A KANDI, LES BŒUFS MEUGLENT DE DÉTRESSE
BENIN L’ÉLEVAGE ENTRE TRIBULATIONS ET ESPOIR

Les problèmes de l’élevage dans la commune de Kandi ont un fort impact dans le marché de bovins. Ses 80 mille têtes du cheptel ploient sous le manque de soins vétérinaires. De plus, la population augmente et les aires de pâturage ne s’accroissent outre mesure. Les problèmes de ce sous-secteur sont multiples et ont des répercussions sur la production et les produits issus de l’élevage. Une situation qui se traduit par l’augmentation de plus 100% du prix du bétail, entre autres. Comment faire pour que l’élevage connaisse un avenir meilleur pour le bien de la population du Bénin et surtout des populations qui en vivent ? Cette question qui entraîne celle de l’importance du cheptel dans l’économie locale induit une nouvelle organisation au niveau national et de la région ouest-africaine, de l’activité du pastoralisme, qui est la forme d’élevage que connaît la majorité des éleveurs du Bénin et de Kandi en particulier.
La commune de Kandi enregistre depuis quelques années un dépérissement de l’élevage sur son territoire. Pourtant, cette activité a longtemps permis à une bonne partie de sa population de survivre, en s’adonnant de manière directe ou indirecte à l’exploitation du bétail. Les causes de cette situation sont nombreuses. Cet article en relève quelques-unes.
LA TRANSHUMANCE ET SES PROBLÈMES
Les conflits entre éleveurs et agriculteurs sont parfois très sanglants. Dans la commune de Kandi, à 600 km au nord de Cotonou, la ville la plus importante du Bénin, on a enregistré en décembre 2013, 10 morts environ. Les causes en sont toujours les mêmes. Comme souvent, les agriculteurs se plaignent que les bétails des éleveurs détruisent leurs cultures lors de leurs passages dans les champs. Les personnes interrogées dans la zone de
Kandi indiquent que ce conflit est surtout entretenu par le non-respect des couloirs de passage édictés par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et qui traversent la commune de Kandi. Il faut savoir que ces corridors sont des voies réservées à la traversée de certaines localités par les éleveurs en compagnie de leurs animaux.
Et, des rixes et affrontements éclatent quand l’agriculteur voit ses cultures détruites par les bœufs et autres bêtes de pâturage. La plupart des agriculteurs de la cité des Kandissounon (du nom des dirigeants traditionnels de la ville de Kandi. Ndlr) cultivent le coton, qui est la principale culture de rente au Bénin.
Les différends entre agriculteurs et éleveurs font, de façon fréquente, objet de plaintes au Tribunal de première instance de deuxième classe de Kandi, Tribunal qui supervise également les localités de Gogounou, Banikoara, Ségbana, Malanville et Karimama, en plus de la commune de Kandi.
Le procureur de la République de cette entité de justice, Alexis Agboton Mètahou, a souligné que pratiquement chaque semaine, il instruit une plainte liée à un conflit entre agriculteurs et éleveurs.
Tout en veillant à ne pas trahir le secret de l’instruction, M. Mètahou a donné en exemple le cas d’un paysan d’Alphakoara assassiné en avril dernier dans son champ de coton qu’il était en train de surveiller. Cette situation a failli dégénérer en conflit ethnique entre les Mokolé et les éleveurs peulhs.
Pour certains observateurs, le non-respect des couloirs de passage et des aires de pâturage s’expliquerait surtout par des questions de croissance démographique, qui font que les agriculteurs ont de plus en plus besoin d’espace de culture pour une position en augmentation.
Car il faut rappeler que les Peulhs sont un Peuple nomade qui pratique l’élevage, et la transhumance est l’un de leurs traits caractéristiques. Le dictionnaire Larousse dans son édition d’octobre 2008) définit la transhumance comme «le déplacement du bétail en utilisant alternativement et saisonnièrement deux zones de pâturage, séparées par une région que ledit bétail ne fait que traverser».
Ainsi, c’est au cours cette transhumance des éleveurs que les champs deviennent victimes des affres de la faim des animaux en quête de pâturages.
