LE NAUFRAGE DU JOOLA RACONTÉ ET MIS EN EN PERSPECTIVE PAR LA LITTÉRATURE
Il y a vingt ans disparaissait au large de la Gambie le ferry sénégalais mythique le Joola. Ce drame a inspiré de nombreux essais, témoignages, poèmes et romans
Le Sénégal commémore ce 26 septembre 2022 le vingtième anniversaire du naufrage du ferry le Joola en haute mer. Vingt ans après, faute d’un mémoriel digne de ce nom et en absence de réponses aux questions posées par l’accident, le souvenir de ce drame terrible qui aurait sans doute pu être évité, continue de hanter la mémoire collective africaine.
Pour les Sénégalais, le Joola n’était pas un bateau comme un autre. De fabrication allemande et entré en service depuis 1995, ce bateau mythique de 76,5 mètres de longueur et de 12,5 mètres de largeurs reliait la capitale Dakar à Ziguinchor, chef-lieu de la province rebelle du Sud, Casamance. Comme la région était difficile d’accès par la route, à cause du couloir géographique de la Gambie qui la sépare du territoire sénégalais, le Joola a constitué une sorte de cordon ombilical entre le nord et le sud du Sénégal. Il était régulièrement emprunté par les touristes, mais surtout par les jeunes étudiants casamançais qui faisaient leurs études dans la capitale, par les militaires en permission et, last but not least, par les femmes marchandes – les fameuses bana-bana – partant écouler leurs marchandises à Dakar.
Le 26 septembre 2002, autour de 23h, le ferry surchargé dans lequel était monté plus de 2 000 passagers alors qu’il était conçu pour en transporter 550, a chaviré au cours d’un violent orage qui a retourné le navire en quelques minutes « comme une calebasse », laissant peu de chance de survie aux passagers. Ce fut l’une des pires catastrophes de l’histoire maritime, avec selon les chiffres officiels 1 863 morts et disparus, de vingt-deux nationalités différentes. Parmi les victimes du Joola, 608 corps furent repêchés et seulement 64 passagers survivront à la catastrophe. Le bilan était largement supérieur à celui du Titanic dont le naufrage fit quelque 1 500 morts.
Un sujet de choix
Tout comme pour le Titanic, le retentissement et l’ampleur de la tragédie du Joola font d’elle un sujet de choix pour les journalistes, les réseaux sociaux et la télévision. Ils s’en saisissent à chaque date anniversaire ou à l’occasion de l’éclatement des polémiques autour du traitement cynique, jamais à la hauteur de l’événement, qu’ont réservé aux victimes la classe politique sénégalaise et la justice. Le naufrage du « Titanic sénégalais » a aussi inspiré des essais, des enquêtes, des témoignages par les survivants et les proches des victimes, ainsi que des œuvres d’imagination sous la plume des écrivains souvent de premier plan.
Le géant des lettres sénégalaises Boubacar Boris Diop fut d’ailleurs l’un des premiers écrivains à s’emparer du sujet dans les colonnes du mensuel parisien Le Monde diplomatique(1), dès décembre 2002, pour déplorer la défaillance compassionnelle des institutions sénégalaises face aux drames et tragédies que vivaient les citoyens. Dans son témoignage émouvant et lucide, le seul rescapé français du naufrage, Patrice Auvray, dénonce le traitement du naufrage du Joola comme « une affaire d’État » par le pouvoir sénégalais, notamment par l’ancien président Abdoulaye Wade qualifié par l’auteur de « le plus éminent responsable des malfaçons de l’époque ». Nés du désir de comprendre les causes du chavirement du Joola, les ouvrages inspirés par cette tragédie se signalent à l’attention par l’éclairage qu’ils jettent sur la grandeur et les servitudes de la condition humaine.
« Souviens-toi du Joola »
Tous genres confondus, une vingtaine de livres ont été publiés à ce jour, inspirés par la tragédie. La plupart de ces publications relèvent de la catégorie « essais-enquêtes ». Ces livraisons comprennent, outre les deux rapports d’enquête officiels (2) et (3), des essais s’attachant à expliquer le cheminement, les raisons et les responsabilités qui ont conduit à ce terrible naufrage, comme le fait avec talent et rigueur un passionné de la Casamance, Bruno Parizot, dans son ouvrage Joola : le naufrage de la honte (4).
Le ton de l’ouvrage de Bruno Parizot est donné dès le titre et le cauchemar qu’il décrit de long en large, se perpétue encore aujourd’hui. Vingt ans après le drame, les familles se battent contre l’oubli et pour que la justice pointe les négligences et les responsabilités. Rappelons que la justice sénégalaise a classé le dossier sans suite, en concluant à la seule responsabilité du commandant du bord, disparu dans le naufrage. Quant à la justice hexagonale, saisie par les familles des victimes françaises de l’accident, elle a vu son élan stoppé net par un non-lieu définitif. En dernier recours, les familles ont fait appel auprès de la Cour européenne des droits de l’homme qui doit statuer prochainement sur la suite de l’affaire.