L'ANC A MANQUÉ UNE CHANCE DE PROFITER DE "L'EFFET MANDELA"
JOHANNESBURG, 11 déc 2013 (AFP) - L'ANC, le parti au pouvoir en Afrique du Sud, espérait bien recueillir quelques miettes de l'amour populaire pour Nelson Mandela. Au contraire, la semaine de deuil entamée dimanche souligne, parfois cruellement, combien les actuels dirigeants sont considérés par beaucoup comme indignes de l'héritage du père de la démocratie nationale.
La colère populaire a été particulièrement visible, et embarrassante pour le pouvoir, pendant la cérémonie d'hommage au stade de Soweto: la foule a hué à plusieurs reprises le chef de l'État, Jacob Zuma, lui aussi prisonnier politique avec Mandela sur l'île de Robben Island sous l'apartheid.
Car pour ces dirigeants trop souvent accusés d'incompétence, voire de corruption par le peuple, la comparaison avec un Mandela désormais idéalisé est très difficile à soutenir.
"Les membres de l'ANC comparent la personne de Mandela, l'héritage de Mandela, l'ANC sous Mandela... et la situation présente sous le président Zuma", note le politologue Daniel Silke, du Cap.
Et la comparaison est loin d'être favorable. A la veille de la mort de l'icône, les journaux du pays faisaient leur Une sur des abus de pouvoir ou de détournement de fonds concernant une ministre que le président Zuma n'a toujours pas limogée et une autre, débarquée lors du dernier remaniement.
"La mort de Mandela a mis en évidence la différence entre l'ancien ANC et ce qu'il est devenu, un parti de factions, divisé, plombé par des querelles intestines et des accusations répétées de corruption, dans lesquels le président Zuma est souvent impliqué", précise M. Silke.
L'ANC a pris le pouvoir en 1994, avec Mandela à sa tête, après les premières élections démocratiques de l'après-apartheid. Il a remporté tous les scrutins nationaux depuis, et reste largement favori des élections générales d'avril prochain.
Mais les scandales, les inégalités persistantes, la pauvreté, les problèmes de logement et de salubrité des bidonvilles pèsent lourd dans son bilan.
Les Sud-Africains, disent les analystes, devraient encore porter au pouvoir le "parti de la libération" pendant quelques années. Mais ce crédit historique finira par s'épuiser, si l'intégrité des dirigeants est sujette à caution.
L'ANC a culminé à près de 70% des suffrages en 2004, avant de redescendre à presque 66% en 2009. Les analystes disent que le but caché du parti est de limiter la chute autour de 60% en 2014 même si officiellement M. Zuma vise les 70%.
Car si le score devait être inférieur, l'électorat commencerait, selon les commentateurs, à envisager la possibilité d'une alternance, et le pouvoir de l'ANC serait alors franchement menacé à l'horizon 2019. Il l'est déjà au niveau provincial depuis qu'Alliance
Démocratique a ravi la province du Cap occidental en 2009. La mémoire de Mandela, dans ce contexte, reste l'un des meilleurs arguments électoraux de l'ANC.
Pour rendre hommage au grand homme, le parti a organisé ses propres célébrations, en marge des funérailles d'État. Lors de l'un de ces rassemblements au Cap, les militants portaient un T-shirt proclamant: "Faites le pour Mandela.
Votez ANC". Et le numéro deux du parti, Cyril Ramaphosa, qui a appelé mardi_ à prier pour l'âme de Mandela, n'a pas hésité à dire: "Nous prions aussi pour son organisation, l'ANC". Pour Adam Habib, professeur à l'université de Witwatersrand à Johannesburg, cette tactique n'est pas une surprise.
L'ANC, dit-il, "essaye de jouer sur les sentiments et d'utiliser à son profit la "magie Madiba" dans le combat électoral". Le politologue Daniel Silke pense lui aussi que l'ANC va essayer de capitaliser sur le décès de son ancien président: "La mort de Mandela a revitalisé l'ANC dans la mémoire des Sud-Africains, et cela va peut-être aider à sécuriser des votes", estime-t-il.
Jeremy Sampson, expert en marketing, estime au contraire que "Mandela est beaucoup plus grand que l'ANC" et que la reconnaissance immense que ressentent quasiment tous les Sud-Africains, ne se traduira pas forcément par un choix politique.
"C'est vrai, il a été fier d'être membre de ce parti pendant bien des années, mais ce parti n'est plus le même que celui dont il a été membre, il a changé de façon spectaculaire", souligne M. Sampson.
L'ancien président Thabo Mbeki, qui succéda à Mandela en 1999, a mis dimanche ses camarades de l'ANC au défi de se hisser à la hauteur des exigences du grand lutteur Nelson Mandela.