«ALAMANE» AU VILLAGE DE THIOBON
Le village de Thiobon, commune de Kartiack, cadre d’une activité culturelle dénommée «Alamane (déformation du mot français amende) qui remonte à la nuit des temps
C’est connu ! La culture, cette dimension essentielle de l’épanouissement des êtres humains, des sociétés, de leur identité et de leur projet collectif commun est le plus clair moyen d’expression du diola. La parfaite illustration en a été donnée au village de Thiobon, commune de Kartiack, cadre d’une activité culturelle dénommée «alamane (déformation du mot français amende) qui remonte à la nuit des temps. Une cérémonie traditionnelle initiée par les femmes du quartier Amanque et placée sous le sceau de la solidarité, du partage et du développement local.
Le Blouf ! Une contrée du département de Bignona riche d’une certaine tradition d’organisation de manifestations et de pratiques culturelles et cultuelles multiséculaires et qui sont en rapport avec les aspirations, les exigences des terroirs, des communautés locales ; et ce en matière d’éducation, de morale, d’affirmation de l’identité culturelle voire de promotion des valeurs culturelles. Toute une richesse tant soit peu minée aujourd’hui par le phénomène de la globalisation sous-tendu par l’avènement des Tic et la prolifération des réseaux sociaux qui ont fini d’impacter les fondements socioculturels de bon nombre de contrées et de communautés. Ce qui est toutefois loin d’être le cas au niveau du village Thiobon, un des sanctuaires des traditions culturelles et cultuelles diola. Une localité du Blouf où les femmes continuent encore et toujours à jouer leur rôle de gardiennes des traditions et des valeurs ancestrales en se mobilisant à chaque fois pour préserver la société contre certaines dérives, certains aléas de la vie et pour donner des orientations par rapport au devenir de la société. C’est le cas la semaine dernière avec l’organisation pendant trois jours d’une cérémonie traditionnelle dénommée «alamane» exclusivement dédiée à la gent féminine.
«Alamane» : sens d’un rite
En pays diola, les rites interviennent dans l’interprétation et le traitement de désordres individuels ou collectifs et où ils constituent des moments privilégiés de la vie sociale des villages. Des rites hérités de la tradition en milieu diola et qui constituent l’ensemble de toutes les croyances léguées par les ancêtres et qui se transmettent de génération en génération. C’est le cas de l’«alamane», qui comme tous les rites, est une pratique sociale. Une amende collective infligée par le Kumpo (masque) à une tranche d’âge ou de sexe à la suite d’une faute. Celle-ci pourrait être commise par une ou quelques personnes, mais la sanction concernera toute une catégorie de personnes selon la volonté du Kumpo. Ce rite mobilise donc toute la société ou plutôt toute une génération de personnes. Celui du quartier Amanque à Thiobon n’a pas dérogé à la règle
A l’origine, l’insulte d’une jeune fille à l’endroit d’une vieille dame
«Ce qui justifie cet alamane est que nous les femmes sommes organisées en génération. Et la jeune génération a commis une faute grave ; et ce, à travers l’une d’elle qui a offensé voire insulté une vieille dame», explique Gnima Diémé. La présidente des femmes d’Amanque pour qui, conformément à la tradition héritée de nos ancêtres, quand une jeune femme offense une personne âgée, elle écope d’une lourde sanction. « Une manière de l’éduquer à notre manière afin que cela inspire toutes les autres filles de sa génération», ajoute-t-elle. Et le pire est que cette sanction, alamane, a une incidence collective car elle engage, dit-elle, la responsabilité de toutes les autres filles de la génération de celle incriminée. Et à Amanque dans le village de Thiobon, la nature de la sanction collective pour toute cette génération et qui s’apparente à un dédommagement au profit de toute la communauté a consisté en l’octroi d’un bœuf, de trois sacs de riz, de trois sacs d’oignon, d’un sac de mil, d’un sac de sucre, de dizaines de caisses de boissons, d’un sac de lait en poudre. En outre, toutes les filles de cette génération ont donné chacune deux poulets. Et c’est encore loin d’être fini en termes de sanction et de compensation du côté des coupables. Car pour ce qui relève de la sanction concernant exclusivement la jeune fille coupable et incriminée, c’est un bouc qui est là mis en contribution également en guise de dédommagement individuel ; et ce, en plus d’un sac de riz.
