KANKOURANG, UN MYTHE QUI RISQUE DE S'EFFONDRER
Le septembre mandingue bat son plein dans la capitale de la Petite côte. Le Kankourang qui est un patrimoine mondial immatériel de l'UNESCO attire du monde. Durant ce mois, Mbour devient par la force des choses la destination la plus prisée au Sénégal...
Le septembre mandingue bat son plein dans la capitale de la Petite côte. Le Kankourang qui est un patrimoine mondial immatériel de l'UNESCO attire du monde. Durant ce mois, Mbour devient par la force des choses la destination la plus prisée au Sénégal pendant les weekends. Au-delà de l'aspect culturel, l’événement permet de booster les activités économiques dans la ville. Toutefois, malgré les alertes des années précédentes à cause d’une organisation de plus en plus défaillante, le mythe du Kankourang risque de s'effondrer si les sages ne trouvent pas une solution pour préserver la culture.
Mbour est la principale destination durant le mois de septembre. Grâce à l'événement du Kankourang qui se tient chaque année à pareille période, on assiste à un engouement et une ferveur des jeunes qui viennent des quatre coins du pays et d’autres de l'étranger. Aujourd'hui, cet événement est devenu emblématique et est collé à l'image de la ville de Mbour. La circoncision chez les Mandingues est un évènement culturel historique qui permettait aux membres de cette communauté de garder leur identité, leur histoire et leur culture. C’est la case de l’homme, mais au-delà de la circoncision, c’est toute une culture avec le Diambadong ou la danse des feuilles vertes. Au sortir de cette période, les initiés, de par l’endurance dont ils auront fait montre et la sagesse qu’ils auront acquise, deviennent aptes à être intégrés dans la société. Grâce à cet engouement et l'esprit d'ouverture des sages, ce rite initiatique qui était strictement réservé aux membres de la communauté mandingue est désormais ouvert aux enfants ayant un parent mandingue puis à toute personne le désirant, pourvu qu'elle s'engage à en respecter les principes. On les appelle «les bofman».
ANARCHIE DANS LA CREATION DES CELLULES
Depuis l'avènement d’El hadj Ibrahima Cissé, un érudit de l'Islam et dignitaire de la communauté mandingue voulant créer son ‘’lël’’ ou cellule, la culture est de plus en plus banalisée. En 2016, le patriarche avait réitéré sa demande sur la table de la collectivité mandingue pour obtenir une autorisation. Comme les années précédentes, le bureau lui oppose un niet catégorique et il s’en est suivi un bras de fer opposant les deux parties. Las d'attendre qu'une poignée de personnes s'appropriant la culture lui refuse son droit, celui que ses disciples et sympathisants appellent affectueusement Pa Cissé sort son Kankourang et crée sa propre cellule. Ce fut le début des hostilités entre les membres d’une même communauté. Malheureusement, la collectivité mandingue qui avait déjà par le passé réussi à vite étouffer un vent de rébellion initié par le défunt Mamadou Sokhna, va échouer lamentablement pour le cas de Pa Cissé. D’ailleurs, les partisans du vieux Cissé se plaisent à marteler cette boutade : «Le vieux Cissé n’est pas le vieux Sokhna».
De ce bras de fer entre les deux camps ont d’ailleurs découlé des affrontements violents qui sont restés en travers de la gorge de certains membres de la communauté éprise de paix. Il aura fallu la médiation du Directeur du patrimoine immatériel d’alors, Hamady Bocoum et du ministre de la Culture de l’époque Mbagnick Ndiaye pour que les angles soient arrondis et qu’un compromis dynamique soit trouvé. En présence du Commissaire central d’alors Mandjibou Lèye, les deux parties qui avaient été regroupées autour d’une même table à la préfecture de Mbour étaient tombées d’accord sur la décision de permettre à chaque parti d’organiser ses activités. Après cette étape, plusieurs cellules ont été créées. La cellule Woyinka Kounda plus connue sous le nom de Pa Dialma, située à côté du lycée Demba Diop, devait se déplacer vers le croisement Saly, plus précisément sur le terrain qui appartient à la collectivité, malheureusement cette délocalisation a entraîné une division avant qu'une partie des sages n'aille occuper les lieux sous le nom de la cellule de Woyinka. Aujourd'hui à Mbour, il y a 3 cellules de plus, ce qui fait passer le nombre de 5 à 8 dans la ville. A Malicounda où il y avait une cellule qui est celle du mythique lël du village de Mboulème qui a donné naissance au Kankourang de Mbour, d'autres cellules ont été créées. A Nianing, la population sort désormais un Kankourang. A ce rythme, si les sages ne dépassent pas les considérations personnelles et taisent certaines rancunes et malentendus, il sera presque inévitable d'assister à la banalisation du Kankourang qui va tuer le mythe. Il faut donc le soutien de l'autorité administrative pour revoir les conditions de création d'une cellule sinon, en faisant effondrer le mythe, les conséquences économiques se feront ressentir dans la Petite côte.