COUVERTURE SANITAIRE, UN IMPACT LIMITANT
A côté de ces situations conflictuelles créées par la transhumance, d’autres facteurs naturels limitants paralysent le développement de l’élevage à Kandi. Parmi ces dernières, on note la récession pluviométrique ainsi que les feux de brousse qui déciment et réduisent les aires de pâturage.
De plus, le nombre de vétérinaires recrutés par l’Etat et encore en activité n’excède pas la dizaine, a confirmé le directeur de l’Elevage au ministère en charge de ce secteur au Bénin, Dr. Byll Kpérou Gado, un diplômé de l’Ecole de vétérinaire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Les normes internationales en la matière exigent 20 vétérinaires par département administratif. Ce manque de personnel d’encadrement s’explique par le départ inquiétant des agents vétérinaires admis à faire valoir leurs droits à des pensions de retraite.
La conséquence directe de cette situation est que, dans la commune de Gogounou par exemple, c’est seul un vétérinaire qui s’occupe des 78 mille têtes du cheptel de cette communauté. Kandi élève un cheptel évalué à 80 mille bêtes. A Kassakou, un arrondissement rural de Kandi, qui abrite 177 mille 683 habitants sur 3 421 km2, il n’y a pas de vétérinaire, ni non plus à celui de Saah.
Or dans ces zones, la mouche tsé-tsé dérange les animaux et les piqûres de cet insecte sont sources de pathologies mortelles (fatigue, fièvre voire perte de poids et de poils,...).
La volaille, faisant partie des produits d’élevage, subit elle aussi les affres des intempéries, aux- quelles elle paie un lourd tribut. C’est une observation faite par Salifou Gounou, qui s’est lancé dans l’aviculture depuis 5 ans environ.
Rencontré un jour d’avril 2014 au marché de bétail de Pèdè, il dit avoir constaté que ses poules et pintades mourraient plus en saison sèche et surtout pendant l’harmattan. Il n’y comprend rien et s’interroge gravement sur l’efficacité du travail d’encadrement, ignorant pour le coup que le nombre de vétérinaires demeure insuffisant dans la zone.
Entre parenthèses, le marché de Pèdè est juste un espace sans hangar, sans toilette, ni eau et électricité, et situé à 7 km de Kandi centre. Il s’anime tous les jeudis de 7 heures à 10 heures. Aussi, pour entretenir la santé des animaux, des pharmacies ont-elles été installées dans plusieurs endroits. Mais, sur les treize initialement mises en service, cinq ont définitivement fermé, à savoir Kandi, Nikki, Sinendé, Bembèrèkè et Banikoara centre).
Trois de ces pharmacies sont provisoirement fermées pour indisponibilité de gérants, à Toucountouna, Sonnoumon, et Bassila. Trois autres fonctionnent et sont approvisionnées, et qui sont celles de Goumori, Ségbana et Tchaourou. Il faut néanmoins noter qu’une autre est fonctionnelle à Kalalé, mais n’est pas approvisionnée.
IMPACTS DES FACTEURS LIMITANTS SUR LA PRODUCTION DE L’ÉLEVAGE
Les impacts de ces problèmes sur l’élevage se notent dans la diminution du nombre de bêtes dans les cheptels. Le chef suprême des Peulhs de l’Alibori ne s’y trompe pas. Sa majesté Moumouni Roga, vêtu, lors de notre rencontre, d’un boubou ample, en parle avec un ton plein d’amertume. «L’élevage a régressé, le cheptel a considérablement diminué.
Beaucoup de nos jeunes éleveurs sont partis vers les pays limitrophes», a-t-il souligné du regard du patriarche qui craint de voir son activité disparaître avec lui. Les 78 mille têtes de bétails de Gogounou et les 80 mille de Kandi pèsent lourd dans l’économie de cette localité rurale ainsi que de celle du pays. La raréfaction de la ressource animale a conduit à une forte augmentation des prix du bétail.
Le prix d’un bœuf dans cette zone varie entre 100 et 500 mille francs Cfa, selon les périodes. Les moments de rendez-vous festifs telle que la Tabaski voient les prix s’envoler encore plus. Entre 1994, lors de la dévaluation du franc Cfa et 1999, le prix d’une vache a augmenté de 50%, déclare Mohamed Soumanou, un éleveur qui est accessoirement boucher au marché central de Kandi.
