THIEYTOU : LE SOUVENIR DE CHEIKH ANTA DIOP TOUJOURS VIVACE
Près de 40 ans après la disparition de Cheikh Anta, son village natal refuse de se laisser ensevelir dans les méandres de l’oubli. Cette localité du centre-ouest du Sénégal, semble bénéficier même des grâces du célèbre anthropologue qu’il a vu naître
Près de quarante ans après la disparition de Cheikh Anta Diop, Thieytou, son village natal, refuse de se laisser ensevelir dans les méandres de l’oubli. Cette localité, située au centre-ouest du Sénégal, semble bénéficier même des grâces du célèbre anthropologue qu’il a vu naître le 29 décembre 1923. La réhabilitation du mausolée érigé dans son royaume d’enfance est en train de changer le cours des choses.
Thieytou, village situé à 29 km au nord du département de Bambey, dans la région de Diourbel, semble bénéficier des grâces du professeur Cheikh Anta Diop dont le centenaire de la naissance sera célébré cette année, au mois de décembre. L’homme est présenté, en Afrique et un peu partout dans le monde, comme un géant de l’histoire. Il s’est battu toute sa vie pour montrer que le continent noir est le berceau de l’humanité, que l’Égypte avait des origines purement africaines. Il a été également sur d’autres fronts sous sa casquette d’écrivain, d’anthropologue, d’homme politique, de chercheur et d’universitaire.
Près de quatre décennies après son décès, son village natal, Thieytou, polarise les attentions. Ce fief de 1.400 habitants, avec 76 carrés, est sorti de l’anonymat depuis le 7 février 1986. Et attire des pèlerins venus de différents coins du monde.
Un air de renouveau y plane, même si la localité garde encore les vestiges du passé. Des bâtiments dont les toitures sont en zinc et des cases en paille servent encore d’habitation. Mais le bitumage de l’axe routier Bambey-Thieytou apporte un nouveau souffle et ouvre une fenêtre sur cette localité située au centre-ouest du Sénégal.
Village d’histoire et de culture, Thieytou avait du mal à arpenter la voie du développement. Il manquait de tout. « Notre village était inaccessible. Quand on voyageait, on avait toutes les peines pour rentrer. Les automobilistes refusaient de nous ramener à cause de la mauvaise qualité de nos routes. Il nous arrivait de passer des nuits dans des localités environnantes faute de moyens de transport. La zone était sablonneuse. Mais le bitumage de l’axe routier Bambey-Gawane-Thieytou et la réhabilitation du mausolée par le Chef de l’État Macky Sall ont redonné vie à notre village », indique le vieux Thieudome Diop, le chef de village.
Allongé sous un arbre, l’homme d’un âge avancé espère que cela va déclencher un cycle de renouveau. Le plaidoyer des visiteurs venus de plusieurs régions du monde a porté ses fruits, selon ses explications.
L’égyptologue, qui a voulu, de son vivant, éclairer l’humanité, semble avoir braqué les lumières, à sa disparition, sur son village natal. Et pourtant, sa présence dans cette localité n’était pas remarquée tout le long de sa carrière. « Quand on lui reprochait sa relation distante avec Thieytou, il rassurait toujours en disant : « Ne vous en faites pas, je vous reviendrai », raconte le vieux Thieucoumba Diop. Ses prédictions ont fini par se réaliser.
Aujourd’hui, le mausolée, érigé en son honneur, en 2008, sur initiative de Me Abdoulaye Wade, est comme un phare dans la localité. Mais c’est sous Macky Sall que le site a été réhabilité, dans le cadre du programme de développement du tourisme au niveau des différents pôles. Il a été inauguré par le ministre Alioune Sarr, le 23 décembre 2021. Il accueille, chaque année, un nombre important de touristes, d’étudiants, d’intellectuels et d’hommes politiques. Certains y viennent pour célébrer l’anniversaire de son décès, d’autres sa naissance.
Une fraîcheur d’oasis au mausolée
L’espace est sacré et resplendissant, avec des plantes qui dégagent de la fraîcheur et un air de sérénité. Le professeur Cheikh Anta Diop y repose, selon sa volonté, à côté de son grand-père maternel, Massamba Sassoum, fondateur du village.
Il ressort des témoignages qu’il y avait une forte connexion entre les deux hommes. Le grand-père était réputé pour sa dimension spirituelle exceptionnelle et son dévouement à la religion musulmane. « C’était un « Waliyou » (un saint). Quand le village était frappé par la sécheresse, on sollicitait ses prières pour déclencher la pluie. On pouvait s’attendre à un hivernage abondant, ses prières étaient toujours exaucées », raconte le chef de village.
Aux alentours du mausolée où viennent se recueillir les habitants de Thieytou, pousse un jujubier plusieurs fois déraciné. « On a tout fait pour le couper, mais l’arbre reste tenace. Il pousse à chaque fois. Selon les anciens, cet arbre a toujours cohabité avec le grand-père du professeur Cheikh Anta Diop. « Mame Massamba Sassoum « foumou messeu deuk deem sahe fa » (partout où il a habité, un jujubier y a poussé) », nous confie le gardien du temple, Alla Ndiaye.
Un hommage est aussi rendu à l’ancienne ministre de la Femme, Aïda Mbodj, ancienne mairesse de Bambey, qui a milité pour la rénovation du mausolée. Le site a ressuscité l’âme de Thieytou.
Dans la grande cour est aménagé un espace où repose Marie Louise Diop, la veuve du grand penseur. Elle est décédée, en France, le 4 mars 2016, 30 ans après son défunt mari, des suites d’une longue maladie. Elle a tenu à rester fidèle au célèbre panafricaniste jusqu’à sa mort. Selon des témoignages recueillis sur place, elle n’a jamais voulu se remarier après le décès du père de ses quatre garçons.