L'ECONOMIE BOOSTEE
L’activité du mois de septembre fait courir de nombreux politiciens qui y voient une bonne tribune pour sortir de l'anonymat afin de charmer l’électorat. Ainsi ils se relaient dans les lël où ils apportent des dons au profit des initiés et circoncis. Aujourd'hui, le budget municipal est passé de 2,5 millions à 3 millions, soit une augmentation de 25%que la municipalité de la ville de Mbour a réussi à allouer à la collectivité mandingue. A cela s'ajoute le fait que Cheikh Issa Sall a déboursé une enveloppe de 4 millions et 4 tonnes de riz qu’il a distribués aux 8 cellules de la ville, soit 500 000 FCFA et 1/2 tonne de riz par «lël».
L’argent offert par le maire représente 24,8% des prises en charge, soutient Aïdara Diop secrétaire général de la collectivité mandingue. Le cumul du don de la mairie et de Cheikh Issa fait que la municipalité assure 40% des charges durant le mois de septembre. Le septembre mandingue ne doit plus être une activité culturelle avec des festivités qui génèrent de l’argent au profit des négoces sans pour autant que la mairie n’y gagne, a soutenu le premier magistrat de la ville de Mbour qui estime qu’elle devrait servir à renflouer les caisses. «Le septembre mandingue, en plus d'être culturel, est aussi économique. C'est pourquoi c'est le moment choisi par le Trésor pour le recouvrement car durant cette période, l'économie tourne à fond.
Au niveau de la municipalité, nous sommes en train de voir comment mettre en place des taxes pour que les Mbourois puissent en tirer plus de profits. C'est un événement phare qui permet à la ville de vivre», a soutenu Cheikh Issa Sall maire de Mbour. Durant cette période, au moins plus de 40 mille personnes viennent à Mbour. Les hôtels et les auberges en tirent profit. De jour comme de nuit, les lieux de vente de nourriture comme les Fast Food, les restaurants, les bars ouvrent 24h/24. Pourtant malgré ces chiffres d'affaires exorbitants, la collectivité mandingue ne gagne pas en ristournes. Bref, les négoces font bonne affaire sans même verser un centime de leur bénéfice dans la caisse de la collectivité mandingue. Or, un tel versement allait permettre à la collectivité de réaliser de nombreux projets et de prendre en charge une bonne partie de ses dépenses au lieu de bénéficier des dons de tiers. Pour anticiper, dans la commune de Malicounda, l'un des projets phares de la municipalité est de créer la maison du Kankourang.
Dans le département de Mbour, tout est parti de ce village situé dans la commune de Malicounda. C'est de là que le Kankourang a été célébré avant que le vieux Koïta ne l'exporte à Mbour. Pour garder cette histoire dans la Petite côte, l'équipe municipale ne se limite pas à faire un appui en argent mais projette de créer la maison du Kankourang qui va donner une autre considération à la culture mandingue dans la zone. Aujourd'hui, de jour comme de nuit, Mbour vit dans la fièvre du Kankourang. Les nuits blanches sont organisées un peu partout les samedis, les plages sont bondées de monde en tout temps. Les vendeurs de tissus, d'habits et les petits commerçants se frottent les mains. Du côté financier, seule la collectivité mandingue pourtant organisatrice de cet événement phare, n'en tire pas profit, ne se contentant que de dons et de soutiens. Même si les violences sont de moins en moins notées grâce à une organisation plus rigoureuse, il n'en demeure pas moins que des incidents regrettables sont relevés de temps à autre.