En d’autres termes, une vache qui coûtait 80 mille francs Cfa en 1994 a connu une hausse de son prix d’environ 50%, c’est-à-dire qu’il coûtait 160 mille Frs Cfa. Entre 2000 et 2005, ce montant a connu 75% de hausse, et 2010 a poussé la barre à 100% d’augmentation. De 2010 à 2014, M. Soumanou a noté une hausse de 150% par rapport a1994.
L’augmentation du prix s’explique par une demande qui devient de plus en plus grande, alors que les conditions d’élevage ne s’améliorent pas de façon conséquente. Il ressort donc que la courbe des prix des bêtes sur le marché local est fortement influencée par les effets négatifs identifiés plus haut.
DES APPROCHES DE SOLUTIONS POUR QUE L’ÉLEVAGE PRENNE UN BON ENVOL
Il est important que le gouvernement du Bénin fasse du respect des couloirs de passage pour le bétail transhumant une préoccupation majeure. Cela inciterait aussi les instances régionales comme l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à généraliser ces mesures sur le plan communautaire. Il est vrai que des efforts ont été consentis il y a déjà quelque temps. Mais ces instances devraient faire des efforts supplémentaires pour que la transhumance ne conduise plus en une perte de vies humaines.
Sur cette question de transhumance, cinq membres de l’Association nationale des organisations professionnelles des éleveurs de ruminants du Bénin (Anoper) ont rencontré le 11 septembre 2013 le président de l’Assemblée nationale du Bénin, Pr. Mathurnin Coffi Nago.
C’était pour discuter des difficultés aux- quelles les éleveurs nationaux et les transhumants doivent faire face dans les régions des départements du Zou et des Collines. Cette rencontre a porté ses fruits. Ainsi, une délégation composée de plusieurs autorités ministérielles, de l’Anoper et des Ong qui travaillent dans le secteur de l’élevage, a sillonné le Bénin pour sensibiliser les collectivités décentralisées et les préfectures sur la promotion de la transhumance.
Cette association a fait un plaidoyer en mai 2013, auprès de la mairie de Banikoara pour que l’on y passe un arrêté communal de sécurisation des couloirs de passage matérialisés. Une promesse fut faite par cette municipalité en ce sens.
Par deux fois l’année dernière, les responsables de l’Anoper ont rencontré le président de la République du Bénin, Dr. Boni Yayi. Par la suite, l’acquisition d’un terrain pour la mise en place d’une parcelle fourragère de 120 ha à Gogounou (dans l’arrondissement de Zougou) est aujourd’hui une réalité. Est aussi effective la gestion concertée avec cette association de la forêt de l’Alibori (région du fleuve), particulièrement dans la commune de Gogounou.
Par ailleurs, le président de l’Anoper, El-Hadj Aboubakar Tidjani, a assuré à Gogounou, en avril dernier, lors de l’Assemblée générale annuelle de cette institution, qu’il est à pied d’œuvre pour que le Bénin se dote d’un Code pastoral.
L’objectif de cette initiative est de se mettre au même niveau que des pays de la sous-région comme le Niger, dont l’arsenal juridique en est doté. En 2013, son organisation a reçu 98 millions 071 mille 569 francs Cfa de ses partenaires, dont 30 millions 600 mille
178 francs Cfa de Sos faim, et 13 millions 886 mille 720 de la coopération suisse. La Suisse injecte une fourchette globale de 1,8 million d’euros par an dans les associations faîtières de l’élevage du Bénin, en particulier celles travaillant dans les départements du Borgou et de l’Alibori (programme Paster), a soutenu le directeur adjoint de la Coopération au Bénin, Simon Zbinden, rencontré à Gogounou en marge de cette Assemblée générale.
Le recrutement de vétérinaires est une nécessité pour le suivi et la vaccination des animaux. La formation étant un levier sur lequel l’élevage doit s’appuyer. M. Tidjani et les siens ont tenu un atelier du 7 au 10 mai de l’année dernière.
Ainsi, 10 mille 838 agro éleveurs dont 1 304 femmes soit 14,63% et 9 260 hommes soit 85,37% ont été formés et sensibilisés sur diverses thématiques : production fourragère, santé animale, embouche de petits ruminants, fabrication de fromage amélioré, beurre de karité, leadership féminin, la vie coopérative, le système de mise en service des produits, la gestion des conflits et le départ massif des éleveurs.