Et cette dernière a également dégagé une somme de 100 000 francs Cfa pour la prise en charge des griots et animateurs qui ont un rôle prépondérant dans le cadre de la célébration de l’alamane. Dimension de l’événement oblige et pour conjurer le mauvais sort suite à cette entorse à la stabilité sociale, chaque membre de la communauté était tenu aussi d’apporter quelque chose pour l’atteinte des résultats escomptés. «Ici les femmes se sont toujours respectées ; donc s’il y a une qui bafoue les fondements de notre communauté, de notre tradition, il nous faut donc agir pour préserver l’harmonie, la cohésion sociale et la paix au niveau local. C’est tout le sens de notre alamane ici à Amanque», martèle à nouveau Gnima Diémé. En plus pour la présidente des femmes, de telles activités culturelles vivifient la tradition et perpétuent les valeurs ancestrales, etc
Forts relents culturels et festifs
Pour les femmes d’Amanque, une telle activité culturelle est également une occasion pour la communauté de revisiter les expressions et facettes culturelles locales ; et ce, avec le déroulement d’activités telles que la danse du Kumpo qui fut pendant trois jours la grande attraction de cet événement ; le Kumpo qui est accompagné en de pareilles occasions d’un autre animal broussard costaud et noir appelé Agomola, et d’Essama de petite taille toujours armé de bâton. Une cérémonie d’alamane marquée en outre, et entre autres, par des danses folkloriques, la traction d’une pirogue au niveau du bras de fleuve de Thiobon ; l’apparition et l’exhibition à la place publique des femmes des différentes générations en tenue traditionnelles ; des pratiques rituelles au niveau du bois sacré des femmes, etc. Toute une série d’activités qui ont de quoi conforter l’importance que les femmes accordent à la tradition. Des valeurs héritées des ancêtres et qui constituent également, selon les femmes d’Amanque, une dimension essentielle de leur épanouissement, de leur identité et de leur projet collectif commun.
D’ailleurs signe des temps, ces rites jadis dévolus exclusivement à des activités festives se sont adaptés à l’heure de la globalisation. Chose bien comprise par les femmes d’Amanque qui ont mis à profit la célébration de leur activité pour s’appesantir et s’imprégner des questions d’entreprenariat et de développement ; et ce, à travers l’implication d’actrices de développement dans l’organisation d’un forum dans le cadre de leurs activités.
Les femmes à l’heure du développement local
é et nous voudrions avec cette activité joindre l’utile à l’agréable ; ce qui justifie l’organisation de ce forum axé sur le développement», justifie Gnima Diémé. «Rôle des femmes dans le développement» ! Tel était le thème de ce forum dédié aux femmes d’Amanque regroupées autour du Gie Jumbandoor ; et thème animé par Mme Bassène Justine Manga, adjointe au maire de Nyassia, secrétaire des femmes de la commune de Nyassia et responsable au niveau de l’Association Usoforal.
Et ce, avec comme modérateur, l’historien-journaliste Mamadou Lamine Mané. Mme Bassène Justine Manga, dans sa communication, a d’abord magnifié le choix des femmes d’Amanque de s’appuyer sur le levier culturel pour tenter d’impulser le développement économique et social auniveau de leur terroir. Et s’inspirant de ses expériences personnelles en matière de développement, Mme Bassène a exhorté ces femmes à faire l’état des lieux de leur structure pour identifier les problèmes et les blocages. «Chaque fois qu’il y a des rencontres périodiques, des comptes rendus, les groupements vont bien fonctionner», argue-t-elle. L’autre combat pour gagner la bataille du développement pour les femmes, c’est de procéder, insiste-t-elle, au renouvellement de leurs structures et leur donner vie.
Et Mme Bassène de fustiger en outre ce développement archaïque dans le domaine, notamment du maraîchage et au niveau des contrées rurales et qui est loin d’atténuer la pénibilité des femmes. Une manière pour elle de prôner en retour un développement innovant, notamment avec les systèmes goutte-à-goutte pour ce qui est des blocs maraîchers des femmes. «Cela soulage les femmes et vous gagnez en termes de temps et de gain», suggère-telle.
En plus la conférencière a incité les femmes d’Amanque à s’initier, entre autres, à la transformation de nos produits, aux nouvelles technologies pour des ventes en ligne, etc.» Non sans manquer de les inviter à faire la part des choses entre la chose politique et le développement. «Car la politique, quand elle est trop présente au sein d’une association, est souvent source de division entre les membres», prévient-t-elle. Autant de suggestions, autant de stratégies brandies par Mme Bassène Justine Manga ; et autant de défis que les femmes d’Amanque, qui ont compris que le temps des événements exclusivement festifs est révolu, entendent porter et relever pour assurer le développement au niveau local, assurer leur devenir. Ainsi pour Gnima Diémé et les siennes, il incombe donc aujourd’hui de s’appuyer sur la mise en valeur des ressources culturelles, du patrimoine culturel de la communauté pour promouvoir leur intégration dans les politiques de développement local.