourage et me protège, son parcours m’insuffle courage et force.
Etre senghorien, à mon avis, c’est défendre l’œuvre de ce grand homme, propager ce qu’il a remis et offert au monde comme patrimoine culturel. J’ai eu l’occasion de parler de mon écriture durant les journées d’études organisées l’année dernière à l’université de Montpellier et je ne cesserai de continuer de plaider la cause défendue par nos illustres maîtres de la parole: Césaire, Senghor … Notre cher Sénégal est respecté partout dans le monde grâce à l’image de son fils et premier président de la République. Senghorien, oui je le suis.
Pouvez-vous nous confirmer que vous êtes le premier noir à avoir traduit Senghor en italien ?
J’ai traduit récemment le grand et émérite poète Léopold Sédar Senghor. Je réitère le concept: notre rôle est de divulguer son patrimoine culturel. J’ai publié l’anthologie, donc traduit les poèmes les plus connus. C’est en fait un grand plaisir d’être le premier Africain à traduire ses poèmes en italien. C’est aussi un plaisir de pouvoir traduire d’autres poètes comme Tanella Boni, Nimrod, Marouba Fall, Nafissatou Dia Diouf, poèmes publiés dans l’annuaire mondial de la poésie édité par l’université de Pise en Italie.
Votre dernier roman, préfacé par le maire de Milan, vient d’être primé récemment en Italie du Prix "Il Golfo 2014". Comment avez-vous vécu cette consécration ?
Merci d’abord au jury qui a reconnu mes efforts, je constate avec plaisir que le livre est bien lu. Par ailleurs, j’ai eu l’occasion de le présenter au mois de juillet de l’année passée au département d’italien à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Je pense que le titre en tant que tel est un signe d’encouragement. Le livre est considéré comme un outil pour comprendre les difficultés des immigrés; il aide aussi l’administration, conscientise tout le monde contre ce phénomène qui échappe aux grandes nations coloniales.
Je continue mon travail, je continuerai de chanter ma peau noire, mon pays, ma terre rouge et ensevelie, je continuerai de parler des femmes noires, braves et belles… Je ne cesserai de défendre ma culture. Cette reconnaissance m’insuffle encore du courage, j’espère de nouveau et dans un futur proche publier mon neuvième livre. J’aime le grand poète Gibran qui nous enseigne la persévérance : "C’est quand vous aurez atteint le sommet de la montagne, que vous commencez enfin à monter".
Qu’est-ce qui vous a vraiment poussé à publier ce roman épistolaire et provocateur ?
Le titre est provocateur, certes, mais je tiens à souligner que le poète et / ou l’écrivain a comme mission de prendre position et de défendre ceux qui n’ont pas la possibilité de se faire entendre. L’engagement est fondamental chez l’écrivain. Traduit en français, le titre du livre primé est "Prends ce que tu veux mais laisse - moi ma peau noire". J’ai voulu à travers l’ouvrage traduire ma pensée et définir ma vraie position.
L’immigration est la conséquence de la politique néo- colonialiste imposée par l’Occident. Rien n’a changé : le mépris, le fait de se sentir supérieur envers les Africains, la discrimination sur le lieu de travail, la montée de l’extrême droite dans un bon nombre de pays occidentaux etc. Ce sont toutes ces raisons qui m’ont conduit à publier ce livre. Il s’agissait en somme pour moi de parler des siècles nébuleux de notre cher continent.
Quelles sont les maisons d’édition qui vous ont publié?
J’ai publié "L’étreinte des rimes" avec l’Harmattan Paris en 2012, mon dernier livre avec Jaca Book, une grande maison d’édition italienne, en 2013, quatre ouvrages avec les éditions dell’arco etc… J’ai publié avec deux autres éditeurs.
Vos projets pour le Sénégal ?
Je suis entrain d’étudier la possibilité de mettre sur pied un concours international de poésie (Italie – Sénégal) qui permettra aux poètes de publier leurs ouvrages. Notre pays a du potentiel dans le domaine poétique, il suffit de bien investir pour faire émerger la crème. C’est le rôle de l’Etat mais aussi des privés.
Votre dernier mot ?
Je voudrais féliciter le président de l’Association des écrivains du Sénégal, M. Alioune Badara Bèye, qui fait honneur à notre pays et à tous les écrivains qui ont représenté dignement le Sénégal. Vive la littérature! Vive la poésie!